SRI AUROBINDO
Lettres sur le Yoga
Volume 2. Section 3
12. Expériences de la conscience intérieure et de la conscience cosmique
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Le percement du voile qui sépare la conscience extérieure de l'être intérieur est l'un des mouvements décisifs du yoga. Car le yoga, c'est l'union avec le Divin, mais c'est aussi l'éveil au moi intérieur d'abord, au moi supérieur ensuite: un mouvement vers l'intérieur et un mouvement vers le haut. En fait, c'est seulement lorsque l'être intérieur s'éveille et vient au premier plan que l'on peut parvenir à l'union avec le Divin. La personnalité physique extérieure de l'homme n'est rien de plus qu'un ensemble d'instruments et ne peut par elle-même atteindre cette union: tout au plus peut-elle recevoir des contacts intermittents, des sentiments religieux, des indications imparfaites. Et même ceux-ci ne viennent pas de la conscience extérieure, mais de ce qui est au-dedans de nous.
Deux mouvements sont mutuellement complémentaires: dans l'un, l'être intérieur vient au premier plan et impose à la conscience extérieure ses mouvements normaux qui sont, pour elle, inhabituels et anormaux; dans l'autre, on se retire de la conscience extérieure, on pénètre au-dedans, dans les plans intérieurs, on entre dans le monde du moi intérieur et l'on s'éveille dans les parties cachées de l'être. Cette plongée une fois effectuée, vous êtes marqué pour la vie yoguique, pour la vie spirituelle; rien ne peut effacer le sceau qui a été apposé sur vous.
Ce mouvement vers l'intérieur s'effectue de manières très diverses et il arrive parfois que tous les signes de la plongée totale se combinent en une expérience complexe. On se sent entrer à l'intérieur ou descendre au plus profond de soi-même, on a le sentiment d'un mouvement vers les profondeurs intérieures; souvent aussi, on ressent une immobilité, un engourdissement agréable, une raideur des membres. C'est le signe que la conscience se retire du corps vers l'intérieur sous la pression d'une force venue d'en haut et cette pression, pour faire du corps un support immobile de la vie intérieure, le stabilise en une sorte d'āsana vigoureux et pourtant spontané. On a la sensation de vagues qui s'élèvent et montent vers la tête, ce qui provoque une inconscience à l'extérieur et, à l'intérieur, un éveil. La conscience inférieure s'élève dans l'Âdhâr pour rejoindre la conscience plus grande qui se trouve au-dessus. Ce mouvement est analogue à celui auquel la méthode tantrique donne tant d'importance: l'éveil de la Koundalinî, Énergie lovée et latente dans le corps, et son ascension à travers l'épine dorsale, les centres (chakra) et le Brahmarandhra, à la rencontre du Divin au-dessus. Dans notre yoga, il ne s'agit pas d'une méthode spécifique, mais d'une part, d'un jaillissement spontané de toute la conscience inférieure, parfois en courants et en vagues, parfois en un mouvement moins concret, et d'autre part d'une descente dans le corps de la Conscience divine et de sa Force. Cette descente est ressentie comme l'envahissement d'un flot de calme et de paix, de force et de pouvoir, de lumière, de joie et d'extase, d'immensité, de liberté, de connaissance, d'un Être divin ou d'une Présence, parfois de l'un de ces éléments, parfois de plusieurs d'entre eux ou de tous à la fois. Le mouvement ascendant a différents effets: il peut libérer la conscience de sorte que l'on ne se sent plus dans le corps, mais au-dessus de lui, ou encore répandu dans l'immensité, alors que le corps est presque dépourvu d'existence ou n'est plus qu'un point dans la libre expansion de soi-même. Il peut aussi conférer à l'être, ou à une certaine partie de l'être, la faculté de sortir du corps et de se mouvoir ailleurs, et cette action s'accompagne d'ordinaire d'une sorte de samâdhi partiel ou d'une transe complète. Ou encore la conscience, n'étant plus limitée par le corps et les habitudes de la nature extérieure, peut acquérir le pouvoir de s'intérioriser, d'entrer dans les profondeurs du mental intérieur, du vital intérieur, du physique intérieur (subtil), du psychique; elle peut devenir capable de percevoir son moi psychique profond ou son être intérieur mental, vital et physique subtil et peut-être de se déplacer et de vivre dans les domaines, les plans, les mondes qui correspondent à ces parties de la nature. C'est par l'ascension répétée et constante de la conscience inférieure que le mental, le vital, le physique peuvent entrer en contact avec les plans supérieurs jusqu'au supramental et s'imprégner de leur lumière, de leur pouvoir et de leur influence. Et c'est par la descente répétée et constante de la Conscience divine et de sa Force que l'être et la nature se transforment dans leur totalité. Lorsque cette descente est devenue habituelle, la Force divine — le Pouvoir de la Mère — commence à travailler non plus seulement d'en haut ou de derrière le voile, mais dans la conscience même de l'Âdhâr; elle prend en charge ses difficultés, exploite ses possibilités et poursuit elle-même le yoga.
Vient enfin le passage de la frontière. Ce n'est pas un assoupissement ou une perte de conscience, car la conscience est là sans cesse; seulement elle change de place, sort de l'être extérieur et physique, se ferme au monde extérieur et se retire dans la partie intérieure psychique et vitale de l'être. Là, elle passe par de nombreuses expériences dont certaines peuvent et doivent être ressenties aussi à l'état de veille; car pour que l'on devienne conscient du moi intérieur et de la nature intérieure, les deux mouvements sont nécessaires: l'émergence de l'être intérieur et sa venue au premier plan, et l'intériorisation de la conscience. Mais le mouvement d'intériorisation est indispensable, car ses usages sont multiples. Il a pour effet de briser — ou du moins d'ouvrir et de faire franchir — la barrière qui sépare notre conscience instrumentale extérieure de cet être intérieur qu'elle s'efforce très partiellement d'exprimer, ce qui permettra plus tard à l'être d'accéder à une perception consciente des richesses infinies de possibilités, d'expériences, de nouvelles manières d'être et de vivre qui restent inexploitées derrière le voile de cette petite personnalité matérielle aveugle et limitée que les hommes prennent à tort pour la totalité d'eux-mêmes. C'est l'ouverture et l'élargissement constant de cette perception plus profonde, plus pleine et plus riche qui s'accomplit lorsque après cette plongée intérieure, on revient de ce monde intérieur vers l'état de veille.
Le sâdhak doit comprendre que ces expériences ne sont pas simplement des imaginations ou des rêves, mais des événements réels, car même lorsqu'elles ne sont que des formations d'un caractère néfaste, trompeur ou adverse — et cela se produit souvent — elles ont tout de même un pouvoir formateur et l'on doit les comprendre pour être capable de les rejeter et de les abolir. Chaque expérience intérieure est parfaitement réelle à sa manière, bien que les diverses expériences soient de valeur très inégale, mais cette réalité est celle du moi intérieur et des plans intérieurs. C'est une erreur de penser que nous ne vivons que physiquement, par le mental et la vie extérieurs. Nous vivons et nous agissons sans arrêt sur d'autres plans de conscience, nous y rencontrons les autres, nous agissons sur eux, et ce que nous faisons, sentons et pensons dans ces plans, les forces que nous y rassemblons, les conséquences que nous y préparons ont à notre insu, sur notre vie extérieure, une importance et un effet incalculables. Tout ne se transmet pas, et ce qui se transmet prend une forme différente dans le physique, même si parfois la correspondance est exacte; mais c'est sur la petite partie qui est transmise que se fonde notre existence extérieure. Tout ce que nous devenons, tout ce que nous faisons, tout ce que nous subissons dans la vie physique se prépare en nous derrière le voile. Il est par conséquent d'une immense importance, dans un yoga dont le but est la transformation de la vie, de prendre conscience de ce qui se passe dans ces domaines, d'y régner en maître et d'être capable de sentir, de connaître, de manipuler les forces secrètes qui déterminent notre destin, notre croissance ou notre déclin intérieurs et extérieurs.
C'est tout aussi important pour ceux qui veulent cette union avec le Divin sans laquelle la transformation est impossible. L'aspiration ne peut pas se réaliser si vous restez ligoté par votre moi extérieur, attaché au mental physique et à ses mouvements étriqués. Ce n'est pas l'être extérieur qui est la source de l'impulsion spirituelle: l'être extérieur ne fait que subir la poussée intérieure qui vient de derrière le voile. C'est l'être psychique intérieur en vous qui est le bhakta, lui qui cherche l'union et l'Ânanda, et ce qui est impossible à la nature extérieure abandonnée à elle-même devient parfaitement possible lorsque la barrière est abattue et que le moi intérieur est au premier plan. Car dès l'instant où il vient puissamment en avant ou attire avec force la conscience en lui-même, la paix, l'extase, la liberté, l'immensité, l'ouverture à la lumière et à une connaissance supérieure commencent à devenir naturelles, spontanées et souvent émergent aussitôt.
Une fois la barrière brisée par l'un ou l'autre mouvement, vous vous apercevez que tous les procédés et tous les mouvements nécessaires au yoga sont à votre portée et non, comme ils apparaissent au mental extérieur, difficiles ou impossibles. Le moi psychique profond en vous contient déjà le yogi et le bhakta, et s'il peut émerger tout à fait et prendre le commandement, l'orientation spirituelle de votre vie extérieure est prédéterminée et inéluctable. Chez le sâdhak qui réussit dès le début, le moi psychique a déjà construit une vie intérieure profonde, yoguique et spirituelle, voilée seulement en raison d'une forte orientation vers l'extérieur conférée au mental pensant et aux parties vitales inférieures par l'éducation et les activités passées. C'est précisément pour corriger cette orientation vers l'extérieur et retirer le voile que le sâdhak doit déployer tant d'énergie dans SA pratique du yoga. Une fois que l'être intérieur s'est vigoureusement manifesté, soit par le mouvement qui va vers l'intérieur, soit par celui qui sort vers l'extérieur, il renouvellera inévitablement sa pression pour déblayer le passage et finalement prendre possession de son royaume. Une première expérience de ce genre préfigure ce qui doit se produire ensuite à plus grande échelle.
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Le cri que vous avez entendu ne venait pas du cœur physique, mais du centre émotif. La rupture du mur signifiait la rupture de l'obstacle, ou du moins de quelque obstacle entre votre être intérieur et votre être extérieur. La plupart des gens vivent dans leur personnalité extérieure ordinaire, ignorante, qui ne s'ouvre pas facilement au Divin; pourtant, il y a un être intérieur en eux, qu'ils ne connaissent point et qui peut facilement s'ouvrir à la Vérité et à la Lumière. Mais un mur les en sépare, un mur d'obscurité et d'inconscience. Quand le mur s'écroule, la délivrance arrive. Le calme, l'Ânanda, la joie que vous avez éprouvés immédiatement après venaient de cette délivrance. Le cri que vous avez entendu était le cri de la partie vitale en vous, saisie par la soudaineté de l'écroulement et de l'ouverture.
Les Bases du Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.
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Il n'est pas possible au début de distinguer l'être psychique. Ce qu'il faut faire, c'est devenir conscient d'un être intérieur distinct de la personnalité et de la nature extérieures; d'une conscience, ou Pourousha, calme et détachée des actes extérieurs de la Prakriti.
Les expériences que vous décrivez sont psycho-physiques; la seule qui soit importante est le courant ascendant, début d'une tentative de tracer un chemin qui reliera le centre mental (mental intérieur, volonté et vision intérieures), dont le siège est au milieu du front, au centre supérieur situé au-dessus.
On ne peut se débarrasser des obstacles que petit à petit, par une sâdhanâ persévérante. L'alternance d'états sombres et lumineux est normale et inévitable.
La lumière, dans votre expérience, indique l'action d'une force (le ton bleuté indique probablement la force spirituelle du mental); le reste avait pour but d'ouvrir le centre spirituel supérieur (sahasradala).
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C'est vraiment dommage que la peur soit intervenue et ait altéré le mouvement d'intériorisation, car ce mouvement est d'une extrême importance pour la sâdhanâ. L'apparition de plus en plus fréquente de la conscience psychique en vous, qui pénètre et remplace la conscience ordinaire, et sa plénitude croissante ont été jusqu'à présent les signes de progrès les plus encourageants, mais si le mouvement vers l'intérieur s'établissait, ce serait encore mieux; car sa conséquence naturelle serait de libérer l'âme au-dedans et de vous établir fermement dans l'être intérieur, de sorte que vous seriez capable d'observer toutes les fluctuations qui se produisent dans la conscience extérieure sans être subjugué par elles et sans que soient rompus l'équilibre et la liberté intérieurs. Mais ce mouvement reviendra à coup sûr et se réalisera. Il est très bon que l'aide vienne quand vous l'appelez et que vous puissiez secouer vos liens; c'est aussi un signe de la croissance psychique.
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Ce que vous avez vu n'était pas en vous, c'était un symbole de choses qui se trouvent dans la Nature vitale. Les scorpions et aussi, en général, les serpents symbolisent des énergies néfastes; la nature vitale de la terre est pleine de ces énergies et c'est pourquoi la purification de la nature vitale extérieure de l'homme est, elle aussi, tellement difficile à accomplir, et que tant de mouvements et d'incidents entachés" d'erreur se produisent en lui: c'est parce que son vital s'ouvre aisément à tous ces mouvements terrestres. Pour s'en débarrasser, l'être intérieur doit s'éveiller et grandir; sa nature doit remplacer la nature extérieure. Parfois les serpents indiquent simplement des énergies, et non des énergies néfastes; mais le plus souvent c'est l'inverse. Les paons que vous avez vus étaient au contraire des pouvoirs de victoire, la victoire des énergies de la lumière sur les énergies de l'ombre.
Ce que vous dites de l'être extérieur est exact, il doit se transformer et manifester ce qui est au-dedans, dans la nature intérieure. Mais pour cela, il faut avoir des expériences dans la nature intérieure: par elles, le pouvoir de la nature intérieure s'accroît au point de devenir capable d'influencer en totalité l'être extérieur et de le posséder. Il serait trop difficile de transformer entièrement la conscience extérieure sans développer cette conscience intérieure. C'est pourquoi ces expériences intérieures se poursuivent, pour préparer la croissance de la conscience intérieure. Il y a une conscience mentale intérieure, une conscience vitale intérieure, une conscience physique intérieure qui, plus aisément que la conscience extérieure, peuvent recevoir la conscience supérieure et s'harmoniser avec l'être psychique; quand c'est fait, on ressent la nature extérieure comme une fine couche à la surface, non comme soi-même, et on peut plus facilement la transformer tout à fait.
Quelles que soient les difficultés qui pourraient subsister dans la nature extérieure, elles ne changeront rien au fait que vous êtes maintenant éveillé au-dedans, que la force de la Mère est à l'oeuvre en vous et que vous êtes son véritable enfant, destiné à l'être parfaitement en tout. Placez tout entières en elle votre foi et votre pensée et vous franchirez tout en sécurité.
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C'est à la surface que s'opère la transformation. Pour transformer la surface, on y émerge avec ce que l'on a gagné dans les profondeurs. Peut-être avez-vous besoin de vous intérioriser de nouveau et trouvez-vous difficile de le faire rapidement. Quand l'être tout entier sera devenu malléable, vous serez capable d'effectuer plus vite tous les mouvements nécessaires.
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Passer d'un état de conscience à un autre prend évidemment) du temps. Le sentiment s'approfondira de plus en plus, à mesure que votre conscience s'éloignera des exigences du monde extérieur et s'enfoncera plus profondément dans la région du cœur, tirant de là sa vision et son sentiment, stimulée et illuminée par le psychique La foi, elle aussi, grandira par ce mouvement, car seule la foi de l'intellect extérieur est instable ou insuffisante; l'are intérieur dans le cœur la possède toujours.
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Vous exprimez dans cette lettre la manière juste de penser et de voir. La volonté propre du mental, qui veut que les choses se fassent à sa manière et non à la manière du Divin, était un grand obstacle. Maintenant qu'elle a disparu, le chemin devrait être bien moins rude et bien moins difficile à suivre.
L'être extérieur peut voir grandir a foi, sa fidélité au' Divin, sa vénération, son amour, sa dévotion et son adoration; ce sont de grandes choses en elles-mêmes — quoiqu'on fait elles aussi viennent de l'intérieur — mais la réalisation ne peut se produire que lorsque s'éveille l'are intérieur avec sa vision et son sentiment des choses invisibles. Auparavant on peut sentir les effets de l'aide divine, et, si l'on a la foi, savoir qu'ils sont l'œuvre du Divin; mais ce n'est qu'à partir de ce moment que l'on peut sentir clairement la Force à l'œuvre, la Présence divine, la communion directe.
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Le silence n'est pas l'absence d'expériences. C'est dans la tranquillité et le silence intérieurs que toutes les expériences peuvent se produire sans entraîner aucun trouble. Interrompre les images qui apparaissent en vous serait une grande erreur. Peu importe qu'elles soient mentales ou psychiques. On doit avoir l'expérience non seulement des mondes ou plans de conscience du psychique véritable, mais aussi de ceux du mental intérieur, du vital intérieur et du physique subtil. L'apparition des images est un signe que ceux-ci sont en train de s'ouvrir et les inhiber serait inhiber l'expansion de la conscience et de l'expérience sans laquelle ce yoga na peut être fait.
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2145
Toutes les expériences viennent dans le silence, mais elles na viennent pas toutes pêle-mêle et en foule au début. silence et la paix intérieurs doivent d'abord s'établir.
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2146
La difficulté que vous me signalez dans votre dernière lettre (la plus longue) montre que vous pénétrez dans l'être intérieur où vous commencez à avoir des expériences, mais vous avez du mal à les organiser ou à en avoir une vision cohérente. Cette difficulté vient de ce que le mental intérieur n'est pas encore suffisamment habitué à agir et à voir les choses intérieures; c'est pourquoi le mental extérieur ordinaire s'en mêle et essaie de les structurer, mais le mental extérieur est incapable de voir la signification des choses intérieures. Quand on le laisse complètement au dehors, on commence à avoir une vision claire et vive des choses intérieures, mais comme le mental intérieur n'est pas actif, on ne voit pas leur cohérence, ou alors la conscience s'attarde dans les expériences confuses du plan vital inférieur et ne va pas au-delà pour entrer dans les expériences plus profondes, plus cohérentes et plus révélatrices. Un développement de la conscience intérieure est nécessaire; quand ce développement se produira, tout deviendra plus clair et plus cohérent. Il se produira si, sans vous troubler, vous aspirez tranquillement en appelant sans cesse la Force de la Mère pour qu'elle fasse le nécessaire.
Votre appel parviendra toujours à la Mère. Si vous demeurez tranquille et confiant, vous percevrez en temps opportun la réponse. Plus le mental se tranquillisera, plus il s'éclaircira et vous sentirez l'action de la Mère. Vous pouvez m'écrire de temps en temps pour me faire part de vos expériences; je vous répondrai chaque fois que ce sera nécessaire.
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2147
C'est ce que nous appelons le contact, et c'est ainsi qu'il vient.
Vous ne l'avez; pas tout le temps parce que certaines parties de l'être sont encore inconscientes, ou peut-être parce que des états d'inconscience interviennent. Les gens échangent des lettres, par exemple, mais ils sont tout à fait inconscients des forces qu'ils échangent de ce fait. Vous en êtes devenu conscient parce que votre conscience intérieure s'est développée pair le yoga, et pourtant il est probable qu'à certains moments, il vous arrivera encore d'écrire en vous servant de la seule; perception extérieure, et alors vous ne verrez que les mots sans percevoir ce qui est derrière. Vous êtes donc capable, parce que la conscience intérieure s'est développée, de comprendre ce que sont ces contacts et de recevoir celui qui est vrai, mais de temps en temps la conscience extérieure peut être plus forte que la conscience intérieure; alors vous n'êtes plus capable (pour le moment) de recevoir le contact.
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2148
Rien ne vous a été retiré, mais comme vous le dites à la fin de votre lettre, vous voyez votre être en deux parties. C'est une chose qui arrive au cours de la sâdhanâ et qui doit arriver pour que l"on puisse acquérir la connaissance complète de soi-même et la vraie conscience. Ces deux parties sont l'être intérieur et l'être extérieur. L'être extérieur (mental, vital et physique) est maintenant capable de tranquillité et, en méditation, il entre dans une tranquillité libre, heureuse et vide qui est le premier pas vers la vraie conscience. L'être intérieur mental, vital et physique n'est pas perdu, il s'est seulement retiré au-dedans; la partie extérieure ne sait pas où, mais il est sans doute allé à l'intérieur pour s'unir au psychique. La seule chose qui est peut-être partie, c'est un élément de l'ancienne nature qui faisait obstacle à cette expérience.
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Il y a un être intérieur et un être profond que nous appelons le psychique. Quand on médite, on essaie de pénétrer dans l'être intérieur. Si l'on y parvient, on sent très bien que l'on s'est intériorisé. Ce que l'on peut réaliser en méditation peut aussi devenir, la conscience ordinaire dans laquelle on vit. On sent alors la conscience ordinaire, actuelle, comme quelque chose de tout à fait extérieur à la surface, non comme le vrai moi.
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Ce que vous ressentez comme la vie nouvelle est la croissance de l'être intérieur en vous; l'être intérieur est l'être véritable et à mesure qu'il grandit, toute la conscience commence à se transformer. Ce sentiment et votre nouvelle attitude envers les autres sont des signes de ce changement. La vision des choses intérieures accompagne aussi d'ordinaire cette croissance de l'être et de la conscience intérieure; c'est une vision intérieure qui s'éveille en la plupart des sâdhak quand ils abordent cette étape.
Une autre caractéristique de cette conscience intérieure est que même lorsqu'elle est active, on sent, derrière l'action ou l'englobant, une tranquillité totale ou un silence complet. Plus on se concentre, plus cette tranquillité et ce silence s'accroissent. C'est pourquoi tout semble tranquille au-dedans alors même que toutes sortes de choses sont en train de s'y dérouler.
Il est aussi tout à fait normal que ce qui se passe dans la conscience intérieure ne s'exprime pas dès à présent dans le physique extérieur. La conscience intérieure commence par susciter certains changements au-dehors, mais ne prend possession des instruments extérieurs que plus tard.
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2151
C'est un très bon signe que quelque chose demeure calme et imperturbable lorsque viennent des pensées qui veulent vous troubler, car cela indique, tout comme la réponse psychique au-dedans, que la conscience intérieure est fixée ou en train de se fixer dans une partie de l'être. C'est un stade — bien connu de la transformation intérieure dans la sâdhanâ. L'apparition d'un Ânanda existant en soi, indépendant des circonstances extérieures, est également bon signe. C'est un fait que cet état de joie, de bonheur intérieur est à la fois paisible et heureux; ce mouvement n'est pas une excitation comme le plaisir vital extérieur, bien qu'il puisse être plus ardent et plus intense. Une autre conséquence heureuse est l'atténuation du sentiment que "c'est mon travail" et le pouvoir de l'exécuter avec la conscience extérieure, sans que l'être intérieur soit affecté.
Le sentiment d'être libéré comme d'une prison accompagne toujours l'émergence de l'être psychique ou la réalisation du moi au-dessus. C'est pourquoi il est appelé mukti (libération). C'est une libération dans la paix, le bonheur, la liberté de l'âme qui n'est pas assujettie par les mille liens et soucias de la vie extérieure dans l'ignorance.
C'est évidemment le visage de la Mère qui vous est apparu dans votre vision, mais sans doute sous l'une de ses formes supraphysiques, non sous sa forme et avec son visage physiques; c'est ce qu'indique aussi la grande lumière qui émanait de la forme et la rendait invisible.
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L'absence de pensée est exactement ce qu'il faut, car la vraie conscience intérieure est une conscience silencieuse qui n'a pas besoin de penser, mais reçoit la perception, la compréhension et la connaissance justes d'une manière spontanée, de l'intérieur, et qui parie ou agit selon ce qu'elles lui dictent. C'est la conscience extérieure qui est obligée de dépendre des choses extérieures et d'y penser, parce qu'elle n'a pas cette direction spontanée. Quand on se stabilise dans cette conscience intérieure, on peut certes revenir au comportement antérieur par un effort de volonté, mais le mouvement n'est plus naturel et à la longue il devient fatigant. Pour les rêves, c'est différent. Les rêves relatifs à de vieux souvenirs enfouis viennent du subconscient qui retient les impressions anciennes, les germes des anciens mouvements et des vieilles habitudes, alors que la conscience de veille les a abandonnés depuis longtemps. Abandonnés par la conscience de veille, ils continuent à venir en rêve, car pendant le sommeil la conscience physique extérieure descend dans le subconscient ou vers lui et de nombreux rêves en remontent.
Le silence où tout est calme et où l'on demeure comme un témoin, tandis qu'une partie de la conscience adresse un appel spontané aux choses d'en haut pour qu'elles descendent, est le silence complet qui apparaît lorsque la pleine force de la conscience supérieure règne sur le mental, le vital et le corps.
On peut voir les choses intérieures aussi distinctement que les objets extérieurs soit par la vision subtile, sous forme d'images, soit dans leur essence par une manière de voir plus subtile et plus puissante encore; mais toutes ces facultés doivent se développer pour atteindre la plénitude de leur pouvoir et de leur intensité.
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À un certain stade de la sâdhanâ, l'être intérieur commence à s'éveiller. Souvent l'état qui en résulte se compose tout d'abord des éléments suivants:
1. Une sorte d'attitude de témoin dans laquelle la conscience intérieure contemple tout ce qui se passe comme un spectateur ou un observateur, regardant les choses mais n'y prenant aucun intérêt actif ni aucun plaisir.
2. Un état d'équanimité neutre dans lequel il n'y a ni joie ni chagrin, mais seulement de la tranquillité.
3. Le sentiment d'être à l'écart de tout ce qui se passe, de l'observer sans y prendre aucune part.
4. L'absence d'attachement aux choses, aux gens ou aux événements.
Il semblerait que cet état essaie de s'établir en vous; mais il est encore imparfait. Par exemple, dans cet état, (1) vous ne devriez ressentir ni contrariété, ni impatience, ni colère quand les gens parlent, mais seulement de l'indifférence et une paix, un silence intérieurs. De plus, (2) il ne devrait pas y avoir seulement une indifférence et une tranquillité neutres, mais aussi un sentiment positif de calme, de détachement et de paix. En outre, (3) vous ne devriez pas sortir du corps au point de ne pas savoir ce qui se passe ni ce que vous faites. Vous pouvez avoir le sentiment de ne pas être le corps, mais autre chose; c'est bien; mais vous devriez percevoir parfaitement tout ce qui se passe en vous et autour de vous.
De plus cet état, même quand il est parfait, n'est qu'une étape passagère dont le but est d'apporter un certain état de liberté et de libération. Mais dans cette paix doit venir le sentiment de la Présence divine, le sentiment du pouvoir de la Mère à l'œuvre en vous, la joie ou Ânanda.
Si vous pouvez vous concentrer dans le cœur autant que dans la tête, tout cela pourra venir plus aisément.
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Cette division dans l'être que vous ressentez, l'intérieur étant vide et indifférent, udāsīna, non pas triste, mais neutre et indifférent, est une expérience par laquelle passent de nombreux chercheurs; les sannyâsî y attachent un grand prix. Pour nous, ce n'est qu'un passage vers quelque chose de plus vaste et de plus positif. Dans cet état, les vieux sentiments humains étriqués disparaissent et une sorte de vide calme et neutre se forme, pour qu'une nature supérieure se manifeste. Ce vide doit se remplir et être remplacé par un vaste sentiment de silence et de liberté où la conscience de la Mère peut couler d'en haut.
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Cet état où tous les mouvements deviennent superficiels et vides, sans aucun lien avec l'âme, caractérise une étape de la sâdhanâ où l'on se retire de la conscience de surface pour aller vers la conscience intérieure. Lorsqu'on pénètre dans la conscience intérieure, on la sent comme une existence calme et pure, sans aucun mouvement, mais éternellement tranquille, immuable et séparée de la nature extérieure. C'est le résultat qui apparaît lorsqu'on se détache de tous les mouvements, que l'on fait un pas en arrière, et ce mouvement a une grande importance dans la sâdhanâ. Le premier effet en est une tranquillité complète, mais ensuite cette tranquillité, sans cesser d'exister, commence à se remplir de mouvements psychiques et d'autres mouvements intérieurs qui créent une vraie vie intérieure et spirituelle derrière la vie et la nature extérieures. Il est alors plus facile de maîtriser celles-ci et de les transformer.
Ces fluctuations se produisent actuellement dans votre conscience parce que cet état intérieur n'est pas encore pleinement développé et stable. Lorsqu'il le sera, il y aura encore des fluctuations dans la conscience extérieure, mais à l'intérieur la tranquillité, la force, l'amour, etc. seront constants et l'être intérieur observera les fluctuations superficielles sans en être bouleversé ni troublé, jusqu'à ce que l transformation extérieure complète les fasse disparaître.
Quant à X, mieux vaut laisser passer et essayer de rester ferme au-dedans et détaché; on ne peut pas rompre avec toutes ses relations; il faut petit à petit s'élever au-dessus de leurs réactions habituelles.
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L'état que vous décrivez, et qui est le vôtre pendant le travail, signifie que l'être intérieur est éveillé et que la conscience est maintenant double. C'est l'être intérieur qui contient le bonheur, le calme et la tranquillité intérieurs, le silence dénué de tout frémissement de pensée, la répétition intérieure silencieuse du Nom. La répétition automatique du mantra fait partie du même phénomène: c'est ce qui doit arriver au mantra; il faut qu'il devienne non seulement conscient, mais aussi spontané, et qu'il se répète dans la substance même de la conscience, sans qu'aucun effort du mental ne soit plus nécessaire. Tous ces doutes, toutes ces interrogations du mental sont inutiles. Ce qui doit arriver, c'est que cette conscience intérieure soit toujours là, inaccessible à toute perturbation, dans le silence, la joie et la tranquillité intérieurs constants, alors que la conscience extérieure fait le nécessaire pour le travail, etc., ou, ce qui est mieux, le fait faire par son intermédiaire: c'est cette dernière expérience que vous avez certains jours, comme si quelqu'un faisait avancer le travail par une force continue, sans que vous n'en ressentiez aucune fatigue.
Si vous vous sentez plus tranquille et que le sentiment de consécration est plus intense, alors cet état est bon et non mauvais: et s'il fait de votre mental un espace vide qui reçoit la lumière, c'est encore mieux. Les expériences et les descentes sont de très bonnes préparations, mais ce que nous voulons, c'est la transformation de la conscience: c'est la preuve que les expériences et les descentes ont un effet. Les descentes de paix sont bonnes, mais une tranquillité et un silence du mental de plus en plus stables sont plus précieux. Quand règnent cette tranquillité et ce silence, d'autres choses peuvent venir, d'ordinaire une par une: la lumière, ou la puissance et la force, ou la connaissance, ou l'Ânanda. Il est inutile de continuer à avoir sans fin les mêmes expériences préparatoires: un temps vient où la conscience commence à acquérir un nouvel équilibre et un autre état.
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C'est simplement parce que vous êtes plein d'activités et de fréquentations vitales et mentales. On doit acquérir le pouvoir de tranquilliser le mental et le vital, sinon à tout moment dès le début, du moins à volonté, car le mental et 1g vital recouvrent l'être psychique ainsi que le moi (Âtman) et pour atteindre l'un ou l'autre, il faut entrer en eux en traversant ce voile; mais s'ils sont tout le temps actifs et que vous êtes sans cesse identifié à leurs activités, le voile sera toujours là. Vous pouvez aussi vous détacher et regarder ces activités comme si elles n'étaient pas les vôtres, mais une action mécanique de la Nature que vous observez à la manière d'un témoin indifférent. Vous pourrez alors commencer à percevoir un être intérieur qui est séparé, calme et distinct de la Nature. Ce sera peut-être le Pourousha intérieur, mental ou vital, et non le psychique, mais accéder à la conscience du manomaya puruṣa et du prāṇamaya puruṣa intérieurs est toujours un pas vers le dévoilement de l'être psychique.
Oui, il vaudrait mieux acquérir la parfaite maîtrise de la parole: c'est un pas important vers la vie intérieure et le développement d'une vraie conscience intérieure et yoguique.
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2158
L'être intérieur se compose du mental intérieur, du vital intérieur, du physique intérieur. Le psychique est l'être le plus profond et soutient tous les autres. C'est en général dans le mental intérieur que cette séparation se produit e" premier, et le Pourousha mental intérieur reste silencieux, observant la Prakriti comme distincte de lui. Mais elle peut aussi se produire dans le Pourousha vital intérieur, ou dans le Pourousha physique intérieur, ou encore, sans aucune localisation, simplement dans la totalité de la conscience du Pourousha séparée de la totalité de la Prakriti. On la sent parfois au-dessus de la tête, mais alors on parle plutôt de l'Âtman et la réalisation est celle du Moi silencieux.
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2159
La conscience dont vous parlez serait appelée, dans la Guîtâ, le Pourousha témoin. Le Pourousha ou conscience fondamentale est l'être véritable ou du moins le représente, sur quelque plan qu'il se manifeste. Mais dans la nature ordinaire de l'homme, il est dissimulé par l'ego et le jeu ignorant de la Prakriti et demeure voilé à l'arrière-plan, Témoin invisible qui soutient le jeu de l'Ignorance. Lorsqu'il émerge, vous le ressentez comme une conscience à l'arrière-plan: calme, central, non identifié au jeu qui dépend de lui. Il peut être caché, mais il est toujours là. L'émergence du Pourousha est le commencement de la libération. Mais il peut aussi devenir lentement le Maître — lentement parce que toute l'habitude de l'ego et le jeu des forces inférieures s'y opposent. Il peut tout de même décréter une action supérieure qui dont remplacer le mouvement inférieur; alors intervient le processus de substitution: le mouvement supérieur apparaît, le mouvement inférieur lutte pour subsister et repousser le mouvement supérieur. Vous dites, à juste titre, que l'offrande au Divin raccourcit tout le processus et est plus efficace, mais d'ordinaire elle ne peut se faire complètement du premier coup en raison des habitudes passées, et les deux méthodes se poursuivent parallèlement jusqu'à ce que la soumission complète soit possible.
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2160
En lui-même, le Pourousha est impersonnel, mais du fait qu'il se mêle aux mouvements de la Prakriti, il se fabrique en surface un ego et une personnalité. Lorsqu'il apparaît dans sa propre nature; séparée, on voit qu'il est détaché et regarde.
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2161
L'être témoin ne reste pas toujours ponctuel. Il devient quelque chose de vaste qui soutient tout le reste.
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2162
L'attitude de la conscience-témoin au-dedans (je ne crois pas qu'elle implique nécessairement que l'on se retire du monde, bien que l'on puisse le faire aussi) caractérise une étape très nécessaire dans le progrès. Elle aide à se libérer de la Prakriti inférieure, à ne pas se laisser prendre aux mouvements de la nature ordinaire; elle contribue à établir au-dedans un calme et une paix parfaits, car alors une partie de l'être reste détachée et voit sans être dérangée les perturbations de la surface; elle facilite aussi l'ascension dans la conscience supérieure et la descente de la conscience supérieure, car c'est au travers de cet être intérieur calme, détaché et libéré que la montée et la descente peuvent se faire aisément. Contempler les mouvements de la Prakriti dans les autres avec le même regard du témoin qui comprend sans être perturbé en aucune manière est aussi une grande aide, à la fois vers la libération et vers l'universalisation de l'être. Je ne pourrais par conséquent élever aucune objection contre ce mouvement chez un sâdhak.
Quant à la consécration, elle n'est pas incompatible avec l'attitude du témoin. Au contraire, cette attitude, en libérant l'être de la Prakriti ordinaire, rend plus aisée la consécration au Pouvoir supérieur ou divin. Très souvent, lorsqu'on ne l'a pas adoptée, mais que l'on réussit, par un appel, à faire pénétrer la Force dans l'être pour qu'elle agisse sur lui, l'un de ses premiers soins consiste à établir cette attitude du témoin, afin de pouvoir agir sans que les mouvements de la Prakriti inférieure ne s'interposent ou ne se mêlent autant à son action.
Reste la question de savoir s'il faut éviter les contacts avec les autres, ce qui soulève une difficulté ou une incertitude. Une partie de votre nature a un fort penchant à fréquenter les autres, à agir sur eux, à communiquer; c'est presque un besoin. Cette tendance entraîne une certaine fluctuation entre le penchant à l'isolement intérieur et le penchant au contact et à l'action. D'autres ici, comme X, ont le même mouvement double et fluctuant. Dans les cas de ce genre je n'insiste pas, en général, pour que l'une des deux attitudes soit adoptée, mais je hisse la conscience trouver son propre équilibre, parce que e me suis aperçu qu'à trop encourager la tendance à l'isolement quand la nature n'est pas principalement portée à la contemplation, on n'obtient pas de très bons résultats, à moire bien sûr que le sâdhak lui-même n'ait pris une décision puissante et stable dans ce sens. C'est peut-être la cause de ce que vous avez ressenti. Mais la question de l'opposition entre altitude du témoin et consécration ne se pose pas, pour la raison que j'ai expliquée: l'une peut fort bien contribuer à l'autre ou y mener, puisque notre yoga rassemble tous ces éléments et ne les maintient pas indéfiniment séparés.
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2163
Le silence descend tout d'abord (tans l'être intérieur, comme aussi d'autres choses qui viennent de la conscience supérieure. On peut devenir conscient de cet être intérieur calme, silencieux, insensible aux mouvements de la Nature. plein de connaissance ou de lumière, tout en percevant un autre être plus petit, la petite personnalité de surface qui est constituée par les mouvements de la Nature ou leur reste soumise, ou encore, si elle ne leur est pas soumise, demeure sujette à en être envahie. Quantités de sâdhak et de yogis ont eu l'expérience de cet état L'être intérieur, c'est le psychique, le mental intérieur, le vital intérieur, le physique intérieur. Dans cet état, aucun deux ne peut être affecté si peu que ce soit; c'est donc qu'une purification essentielle s'est opérée. Tous ne ressentent pas forcément cette division en deux consciences, mais pour h plupart c'est le cas. Quand elle existe, la volonté qui décide Je l'action réside dans l'être intérieur, non dans l'être extérieur, de sorte que si des mouvements vitaux envahissent l'être extérieur, ils ne peuvent en aucune manière le forcer à agir. C'est au conjure un stade très favorable dans la transformation, car être intérieur peut faire venir en lui toute la force de la conscience supérieure pour changer la nature dans sa totalité, en observant l'action de la Nature sans en être affecté, en dirigeant la force qui œuvre au changement partout où il en est besoin et en rectifiant tout l'être comme on règle un mécanisme. Cela, si l'on veut la transformation. Car bien des védântin ne croient pas qu'elle soit nécessaire: ils disent que l'être intérieur est mukta, le reste étant simplement un mouvement de la Nature qui se poursuit automatiquement sur sa lancée dans l'homme physique et qui disparaîtra avec le corps pour que l'on puisse partir dans le nirvana.
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2164
C'est la vieille idée védantique: être libre et détaché au-dedans et laisser la Prakriti livrée à elle-même. Quand vous mourrez, le Pourousha ira dans la gloire et la Prakriti tombera, peut-être dans l'enfer. Cette théorie est la source de toutes sortes de duperies et de complaisances délibérées envers soi-même.
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2165
Vous pouvez certes continuer à développer la conscience du Pourousha Témoin au-dessus, mais s'il n'était qu'un témoin et que la Prakriti inférieure était laissée libre d'agir à sa guise, il n'y aurait aucune raison que cet état cesse un jour. Nombreux sont ceux qui adoptent cette attitude: le Pourousha doit se libérer en se tenant à l'écart et l'on peut laisser la Prakriti vaquer à ses affaires jusqu'à la fin de la vie; c'est le prārabdha karma; quand le corps disparaîtra, la Prakriti disparaîtra aussi et le Pourousha s'élèvera dans le Brahman indifférencié! C'est une théorie confortable, mais sa vérité est plus que douteuse; je ne pense pas que la libération soit quelque chose d'aussi simple et d'aussi facile. Quoi qu'il en soit, la transformation qui fait l'objet de notre yoga ne se( produirait pas.
Le Pourousha au-dessus n'est pas seulement un Témoin, il est aussi celui qui donne (ou refuse) la sanction; s'il refuse avec persistance son assentiment à un mouvement de la Prakriti, tout en restant lui-même détaché, alors ce mouvement, même s'il continue un moment sur sa lancée, commence en général, au bout d'un certain temps, à lâcher prise, s'affaiblit, devient moins obstiné, moins concret, et finit par s'estomper tout à fait. Si vous adoptez la conscience du Pourousha, ce devrait être non seulement celle du Témoin, mais aussi celle de l'Anoumantâ qui refuse son assentiment aux mouvements perturbateurs et approuve seulement la paix, le calme, la pureté et tout ce qui participe de la nature divine. Ce refus de la sanction n'entraîne pas forcément un conflit avec la Prakriti inférieure; il doit être un refus tranquille, persévérant, détaché, qui laisse l'action contraire de la nature sans soutien, sans assentiment, dépourvue de sens et de légitimation.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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2166
Quand on recherche le Moi impersonnel, on oscille entre deux principes opposés: le silence et la pureté de l'Âtman impersonnel et inactif, et l'activité de la Prakriti ignorante. On peut entrer dans le Moi en quittant la nature ignorante ou en la réduisant au silence. Ou bien on peut vivre dans la paix et la liberté du Moi et observer l'action de la Nature comme un témoin. On peut même, par la tapasyâ, appliquer un certain contrôle sattwique à l'action de la Prakriti; mais le Moi impersonnel n'a pas le pouvoir de transformer ou de diviniser la nature. Pour cela, il faut dépasser le Moi impersonnel et chercher le Divin qui est à la fois personnel, impersonnel et au-delà de ces deux aspects. Cependant, si l'on s'exerce à vivre dans le Moi impersonnel et que l'on peut parvenir à une certaine impersonnalité spirituelle, alors on grandit en égalité, en pureté, en paix, en détachement, on acquiert la faculté de vivre dans une liberté intérieure que n'affectent ni le mouvement de surface, ni la lutte de la nature mentale, vitale et physique; et c'est d'un grand secours lorsqu'on doit dépasser l'impersonnel et transformer aussi la nature perturbée en quelque chose de divin.
Offrir ses actions au Divin soulève une difficulté vitale qu'il est impossible d'éviter: il faut en passer par là et la vaincre. Car dès l'instant où vous tentez de le faire, le vital se soulève pour s'opposer au changement et, avec lui, toutes ses imperfections agitées. Il y a cependant trois choses que vous pouvez faire pour alléger et abréger la difficulté:
(1) Vous détacher de ce physique vital, l'observer comme quelque chose qui n'est pas vous, le rejeter, refuser de vous plier à ses exigences et à ses impulsions, mais avec tranquillité, comme le Pourousha témoin qui, en refusant sa sanction, finit par l'emporter. Cela ne devrait pas vous être trop difficile, si vous avez déjà appris à vivre de plus en plus dans le Moi impersonnel.
(2) Quand vous n'êtes pas dans cette impersonnalité, vous pouvez tout de même utiliser votre volonté mentale et son pouvoir de consentement ou de refus, non par une lutte pénible, mais, de la même manière, tranquillement, en niant les exigences du désir, jusqu'à ce que ces exigences, faute de sanction et d'assentiment, perdent la force de revenir et peu à peu s'affaiblissent et deviennent de plus en plus extérieures.
(3) Si vous devenez conscient du Divin au-dessus de vous ou dans votre cœur, demandez-lui aide, lumière et pouvoir pour que, de là, ils changent le vital lui-même, et en même temps faites pression sur ce vital jusqu'à ce qu'i apprenne à prier lui-même pour obtenir la transformation.
Enfin la difficulté sera réduite à ses plus petites proportions dès que vous pourrez, par la sincérité de votre aspiration au Divin et votre consécration, éveiller l'être psychique en vous (le Pourousha dans le cœur secret) de sorte qu'il viendra en avant et y restera, et déversera son influence sur tous les mouvements de la conscience mentale, vitale et physique. Le travail de transformation restera encore à faire, mais dès cet instant il ne sera plus aussi dur ni aussi pénible.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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2167
Évidemment non. L'attitude du témoin n'a pas pour but de fournir un moyen commode de nier la responsabilité de ses propres défauts et par là de refuser de les amender. Elle a pour but la connaissance de soi et, dans notre yoga, elle constitue une position commode (détachée et indifférente, et par conséquent non soumise à Prakriti) d'où l'on peut agir sur les mouvements erronés en leur refusant son consentement et en leur substituant l'action de la conscience véritable venue du dedans ou d'au-dessus.
2168
Une très sérieuse difficulté dans le yoga est l'absence d'une volonté centrale qui reste toujours au-dessus des vagues de force de Prakriti, toujours en contact avec la Mère, et qui impose à la nature son but central et son aspiration. Il en est ainsi parce que vous n'avez pas encore appris à vivre dans votre être central; vous avez été habitué à vous laisser emporter par chaque vague de Force qui se jetait sur vous, quelle qu'en soit la nature, et de vous identifier à elle sur le moment. C'est l'une des choses qu'il vous faut désapprendre; vous devez découvrir votre être central, avec le psychique qui est sa base, et vivre en lui.
Les Bases du Yoga, chapitre 3. Traduction de te Mère.
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2169
Tant que le mental saute d'une idée à l'autre ou se précipite vers les choses extérieures, il est impossible de rester intériorisé, recueilli et conscient au-dedans.
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2170
Percevoir sa conscience centrale et connaître l'action des forces est le premier pas décisif vers la maîtrise de soi.
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2171
Cela [la conscience] signifie les deux à la fois. On doit être conscient de tous ses états et de tous ses mouvements, de leurs causes et des influences qui les déterminent; on doit aussi être conscient du Divin: souvenir, présence, pouvoir, paix, lumière, connaissance, amour, Ânanda du Divin.
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2172
Le détachement est le commencement de la maîtrise, mais la maîtrise n'est complète que lorsqu'il n'y a pas de réaction du tout. Quand, au-dedans, quelque chose reste impassible devant les réactions, cela signifie que l'être intérieur est libre et maître de lui; il n'est cependant pas encore maître de toute la nature. Quand il est le maître, il refuse toute réaction fausse; s'il en apparaît, elles sont aussitôt repoussées, écartées et elles finissent par ne plus venir du tout.
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2173
Il faut vous intérioriser avec davantage de fermeté. Si vous vous dispersez sans arrêt, si vous sortez du cercle intérieur) vous ne ferez qu'aller et venir dans la mesquinerie de la nature extérieure ordinaire, soumis aux influences auxquelles elle est ouverte. Apprenez à vivre au-dedans, a toujours agir du dedans, guidé par une communion constante avec la Mère. Au début, vous aurez peut-être du mal a le faire sans cesse et complètement, mais c'est possible si si l'on s'y tient; et c'est à ce prix, en apprenant à le faire, que l'on peut atteindre la siddhi dans le yoga.
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2174
Vous vous êtes sans doute trop extériorisé, d'une manière ou d'une autre. C'est seulement en vivant dans la conscience intérieure et en puisant en elle toute son action que l'on peut rester en bonne condition psychique. Autrement l'être psychique se retire au-dedans et l'être extérieur le cache. Il n'est pas perdu, mais dissimulé; il faut retourner à l'intérieur pour le retrouver.
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2175
C'est la vieille habitude du vital qui fait que vous sortez à tout propos dans la partie extérieure; vous devez persévérer pour établir l'habitude inverse de vivre dans votre être intérieur, qui est votre être vrai, et de tout regarder de là. C'est de là que vous recevrez la vraie pensée, la vraie vision et la vraie compréhension des choses, de votre moi et de votre nature.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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2176
Oui, quand on est dans la conscience juste, alors le mouvement est juste, le bonheur est juste, tout est en harmonie avec la Vérité.
Quand la conscience est fausse, c'est l'exigence, l'insatisfaction, le doute, toutes sortes de discordances.
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2177
La différence vient de la partie de l'être qui agit: mental intérieur ou seulement cerveau extérieur. Vous sentez que le mental intérieur est en train de prendre le relais; alors ce que vous étudiez commence à faire partie de votre conscience et est vraiment assimilé. Le travail effectué avec le mental extérieur est toujours ardu et superficiel.
Il est évident que l'être intérieur en vous commence à venir de plus en plus au premier plan. Plus il émergera, plus ces difficultés extérieures seront repoussées au-dehors et la conscience conservera la paix et la force, d'abord dans sa plus grande partie, puis dans sa totalité.
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2178
Oui, c'est très bien. Si l'on se fie principalement aux méthodes extérieures, la réussite n'est jamais parfaite. C'est seulement quand l'équilibre intérieur est atteint que le mouvement extérieur devient réellement efficace, et alors il vient de lui-même.
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2179
C'est bien. Accrochez-vous à la vraie chose, à la concentration dans l'être intérieur et à la vie intérieure. Toutes ces activités extérieures sont de peu d'importance et c'est seulement lorsque la vie intérieure est bien établie que les problèmes qui les compliquent peuvent trouver leur vraie solution. Vous l'avez constaté plusieurs fois quand vous vous intériorisiez. Un mental trop préoccupé par les difficultés extérieures reste extériorisé. Si vous vivez au-dedans, vous vous apercevrez que la Mère est près de vous et vous réaliserez sa volonté et son action.
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2180
La difficulté vient de ce que vous attachez trop d'importance à des choses qui n'ont que très peu de valeur. Vous vous conduisez comme si le fait d'avoir ou de ne pas avoir une table était capital, vous vous tracassez, vous vous échauffez tant sur les bons et les mauvais côtés de cette affaire que vous la laissez bouleverser toute votre paix mentale et vous faire déchoir de l'état qui convient. Ces choses sont minimes et relatives: peut-être aurez-vous une table neuve, peut-être n'en aurez-vous pas; d'un côté comme de l'autre, cela n'a guère d'importance et ne change rien au Dessein du Divin en vous. La seule chose importante est d'accroître le calme, la paix et la descente de la Force divine, de grandir en égalité, en lumière, en conscience intérieures. Il faut mener les activités extérieures dans une grande tranquillité, en faisant le nécessaire mais sans s'énerver ni se bouleverser à aucun propos. C'est seulement ainsi que votre progrès pourra devenir régulier et rapide. Sentir la Force de la Mère autour de vous, la paix toute proche vous entourer, c'est la seule chose qui ait de l'importance; ces petits problèmes extérieurs n'en ont en réalité aucune et peuvent se régler de cent manières différentes.
2181
Dans le rêve concernant X, les reliquats des anciens mouvements venant du vital subconscient continuaient évidemment à se déblayer.
L'expérience que vous relatez: immobilité, vide du mental et du vital, cessation des pensées et des autres mouvements, marquait l'apparition de l'état appelé "samâdhi", dans lequel la conscience s'intériorise dans une immobilité et un silence profonds. Cet état est favorable à l'expérience intérieure, à la réalisation, à la vision de la vérité invisible des choses, bien que tout cela puisse venir aussi à l'état de veille. Ce n'est pas un sommeil, mais un état où l'on se sent conscient au-dedans et non plus au-dehors.
Le diamant dans votre cœur était une formation de la conscience lumineuse de la Mère qui y réside, car la lumière de la Mère est d'un éclat blanc et, à sa plus grande intensité, adamantin. La lumière révèle la présence de la Mère dans votre cœur; c'est elle que vous avez vue une fois et ressentie pendant un moment.
On se sent souvent incapable de lire des livres ou des journaux lorsque la conscience acquiert cette tendance s'intérioriser.
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2182
L'expérience que vous avez eue est évidemment l'intériorisation de la conscience appelée en général transe ou samâdhi. La partie la plus importante de cette expérience es cependant le silence du mental et du vital qui emplit aussi le corps. Acquérir cette capacité de silence et de paix est un pas des plus importants dans la sâdhanâ. Cet état vient d'abord en méditation et peut mener la conscience vers l'intérieur jusqu'à la transe, mais il faut qu'ensuite il se produise à l'état de veille et se stabilise pour former la base permanente de toute la vie et de toute l'action. C'est la condition de la réalisation du Moi et de la transformation spirituelle de la nature.
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2183
1. Non, vous n'étiez pas endormi. Vous avez pénétré au-dedans, dans une conscience intérieure; dans cette conscience intérieure, on est éveillé au-dedans, mais on ne l'est pas au-dehors; on n'est pas conscient des choses extérieures, mais seulement des choses intérieures. Votre conscience intérieure était occupée à réaliser ce que votre mental avait essayé de faire: agir sur les pensées et les suggestions qui sont causes d'agitation et les rectifier; la conscience intérieure peut le faire beaucoup plus facilement que le mental extérieur.
2. Quant aux choses qui doivent être faites, elles se font beaucoup plus facilement par une descente de la Force et de la Paix (qui apportent une vigueur inébranlable) que par votre effort mental.
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2184
Il n'y a pas de raison que l'on n'ait pas une ardente aspiration en dormant, à condition d'être conscient pendant le sommeil. En fait, l'état que vous décrivez n'était pas un sommeil; simplement, la conscience essayait de s'intérioriser, d'entrer dans une sorte d'état où elle est tournée vers l'intérieur (un genre de demi-samâdhi) alors que le mental extérieur en sortait sans cesse. Si vous entrez dans cet état d'intériorisation, ce ne sont pas des rêves que vous avez, mais des expériences spirituelles, des visions ou des expériences dans d'autres plans de conscience supraphysiques. Votre ardente aspiration n'était rien d'autre que l'une de ces expériences spirituelles.
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2185
Au sujet de vos expériences:
1. L'assoupissement que vous avez ressenti pendant la méditation n'était pas un sommeil, mais un état intériorisé de la conscience. Quand cette intériorisation n'est pas très profonde, on peut percevoir des scènes, des voix, etc. qui n'appartiennent pas au plan physique, mais à un plan intérieur de conscience; leur valeur ou leur vérité dépend du plan où l'on est parvenu. Les plans superficiels n'ont pas d'importance et l'on n'a qu'à passer au travers jusqu'à ce que l'on parvienne à une plus grande profondeur.
2. La peur, la colère, la dépression, etc., qui survenaient lorsque vous pratiquiez le japa des noms venaient d'une résistance vitale dans la nature (résistance commune à tous) qui les faisait surgir à cause de la pression exercée sur le vital pour le faire changer, et qui est inhérente à la sâdhanâ. Ces résistances apparaissent puis, si l'on prend l'attitude juste, s'effacent plus ou moins vite. On n'a qu'à les observer et s'en séparer, en persévérant dans la concentration et la sâdhanâ Jusqu'à ce que le vital soit devenu tranquille et clair.
3. Ce que vous avez vu (la lune, le ciel, etc.) est dû à l'ouverture de la vision intérieure; cela se produit d'ordinaire quand la concentration commence à ouvrir la conscience intérieure dont cette vision subtile fait partie. Cette faculté de vision a son importance dans le développement de l'être intérieur et il n'y a pas lieu de la repousser, même si l'on ne doit pas attacher trop d'importance aux visions qui apparaissent dans les premiers stades.
4. Certaines, cependant, font partie du développement de l'expérience spirituelle, comme le soleil que vous avez vil au-dessus de votre tête et le pan de lumière dorée, car ce" sont les signes d'une ouverture intérieure et ils sont symboliques. Tous deux symbolisent la Vérité et la Lumière divines et révèlent une action de leur influence.
5. L'expérience la plus importante est cependant celle de la paix et de la tranquillité qui accompagne une bonne concentration. C'est cela qui doit croître et se stabiliser dans" le mental, le vital et le corps; car c'est cette paix et cette tranquillité qui constituent une base solide pour la sâdhanâ.
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2186
1. Ces pensées et ces influences viennent toutes, en réa lité, de l'extérieur, de la nature universelle; elles créent et nous des formations ou déterminent dans l'être individuel des réactions habituelles. Quand on les rejette, elles réintègrent la Nature universelle extérieure et si l'on devient conscient, on peut les percevoir lorsqu'elles viennent du dehors et essaient de retrouver leur place au-dedans ou de réveiller la réaction habituelle. Il faut les rejeter avec persistance jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune possibilité de réaction. Ce processus est grandement accéléré si l'on peut établir un calme, une pureté et un silence intérieurs d'où ces pensées et ces influences se détachent et tombent et qu'elles sont incapables de troubler.
2. Cet obstacle est commun à tous ceux qui commencent à pratiquer le yoga. Le sommeil disparaît peu à peu de deux manières: (a) par l'intensification du feu de la concentration; (b) par la transformation du sommeil lui-même en une sorte de svapna-samādhi où l'on est conscient d'expériences intérieures qui ne sont pas des rêves (c'est-à-dire que la conscience de veille est abolie pour un moment et qu'elle est remplacée non par le sommeil, mais par un état conscient et intériorisé où l'on se meut dans l'être supraphysique, dans l'être mental ou dans l'être vital).
3. En ce qui concerne l'inconscience qui se glisse dans le sommeil: c'est tout à fait courant. La conscience durant le sommeil ne peut s'établir que petit à petit, à mesure que se développe la conscience véritable dans l'état de veille.
4. Le centre cardiaque est la même chose que le centre da cœur.
5. Une imagerie concrète comme celle que vous utilisez peut contribuer à faire venir la descente.
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2187
En ce qui concerne votre rêve, ce n'était pas un rêve, mais une expérience de l'être intérieur dans un état de rêve conscient, svapna-samādhi. L'engourdissement et l'impression d'être sur le point de perdre conscience sont toujours dus à la pression ou à la descente d'une Force à laquelle le corps n'est pas accoutumé, mais qu'il ressent fortement. Ici, ce n'est pas sur le corps physique que s'exerçait directement la pression, mais sur le corps subtil, sūkṣma śarīra, dans lequel l'être intérieur a sa demeure la plus familière et où il va lorsqu'il entre en sommeil ou en transe, ou encore au moment de la mort. Mais ces expériences sont d'une telle acuité que le corps physique a l'impression d'avoir lui-même l'expérience: l'engourdissement est l'effet que produit sur lui la pression. Une pression sur le corps tout entier signifierait qu'elle s'exerce sur toute la conscience intérieure, peut-être en vue d'une modification ou d'une transformation qui le rendrait plus apte à la connaissance ou à l'expérience; la troisième ou la quatrième côte indiquerait une région qui appartient à la nature vitale, domaine de la force de vie, une pression visant à un changement sur ce plan.
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2188
La question ne se pose pas. À ce stade, vous n'avez qu'à suivre les expériences et observer leur signification. C'est seulement quand elles se déroulent dans le domaine vital que certaines risquent d'être des formations fausses. Celles dont vous parlez sont simplement des expériences normales pour une conscience yoguique en train de s'ouvrir et il faut tout simplement les comprendre.
Il s'agit ici de l'éclatement du petit vital de surface dans l'immensité de l'être vital vrai ou intérieur qui peut aussitôt s'ouvrir à la Conscience supérieure, à son pouvoir, à sa lumière et à son Ânanda. Le petit mental physique et le petit sens physique ont eux aussi commencé à voler en éclats pour entrer dans l'immensité de la conscience physique intérieure. Les plans intérieurs sont toujours vastes et ouverts a l'Universel, alors que les parties extérieures de surface son repliées sur elles-mêmes et pleines de mouvements étriqué; et ignorants.
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2189
Votre série d'expériences est très intéressante parce qu'élit met en lumière un développement constant, bien qu'intermittent. Deux éléments nouveaux et révélateurs se son ajoutés à la substance antérieure de l'expérience. Le premier est la localisation très précise du soulèvement de la conscience à partir du creux de l'estomac, c'est-à-dire au-dessus de l'ombilic, le mouvement lui-même partant de l'ombilic et même de plus bas. Le centre de l'ombilic (nābhipadma) est le siège principal de la conscience vitale centralisée (centre dynamique) qui s'étend du niveau cardiaque (émotif) au centre situé au-dessous de l'ombilic (vital inférieur, centre du désir dans le domaine des sensations). Ces trois centres forment le domaine de l'être vital. Il est par conséquent clair que c'est votre être vital intérieur qui avait cette expérience dont l'intensité, la véhémence venaient sans doute de ce que le vital tout entier (ou sa plus grande partie) était éveillé et y participait cette fois-ci. L'expérience elle-même était d'origine psychique, mais elle a revêtu dans son expression une forme fortement vitale et émotive. Je puis ajouter, pour être complet, que le centre du psychique est situé derrière le cœur et que c'est grâce aux émotions purifiées que le psychique trouve le plus facilement une porte de sortie. Tout ce qui est au-dessus du cœur est relié au vital-mental, et plus haut se trouve le mental avec ses trois centres: l'un dans la gorge (le mental tourné vers l'extérieur ou mental extériorisant), l'autre entre les yeux ou plutôt au milieu du front (centre de la vision et de la volonté), et le troisième au-dessus, communiquant avec le cerveau, qui est appelé le lotus aux mille pétales et où sont centralisées la pensée et l'intelligence au niveau le plus élevé, en communication avec les plans supérieurs du mental (mental illuminé, intuition, surmental) qui se trouvent au-dessus.
Le deuxième point nouveau et révélateur est que le mental intérieur s'est manifesté; car c'est votre mental intérieur qui suivait, observait et critiquait l'expérience psychique de l'être vital. Vous avez trouvé curieuse cette division claire en vous, mais elle ne vous paraîtra plus curieuse lorsque vous saurez que cette divisibilité de l'être en différentes parties est tout à fait normale. Dans la nature extérieure de surface, le mental, le psychique, le vital, le physique sont tous enchevêtrés et il nous faut un vigoureux pouvoir d'introspection, d'auto-analyse, d'observation étroite et de débrouillage des fils de la pensée, des sentiments et des impulsions pour découvrir la composition de notre nature et la relation et l'interaction de ces parties les unes sur les autres. Mais lorsqu'on s'intériorise, comme vous l'avez fait, on découvre les sources de toute cette action de surface et là, les parties de notre être sont tout à fait séparées et clairement distinctes les unes des autres. Nous les sentons vraiment comme des êtres distincts en nous, et tout comme deux individus peuvent le faire en une action conjuguée, on voit chacun observer l'autre, le critiquer, l'aider ou contrecarrer et réfréner son action; c'est comme si nous étions un être collectif, chaque membre du groupe ayant sa place et sa fonction séparées, tous étant dirigés par un être central qui est parfois au premier plan, au-dessus des autres, parfois dans la coulisse. Votre être mental observait le vital et n'était pas très à l'aise devant sa véhémence, car la base naturelle de l'être mental est le calme, la réflexion, la retenue, la maîtrise et l'équilibre, alors que la tendance naturelle du vital est faite de dynamisme, d'énergie projetée en émotion, en sensation et en action. Tout était donc parfaitement naturel et en ordre.
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2190
Votre expérience est simple à expliquer. L'être inférieur (vital et physique) recevait une influence (lumière mentale, jaune) du mental pensant et du vital supérieur qui le débarrassait de ses réactions vitales inférieures anciennes et habituelles; très souvent, dans la sâdhanâ, on sent l'être intérieur parler à l'être extérieur, le mental ou le vital supérieur parler au mental ou au vital inférieur pour l'éclairer.
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2191
L'expérience importante est celle du rayon blanc dans le cœur: la lumière blanche et l'illumination du cœur par la lumière ont un grand pouvoir dans notre sâdhanâ. Les intuitions dont parle cette sâdhikâ sont un signe de la conscience intérieure qui se développe en elle, conscience qui est nécessaire au yoga.
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2192
Les expériences dont vous parlez appartiennent toutes les trois au même mouvement ou au même stade de votre vie spirituelle: ce sont les premiers efforts que fait votre conscience pour percevoir votre être intérieur qui était voilé, comme chez la plupart des gens, par le moi extérieur de veille. Il y a pour ainsi dire deux êtres en nous, l'un à la surface: la conscience extérieure ordinaire de notre mental, de notre vie et de notre corps, l'autre derrière le voile: la conscience d'un mental, d'une vie, d'un physique intérieurs qui constitue un autre moi ou moi intérieur. Une fois éveillé, ce moi intérieur s'ouvre à son tour à notre vrai moi, réel et éternel. Il s'ouvre intérieurement à l'âme que, dans la terminologie de notre yoga, nous appelons l'être psychique, et qui soutient nos vies successives et assume à chaque naissance un mental, une vie et un corps nouveaux. Il s'ouvre au-dessus au Moi ou Esprit non né et, lorsque nous en reprenons consciemment possession, nous transcendons la personnalité changeante et gagnons la liberté et la pleine maîtrise de notre nature.
Vous avez très bien fait de commencer par développer les qualités sattwiques et par construire la tranquillité intérieure et méditative. Il est possible, par une méditation ardue ou par certaines méthodes d'effort intense, d'ouvrir des portes sur l'être intérieur ou même d'abattre quelques-uns des murs qui séparent le moi intérieur du moi extérieur avant d'en avoir terminé avec cette discipline préalable, ou même avant de l'entreprendre, mais il n'est pas toujours sage d'agir ainsi, car cela risque de conduire la sâdhanâ à des états très bourbeux, chaotiques, assiégés d'inutiles dangers. En adoptant cette méthode plus patiente, vous êtes parvenu à un point où les portes de l'être intérieur ont commencé à s'ouvrir toutes grandes, presque automatiquement. Maintenant, les deux processus peuvent aller de pair, mais il faut conserver la tranquillité sattwique, la patience, la vigilance, ne rien hâter, ne rien forcer, n'être détourné par aucun leurre puissant, aucun appel vigoureux de la période intermédiaire qui s'ouvre maintenant, avant d'être sûr que l'appel est le bon. Car les forces des plans intérieurs exercent bien des attirances véhémentes auxquelles il n'est pas sans danger de céder.
Votre première expérience est une ouverture qui vous fait pénétrer dans le moi mental intérieur; l'espace entre les sourcils est le centre du mental intérieur, de la vision intérieure, de la volonté intérieure, et la lumière bleue que vous avez vue était celle d'un plan mental supérieur, d'un mental spirituel, pourrait-on dire, qui est au-dessus de l'intelligence mentale humaine ordinaire. L'ouverture à ce mental supérieur s'accompagne en général d'un silence de la pensée mentale ordinaire. Nos pensées ne se créent pas vraiment en nous d'elles-mêmes, dans la petite machine à penser étriquée que nous appelons notre intellect; en fait, elles nous viennent d'un vaste espace ou éther mental, soit comme des vagues de force mentale porteuses d'une signification qui prend forme dans notre mental personnel, soit comme des formations de pensée toutes faites que nous adoptons et appelons nôtres. Notre mental extérieur est incapable de voir ce processus de la Nature; mais par l'éveil du mental intérieur, nous pouvons en devenir conscients. Ce que vous avez vu était le reflux de cette invasion mentale constante et le recul des formes de pensée derrière l'horizon du vaste espace de la Nature mentale. Vous avez senti cet horizon quelque part en vous-même, mais il se trouvait évidemment dans cet espace plus vaste du moi qui, même dans son domaine limité — juste entre les sourcils — vous a semblé plus grand que l'espace physique correspondant. En fait, bien que les espaces mentaux ordinaires soient bornés par des horizons, ils s'étendent au-delà, à l'infini. Le mental intérieur est quelque chose de très vaste qui se projette dans l'infini et qui, en fin de compte, s'identifie à l'infini du Mental universel. Quand nous brisons les étroites limites du mental physique extérieur, nous commençons à voir et à sentir, au-dedans, cette immensité et finalement cette universalité et cet infini de l'espace du moi mental. Les pensées ne sont pas l'essence de l'être mental, elles ne sont qu'une activité de la nature mentale; si cette activité cesse, ce qui se manifeste à sa place, et qui apparaît alors comme une existence dénuée de pensée, n'est pas un blanc ou un vide, mais, pour ainsi dire, quelque chose de très réel, de substantiel, de concret; un être mental s'étend largement et peut devenir son propre champ d'existence silencieux ou actif, et aussi le Témoin, le Connaisseur, le Maître de ce domaine et de son action. Certains le ressentent tout d'abord comme un vide, mais c'est parce qu'ils n'observent pas assez, n'y étant pas entraînés; alors la cessation de l'activité leur donne un sentiment de vide; ce vide est là, mais c'est un vide dépourvu d'activités ordinaires, non dépourvu d'existence.
L'expérience répétée de ce retrait des pensées, de cet arrêt du mécanisme générateur des pensées et de son remplacement par l'espace mental du moi est normal et conforme à ce qui doit être; car ce silence ou du moins cette capacité de silence doit grandir jusqu'à ce qu'on l'ait à volonté ou même qu'elle s'établisse en permanence et devienne automatique. Car ce silence du mécanisme mental ordinaire est nécessaire pour que la mentalité supérieure puisse se manifester, descendre, occuper peu à peu la place de la mentalité actuelle, qui est imparfaite, et transformer les activités de celle-ci en ses propres mouvements plus complets. La difficulté de la faire apparaître pendant le travail ne se présente qu'au début; ensuite, quand elle est mieux installée, on s'aperçoit que l'on peut poursuivre toutes les activités de la vie soit dans le silence lui-même qui pénètre tout, soit du moins avec ce silence comme soutien et à l'arrière-plan. Le silence reste à l'arrière-plan et l'action nécessaire se poursuit à la surface, ou le silence est notre moi élargi et quelque part en lui, un Pouvoir actif accomplit les œuvres de la Nature sans troubler le silence. Il est par conséquent tout à fait juste d'interrompre le travail lorsqu'une expérience se présente: l'élaboration de cette conscience intérieure silencieuse est assez importante pour justifier une pause ou une brève interruption.
Par contre, il n'en est pas de même des deux autres expériences. On ne doit pas laisser l'expérience de rêve s'emparer des heures de veille et tirer la conscience à l'intérieur; son fonctionnement doit se cantonner aux heures de sommeil. Il ne doit pas non plus y avoir de poussée ou de pression pour abattre le mur entre le moi intérieur et le "je" extérieur: il faut laisser la fusion se produire par une action intérieure progressive, à son rythme naturel. J'expliquerai) pourquoi dans une autre lettre.
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Votre deuxième expérience est un premier mouvement de l'éveil de l'être intérieur dans le sommeil. D'ordinaire, quand on dort, un phénomène complexe se produit. La conscience de veille n'est plus là, car tout s'est retiré au-dedans, dans les régions intérieures que nous ne percevons pas quand nous sommes éveillés, bien qu'elles existent, puisque tout est alors placé derrière un voile par le mental de veille et il ne reste rien, sauf le moi de surface et le monde extérieur: de même la lumière du soleil forme un voile qui nous dissimule les vastes mondes étoiles. Le sommeil consiste à aller au-dedans; le moi de surface et le monde extérieur sont soustraits à nos sens et à notre vision. Mais dans le sommeil ordinaire, nous ne devenons pas conscients des mondes intérieurs: l'être semble immergé dans une subconscience profonde. À la surface de cette subconscience flotte une couche obscure dans laquelle les rêves nous semblent se produire; on pourrait cependant dire avec plus d'exactitude qu'ils y sont enregistrés. Quand nous entrons dans un sommeil très profond, nous avons ce qui nous apparaît comme un sommeil sans rêve, mais en réalité les rêves se poursuivent: ils sont soit trop profondément enfouis pour que la surface puisse les enregistrer, soit oubliés; tout souvenir qu'ils aient même existé s'efface pendant le retour à la conscience de veille. Les rêves ordinaires sont pour la plupart incohérents ou semblent tels, parce qu'ils sont tissés par le subconscient à partir d'impressions qui gisent dans les profondeurs, laissées par notre vie passée intérieure et extérieure, et tissés d'une manière fantastique qui livre difficilement au souvenir du mental de veille des indices sur leurs significations; ou bien ce sont des récits fragmentaires, pour la plupart déformés, d'expériences qui se poursuivent derrière le voile du sommeil; en fait, ces deux aspects se mêlent très largement. Car en réalité une grande partie de notre conscience durant le sommeil ne sombre pas dans cet état subconscient; elle passe, au-delà du voile, dans d'autres plans d'être qui sont reliés à nos propres plans intérieurs: plans d'existence supraphysiques, mondes d'une vie, d'un mental ou d'une psyché plus vastes qui sont là, par derrière, et dont les influences nous parviennent à notre insu. De temps en temps nous recevons de ces plans un rêve, quelque chose qui est plus qu'un rêve, une expérience de rêve qui est un récit, direct ou symbolique, de ce qui s'y passe en nous ou autour de nous. À mesure que la conscience intérieure se développe par la sâdhanâ, ces expériences de rêve deviennent plus nombreuses, plus claires, plus cohérentes, plus exactes, et lorsque l'expérience et la conscience ont grandi, nous pouvons, si nous sommes attentifs, arriver à les comprendre et à comprendre leur signification par rapport à notre vie intérieure. Nous pouvons même, par la pratique, devenir assez conscients pour suivre notre propre passage, d'ordinaire voilé à notre perception et à notre mémoire, à travers de nombreux royaumes, ainsi que le processus de notre retour à l'état de veille. Lorsque cet éveil intérieur atteint un certain degré, cette sorte de sommeil, qui est un sommeil d'expériences, peut remplacer le sommeil subconscient ordinaire.
C'est bien sûr un être intérieur, une conscience intérieure, ou quelque chose du moi intérieur qui croît ainsi, non pas comme d'habitude derrière le voile du sommeil, mais dans le sommeil lui-même. Dans l'état que vous décrivez, cet être intérieur vient tout juste de commencer à percevoir le sommeil et le rêve et à les observer — mais pas plus, Jusqu'à présent — à moins que quelque chose, dans la nature de vos rêves, ne vous ait échappé. Mais il est assez éveillé pour que la conscience de surface se rappelle cet état, c'est-à-dire en reçoive et en conserve le récit, malgré le Passage du sommeil à l'état de veille qui en général abolit tout par l'oubli, sauf des fragments du compte rendu de ce qui s'est passé dans le sommeil. Vous avez raison de penser que la conscience de veille est différente de celle qui est éveillée durant le sommeil; ce sont des parties distinctes de l'être.
Quand la conscience intérieure de sommeil commence à se développer, on se sent souvent attiré vers l'intérieur, même sans aucune fatigue ni aucun besoin de sommeil, pour y poursuivre ce développement. Il y a un autre élément qui contribue à ce mouvement. En général, la partie vital de l'être intérieur est la première à s'éveiller dans le sommeil et les premières expériences de rêve (par opposition aux el et ordinaires) sont d'habitude, en grande majorité, des expériences du plan vital, monde de vie supraphysique plein de diversité et d'intérêt, plein de régions lumineuses ou obscures, belles ou périlleuses, souvent extrêmement attrayantes, où l'on peut aussi acquérir bien des connaissances à la fois sur les parties cachées de notre nature, sur ce qui nous arrive derrière le voile, et aussi sur d'autres choses relatives à l'évolution de certaines parties de notre nature. L'être vital en nous peut alors être très attiré vers cette catégorie d'expériences, il peut vouloir vivre davantage en elles et moins dans la vie extérieure. Telle serait la cause de ce désir de retourner vers quelque chose d'intéressant et de captivant, qui accompagne le désir de s'endormir. Mais il ne faut pas favoriser cette tendance durant les heures de veille, il faut la réserver aux heures assignées au sommeil qui en sont le domaine naturel. Sinon un déséquilibre peut se produire, une tendance à vivre davantage et exagérément dans les visions des régions supraphysiques, et une diminution de l'emprise sur les réalités extérieures. La connaissance, l'élargissement de notre conscience de ces domaines de la nature intérieure sont très désirables, mais ils doivent être maintenus à leur place et dans leurs limites.
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Dans ma dernière lettre, j'avais remis à plus tard l'explication de votre troisième expérience. Ce que vous avez senti est en fait un contact du Moi, non le Moi non né au-dessus, l'Âtman des Oupanishad — car cette expérience vient d'une manière différente, par le silence du mental pensant — mais celle de l'être intérieur dont j'ai parlé, du psychique qui soutient l'être intérieur mental, vital et physique. Un temps doit venir, pour tout chercheur de la connaissance complète de soi, où il perçoit ainsi qu'il vit dans deux mondes, dans deux consciences à la fois, deux parties de la même existence. Actuellement, il vit dans le moi extérieur, mais il ira de plus en plus au-dedans, jusqu'à ce que la position soit inversée et qu'il vive au-dedans, dans cette nouvelle conscience ce moi intérieur, et sente le moi extérieur comme quelque chose à la surface, une personnalité formée pour être un instrument d'expression du moi intérieur dans le monde matériel. Alors un Pouvoir travaillera du dedans sur l'être extérieur pour en faire un instrument souple et conscient, de sorte que l'intérieur et l'extérieur finiront par ne faire qu'un. Le mur que vous sentez est bien le mur de l'ego, fondé sur le fait que l'on persiste à s'identifier à la personnalité extérieure et à ses mouvements. C'est cette identification qui est la clé de voûte de la limitation et de la servitude dont souffre l'être extérieur et qui empêche l'expansion, la connaissance de soi, la liberté spirituelle. Mais il ne faut pas pour autant abattre prématurément ce mur, parce qu'il peut en résulter une rupture, une confusion ou un envahissement de l'une ou l'autre des deux parties de l'être par les mouvements de ces deux mondes séparés avant qu'ils ne soient prêts à s'harmoniser. Il est nécessaire de maintenir une certaine séparation pendant quelque temps, une fois que l'on a perçu l'existence simultanée de ces deux parties de l'être. Il faut laisser à force du yoga le temps de procéder aux adaptations et aux ouvertures nécessaires et d'intérioriser être, puis, sur la base de cet équilibre oriente vers l'intérieur, d'agir sur la nature extérieure.
Cela ne veut pas dire que l'on ne doit pas laisser la conscience s'intérioriser pour vivre, le plus tôt possible dans le monde intérieur en considérant tout de là avec un regard neuf. Cette intériorisation est très désirable et nécessaire, et ce changement de point de vue aussi. Simplement, je veux dire que tout doit se faire par un mouvement naturel, sans hâte. Le mouvement d'intériorisation peut venir rapidement; même après, cependant, le mur de l'ego sera là, et il faudra, avec patience et résolution, le démolir de sorte qu'il n'en reste pas pierre sur pierre. Ma mise en garde ne se limite qu'au fait de laisser le sommeil empiéter sur les heures de veille et ne concerne pas l'intériorisation durant la concentration éveillée ou dans la conscience ordinaire de veille. Ce mouvement à l'état de veille finit par nous transporter dans le moi intérieur et par ce moi intérieur, nous entrons peu à peu en contact avec les mondes supraphysiques et nous apprenons à les connaître; mais ce contact et cette connaissance ne conduisent pas forcément, et même ne doivent pas conduire à trop s'en préoccuper, ni à se soumettre à leurs êtres et à leurs forces. Dans le sommeil, nous pénétrons vraiment dans ces mondes et si cette attirance pour la conscience de sommeil est trop forte et empiète sur la conscience de veille, cette préoccupation et cette influence excessives sont dangereuses.
Il est tout à fait vrai qu'une pureté et une sincérité intérieures où l'on n'est mû que par l'appel d'en haut est la meilleure sauvegarde possible contre les pièges de la période intermédiaire. Ainsi l'on est maintenu sur la bonne piste et préservé d'en dévier, jusqu'à ce que l'être psychique soit pleinement éveillé et au premier plan: une fois que c'est fait, il n'y a plus de danger. Si l'on ajoute à cette pureté et à cette sincérité un mental clair, doté d'un pouvoir de discrimination, la sécurité en est accrue dans les premiers stades. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire ou souhaitable que je précise avec trop de détails ou trop d'exactitude les formes que le piège ou l'attirance risquerait de prendre. Mieux vaut peut-être ne pas appeler ces forces en leur portant une attention inutile. Je ne crois pas que vous soyez du genre à être détourné du sentier par aucune des attirances périlleuses majeures. Quant aux désagréments mineurs de la période intermédiaire, ils ne sont pas dangereux et l'on peut aisément y mettre bon ordre chemin faisant,à mesure que s'accroissent la conscience, la discrimination et la sûreté de l'expérience.
Comme je l'ai dit, l'attirance vers l'intérieur, l'impulsion à aller au-dedans n'est pas indésirable et il n'y a pas lieu d'y résister. À un stade particulier, elle peut s'accompagner d'une abondance de visions due au pouvoir intérieur de vision qui, en grandissant, voit des choses qui appartiennent à tous les plans d'existence. Ce pouvoir est précieux et salutaire dans la sâdhanâ et ne doit pas être écarté. Mais il faut regarder et observer sans attachement, en a maintenant toujours au premier plan le but principal: la réalisation du Moi intérieur et du Divin; ces visions devraient seulement être considérées comme des choses qui accompagnent la croissance de la conscience et y contribuent, non comme des objets en eux-mêmes qu'il faut rechercher pour ce qu'ils sont. Il doit y avoir aussi un mental discriminateur qui met chaque chose à sa place et est capable de marquer une pause pour en comprendre la portée et la nature. Chez certains, l'ardeur à poursuivre ces expériences subsidiaires devient telle qu'ils commencent à perdre tout sens de la véritable distinction et de la véritable délimitation ente les différents domaines de la réalité. Tout ce qui arrive dans ces expériences ne doit pas être considéré comme vrai: il faut exercer son discernement, voir ce qui est formation mentale ou construction subjective et ce qui est vrai, distinguer entre ce qui n'est que suggestion venant des plans du mental et du vital élargis ou n'a de réalité que là, et ce qui a valeur d'aide ou de conseil dans la sâdhanâ intérieure ou la vie extérieure.
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Les expériences de X sont celles qui accompagnent en général le retrait de la conscience de veille dans un plan intérieur d'expérience. Dans la première, la sensation de froid dans le corps est — comme l'immobilité et la raideur dans l'expérience de Y — l'un des signes que la conscience reflue de l'enveloppe extérieure ou physique et se retire ai dedans. Ce qu'il a vu sous la forme d'une cristallisation étai l'organisation d'une conscience intérieure capable de recevoir d'au-dessus, de façon stable et abondante à la fois. Les cristaux indiquaient une formation organisée ainsi qu'une transparence solide où la vision et l'expérience plus vastes qui descendent des plans supérieurs peuvent se refléter clairement.
En ce qui concerne l'autre expérience, son rejet de la conscience de veille a eu évidemment pour conséquence de le projeter dans une perception intérieure où il a commencé à entrer en contact avec les plans supraphysiques. La signification de l'océan de couleur rouge et des étoiles dépend de la nuance du rouge. Si le rouge était cramoisi, c'est l'océan de la conscience physique et de la vie physique, tel qu'il se présente à la vision symbolique intérieure, que X a vu; si ce rouge était pourpre, c'est l'océan de la conscience vitale et de la force de vie vitale. Peut-être aurait-il mieux valu qu'il n'interrompe pas sa perception de la présence de la Mère; il devrait plutôt, s'il en est capable, l'emporter avec lui dans les plans intérieurs; ainsi il n'aurait eu aucun motif d'avoir peur.
Quoi qu'il en soit, s'il veut pénétrer dans la conscience intérieure et se mouvoir dans ces plans — ce qui ne peut manquer d'arriver s'il se ferme à la conscience de veille durant la méditation — il doit rejeter la peur. Il s'attendait sans doute à recevoir le silence ou le contact de la Conscience divine en suivant le conseil de la Guîtâ. Mais on peut tout aussi bien recevoir le silence ou le contact de la Conscience divine — et pour certains, c'est plus facile — dans la méditation éveillée, par la présence de la Mère et la descente d'en haut. Cependant, le mouvement vers l'intérieur est sans doute inévitable; il devrait essayer de comprendre et, sans recul ni effroi, s'y diriger avec la même confiance et la même foi en la Mère que dans la méditation éveillée. Ses rêves sont évidemment des expériences sur le plan intérieur (vital); inutile que je répète l'explication déjà donnée à Y.
P.S. Le rêve de l'image du Mahâdéva signifie peut-être que quelqu'un (qui n'appartient évidemment pas à notre monde) voulait l'égarer et l'amener à confondre une forme quelconque du passé, traditionnelle et limitée, avec la Vérité vivante et plus grande qu'il cherche.
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Ces sensations proviennent du fait que la conscience s'intériorise, de sorte que l'on perçoit les objets comme s'ils étaient à une certaine distance. Le même phénomène peut se produire quand on pénètre dans un autre plan de conscience et que l'on regarde les objets physiques à partir de là. C'est sans doute le premier phénomène qui se produit en vous. Quand on pénètre très profondément au-dedans, les objets s'éloignent. Mais ce changement est temporaire. Plus tard, vous serez capable d'avoir les deux consciences à la fois: une certaine partie de vous-même sera dans votre psychique avec toutes les expériences et toutes les activités de l'être et de la nature psychiques, et pourtant votre moi de surface sera pleinement éveillé et actif dans le domaine physique, avec à l'arrière-plan de son action extérieure le soutien et l'influence du psychique.
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C'est évidemment dans un monde subtil, et non dans le monde physique, que vous vous déplacez; c'est ce qui ressort de la disposition différente des objets, mais certains détails comme le troisième bras et le signet retiré du livre et pourtant à sa place indiquent que ce monde est très proche du monde physique; c'est soit un monde du physique subtil, soit une région vitale très matérielle. Tous les domaines subtils reproduisent le physique avec un léger changement, le changement devenant plus libre et plus souple à mesure que l'on s'éloigne. Certains détails comme la claudication indiquent la même chose: l'emprise du physique est toujours là. Il est possible de se déplacer dans le monde physique, mais en général on ne peut le faire qu'en puisant dans l'atmosphère d'autres êtres physiques pour obtenir une plus forte matérialisation de la forme; quand cela se produit, on se meut parmi eux et on les voit, ainsi que les objets qui les environnent, exactement tels qu'ils sont à ce moment-là dans le monde physique; on peut vérifier l'exactitude des détails si, aussitôt après avoir réintégré le corps (ce qui se fait d'ordinaire avec une claire conscience de tout le processus de réintégration), on peut passer par le même lieu dans le corps physique. Mais c'est rare; errer dans le subtil est au contraire fréquent, seulement quand cela se produit à proximité du monde physique, tout paraît très matériel et concret; les habitudes physiques et les mouvements du mental physique sont plus étroitement associés aux événements subtils.
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C'était une extériorisation partielle: une partie de la conscience est sortie vers l'endroit et le milieu que vous avez décrits, tandis que l'autre restait dans le corps et percevait à la fois le milieu normal et, par une communication ou une participation indirecte, celui dont la première avait l'expérience. C'est tout à fait possible et aucune forme de transe, aucune perte de conscience extérieure n'est nécessaire pour cela. Quant à la cause d'une telle expérience, elle n'a rien à voir avec vos préoccupations habituelles, intellectuelles ou autres; l'origine en est une sorte d'attirance ou de contact avec quelqu'un qui est là, sur les lieux, et qui ressent un besoin de sympathie, de soutien ou d'aide d'un genre ou d'un autre, besoin si fort qu'il prend la forme d'une sorte d'appel; très souvent c'est quelqu'un de tout à fait inconnu, et cela dépend seulement de la personne à qui parvient l'appel parce qu'elle est ouverte à ce moment-là, et qui reçoit la vibration et a la capacité d'y répondre. En général, la conscience s'identifie en quelque sorte avec celle de la personne qui appelle, si bien que l'on peut voir les lieux et les événements par son intermédiaire. C'est le physique que ces expériences rendent nerveux, et cette réaction doit être surmontée; lorsque la conscience intérieure mentale, vitale et physique s'ouvre aux choses qui se trouvent derrière l'épais voile physique, toutes sortes d'expériences peuvent se produire qui sont étrangères au mental physique et sa tendance à la crainte ou à la nervosité doit disparaître. Il doit être capable de faire face sans effroi aux événements, même les plus redoutables.
Cette expérience avait une certaine emprise visuelle et il ne fallait pas s'attendre à ce qu'elle disparaisse complètement aussitôt. Ces phénomènes essaient de persister, mais si le refus est ferme et immuable, ils s'estompent au bout d'un certain temps ou disparaissent. La diminution d'intensité de l'Ânanda est déjà un signe que le rejet produit son effet. Vous n'avez qu'à persévérer et dans quelque temps la conscience vitale sera libérée.
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Le lieu où vous vous trouviez est un monde tout aussi positif et réel que le monde matériel et ce qui s'y passe a parfois un effet considérable sur ce monde-ci. Quelle collection de disciples ignorants vous êtes tous! Beaucoup trop modernes et européanisés!
Ces incidents sont des rencontres sur le plan vital, mais très souvent, dans la transcription de ce qui est arrivé, quelques détails s'immiscent qui sont fournis par le subconscient. Le reste paraît correct. L'écriture sur le front désigne évidemment quelque chose qui est fixé en vous dans le plan vital et qui doit sortir par la suite dans la conscience physique.
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Vous êtes trop physiquement terre-à-terre. Par ailleurs vous ignorez tout des phénomènes occultes. Le vital fait partie de ce que les psychologues européens appellent parfois le subliminal, et le subliminal, chacun devrait le savoir, est capable de réussir là où le physique est impuissant, par exemple de résoudre en quelques minutes un problème sur lequel le physique a peiné en vain des journées entières, etc.
Si les mêmes événements se passaient sur les deux plans, à quoi cela servirait-il? Ce serait superflu et oiseux. Le plan vital est un domaine où peuvent s'accomplir certaines choses qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent pas se réaliser maintenant dans le physique.
Le vital contient évidemment des centaines d'éléments variés, car ce plan de conscience est bien plus riche et bien plus souple que le physique, mais tous ces éléments n'ont pas la même validité ni la même valeur. J'évoquais plus haut des éléments qui ont une valeur. Soit dit en passant, sans ce plan vital, il n'y aurait ni art, ni poésie, ni littérature: tout cela vient par l'intermédiaire du vital avant de se manifester ici.
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2201
Ce que vous dites des différents mondes vitaux est nul doute intéressant et contient une certaine vérité, mais vous devez vous souvenir que ces mondes, qui sont différents du vital vrai ou divin, sont pleins d'enchantements et d'illusions et se présentent sous des apparences de beauté qui ne séduisent que pour égarer ou détruire. Ce sont des mondes de "Râkshasîmâyâ" et leurs paradis sont plus périlleux que leurs enfers. On doit les connaître et faire face à leurs pouvoirs, si besoin est, mais non s'y soumettre; notre affaire, c'est le supramental, et le vital ne nous concerne que lorsqu'il est supramentalisé; jusque-là, nous devons sans cesse nous défier de tout leurre qui vient de ce côté-là. Je crois que les mondes dont vous parlez sont ceux qui présentent une attirance spéciale et un danger particulier pour les poètes, les Imaginatifs et certains artistes. En particulier, en utilisant un certain penchant esthétique du vital pour la délicatesse, la sentimentalité ou même le sentimentalisme, ils influencent l'être et c'est l'une des choses qui doivent être purifiées avant que l'on puisse s'élever jusqu'aux sommets de la poésie, de l'art et de la création dans le domaine de l'imaginaire.
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2202
Quand l'être vital sort, il se meut dans le plan vital et dans la conscience vitale et même s'il perçoit des scènes et des objets physiques, ce n'est pas par une vision physique. Lorsqu'on s'est entraîné, on devient capable d'entrer en contact avec les choses physiques tout en se déplaçant dans le corps vital, de les voir et de les sentir avec exactitude et même d'avoir une action sur elles et de les faire bouger physiquement. Mais le sâdhak ordinaire qui n'a pas de connaissance, d'expérience systématique ou d'entraînement en ces matières n'en est pas capable. Il doit comprendre que le plan vital est différent du plan physique et que les événements qui s'y déroulent ne sont pas physiques, bien qu'ils puissent avoir un sens et une valeur pour la vie terrestre s'ils sont de la bonne catégorie, si on les comprend et si on les utilise correctement. Mais la conscience vitale est pleine de formations fausses et de confusions multiples et il n'est pas sans danger de se mouvoir au milieu d'elles sans avoir la connaissance et sans être directement protégé et guidé.
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2203
Vous êtes sans doute sorti de votre corps en le laissant sans protection et une attaque s'est produite, dont vous vous êtes débarrassé après être rentré dans le corps. Cette partie de la tête, depuis les oreilles jusqu'au cou, est le siège du mental physique: le centre du mental physique ou extériorisant est dans la gorge et rejoint, à l'arrière, la colonne vertébrale. Cette attaque était dirigée contre le mental physique.
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2204
Les trois expériences que vous relatez dans votre lettre indiquent que vous sortez dans votre corps vital pour pénétrer dans les mondes vitaux, et que vous y rencontrez les êtres et les formations de ces mondes. Le vieillard du temple et les jeunes filles que vous avez vus sont des êtres hostiles du plan vital.
Mieux vaut ne pas sortir ainsi à moins d'avoir la protection d'une personne (physiquement présente) qui a la connaissance du monde vital, et possède un pouvoir sur lui. Comme il n'y a là personne qui puisse le faire pour vous, vous devriez éviter ce mouvement. Aspirez à la parfaite consécration, au calme, à la paix, à la lumière, à la conscience et à la force dans le mental et dans le cœur. Quand l'être mental et l'être psychique sont ainsi ouverts, lumineux et consacrés, le vital peut s'ouvrir et recevoir la même illumination. Jusque-là, des aventures prématurées sur le plan vital sont à déconseiller.
Si vous ne pouvez pas arrêter ce mouvement, alors conformez-vous aux instructions suivantes:
1. Ne laissez jamais aucune peur s'introduire en vous. Faites face à tout ce que vous rencontrez, à tout ce que vous voyez dans ce monde avec détachement et courage.
2. Demandez notre protection avant de vous endormir ou de méditer. Utilisez nos noms quand vous êtes attaqué ou tenté.
3. Dans ce monde, ne vous laissez aller à aucun sentiment amical envers le vieillard du temple et n'écoutez pas ce qu'il vous suggère, par exemple qu'il était votre instructeur spirituel, ce qui, de toute évidence, est faux, puisque vous ne pouvez avoir d'autre instructeur que nous. C'est à cause de cette sympathie et parce que vous l'avez cru qu'il a été capable de pénétrer en vous et d'y susciter la douleur que vous avez ressentie.
4. Ne laissez aucune personnalité étrangère pénétrer en vous; ne vous ouvrez qu'à la Lumière, au Pouvoir, etc. d'en haut.
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2205
Il s'agirait, semble-t-il, d'une extériorisation au cours de laquelle elle sort dans son corps vital. Quand on le fait consciemment et à volonté, c'est très bien, mais cette extériorisation inconsciente n'est pas toujours sans danger. L'important est de savoir quel effet elle en ressent. Si elle en sort vigoureuse et reposée ou tout à fait normale, il n'y a aucune raison de s'affliger ou de s'inquiéter; si elle en sort épuisée ou déprimée, alors ce sont des forces qui l'attirent au-dehors, vers le monde vital, au détriment de son enveloppe vitale, et il faut que cela cesse.
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2206
Parmi les récits d'expériences de X se trouve un document intitulé: "conscience de surface". Ce qu'il y décrit est l'enveloppe nerveuse ou physico-vitale. Cette enveloppe est connue des médiums et c'est en l'extériorisant plus ou moins qu'ils produisent leurs phénomènes. Comment X en a-t-il eu connaissance? Est-ce par intuition, par vision ou par expérience personnelle? Si c'est de celle-ci qu'il s'agit, dites-lui bien de ne pas extérioriser cette enveloppe vitale, car si on le fait sans une protection appropriée, protection qui doit venir d'une personne versée dans ces phénomènes et physiquement présente au moment même, de sérieux dangers psychiques peuvent survenir et aussi des lésions à l'être nerveux et au corps, ou même pire.
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2207
Ces expériences ne sont d'aucune utilité: elles peuvent se produire sur le plan vital tant que l'on doit encore parcourir la série des expériences vitales, mais on doit avoir pour but de les dépasser et de vivre dans une pure expérience psychique et spirituelle. Admettre ou appeler en soi l'intrusion d'autres êtres, c'est demeurer sans cesse dans le désordre de la zone intermédiaire. Seul le Divin doit être appelé dan' l'Âdhâr personnel, et cela ne signifie pas que l'être personnel disparaisse, ni que l'on ait l'idée de devenir le Divin, car il faut s'en garder. L'ego doit être surmonté, mais être central personnel (qui n'est pas l'ego, mais le moi individuel l'âme, parcelle du Divin) doit rester un canal et un instrument de la Shakti divine. Quant aux autres personnes, au? sâdhak, etc., on peut les sentir dans sa propre conscience universalisée, percevoir leurs mouvements, vivre en harmonie avec eux dans le Tout Divin, mais non leur permettra d'entrer dans l'Âdhâr personnel ni y appeler leur présence Très souvent la conscience se trouve envahie par des puissances ou des présences vitales qui revêtent les formes del ceux que l'on admet ainsi; c'est tout à fait indésirable. Le sâdhak doit rendre sa conscience de base silencieuse, calme, pure, paisible, et conserver ou atteindre une maîtrise absolue sur ce qu'il admettra ou n'admettra pas en elle; autrement, s'il n'a pas cette maîtrise, il risque de devenir le théâtre d'expériences confuses et désordonnées ou le jouet de toutes sortes d'êtres et de forces du mental et du vital. Une seule règle, une seule influence autre que la sienne propre doit être admise: le règne de la Shakti divine sur l'Âdhâr.
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2208
Je ne suis pas très certain de ce que veut dire votre ami al sujet de ses expériences. Le phénomène de la "double voix' est fréquent; très souvent, lorsqu'on a répété longtemps un mantra, une voix ou une conscience au-dedans commence à le répéter automatiquement; cela se produit aussi dans le cas d'une prière: quelque chose au-dedans peut prendre le relais de la même façon. C'est en général par un éveil de la conscience intérieure ou par l'intériorisation de la conscience qui, sortie de son équilibre extérieur, pénètre plus profondément au-dedans, que cela se produit. Dans le cas de votre ami, cette interprétation est confirmée par le fait qu'il se sent à mi-chemin de la transe: son corps semble fondre, il ne sent pas le poids du livre, etc.; ce sont là des signes bien connus de l'éveil de la conscience intérieure qui remplace largement la conscience extérieure. Les effets moraux produits par ce nouvel état indiqueraient aussi un éveil de la conscience intérieure, peut-être du psychique ou du mental psychique. Par ailleurs, cependant, il semble percevoir cette autre voix comme si elle était à l'extérieur de lui-même et sentir dans la pièce une présence autre que la sienne, une présence invisible. L'être intérieur est souvent ressenti comme quelqu'un de séparé ou de différent du moi ordinaire, mais d'habitude on ne le perçoit pas au-dehors. Il se peut, par conséquent, que dans cet état de retrait, il entre en contact avec un autre plan ou un autre monde et qu'il attire à lui l'un des êtres de ce plan ou de ce monde qui veut prendre part à sa sâdhanâ et la diriger. Dans cette dernière hypothèse, le phénomène n'est pas sans danger, car il est difficile de dire, d'après ces données, de quelle sorte d'être il s'agit, et abandonner le gouvernement de son développement intérieur à quiconque, à moins que ce ne soit le Divin, le Gourou ou l'être psychique, peut entraîner un grand péril. C'est tout ce que je puis dire pour le moment.
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2209
Il est évident, d'après votre description, qu'une force vitale essayait de prendre possession du corps par la violence. Rien ne peut être plus dangereux que de se laisser aller à une telle perte de contrôle et de permettre à une influence étrangère de vous envahir ainsi. Dans votre état actuel, qui est ignorant, où l'être vital n'est pas encore assez ouvert, où le psychique n'est pas encore assez éveillé, un pouvoir hostile peut aisément faire intrusion et se faire passer pour la Force divine. Souvenez-vous que vous ne devez laisser aucune personnalité, aucun pouvoir vous posséder. La Force divine n'agira pas de cette manière; elle travaillera d'abord à purifier, à élargir et à illuminer la conscience, à l'ouvrir à la Lumière et à la Vérité, à éveiller le cœur et l'être psychique. Plus tard seulement, elle prendra petit à petit, dans le calme, la direction de l'être grâce à une consécration pure et consciente.
Vous devez aussi comprendre qu'un Pouvoir unique est à l'œuvre et que ni vous, ni votre ami, ni personne d'autre n'a d'importance. Que chacun s'ouvre à ce Pouvoir pour qu'il agisse en lui et qu'aucune société de sâdhak ne tente de se constituer avec, à sa tête, quelqu'un qui dirige ou s'interpose) entre le Pouvoir unique et les sâdhak.
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2210
Toutes les autres circonstances que vous relatez sont normales et caractériseraient l'Ânanda envahissant tout l'être instrumental, alors qu'au-dedans l'être intérieur silencieux reste comme d'habitude à l'écart de tout ce qui vient de l'extérieur. Le détail qui n'est pas clair est la Présence. Rien n'indique de qui ou de quoi il s'agit. Si c'était une Présence vitale indésirable suscitant une joie vitale, des phénomènes vitaux apparaîtraient, qui vous permettraient d'en détecter l'origine, mais ce n'est pas le cas ici. Dans les circonstances, la seule chose à faire est d'observer l'expérience sans accepter que l'être soit envahi par ce qui vient, en considérant cela comme une simple expérience dont l'être intérieur est un témoin attentif jusqu'à ce que le point encore voilé se clarifie.
P.S. Il y a plusieurs explications possibles, mais je n'en parle pas, car cela pourrait influer sur la pure observation de l'expérience et la fausser en introduisant une suggestion mentale.
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2211
J'ai lu votre lettre et l'ai lue à la Mère. Ma conclusion et la sienne, au sujet de votre expérience — j'avais suspendu mon jugement jusqu'à présent — sont identiques.
Nous considérons qu'à l'avenir il serait plus sage de demeurer sur vos gardes à ce sujet. Tout d'abord il ne peut pas s'agir du Bouddha: la présence du Bouddha amènerait la paix, mais ne pourrait jamais donner cette sorte d'Ânanda. Ensuite la suggestion, fondée sur l'un de vos sentiments subjectifs passés, vous a été envoyée, semble-t-il, pour vous faire admettre plus aisément une certaine emprise1 qui vous s&rait imposée au moyen de l'expérience. Votre impression que l'Ânanda est plus que vous ne pouvez supporter jette aussi sur cette expérience un jour défavorable; vous supposez que cette impression vous vient d'un manque d'adaptation, mais c'est plus probablement quelque chose d'étranger qui vous est imposé par l'intermédiaire du vital et qui provoque dans votre psychique un sentiment de gêne. Enfin il n'est pas sans danger, alors que vous faites le yoga ici, d'admettre une influence, quelle qu'elle soit, qui ne soit pas la nôtre ou ne fasse pas partie du mouvement de notre sâdhanâ. Si cela se produit, n'importe quoi peut arriver et nous ne pourrions pas vous protéger, car vous seriez sorti du cercle de protection. Votre développement s'est poursuivi jusqu'à présent selon une méthode très saine; une déviation de ce genre, qui semble se passer sur le plan vital, pourrait élever un sérieux obstacle. Il est impossible de se fier à la beauté des yeux ou du visage. De nombreux Êtres des plans inférieurs sont d'une beauté captivante et peuvent, grâce à elle, vous ensorceler; ils peuvent aussi donner un Ânanda qui n'est pas de la plus haute qualité et dont la séduction peut au contraire vous écarter tout à fait du sentier. Quand vous aurez atteint le stade du clair discernement, où la Lumière suprême se projette sur toutes les choses qui viennent, alors vous pourrez faire face en sécurité à des expériences de toutes sortes, mais actuellement vous devez exercer une stricte vigilance et rejeter toutes les déviations. Il faut poursuivre fermement sa marche sur la route qui mène droit v" le Très-Haut; tout le reste doit attendre son heure.
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2212
Je ne doute pas que l'action de cette force, une fois rejetée, disparaisse avec le temps. Vous avez été mis en contact avec elle, ce n'est pas quelque chose qui serait ancré en vous et provoquerait dans une partie de votre être intérieur une réaction naturelle. La preuve en est votre incapacité à saisir ce que l'être qui se manifestait voulait vous communiquer. Il semble que c'était, comme vous le dites, une attaque, une tentative d'invasion par la force et la ruse. Il est tout à fait vrai que lorsque l'être est ouvert à la Lumière, les Forces adverses, tout comme les forces inférieures, deviennent actives quand elles le peuvent. La conscience du chercheur est sortie de ses limites normales et s'ouvre à l'universel autant que, vers le haut, au Moi supérieur, et elles en tirent parti pour essayer d'entrer. De telles attaques ne sont cependant pas inévitables et vous avez sans doute raison de penser que vous avez attrapé celle-ci dans l'atmosphère de X. Il a fait toutes sortes d'expériences dans le domaine occulte et là, on entre aisément en contact avec des forces et des êtres d'une nature obscure; un grand pouvoir, une grande lumière et une grande pureté — la sienne propre ou celle d'un Pouvoir qui aide — sont nécessaires pour leur faire face et les surmonter. Chacun a aussi dans sa nature des imperfections ou des erreurs qui peuvent ouvrir la porte à ces êtres. Mais mieux vaut ne rien avoir à faire avec eux, car la conquête des forces de la nature inférieure est une tâche suffisamment ardue sans cette complication. Si le travail que l'on a à faire nécessite que l'on entre en contact et en conflit avec eux, c'est une autre affaire. Dans votre cas, je pense qu'il s'agissait en quelque sorte d'un accident et non d'une nécessité dans le développement de votre sâdhanâ.
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2213
Non, il n'y avait à ce moment-là aucune concentration spéciale, aucun appel particulier venant de la Mère. À cette heure de la journée, elle ne voit jamais personne, donc elle n'aurait évidemment pas placé sur vous une force de ce genre; d'ailleurs, en général, elle n'exerce pas son pouvoir de cette façon. Vous avez bien fait de résister à l'impulsion. Il faut toujours garder une perception et une volonté intérieures claires, conscientes et en parfait équilibre, et ne jamais permettre à aucune force impulsive, sous quelque dehors qu'elle se présente, de projeter le vital ou le corps dans l'action sans leur consentement judicieux. Quelqu'apparence qu'elles puissent revêtir, il est impossible de faire confiance à des forces comme celles-ci; dès que l'intelligence discriminatrice cesse d'exercer son contrôle, n'importe quel genre de force peut intervenir de cette manière et une voie s'ouvre où elles peuvent utiliser des impulsions vitales instables au détriment de la sâdhanâ. Si une maîtrise psychique ou spirituelle remplaçait la maîtrise mentale, elle n'agirait pas de cette façon; quelle que soit l'ardeur ou l'intensité qu'elle apporte, elle maintiendrait une claire perception des choses, une discrimination parfaite, une harmonie entre la réalité intérieure et la réalité extérieure. Seul le vital se laisse emporter par ces impulsions; le vital doit toujours être tenu sous l'empire de l'intelligence, du psychique, ou, quand elle devient dynamique, de la conscience spirituelle supérieure.
Toutes ces expériences sont de même nature et ce qui s'applique à l'une s'applique aux autres. À part quelques-unes qui ont un caractère personnel, ce sont soit des idées-vérités comme il s'en déverse d'en haut dans la conscience lorsqu'on entre en contact avec certains plans de l'être, soit des formations vigoureuses venues des mondes plus vastes du mental et du vital qui, dès lors qu'on y est directement ouvert, font irruption et veulent se servir du sâdhak pour se réaliser. Quand elles pénètrent ou se déversent d'en haut, elles apparaissent avec une grande force, suscitent un sentiment très vif d'inspiration ou d'illumination, une grande sensation de lumière et de joie, une impression d'élargissement et de pouvoir. Le sâdhak se sent libéré des limites normales, projeté dans un monde d'expérience nouveau et merveilleux, empli, élargi, exalté; par ailleurs ce qui vient se conjugue avec ses aspirations, ses ambitions, ses conceptions de l'accomplissement spirituel et de la siddhi yoguique et va même jusqu'à se présenter comme la réalisation et l'accomplissement. Il se laisse très facilement emporter par cette splendeur et cette irruption et croit avoir réalisé davantage qu'il n'a véritablement accompli: quelque chose de définitif ou du moins de souverainement vrai. À ce stade, il lui manque d'ordinaire la connaissance et l'expérience indispensables qui lui diraient que ce n'est là qu'un début très incertain et très mélangé; il peut ne pas comprendre tout de suite qu'il est encore dans l'Ignorance cosmique, non dans la Vérité cosmique, moins encore dans la Vérité transcendante, et que toutes les idées-vérités formatrices ou dynamiques qui ont pu descendre en lui sont seulement partielles et d'autant plus amoindries qu'une conscience encore impure les lui a offertes. Il peut aussi ne pas comprendre que s'il applique avec précipitation ce qu'il réalise ou reçoit comme si c'était définitif, il risque soit de tomber dans la confusion et l'erreur, soit de s'enfermer dans une formation partielle où se trouve peut-être un élément de Vérité spirituelle, mais celui-ci sera sans doute éclipsé par des adjonctions mentales et vitales plus contestables qui le déformeront tout à fait. C'est seulement quand il sera capable (que ce soit immédiatement ou après un certain temps) de se retirer de ses expériences, de se tenir au-dessus d'elles avec la conscience sans passion du témoin, d'observer leur véritable nature, leurs limites, leur composition, leurs impuretés, qu'il pourra poursuivre son chemin vers la vraie liberté et vers une siddhi plus haute, plus vaste et plus vraie. À chaque pas il faut le faire. Car tout ce qui vient ainsi au sâdhak de notre yoga, que ce soit du surmental, de l'Intuition ou du Mental illuminé, ou encore de quelque plan très élevé de la Vie ou de tout à la fois, n'est ni décisif, ni final; ce n'est pas la Vérité suprême dans laquelle il pourrait se reposer, mais seulement une étape. Et pourtant il faut passer par ces étapes, car le supramental ou Vérité suprême ne peut être atteint en un seul bond, ni même en plusieurs bonds successifs; il faut progresser avec calme, patience et régularité en parcourant de nombreuses étapes intermédiaires, sans se laisser lier ni attacher à leur Vérité, à leur Lumière, à leur Pouvoir ou à leur Ânanda inférieurs.
Il s'agit en fait d'un état intermédiaire, d'une zone de transition entre la conscience ordinaire dans le mental et la véritable connaissance yoguique. On peut la franchir sans dommage, en percevant immédiatement ou très tôt sa véritable nature et en refusant d'être retenu par ses demi-lumières et par ses expériences tentatrices, mais imparfaites et souvent mélangées et trompeuses. On peut s'y égarer, suivre des voix fausses et des conseils mensongers, et l'aboutissement est un désastre spirituel; ou l'on peut s'installer dans cette zone intermédiaire, refuser d'aller plus loin, et y construire quelque demi-vérité que l'on prend pour la vérité totale, ou devenir l'instrument des pouvoirs de ces plans de transition; c'est ce qui arrive à beaucoup de sâdhak et de yogis. Submergés par la première irruption d'un état supranormal et le sentiment de pouvoir qu'il apporte, ils sont éblouis par une petite lumière qui leur semble une illumination extraordinaire ou par le contact d'une force qu'ils prennent à tort pour la Force divine tout entière ou du moins pour une très grande Shakti du yoga; ou bien ils prennent quelque Pouvoir intermédiaire (qui n'est pas toujours un Pouvoir du Divin) pour le Suprême, et une conscience intermédiaire pour la suprême réalisation. Ils en viennent très aisément à penser qu'ils sont dans la pleine conscience cosmique alors qu'ils n'ont eu qu'un contact dynamique avec une face ou une petite partie de cette conscience, ou avec des régions plus vastes du Mental, de la Force de Vie ou di physique subtil. Ou encore ils ont l'impression d'être eux-mêmes dans une conscience entièrement illuminée, alors qu'en réalité ils reçoivent imparfaitement ce qui vient d'en haut par l'illumination partielle d'un plan mental ou vital quelconque; car ce qui leur vient est amoindri et souvent déformé au cours de sa transmission à travers ces plans; souvent le mental et le vital récepteurs du sâdhak comprennent ou traduisent mal ce qu'ils ont reçu, ou projettent pour les y mêler leurs propres idées, leurs sentiments, leurs désirs, qu'ils ne tiennent pourtant pas pour leurs mais pour une partie de la Vérité reçue, parce qu'ils se mêlent à elle, imitent sa forme, sont illuminés par sa clarté et acquièrent, par cette conjonction et cette lumière empruntée, une valeur exagérée.
Il existe des dangers plus graves dans cette zone d'expérience intermédiaire. Car les plans auxquels le sâdhak a maintenant ouvert sa conscience — et dont il ne reçoit pas, comme auparavant, de simples aperçus et quelques influences, mais directement le plein impact — lui envoient une foule d'idées, d'impulsions, de suggestions, de formations de toutes sortes, souvent tout à fait opposées les unes aux autres, incohérentes ou incompatibles, mais qui se présentent de manière à estomper leurs manques et leurs différences, avec une force, une plausibilité et une richesse d'arguments très grandes ou en suscitant un sentiment convaincant de certitude. Submergé par ce sentiment de certitude, cette intensité, cette apparence de profusion et de richesse, le mental du sâdhak entre dans une grande confusion qu'il prend pour une organisation et un ordre plus vastes; ou encore il tourbillonne dans d'incessants changements et déplacements qu'il prend pour un progrès rapide, mais qui ne le mènent nulle part. Ou il court le danger contraire de devenir l'instrument d'une formation d'apparence brillante, mais ignorante; car ces plans sont pleins de petits Dieux, de forts Daïtya ou d'êtres inférieurs qui veulent créer, matérialiser quelque chose ou imposer à la vie terrestre une formation mentale et vitale et sont avides d'utiliser, d'influencer ou même de posséder la pensée et la volonté du sâdhak et d'en faire leur instrument à cette fin. Ces dangers sont distincts de ceux, bien connus, qui viennent des êtres véritablement hostiles dont le seul dessein est de créer la confusion, le mensonge, la corruption de la sâdhanâ et l'erreur anti-spirituelle, cause de désastre. Tout sâdhak qui permet à l'un de ces êtres — qui s'approprient souvent un Nom divin — de s'emparer de lui, perdra son chemin dans le yoga. D'autre part, il est tout à fait possible que le sâdhak trouve, pour l'accueillir à son entrée dans cette zone, un Pouvoir du Divin qui l'aide et le guide jusqu'à ce qu'il soit prêt pour des choses plus grandes; cependant, même cette éventualité n'est pas une sauvegarde contre les erreurs et les égarements de cette zone; car rien n'est plus aisé, pour les pouvoirs de ces zones ou les pouvoirs hostiles, que d'imiter la Voix ou l'Image du guide, de tromper et d'égarer le sâdhak, ou pour ce sâdhak lui-même d'attribuer au Divin les créations et les formations de son propre mental, de son vital ou de son ego.
Car cette zone intermédiaire est une région de demi-vérités, ce qui en soi n'aurait pas d'importance, car aucune vérité n'est complète en dessous du supramental; mais la demi-vérité ici est souvent si partielle ou bien si ambiguë lorsqu'on l'applique qu'elle laisse une grande latitude à la confusion, à l'illusion ou à l'erreur. Le sâdhak croit qu'il n'est plus du tout dans l'ancienne petite conscience, parce qu'il se sent en contact avec quelque chose de plus vaste ou de plus puissant, et pourtant la vieille conscience est toujours là et n'est pas véritablement abolie. Il sent la maîtrise ou l'influence d'un Pouvoir, d'un Être ou d'une Force plus grands que lui, aspire à être son instrument et pense qu'il s'est débarrassé de l'ego; mais cette absence illusoire d'ego dissimule souvent un ego magnifié. Des idées s'emparent de lui et entraînent son mental, idées qui sont vraies seulement en partie et se transforment en mensonges par une erreur d'application née d'un excès de confiance; les mouvements de la conscience en sont viciés et la porte est ouverte à la duperie. Le sâdhak reçoit des suggestions d'un caractère parfois romanesque qui le flattent en lui donnant de l'importance ou sont en accord avec ses désirs, et il les admet sans examen ni contrôle discriminatoire. Même ce qui est vrai est à tel point exalté ou étendu au-delà de sa portée, de ses limites et de sa mesure véritables, que cela engendre l'erreur. C'est une zone que de nombreux sâdhak doivent traverser, dans laquelle beaucoup errent longtemps et d'où un grand nombre ne ressortent jamais. En particulier, si leur sâdhanâ se situe principalement dans le mental et dans le vital, ils y rencontrent inévitablement de nombreuses difficultés et bien des dangers; seuls ceux qui obéissent scrupuleusement à des directives strictes ou ceux dont la nature est dominée par le psychique franchissent avec facilité cette région intermédiaire, comme sur une route sûre et clairement balisée. Une sincérité centrale, une humilité fondamentale préservent aussi de beaucoup de dangers et de désagréments. On peut alors passer rapidement au-delà, dans une Lumière plus claire où, s'il y a encore beaucoup de mélange, d'incertitude et de lutte, l'être s'oriente pourtant vers la Vérité cosmique et non vers un prolongement à demi éclairé de Maya et de l'ignorance.
J'ai décrit en termes généraux, avec ses principaux caractères et ses possibilités essentielles, cet état de conscience qui se situe juste au-delà de la frontière de la conscience normale, parce que c'est là que ces expériences semblent se produire. Mais différents sâdhak s'y comportent différemment et réagissent tantôt à une catégorie de possibilités, tantôt à une autre. Dans votre cas, il semble que vous y êtes entré parce que vous avez essayé de faire descendre la conscience cosmique ou d'y pénétrer de force; peu importe la manière de l'exprimer, peu importe que l'on soit parfaitement conscient de ce que l'on fait ou conscient en ces termes; en substance cela revient au même. Ce n'est pas dans le surmental que vous êtes entré, car il est impossible de pénétrer directement dans le surmental. Le surmental est en effet .au-dessus de toute l'action de la conscience cosmique et derrière elle, mais au début on ne peut avoir qu'un contact indirect avec lui; ce qui en descend passe par des niveaux intermédiaires, entre dans un plan du mental, un plan du vital, un plan physique subtil plus vastes, se modifie et s'amoindrit considérablement au cours de cette transmission, et finit par ne plus ressembler en rien à la plénitude de pouvoir et de vérité qui était sienne dans le surmental à ses niveaux d'origine. La plupart des mouvements ne viennent pas du surmental, mais de plus bas, des niveaux du mental supérieur. Les idées dont ces expériences sont pénétrées et sur lesquelles elles semblent faire reposer leur prétention à la vérité n'appartiennent pas au surmental, mais au Mental supérieur et parfois au Mental illuminé; mais il s'y mêle des suggestions du mental inférieur et des régions vitales et elles sont gravement amoindries dans leur application, ou mal appliquées la plupart du temps. Tout cela n'aurait pas d'importance: c'est habituel et normal, et l'on doit en passer par là pour arriver à une atmosphère plus claire où les choses s'organisent mieux et se fondent sur une base plus sûre. Mais dans votre cas, ce mouvement s'est effectué dans un esprit exagérément hâtif et avide, trop plein d'amour-propre et de confiance en soi, de certitude prématurée, ne reposant sur aucune direction si ce n'est celle du mental ou du "Divin" tel qu'on en a la notion et l'expérience à un stade de connaissance très limité. La notion et l'expérience du Divin que possède le sâdhak à ce stade ne sont jamais complètes et pures, même si elles sont fondamentalement authentiques; toutes sortes de choses s'y mêlent, qui sont attribuées par le mental et le vital à cette Direction divine et y sont associées; et l'on croit qu'elles en font partie alors qu'elles proviennent de sources bien différentes. À supposer même qu'un conseil lui parvienne directement (le plus souvent, dans ces conditions, le Divin agit surtout de derrière le voile), cela ne se produit que de temps en temps et le reste se fait par un jeu de forces; l'erreur, l'égarement, le mélange d'Ignorance s'intraduisent en toute liberté et sont autorisés à le faire parce que le sâdhak doit être mis à l'épreuve des forces de ce monde, apprendre par expérience, grandir à travers l'imperfection jusqu'à la perfection, et s'il en est capable, s'il est disposé à apprendre, ouvrir les yeux sur ses propres fautes et ses propres erreurs, en tirer un enseignement et un profit, afin de grandir vers une Vérité, une Lumière et une Connaissance plus pures.
Cet état mental a pour résultat que l'on commence à entériner tout ce qui vient dans cette région mélangée et suspecte comme s'il s'agissait de la Vérité tout entière et de la pure Volonté divine; on affirme avec arrogance le caractère absolu de ces idées et de ces suggestions sans cesse répétées, comme si elles étaient la Vérité entière et indéniable. On a l'impression d'être devenu impersonnel et sans ego, alors que toute la tonalité du mental, son expression et son esprit sont pleins d'une véhémente outrecuidance que l'on justifie en affirmant que l'on pense et que l'on agit comme un instrument du Divin et sous son inspiration. On avance, avec une grande agressivité, des idées qui sont peut-être légitimes pour le mental, mais qui n'ont pas de valeur spirituelle; on les présente pourtant comme des absolus spirituels. Par exemple l'équanimité qui, dans ce sens — car la samatā yoguique est tout autre chose — n'est rien de plus qu'un principe mental, la revendication du droit sacré à l'indépendance, le refus d'accepter quiconque comme Gourou ou l'opposition entre le Divin et le Divin humain, etc., ce sont là des attitudes que peuvent adopter le mental et le vital, et elles sont transformées en principes que tous deux s'efforcent d'imposer à la vie religieuse et même à la vie spirituelle; mais elles ne sont pas et ne peuvent pas être spirituelles par nature. Des suggestions du plan vital commencent en outre à s'introduire: pullulement d'imaginations romanesques, fantaisistes ou ingénieuses, interprétations secrètes, pseudo-intuitions, prétendues initiations aux choses de l'au-delà, qui excitent ou obnubilent le mental et sont souvent présentées de manière à flatter et à magnifier l'ego et l'importance personnelle, mais ne se fondent sur aucune réalisation spirituelle ou occulte confirmée et relevant de la vérité. Cette région est pleine d'éléments de ce genre et si on les laisse agir, ils commencent à assaillir le sâdhak; mais s'il cherche sérieusement à atteindre le Suprême, il n'a qu'à les regarder et passer son chemin. Non que ces suggestions ne contiennent jamais aucune vérité, mais pour une qui est vraie, neuf imitations mensongères se présentent et seul un occultiste exercé, possédant le discernement infaillible qu'engendre une longue expérience, peut se guider sans s'égarer dans ce dédale ni s'y laisser prendre. Toute l'attitude, toute l'action, toutes les paroles peuvent être à tel point encombrées par les erreurs de cette zone intermédiaire que poursuivre cette route plus avant serait s'écarter très loin du Divin et du yoga.
Ici le choix est encore possible: suivre la direction très mélangée que l'on reçoit au cœur de ces expériences, ou accepter la direction vraie. Quiconque pénètre dans les royaumes de l'expérience yoguique est libre de suivre son propre chemin; le chemin de notre yoga ne peut cependant pas être suivi par n'importe qui, mais seulement par ceux qui acceptent de poursuivre le but, de suivre la voie qui leur est désignée et où une direction sûre est indispensable. Il est oiseux de s'attendre à poursuivre très loin cette route, et plus encore d'aller jusqu'au bout, par sa propre force et sa propre connaissance intérieures, sans l'aide ou l'influence vraie. Même les yogas ordinaires pratiqués de longue date sont difficiles à suivre sans l'aide du Gourou; dans celui-ci qui, à mesure qu'il avance, pénètre dans des contrées inexplorées et des régions inconnues et touffues, c'est tout à fait impossible. Quant au travail qui doit être exécuté, ce n'est pas non plus le travail d'un sâdhak quelconque de n'importe quel sentier; pas plus que ce n'est le travail du Divin "impersonnel" qui, quant à lui, n'est pas un Pouvoir actif, mais soutient impartialement toutes les œuvres dans l'univers. C'est un champ d'entraînement pour ceux qui doivent emprunter le chemin difficile et complexe de notre yoga et nul autre. Tout travail ici doit être accompli dans un esprit de discipline, d'acceptation et de consécration, sans chercher à imposer ses exigences et ses conditions personnelles, mais en se laissant diriger et guider avec une soumission consciente et vigilante. Le travail accompli dans tout autre esprit a pour résultat un désordre anti-spirituel, sème la confusion et le trouble dans l'atmosphère. Là aussi les difficultés, les erreurs, les faux pas sont fréquents, parce que dans ce yoga les individus doivent être guidés avec patience, disposer d'un champ d'action où exercer leurs efforts pour sortir, par expérience, de l'ignorance naturelle au Mental et à la Vie et entrer dans un esprit plus vaste et une connaissance lumineuse. Mais le danger d'errer sans guide dans ces régions situées au-delà de la frontière est que la base même du yoga peut en être sapée et que les seules conditions dans lesquelles le travail peut se faire risquent d'être perdues complètement. Le passage par cette zone intermédiaire — qui n'est pas obligatoire, car de nombreux sâdhak empruntent un chemin plus étroit, mais plus sûr — est décisif; ce qui en sortira sera sans doute une création très vaste ou très riche; mais lorsqu'on s'y embourbe, le rétablissement est difficile, pénible, et n'est assuré qu'après un long combat et un long effort.
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2215
J'ai pris connaissance de toutes les expériences dont vous m'avez envoyé le récit; j'ai reçu aussi votre lettre et celle de X. Il est certes vrai, comme vous le dites, que votre sâdhanâ s'est poursuivie sur des voies différentes de celles des autres. Mais il ne s'ensuit pas que vous ayez entièrement raison de tenir à vos propres idées en la matière. Je vais vous dire brièvement ce que j'ai constaté au sujet de vos expériences.
Les premières descriptions que vous m'avez envoyées relataient des expériences et des messages psychiques-spirituels et psychiques-mentaux très intéressants et très précieux. Ce qui vous est advenu ensuite relève plutôt du psychique-émotif et revêt un caractère plutôt partiel et mélangé; certains développements psychiques-vitaux et psychiques-physiques sont aussi d'une nature ambiguë. Je ne veux pas dire par là que tout en eux soit faux; ils contiennent cependant un grand nombre de vérités puissantes mais partielles, qui ont besoin d'être rectifiées par d'autres qu'elles semblent négliger ou même exclure. On y trouve en outre des suggestions de l'intellect et de l'être vital, et aussi des suggestions provenant de sources extérieures que vous ne devriez pas accueillir aussi facilement que vous semblez le faire. Ce mélange est inévitable dans les premiers stades et il n'y a pas de raison de s'en décourager. Mais si vous persistez à le conserver, il peut vous faire dévier du vrai chemin et porter atteinte à votre sâdhanâ.
Vous n'avez pas encore assez d'expérience de la nature de l'être psychique et des mondes psychiques. Vous n'êtes par conséquent pas capable d'attribuer une valeur juste à tout ce qui vient à vous. Quand la conscience psychique s'ouvre, surtout aussi vite et aussi largement que dans votre cas, elle s'ouvre à toutes sortes de choses, à des suggestions et à des messages venant de toutes sortes de plans, de mondes, de forces et d'êtres. Il y a le vrai psychique qui est toujours bon, et il y a l'ouverture psychique au monde mental, au monde vital et à d'autres mondes qui contiennent toutes sortes de choses bonnes, mauvaises et neutres, vraies, fausses et à moitié vraies, des influences reçues sous forme de pensées qui sont de toutes sortes, et aussi des messages qui sont de toutes sortes. Vous ne devez pas vous donner à tout impartialement, mais cultiver à la fois une connaissance et une expérience suffisantes, et assez de discrimination pour être capable de conserver votre équilibre et d'éliminer les mensonges, les demi-vérités et les mélanges. Écarter avec impatience la nécessité de la discrimination, sous prétexte que ce n'est que de l'intellectualisme, n'est pas une solution. La discrimination n'est pas forcément intellectuelle, et si elle est intellectuelle elle n'est pas pour autant méprisable. Mais elle peut aussi être psychique ou venir du mental supérieur et supra-intellectuel, et de l'être supérieur. Si vous ne l'avez pas, il vous faut la protection et la direction constantes de ceux qui l'ont et qui ont aussi une longue expérience psychique; vous fier entièrement à vous-même en rejetant cette direction risque d'être désastreux pour vous.
En attendant, trois règles de sâdhanâ sont très nécessaires au premier stade et vous devez vous en souvenir. D'abord, ouvrez-vous à l'expérience, mais ne prenez pas le bhoga de l'expérience. Ne vous attachez à aucune catégorie d'expérience. N'adoptez pas toutes les idées et toutes les suggestions comme vraies et ne considérez aucune connaissance, aucune voix, aucun message transmis sous forme de pensée comme absolument décisif et définitif. La Vérité elle-même n'est vraie que lorsqu'elle est complète, et sa signification évolue à mesure que l'on s'élève et qu'on la voit d'un niveau plus élevé.
Je dois vous mettre en garde contre les suggestions des influences hostiles qui attaquent tous les sâdhak dans notre yoga. Votre vision de l'Européen est par elle-même une indication que ces forces ont l'œil sur vous et sont prêtes à agir contre vous, si elles ne sont pas déjà en train de le faire. Ce sont leurs suggestions subtiles, qui revêtent l'apparence de la vérité, et non leurs attaques ouvertes qui sont le plus dangereuses. J'en mentionnerai quelques-unes parmi les plus fréquentes.
Soyez sur vos gardes face à toute suggestion qui essaie de susciter en vous l'égoïsme: par exemple, que vous êtes un plus grand sâdhak que les autres, ou que votre sâdhanâ est unique ou d'un genre particulièrement élevé. On dirait qu'il y a déjà en vous une certaine influence de ce genre. Vos expériences psychiques se sont développées avec abondance et rapidité, mais il en a été exactement de même pour certains qui ont médité ici, et aucune d'entre elles n'est unique en son genre et par son intensité, ou inconnue à notre expérience. Même s'il en était autrement, l'égoïsme est le plus grand danger de la sâdhanâ et spirituellement il ne se justifie jamais. Toute grandeur appartient à Dieu; elle n'appartient à nul autre.
Soyez sur vos gardes face à tout ce qui vous suggère de conserver ou de ne pas lâcher une impureté ou une imperfection, une confusion dans le mental, un attachement dans le cœur, un désir et une passion dans le prâna ou une maladie dans le corps. L'un des artifices habituels des forces hostiles consiste à faire durer ces choses grâce à des justifications et des déguisements ingénieux.
Soyez sur vos gardes face à toute idée qui vous ferait accepter ces forces hostiles au même titre que les forces divines. À ce que je comprends, vous avez dit que vous deviez tout accepter parce que tout est une manifestation de Dieu. Tout est une manifestation de Dieu dans un certain sens, mais si cette vérité du Védânta est mal comprise — ce qui est souvent le cas — elle peut être détournée au profit du mensonge. Bien des choses sont des manifestations partielles et doivent être remplacées par des manifestations plus complètes et plus vraies. D'autres appartiennent à l'ignorance et disparaissent lorsque nous entrons dans la connaissance. D'autres encore appartiennent à l'obscurité et doivent être combattues, détruites ou expulsées. Cette manifestation-ci a été largement utilisée par la force que représente l'Européen dans votre vision et elle a ruiné le yoga de bien des sâdhak. Vous avez vous-même souhaité rejeter l'intellect, et pourtant l'intellect est une manifestation de Dieu tout autant que d'autres choses que vous avez acceptées.
Si vous m'acceptez vraiment et que vous vous consacrez à moi, vous devez accepter ma vérité. Ma vérité rejette l'ignorance et le mensonge pour aller vers la connaissance, rejette l'obscurité pour aller vers la lumière, rejette l'égoïsme pour aller vers le Moi divin, rejette les imperfections pour aller vers la perfection. Ma vérité n'est pas seulement la vérité de la Bhakti ou du développement psychique; elle est aussi celle de la connaissance, de la pureté, de la force divine, du calme divin, et elle veut dégager toutes ces choses de leurs formes mentales, émotives et vitales pour les élever jusqu'à leur réalité supramentale.
Si je vous dis tout cela, ce n'est pas pour déprécier votre sâdhanâ, mais pour orienter votre mental vers la voie qui la rendra plus complète et l'amènera à la perfection.
Il ne m'est pas possible de vous recevoir ici pour le moment. Premièrement parce que les conditions nécessaires ne sont pas réunies, et deuxièmement parce que vous devez être tout à fait prêt à m'accepter comme guide avant de venir. Si, comme je le suppose, vous devez, dans les circonstances actuelles, retourner chez vous, méditez en vous tournant vers moi et en essayant de vous préparer à venir ici par la suite. Ce qu'il vous faut maintenant, ce n'est pas tant le développement psychique dont vous serez toujours capable (je ne vous demande pas de l'arrêter complètement), mais un calme et une tranquillité intérieurs qui servent de base et d'atmosphère véritables à votre évolution et à votre expérience futures, le calme dans le mental, dans l'être vital purifié et dans la conscience physique. Un yoga psychique-vital ou psychique-physique présentera pour vous des dangers tant que vous n'aurez pas ce calme, une pureté stable de l'être et une protection vitale et physique complète et sans cesse présente.
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2216
J'ai lu avec attention la lettre de X et je crois qu'il vaut mieux commencer par expliquer son état actuel tel qu'il le décrit. Car il ne me paraît pas en comprendre les véritables causes et la signification.
Son état actuel de passivité et d'indifférence est une réaction contre un état antérieur anormal où l'a mené un effort intérieur qui n'était pas guidé correctement du dehors ou du dedans. L'effort avait produit la déchirure du voile qui sépare le monde physique des mondes du psychique et du vital. Mais son mental n'était pas préparé à ses expériences; il était incapable de les comprendre et les jugeait à la lumière de sa fantaisie, de son imagination et de suggestions mentales et vitales erronées. Son être vital, plein d'énergie radjasique et égoïste, s'est soulevé avec violence pour jouir de ces nouveaux champs d'action et utiliser à ses propres fins inférieures la force qui était à l'œuvre. Un pouvoir hostile venu du monde vital a eu ainsi l'occasion de s'introduire en lui et de prendre en partie possession de lui; il en est résulté une désorganisation du système nerveux et physique et de certains des centres cérébraux. L'attaque et la possession semblent s'être dissipées en laissant derrière elles cette réaction actuelle de passivité, ainsi qu'une forte emprise de tamas et d'indifférence. Le tamas et l'indifférence ne sont pas en eux-mêmes souhaitables, mais ils ont une utilité temporaire pour le reposer de cette tension antérieure anormale. La passivité est souhaitable; elle constitue une bonne base pour un fonctionnement nouveau et juste de la Shakti.
Lorsqu'il dit qu'il est mort au-dedans et que seule demeure une activité extérieure, il n'interprète pas correctement son état. La vérité, c'est que le centre de l'égoïsme vital, qui croit être l'acteur, a été broyé, et que X sent maintenant la pensée et les actions se dérouler toutes en dehors de lui. C'est un état de connaissance; car il est bien vrai que ces pensées et ces activités appartiennent toutes à la Nature et nous pénètrent ou nous traversent comme des ondes provenant de la Nature universelle. C'est notre égoïsme et notre claustration dans le corps et le mental physique individuel qui nous empêchent de sentir cette vérité et d'en avoir l'expérience. Être capable de la voir et de la sentir, comme il l'est en ce moment, est un grand pas. Ce n'est évidemment pas la connaissance complète. À mesure que la connaissance devient plus complète et que l'être psychique s'ouvre vers le haut, on sent toutes les activités venir d'en haut; on peut atteindre leur vraie source et les transformer.
La lumière qui joue dans sa tête signifie qu'une ouverture à la force et à la connaissance supérieures s'est produite; elles descendent comme une lumière venant d'en haut et agissent sur le mental pour l'illuminer. Le courant électrique est la force qui descend pour agir dans les centres inférieurs et les préparer à la lumière. L'état juste viendra lorsqu'aux forces vitales qui essaient de pousser vers le haut se substituera le prâna qui deviendra calme et consacré, attendant la lumière dans un consentement parfait, et lorsque le vide intermédiaire sera remplacé par une aspiration constante du cœur à la vérité au-dessus. La lumière doit descendre dans ces centres inférieurs pour transformer l'être émotif, vital et physique ainsi que la pensée et la volonté mentales.
L'utilité des expériences et de la connaissance psychiques des mondes invisibles, comme celle d'autres expériences yoguiques, ne se mesure pas à nos conceptions humaines étriquées de ce qui peut être utile à la vie physique actuelle de l'homme. En premier lieu, ces choses sont nécessaires à la plénitude de la conscience et à celle de l'être. En second lieu ces autres mondes agissent réellement sur nous. Si l'on en a connaissance et si l'on est capable d'y pénétrer, on peut, au lieu d'être la victime et le pantin de ces pouvoirs, agir consciemment sur eux, les maîtriser et s'en servir. Troisièmement, dans mon yoga, le yoga supramental, l'ouverture de la conscience psychique à laquelle appartiennent ces expériences est tout à fait indispensable. Car c'est seulement par l'ouverture psychique que le supramental peut descendre dans toute sa plénitude, avec une emprise vigoureuse et concrète, et transformer l'être mental, vital et physique.
Tel est son état actuel et ce qu'il vaut. Pour l'avenir, s'il désire accepter mon yoga, les conditions sont une ferme résolution et une aspiration stable à la vérité que je suis en train de faire descendre, une calme passivité et une ouverture vers le haut, vers la source de la lumière. La Shakti agit déjà en lui; s'il adopte cette attitude et la conserve, et s'il a en moi une confiance totale, il n'y a pas de raison qu'il ne progresse pas en sécurité dans la sâdhanâ, malgré le préjudice physique et vital qu'a subi son organisme. Quant à venir me voir ici, je n'y suis pas encore tout à fait prêt, mais nous en parlerons lorsque vous serez de retour à Pondichéry.
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2217
Quant à la lettre, je crois que vous devriez dire à son auteur que son père a commis une erreur en entreprenant le yoga sans Gourou, car l'idée mentale d'un Gourou ne peut pas remplacer l'influence réelle et vivante. Notre yoga, je l'ai expliqué dans mes livres, requiert tout particulièrement l'aide du Gourou et ne peut être fait sans elle. L'état dans lequel son père a été plongé était un dérèglement, non un état de siddhi. Il est sorti de la conscience mentale normale pour entrer en contact avec une certaine zone intermédiaire de la conscience (non de la conscience spirituelle) où l'on peut être sujet à toutes sortes de voix, de suggestions, d'idées, de prétendues inspirations qui ne sont pas authentiques. L'un de mes livres contient une mise en garde contre les dangers de cette zone intermédiaire.2 Le sâdhak peut éviter d'entrer dans cette zone; s'il y pénètre, il doit regarder tous ces phénomènes avec indifférence et les observer sans leur accorder aucun crédit; en agissant ainsi, il peut pénétrer en sécurité dans la véritable lumière spirituelle. S'il les admet tous, sans discernement, comme conformes à la vérité et à la réalité, il risque de se retrouver dans une grande confusion mentale et s'il a en plus une lésion ou une faiblesse cérébrale — ce qui est tout à fait possible chez une personne sujettes l'apoplexie — les conséquences peuvent être graves et aller jusqu'à troubler la raison. L'ambition ou tout autre motif de ce genre, s'il se mêle à la recherche spirituelle, peut conduire à une chute dans le yoga et au développement d'un égoïsme exagéré ou d'une mégalomanie; les paroles de son père durant la crise en contenaient plusieurs symptômes. En fait on ne peut pas, ou on ne devrait pas, plonger dans les expériences de notre sâdhanâ sans une assez longue période de préparation et de purification, à moins de posséder déjà une grande vigueur et une grande élévation spirituelles. Sri Aurobindo n'est pas lui-même disposé à accueillir de nombreux sâdhak sur son sentier et en rejette beaucoup plus qu'il n'en accepte. Votre ami ferait bien de convaincre son père de ne pas poursuivre plus avant sa sâdhanâ, car ce qu'il est en train de faire n'est pas vraiment le yoga de Sri Aurobindo, mais quelque chose qu'il a construit dans son propre mental, et une fois qu'un déséquilibre de ce genre s'est produit, le plus sage est de s'arrêter.
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2218
Par zone intermédiaire on entend simplement un état ou une période de confusion où l'on sort de la conscience personnelle et où l'on s'ouvre à la conscience cosmique (mental cosmique, vital cosmique, physique cosmique et peut-être quelque chose du Mental cosmique supérieur) sans avoir encore transcendé les niveaux du mental humain. On n'est pas en possession de la Vérité divine ou en contact direct avec elle sur ses propres plans, mais on peut, indirectement, recevoir quelque chose de ces plans et même du surmental. Seulement comme on est encore plongé dans l'Ignorance cosmique, tout ce qui vient d'au-dessus risque d'être mélangé, perverti, saisi par des Pouvoirs inférieurs et même hostiles pour leurs propres desseins.
Tout le monde n'est pas obligé d'effectuer ce passage pénible dans la zone intermédiaire. Si l'on s'est purifié, si l'on n'est pas anormalement vaniteux, égoïste ou ambitieux, si l'on n'est dominé par aucun autre élément trompeur, ou si l'on est vigilant et sur ses gardes, ou encore si le psychique est au premier plan, on peut la traverser tout droit et vite, ou avec un minimum d'ennuis, pour entrer dans les zones supérieures de conscience où l'on est en contact direct avec la Vérité divine.
La traversée des zones supérieures — Mental supérieur, Mental illuminé, Intuition, surmental — est au contraire obligatoire; elles sont les véritables Intermédiaires entre la conscience actuelle et le Supramental.
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2219
J'entends par là [la zone intermédiaire] que quand le sâdhak dépasse les limites de son propre mental personnel incarné, il entre dans un vaste domaine où se déroulent des expériences qui ne sont pas la vérité bornée, solide, physique des choses, mais ne sont pas encore non plus la vérité spirituelle des choses. C'est une zone de formations: formations mentales, vitales, physiques subtiles, et tout ce que l'on forme ou qui est formé en nous par les forces de ces mondes devient pour le sâdhak, pendant un certain temps, la vérité, à moins qu'il ne soit guidé et qu'il n'écoute son guide. Ensuite, s'il passe au travers, il découvre ce que c'était et pénètre dans la vérité subtile des choses. C'est une région frontalière où tous les mondes se joignent: mental, vital, physique subtil, pseudo-spirituel; mais il n'y a là aucun ordre ni aucune prise solide, c'est un passage entre le domaine physique et les véritables domaines spirituels.
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2220
Vous faites vos premiers pas vers la conscience cosmique où se trouvent toutes sortes de choses bonnes et mauvaises, vraies et fausses, Vérité cosmique et Ignorance cosmique. Je ne songeais pas tant à l'ego qu'à ces multitudes de voix, de possibilités, de suggestions. Si vous les évitez, il n'est nullement nécessaire que vous passiez par la zone intermédiaire. Par éviter, je veux dire véritablement ne pas admettre: on peut prendre acte de leur nature et passer outre.
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2221
Tous ceux qui passent la frontière de la conscience ordinaire peuvent entrer dans cette zone [intermédiaire], s'ils ne prennent pas soin d'entrer dans le psychique. En soi, il n'y a aucun mal à passer par là, pourvu que l'on ne s'y arrête pas. Mais l'ego, le sexe, l'ambition, etc., s'ils sont excessifs peuvent aisément mener à une dangereuse chute.
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2222
[La rupture du voile] vient d'elle-même par la pression de la sâdhanâ. Elle peut aussi être amenée par une concentration et un effort particuliers.
Mieux vaut certes que le psychique soit conscient et actif avant que ne soit retiré ce voile, cet écran qui se trouve entre la conscience individuelle et la conscience cosmique, ce qui se produit quand l'être intérieur est amené au premier plan dans toute son étendue. Car alors le danger présenté par les difficultés de ce que j'ai appelé la zone intermédiaire est grandement atténué.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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2223
Toutes ces expériences que vous avez eues appartiennent à ce que j'ai appelé la zone intermédiaire; elles relèvent pour la plupart du plan vital. Le plan vital contient toutes sortes de choses, bonnes et mauvaises, salutaires et dangereuses, vraies, à moitié vraies et fausses, authentiques et trompeuses. On doit donc être très prudent et toujours vigilant, tourné vers la vraie source de Lumière. La difficulté, ici, est que l'on peut avoir une véritable expérience spirituelle, et qu'ensuite toutes sortes d'imitations trompeuses s'introduisent, portant en elles le danger d'une expérience fausse. On doit regarder, observer ses expériences et essayer de discerner et de comprendre, en attendant deux choses: l'ouverture d'une conscience plus vaste venant d'en haut et l'émergence de l'être psychique venant de l'arrière-plan. Quand ces deux choses se produisent, le risque d'erreur diminue et la véritable direction intérieure commence à se faire sentir de plus en plus dans la sâdhanâ.
Les lumières sont de toutes sortes: supramentales, mentales, vitales, physiques, divines ou asouriques; il faut observer, accroître son expérience et apprendre à les distinguer les unes des autres. Les vraies lumières, par leur clarté et leur beauté, ne sont toutefois pas difficiles à reconnaître.
Le courant d'en haut et le courant d'en bas sont des faits bien connus de l'expérience yoguique. C'est l'énergie de la Nature supérieure et l'énergie de la Nature inférieure qui deviennent actives, se tournent l'une vers l'autre et cherchent à se rencontrer, l'une descendant, l'autre montant. Ce qui arrive quand elles se rencontrent dépend du sâdhak. Si sa volonté est sans cesse tendue vers la purification de la conscience inférieure par la conscience supérieure, c'est à cela qu'aboutira la rencontre, ainsi qu'au progrès spirituel. Si son mental et son vital sont troubles et obscurcis, il se produit un conflit, un mélange impur et une grande perturbation.
La division de l'être en deux parties, l'une qui est une conscience vaste à l'arrière-plan, l'autre qui est une conscience plus étroite au premier plan, est aussi un fait bien connu de la sâdhanâ. Le mouvement est en lui-même nécessaire; sa conséquence naturelle devrait être la croissance d'une conscience yoguique plus vaste qui l'emporte sur la petite conscience extérieure et devient un moyen de transformation sous la pression de la Shakti divine. Mais ici aussi l'erreur peut se produire; en particulier, une Force extérieure peut venir substituer à la vaste conscience de l'arrière-plan un ego vital élargi qui se fait passer pour cette conscience. On doit se garder de ces intrusions; car beaucoup de sâdhak souffrent longtemps et gravement d'une telle intrusion qui altère le cours de leur sâdhanâ.
D'une manière générale, aspirez pour que le psychique grandisse et maîtrise le reste de la nature; aspirez à vous ouvrir non à une conscience vitale plus vaste, mais à la conscience supérieure au-dessus. Et à tous les stades ouvrez-vous à la protection de la Mère et à sa grâce, et appelez-1 pour qu'elles vous protègent et vous guident.
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2224
Cette sorte de manifestation (l'Âdesh) vient très souvent à un certain stade de la pratique du yoga. Selon mon expérience, elle ne provient pas de la source la plus élevée et on ne peut pas s'y fier; mieux vaut attendre d'être capable d'entrer dans une conscience plus haute et une vérité plus grande que celles que représentent ces communications. Celles-ci viennent parfois d'êtres d'un plan intermédiaire qui veulent se servir du sâdhak pour un certain travail ou dans un certain but. De nombreux sâdhak les admettent et certains — mais certainement pas tous — réussissent à en tirer quelque chose, mais c'est souvent au prix des objectifs supérieurs du yoga. Dans d'autres cas, elles viennent d'êtres qui sont hostiles à la sâdhanâ et cherchent à l'anéantir en suscitant l'ambition, l'illusion d'une grande œuvre à accomplir ou quelque autre forme d'ego. Chaque sâdhak doit décider, de son propre chef (à moins qu'il n'ait un Gourou pour le guider), s'il doit traiter ces messages comme une tentation ou comme une mission.
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2225
Ces voix sont tantôt des formations mentales personnelles, tantôt des suggestions venues du dehors. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises dépend de ce qu'elles disent et de leur région d'origine.
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2226
Tout le monde peut entendre des "voix"; d'abord, les mouvements de la nature personnelle peuvent s'attribuer une voix; ensuite toutes sortes d'êtres, pour s'amuser ou dans un but sérieux, vous envahissent de leurs voix.
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2227
Dans cet état, il s'agit davantage d'une impression de pouvoir que d'un pouvoir réel. Certains pouvoirs mitigés et tout à fait relatifs — tantôt un peu efficaces, tantôt inefficaces — peuvent être amenés à devenir quelque chose de réel, s'ils sont placés sous l'autorité du Divin, c'est-à-dire consacrés. Mais l'ego s'introduit, exagère ces petits incidents en les présentant comme quelque chose d'énorme et d'unique, et refuse de se consacrer. Alors le sâdhak ne progresse pas; il erre dans la jungle de ses propres imaginations sans aucun discernement ni sens critique, ou fait entrer en jeu des forces confuses qu'il est incapable de comprendre ou de maîtriser1.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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2228
Le déversement des forces surmentales a très souvent pour premier résultat d'amplifier l'ego qui se sent plein de force, presque irrésistible (bien qu'il ne le soit pas en réalité), divinisé, lumineux. La première chose à faire, après avoir acquis une certaine expérience de la chose, est de se débarrasser de cet ego magnifié. Pour cela, vous devez prendre du recul, ne pas vous laisser emporter par le mouvement, mais observer, comprendre, rejeter tous les mélanges, aspirer à une lumière et à une action de plus en plus pures. On ne peut le faire parfaitement que si le psychique vient au premier plan. Le mental et le vital, le vital en particulier, en recevant ces forces, ont du mal à combattre leur tendance à s'en emparer et à les utiliser pour les desseins de l'ego; ou, ce qui — en pratique revient au même, ils mélangent les exigences de l'ego avec le service d'un objectif plus élevé.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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2229
Tout d'abord, on n'est pas obligé de croire tout ce que les disciples de X ont écrit à son sujet après sa mort. Par ailleurs, les expériences qu'ils relatent à son propos appartiennent aux plans intermédiaires et non à la conscience spirituelle suprême. Ils ont dissimulé l'expérience qu'il pouvait avoir du suprême derrière une jungle de légendes miraculeuses et romanesques. Il est probable qu'en essayant de faire de lui un grand siddha, ils l'ont rabaissé en dessous d€1 ce qu'il était en réalité.
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2230
Pour acquérir la véritable intuition, il faut se débarrasser de l'entêtement du mental et aussi de celui du vital, de leurs préférences, de leurs caprices, de leurs fantaisies, de leurs fortes exigences, et éliminer la pression de l'ego mental et vital qui fait agir la conscience au service de ses propres revendications et de ses propres désirs. Autrement ces choses entreront en force et prétendront être des intuitions, des, inspirations et tout le reste. Ou si des intuitions apparaissent, elles risqueront d'être distordues et altérées par l'immixtion de ces forces de l'Ignorance.
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2231
Non, ces indications de temps et ces voix n'étaient pas des ordres de la Mère. Je vous ai dit ce qu'il en était en réalité: vous devez suivre les règles établies par la Mère pour la vie physique; s'il faut y apporter certains changements, ou bien elle vous le fera savoir elle-même, ou bien vous devrez obtenir d'elle son approbation. Aucune voix entendue au-dedans ne peut supplanter sa parole, aucune communication qui vous vient par l'intermédiaire de votre mental ne peut être considérée comme impérative à moins qu'elle ne vous le confirme.
La confusion que vous avez faite est fréquente lorsqu'on commence à avoir des expériences de ce genre. Nul doute que la Force de la Mère agissait en vous ou sur vous, et certaines de ces expériences, comme de sentir la Mère dans votre cœur, étaient parfaitement authentiques. Mais quand la pression de la Force opère sur la conscience, alors dans le plan où elle se trouve opérer, diverses forces commencent à déployer une grande activité, par exemple différentes forces mentales si c'est dans le mental, différentes forces vitales s'il s'agit du vital. Considérer toutes leurs suggestions comme vraies, les accepter sans discussion et les suivre comme si elles étaient des ordres de la Mère n'est pas sans danger. Vous avez reçu la pression d'une force si puissante que votre tête en a tremblé pendant longtemps; ce tremblement signifie que le mental ou du moins le physique mental ne pouvait pas encore recevoir toute la force et l'assimiler; s'il en avait été capable, il n'y aurait eu aucun mouvement de la tête, tout aurait été parfaitement aisé, calme et tranquille. Mais votre mental s'est mis à travailler, à interpréter, a commencé à donner à ce phénomène particulier sa signification personnelle, à essayer de bâtir un système sur lequel régler votre conduite et à lui conférer une autorité, à le considérer comme l'ordre de la Mère. L'action de la Force était un fait, l'interprétation que vous avez donnée des détails de ses allées et venues était une formation mentale sans grande valeur.
Si vous observez cela avec soin, comme j'ai observé dans le détail ce que vous avez relaté, vous verrez que ces suggestions étaient très fluctuantes et changeantes, tantôt une chose, tantôt une autre; seulement votre mental s'adaptait aux changements, ajustait son interprétation à leur gré et essayait d'en faire un système cohérent. Mais en fait tout était irrégulier et chaotique, tout tendait à rendre votre action et votre conduite irrégulières et chaotiques. La véritable intuition n'agirait pas ainsi; elle tendrait au moins à l'équilibre, à l'harmonie, à l'ordre.
Vous partez d'intuition en ce qui concerne l'indication du temps. Il y a une intuition du Temps qui n'appartient pas au mental et quand elle entre en jeu, elle est toujours exacte à la minute et même, si c'est nécessaire, à la seconde près; mais il ne s'agissait pas de cette Intuition-là, car elle n'était pas toujours exacte; elle s'est peut-être vérifiée plusieurs fois, puis elle est devenue mensongère; elle vous a fait arriver en retard au pranâm; elle a commencé à vous mettre en retard pour le déjeuner, ce qui vous a amené à déranger ceux qui travaillent à la salle à manger. Elle vous a poussé à arriver en retard le soir, si bien qu'à la fin vous avez dû vous passer de dîner. Mais votre mental s'était attaché à ses propres formations et a essayé de justifier ces caprices chaotiques, de leur donner un sens, de les expliquer par la volonté (très changeante) de la Mère. Tout cela est bien connu de ceux qui ont de l'expérience dans le yoga, et cela signifie qu'il ne s'agissait pas d'intuitions, mais de constructions du mental, de formations mentales. À supposer qu'il se soit agi d'une intuition, c'était un mouvement du mental intuitif, mais le mental intuitif nous donne l'intuition de possibilités dont certaines se réalisent, d'autres non, dont certaines ne se réalisent qu'en partie, alors que d'autres encore tombent complètement à côté. Derrière ces constructions mentales se trouvent des Forces qui veulent se réaliser et essaient de se servir des hommes comme instruments de cette réalisation. Ces Forces ne sont pas nécessairement hostiles, mais elles jouent leur propre jeu, elles veulent régir, utiliser, trouver leur justification, créer leurs propres conséquences. Si elles peuvent le faire avec l'approbation de la Mère ou en se faisant passer pour des ordres de la Mère, elles sont prêtes à le faire; si elles ne peuvent pas recevoir l'approbation de la Mère incarnée, elles n'hésitent pas à se présenter comme des approbations de la Mère dans sa Forme ou sa Présence universelle subtile et invisible. Elles persuadent certains sâdhak d'établir non seulement une distinction, mais une opposition entre la Mère intérieure qui leur dit toujours ce qu'ils veulent entendre et la Mère incarnée qui, ils s'en aperçoivent, n'est pas si complaisante, les réprimande, corrige leurs caprices et leurs erreurs. À ce stade le danger apparaît d'une invasion plus grave du Mensonge, d'une Force vitale hostile qui pénètre en tirant parti des erreurs du mental et essaie de se substituer à la Mère en utilisant son nom, ou bien suscite la révolte contre elle. On vous persuade de ne pas aller au Pranâm, de ne pas tenir la Mère au courant de vos expériences pour éviter de les soumettre à son jugement, de ne pas harmoniser votre vie à sa volonté exprimée; à ce stade c'est un signal de danger, car cela signifie que la Force qui vous envahit veut avoir la latitude d'agir sans contrôle, et c'est pourquoi je me suis senti dans l'obligation d'attirer votre attention sur le péril de cette hostile Maya.
Quant aux voix, elles sont nombreuses: chaque Force, chaque mouvement du plan mental, vital ou physique peut se doter d'une voix. Vos voix n'étaient pas même d'accord entre elles: l'une disait une chose, et quand cela ne marchait pas, l'autre disait quelque chose qui n'y correspondait en rien; mais vous étiez si attaché à votre formation mentale que vous tentiez tout de même d'y obéir.
Tout cela se produit parce que, dans ces exaltations dues à la pression de la sâdhanâ, le mental et le vital deviennent très actifs. C'est pourquoi il est nécessaire d'établir d'abord la sâdhanâ sur un grand calme, une grande égalité, sans se précipiter avec avidité sur les expériences et leurs fruits, mais en les regardant, en les observant, en appelant toujours de plus en plus de Lumière, en essayant d'être de plus en plus vaste, ouvert, réceptif, dans la tranquillité et le discernement. Si l'être psychique est toujours au premier plan, ces difficultés en sont dans une large mesure atténuées, parce qu'il porte en lui une lumière que le mental et le vital n'ont pas, une perception psychique spontanée et naturelle de ce qui est divin et de ce qui ne l'est pas, du vrai et du faux, de la direction authentique et de sa contrefaçon. C'est aussi la raison pour laquelle j'insiste pour que vous nous soumettiez vos expériences car, mise à part toute autre considération, nous avons la connaissance et l'expérience de ces choses et nous pouvons aussitôt mettre en échec toute tendance à l'erreur.
Restez ouvert à la Force de la Mère, mais ne vous fiez pas à toutes les forces. À mesure que vous avancerez, si vous restez dans le droit chemin, un moment viendra où le psychique sera de plus en plus prédominant et actif et où la Lumière d'en haut s'imposera avec plus de pureté et de force, de sorte que le risque de voir des constructions mentales et des formations vitales se mêler à la vraie expérience diminuera. Comme je vous l'ai dit, ces Forces ne sont pas et ne peuvent pas être les Forces supramentales; il s'agit d'un travail initial dont le seul but est de préparer les choses à une future siddhi du yoga.
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2232
Comment les gens de cet Ashram peuvent-ils juger si quel qu'un a progressé ou non dans le yoga? Ils jugent sur les apparences extérieures: si un sâdhak vit retiré, médite souvent, entend des voix et a des expériences, etc., etc., ils croient que c'est un grand sâdhak! X a toujours eu un Âdhâr très défectueux. Il a eu quelques expériences d'un genre élémentaire, confuses et incertaines, mais à chaque pas il s'attirait des ennuis, s'écartait de la route, et nous étions obligés de le tirer d'affaire. Il a fini par entendre des voix et recevoir des inspirations qu'il déclarait venir de nous; je lui ai écrit à de nombreuses reprises pour le mettre en garde et lui expliquer sérieusement les choses, mais il a refusé de m'écouter, étant trop attaché à ses voix et à ses inspirations fausses, et pour éviter de se faire rabrouer et corriger, il a cessé d'écrire et de nous informer. C'est ainsi qu'il est tombé complètement dans l'erreur et a fini par nous devenir hostile. Vous pouvez dire cela comme venant de moi à tous ceux qui, comme vous, sont perplexes devant cette affaire.
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2233
Je parle de ce qui est arrivé à X comme à Y, à Z et à quelques autres. Les expériences supérieures ne font de mal à personne; la question est de savoir ce que l'on entend par supérieures. Y, par exemple, prenait ses expériences pour la Vérité suprême elle-même; je lui ai dit qu'elles étaient toutes imaginaires, avec le seul résultat qu'il est devenu furieux contre moi. Il y a des imitations d'expériences supérieures où le mental, ou le vital, se saisit d'une idée ou d'une suggestion et la transforme en un sentiment, et au cours desquelles les forces se précipitent, on a un sentiment d'exultation et de pouvoir, etc. Toutes sortes d'"impératifs" apparaissent: des visions, des "voix" peut-être. Rien n'est plus dangereux que ces voix; bien que certaines puissent être authentiques et utiles, je me sens toujours mal à l'aise quand quelqu'un m'apprend qu'il entend des "voix", et j'ai tendance à dire: "Pas de voix, s'il vous plaît: le silence, le silence, et un cerveau clair et plein de discernement." J'ai fait allusion, dans ma lettre sur la zone intermédiaire, à cette région d'expériences imitées, de fausses inspirations, de fausses voix, où pénètrent des centaines de yogis et d'où certains ne ressortent jamais. Lorsqu'un sâdhak possède un cerveau vigoureux et clair et un certain scepticisme spirituel, il peut passer outre, ce qu'il fait, mais les gens sans discernement comme Y ou Z se perdent. En particulier l'ego intervient et les rend si attachés à leur splendide (?) état qu'ils refusent absolument d'en sortir. Or l'isolement de la retraite donne toute latitude à ce genre d'action, puisqu'elle fait vivre l'individu tout entier dans son être subjectif, sans aucun contrôle si ce n'est celui que peut apporter son propre discernement naturel; mais si celui-ci n'est pas assez fort? L'ego est évidemment le soutien principal de ces mensonges subjectifs, mais il n'est pas le seul. Travailler, fréquenter les autres — avec le contact objectif que cela entraîne — n'est pas une défense absolue contre toutes ces choses, mais ce n'en est pas moins une défense et cela sert de frein et en quelque sorte d'équilibre correcteur. Je remarque que ceux qui pénètrent dans cette région de la zone intermédiaire s'orientent en général vers la retraite et la solitude et y tiennent. Ce sont les raisons pour lesquelles je préfère d'ordinaire que les sâdhak ne s'adonnent pas à une retraite absolue, mais gardent un certain équilibre entre le silence et l'action, vivent à la fois à l'intérieur et à l'extérieur.
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2234
Le seul véritable danger que l'on court dans ces retraites (à part l'orgueil) est de devenir la proie d'influences et d'imaginations subjectives et de perdre la prise sur la réalité que le travail et les contacts avec les autres aident à conserver. Évidemment on peut la perdre même en conservant des contacts, comme c'est arrivé à X et à d'autres. Mais je suppose que vous avez la tête suffisamment froide et critique pour éviter ce danger.
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2235
La retraite n'est pas nécessaire pour passer d'un plan à un autre. Elle n'est nécessaire que dans de rares cas et pour certains tempéraments, pendant un certain temps.
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2236
Nous n'avons aucune objection à ce que vous le fassiez pendant une semaine, comme vous vous le proposez. Si j'ai bien compris, il ne s'agit pas d'une retraite, mais d'une interruption des mondanités. Mon objection contre la retraite est que quantité de gens y ont "perdu la santé" ou ont dérivé vers des zones d'expériences vitales fausses; et ensuite que la retraite absolue n'est pas nécessaire à la vie spirituelle. C'est cependant différent pour des gens comme X, qui sont en quelque sorte nés pour cela ou du moins y sont parfaitement entraînés. "Quitter le devant de la scène" est tout autre chose. De plus, être capable de solitude ou avoir l'Ânanda de la solitude peut toujours être salutaire à la sâdhanâ; et la solitude est un pouvoir naturel au yogi.
Nous vous donnerons notre aide et nous espérons que vous réussirez; vous aurez au moins établi un précédent pour vous retirer chaque fois que vous le désirerez à l'avenir.
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2237
Vivre dans le moi est évidemment l'objectif normal de la retraite, et vivre dans le moi apporte les expériences supérieures qui doivent de toute évidence être salutaires et non nuisibles. En écrivant cela, je voulais seulement expliquer ce que je voulais dire en parlant du danger d'une retraite trop complète, et pourquoi elle avait fini par être nuisible à X, à Y et à d'autres. Certains, comme Z, en ont tiré un profit sans mélange. Tout dépend du tempérament de chacun, de son attitude, de son but et de son équilibre intérieur durant le silence.
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2238
L'impulsion à faire retraite vient d'une certaine tendance à se concentrer au-dedans; mais la cause de cette tendance varie selon le cas. Chez certains, c'était un désir de se séparer de l'influence de la Mère (pranâm, méditation, etc.) et de suivre ses propres caprices, par exemple A, B, qui s'accompagne aussi peut-être d'un sentiment de supériorité: "Un grand yogi comme moi n'a pas besoin de tout cela." Dans d'autres cas il y avait un net désir d'isolement, mais alors le cerveau était déjà dérangé (C) ou une mauvaise influence était à l'œuvre (D). C'est à cela, je suppose, que E faisait allusion. Mais d'autres désiraient simplement se concentrer ou souhaitaient éviter de se disperser en s'extériorisant (F, G durant leur période de retraite). Tout ne peut donc pas être dit en une seule phrase.
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2239
Ne pas parler ou ne pas avoir de contacts lorsqu'on est dans l'intensité de la paix est une chose; on peut le faire. La solitude considérée comme une règle de vie à d'autres moments ne me paraît pas nécessaire; elle n'est sans danger que pour ceux qui peuvent vivre entièrement au-dedans sans perdre leur emprise sur la réalité extérieure. Si l'on est sans cesse dans un équilibre solide fondé sur la paix, ou si l'on a un mental clair, équilibré et plein de discernement, et en même temps des expériences constantes auxquelles on est capable d'attribuer leur véritable place, on peut le faire. Mais certains s'absorbent dans les expériences intérieures, s'y perdent, s'y attachent avec passion, et cette vie intérieure devient pour eux l'unique réalité sans que la vie extérieure puisse l'équilibrer et maintenir sur elle un contrôle et un frein; là, il y a danger. Également, si l'on reste seul sans être soutenu par un équilibre intérieur stable et une expérience constante que l'on peut soumettre à un contrôle judicieux, alors pendant les périodes de vide, le vital peut surgir et amener des luttes, des difficultés, de l'agitation, des suggestions de toutes sortes, un état trouble et bourbeux; plutôt que de passer son temps à cela, comme le font certains, mieux vaut fréquenter les autres, faire un travail quelconque, ou s'extérioriser autrement de quelque manière saine.
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2240
Être trop sensible et bouleversé par n'importe quel contact est excessif; mais avoir trop de contacts et être sans cesse en train de se disperser empêche la sâdhanâ de se développer et de se consolider dans l'être intérieur, puisqu'on est sans arrêt attiré au-dehors dans la conscience extérieure ordinaire.
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2241
Dans vos relations avec les gens, agissez avec simplicité et naturel. Débarrassez-vous de ces reculs nerveux qui sont une faiblesse. L'important, c'est d'avoir l'attitude intérieure juste, calme et sans attachement. Si vous l'avez, tous les détails deviendront insignifiants et s'arrangeront d'eux-mêmes selon la commodité et le bon sens.
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2242
Comment pourrez-vous découvrir les relations justes avec l'extérieur en cessant toute relation avec l'extérieur? Et comment vous proposez-vous d'être totalement transformé et unifié en vivant seulement dans la vie intérieure, sans soumettre la transformation et l'unité à l'épreuve du contact extérieur et à celle du travail et de la vie extérieure? La totalité inclut le travail et les relations extérieures, et ne se borne pas à la vie intérieure retirée.
C'est seulement si l'ego vital abandonne ses exigences, ses revendications et les réactions qu'elles engendrent lorsqu'elles ne sont pas satisfaites que la transformation et l'unification peuvent venir, et il n'y a aucun autre moyen.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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2243
Je vous ai dit que vous ne deviez pas essayer de décider par votre mental. Vous persistez à répéter: "Je dois décider. Je dois décider. Je dois prendre une décision. Je dois prendre une résolution." Vous n'arrêtez pas de répéter ce je, je, je dois décider, comme si vous saviez mieux que moi et que la Mère! "Je dois comprendre, je dois décider!" et chaque fois, vous découvrez que votre mental ne peut rien décider et rien comprendre. Et malgré tout, vous continuez à répéter le même mensonge.
Je vous dis clairement une fois de plus que vos prétendues expériences ne valent rien: c'est de la pure ignorance vitale et de la confusion. La seule expérience dont vous ayez besoin, c'est l'expérience de la présence de la Mère, de la lumière de la Mère, de la force de la Mère, avec le changement qu'elles apportent en vous.
Vous devez rejeter toutes les autres influences et vous ouvrir seulement à l'influence de la Mère.
Vous ne devez plus penser aux énergies qui se déversent, à vos énergies et aux énergies des autres, ni en parler. La seule énergie que vous devez sentir, c'est la descente, l'influx, l'action de la force de la Mère.
Telles étaient mes instructions, et tant que vous les mettiez en pratique, vous progressiez rapidement.
Rejetez toutes ces expériences fausses et incohérentes. Revenez à l'unique règle que je vous ai donnée. Ouvrez-vous à la présence de la Mère, à l'influence, à la lumière, à la force de la Mère; rejetez tout le reste. Ainsi seulement, vous retrouverez la clarté au lieu de cette confusion, la paix, la perception psychique et le progrès dans la sâdhanâ.
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2244
Vous persistez dans un effort mal dirigé qui vous empêche d'atteindre l'objectif même que vous vous êtes fixé. Vous voulez ce que vous appelez la "divinisation", mais vous ne pouvez pas l'obtenir par la méthode que vous essayez d'appliquer.
Je vais préciser vos erreurs; je vous prie de me lire avec soin et d'essayer de comprendre correctement. Comprenez surtout mes paroles dans leur sens le plus simple et n'y introduisez aucun "sens caché", ni aucun autre sens qui pourrait étayer vos idées actuelles.
La Conscience divine que nous essayons de faire descendre est une Conscience-de-Vérité. Elle nous montre toute la vérité de notre être et de notre nature sur tous les plans: mental, vie et corps. Elle ne les rejette pas, elle ne fait aucun effort impatient pour s'en débarrasser immédiatement et y substituer quelque chose de fantastique et de merveilleux. Elle agit sur eux avec patience et lenteur pour les perfectionner, faire émerger en eux tout ce qui est capable de perfection et changer tout ce qui est obscur et imparfait.
Votre première erreur est de vous imaginer qu'il est possible de devenir divin en un instant. Vous vous imaginez que la conscience supérieure n'a qu'à descendre en vous et y rester, et tout sera fini. Vous vous imaginez que le temps n'est pas nécessaire, non plus qu'un travail lent, ardu ou méticuleux, et que tout sera fait pour vous en un moment par la Grâce divine. C'est complètement faux. Les choses ne se font pas ainsi; et tant que vous persisterez dans cette erreur, la divinisation ne pourra pas être permanente, et vous ne ferez que troubler la Vérité qui est en train d'essayer de venir, et troubler aussi votre mental et votre corps par un combat infructueux.
Deuxièmement, vous avez tort de penser que parce que vous ressentez une certaine force et une certaine présence, vous êtes par conséquent devenu divin aussitôt. Il n'est pas si facile de devenir divin. On doit interpréter avec justesse toute force ou présence qui vient, avoir devant elle une réaction juste, une connaissance juste dans le mental, une préparation juste dans l'être vital et physique. Mais ce que vous ressentez est une force et une exaltation vitales anormales dues à l'impatience de votre désir, et avec elles viennent des suggestions issues de votre désir, que vous prenez à tort pour la vérité et appelez des inspirations et des intuitions.
Je vais vous signaler quelques-unes des erreurs que vous faites lorsque vous êtes dans cet état.
Vous commencez aussitôt à penser que mes instructions ou mes conseils ne sont plus nécessaires, parce que vous vous imaginez être dorénavant un avec moi. Plus encore, les suggestions que vous voulez accepter vont tout à fait à l'encontre de mes instructions. Comment peut-il en être ainsi, si vous êtes un avec moi? Il est évident que ces idées contraires à mes instructions viennent de votre mental et de vos impulsions, et non de moi, ni d'aucune Conscience divine, ni de rien qui puisse être appelé la Conscience de Sri Aurobindo.
À ce propos vous écrivez: "Je constate la difficulté suivante: même lorsque je suis plein de vous, l'idée de vous obéir et de suivre vos instructions se poursuit, bien que vous ayez fait de moi vous-même. Je prie pour recevoir ce qui est nécessaire." L'idée de suivre mes instructions et d'y obéir n'est pas une difficulté, c'est la seule chose qui puisse vous aider. C'est précisément cette obéissance qui est nécessaire.
Que voulez-vous dire par: "Vous avez fait de moi vous-même"? Ces mots semblent n'avoir aucun sens. Vous ne pouvez pas vouloir dire que vous êtes devenu le même individu que moi; il ne peut pas y avoir deux Aurobindo; même si c'était possible, ce serait absurde et sans utilité. Vous ne pouvez pas vouloir dire que vous êtes devenu l'Être suprême, car vous ne pouvez pas être Dieu ou l'Îshwara. Si c'est dans le sens ordinaire (védantique), alors tout le monde est moi, puisque chaque Jîva est une parcelle de l'Un. Vous êtes peut-être devenu conscient de cette unité pendant un moment; mais cette conscience ne suffit pas en elle-même à vous transformer ou à vous rendre divin.
Vous commencez à vous imaginer que vous pouvez vous passer de nourriture et de sommeil, et négliger les besoins du corps; et vous oubliez mes instructions, vous qualifiez à tort, ces besoins de gêne ou de jeu des forces hostiles matérielles et physiques. Cette idée est fausse. Ce que vous sentez n'est qu'une force vitale, non la vérité suprême, et le corps reste tel qu'il était; il souffrira et finira par s'effondrer si on ne lui donne pas de nourriture, de repos et de sommeil.
C'est la même exaltation vitale erronée qui vous a fait tâter votre corps pour savoir s'il était fait de substance supramentale. Comprenez clairement que le corps ne peut pas se transformer de cette manière en quelque chose de tout à fait immatériel. L'être physique et le corps, pour devenir parfaits, doivent passer par une longue préparation et une transformation graduelle. Cela ne peut pas se faire si vous ne sortez pas de cette fausse exaltation vitale, si vous ne commencez pas par redescendre dans la conscience physique ordinaire, avec un sens clair des réalités physiques.
Enfin, si vous voulez le changement réel et la vraie transformation, vous devez reconnaître clairement et résolument que vous avez commis des erreurs, que vous êtes encore en train d'en commettre et que vous vous êtes mis dans un état qui est défavorable à la réalisation de votre objectif. Vous avez essayé de vous débarrasser de votre mental pensant, au lieu de le perfectionner et de l'illuminer, et vous avez essayé de le remplacer par des "inspirations" et des "intuitions" artificielles. Vous avez cultivé une aversion et une répulsion envers le corps, l'être physique et ses mouvements; vous ne voulez par conséquent pas redescendre dans la conscience physique normale et faire avec patience ce qui est nécessaire au changement. Il ne vous reste plus qu'une conscience vitale qui tantôt sent une grande force et un grand Ânanda, tantôt sombre dans de graves dépressions parce qu'elle n'est soutenue ni par le mental au-dessus, ni par le corps en dessous.
Vous devez absolument changer tout cela, si vous voulez la véritable transformation.
Il doit vous être indifférent de perdre les exaltations vitales; il doit vous être indifférent de revenir dans une conscience physique normale, avec un mental clair et pragmatique, qui observe les circonstances physiques et les réalités physiques. Vous devez d'abord les admettre, sinon vous ne serez jamais capable de les transformer et de les rendre parfaites.
Vous devez recouvrer un mental et une intelligence tranquilles. Si vous pouvez un jour le faire avec fermeté, la Vérité et la Conscience plus grandes pourront revenir au moment opportun, de la bonne manière et dans de bonnes conditions.
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2245
Pour réussir, vous devez avoir un plein pouvoir de volonté et d'action.
Il ne suffit pas de fortifier votre corps, il faut aussi fortifier votre mental; vous devez absolument vous débarrasser de ces idées de péché, de ces ruminations sur les suggestions d'impulsion sexuelle, et de cette habitude de voir partout des forces vitales obscures. Vos parents sont des êtres humains tout à fait ordinaires et non des esprits ou des forces du mal. Votre attitude envers eux ne doit être faite ni d'attachement, ni de peur, d'horreur ou de recul, mais de détachement tranquille.
Ne cherchez pas l'inspiration, mais agissez dans la tranquillité, rationnellement, selon nos instructions, avec un mental calme et une volonté tranquille. Débarrassez-vous de votre obsession de venir ici pour tomber à nos pieds. Les suggestions et les voix de ce genre ne sont pas des inspirations, mais seulement des créations de votre mental et de ses impulsions. Pour votre sécurité, vous devez rester tranquille et faire ce que nous vous disons avec tranquillité et persévérance, dans une confiance parfaite, jusqu'à votre complet rétablissement.
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2246
Cela vous fera beaucoup de bien de lire et de traduire l'Ârya... Je vous enverrai un exemplaire des Essais sur la Guîtâ, première série; il vaut mieux que vous commenciez par traduire ce livre. Prenez l'habitude de ne traduire que très peu chaque jour et faites-le avec beaucoup de soin. N'écrivez pas à la hâte; relisez plusieurs fois ce que vous avez écrit et regardez si l'esprit du texte original est correctement rendu, et si le style ne peut pas être amélioré. En toutes choses, dans le plan mental et dans le plan physique, votre but devrait être maintenant non pas d'aller vite et d'en terminer rapidement, mais de tout faire avec soin, parfaitement et de la bonne manière.
Nous souhaitons que dorénavant, vous compreniez quelle est la bonne attitude à l'égard des impulsions physico-vitales dont vous vous plaignez — c'est-à-dire à l'égard de la nourriture, de l'argent, des impulsions sexuelles, etc. — et que vous la conserviez. Vous avez adopté une attitude ascétique et morale qui est entièrement fausse et ne peut vous aider à maîtriser ces pouvoirs de la nature.
La nourriture est un besoin du corps et vous devez l'utiliser pour conserver au corps sa vigueur et sa bonne constitution. Vous devez remplacer l'attachement à la nourriture par l'Ânanda de la nourriture. Si vous avez cet Ânanda et le sens juste du goût, etc., et si vous utilisez la nourriture correctement, cet attachement — à supposer qu'il existe — disparaîtra de lui-même au bout de quelque temps.
L'argent aussi est nécessaire à la vie et au travail [...] L'argent représente un grand pouvoir de vie qui doit être conquis pour des usages divins. Vous ne devez par conséquent avoir pour lui aucun attachement, mais pas non plus de dégoût ni d'horreur.
L'impulsion sexuelle ne doit pas non plus vous inspirer d'horreur morale ni de répulsion puritaine ou ascétique. Elle est, elle aussi, un pouvoir de vie, et bien qu'il faille rejeter sa ferme actuelle (c'est-à-dire l'acte physique), la force elle-même doit être maîtrisée et transformée. C'est souvent chez ceux dont la nature vitale est vigoureuse qu'elle est le plus forte et cette vigoureuse nature vitale peut être transformée en un grand instrument pour la réalisation physique de la Vie divine. Si l'impulsion sexuelle apparaît, n'en soyez ni affligé, ni troublé, mais observez-la calmement, tranquillisez-la, rejetez toutes les suggestions erronées qui s'y rapportent et attendez que la Conscience supérieure la transforme en une force vraie et en un véritable Ânanda.
Tout ce que nous vous avons dit est nécessaire pour que vous restiez dans la conscience physique et pour que vous ayez les relations justes avec la vie physique.
2247
La conscience cosmique n'appartient pas au surmental en particulier: elle s'étend à tous les plans.
L'homme actuel est enfermé dans sa conscience individuelle de surface et ne connaît le monde (ou plutôt sa surface) que par l'intermédiaire de son mental et de ses sens extérieurs, et en interprétant leurs contacts avec le monde. Par le yoga, une conscience peut s'ouvrir en lui, qui devient une avec celle du monde; il commence à percevoir directement un Être universel, des états universels, une Force et un Pouvoir universels, un Mental, une Vie, une Matière universels, et à vivre en relations conscientes avec eux. On dit alors qu'il a la conscience cosmique.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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2248
Le surmental est la base de la conscience cosmique dans son ensemble, mais la conscience cosmique elle-même peut être perçue dans n'importe quel plan: non seulement au-dessus du mental, mais dans le mental, la vie et la matière.
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2249
La conscience cosmique peut revêtir deux formes: dans l'une, on est en contact avec les forces cosmiques ordinaires et les êtres qui sont derrière elles et on les perçoit; c'est ce que j'appelle l'Ignorance cosmique; dans l'autre, on perçoit les Vérités cosmiques, on réalise l'universel unique, la Force universelle unique, toutes les vérités védantiques de l'Un en tous et de tous en un, tous les aspects divers du Divin dans le cosmique; une foule d'autres choses peuvent venir, qui sont une aide véritable à la réalisation et à la connaissance, pourvu qu'on les reçoive comme il convient. Mais nous en traiterons mieux lorsqu'elles seront là. Elles ne viennent pas toujours dès que la conscience s'élargit; beaucoup de sâdhak passent de l'élargissement de la conscience à ce qui est au-delà du cosmique, puis reprennent le cosmique dans le détail: cet ordre est peut-être celui qui présente le moins de risques.
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2250
Quand on a la conscience cosmique, on peut sentir le Moi cosmique comme son propre moi, on peut se sentir un avec d'autres êtres dans le cosmos, on peut sentir toutes les forces de la Nature se mouvoir en soi, tous les moi comme son propre moi.
Demander pourquoi n'a pas de sens: c'est ainsi, puisque tout est l'Unique.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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2251
Tout est dans le Moi; quand vous êtes identifié au moi universel, tout est en vous. De plus le microcosme reproduit le macrocosme, de sorte que tout est présent en chacun bien que tout ne soit pas exprimé (et ne puisse pas l'être) dans la conscience de surface.
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2252
Tout agit dans le moi. Tout le jeu de la Nature se déroule dans le moi, dans le Divin. Le moi contient l'univers.
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2253
Le Moi est existence, il n'est pas un être. Par Moi on entend l'existence consciente essentielle, une en tous.
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2254
La substance originelle de tout esprit est une pure existence qui porte en elle une pure conscience (ou conscience-force) existant en soi et un pur Ânanda existant en soi.
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2255
Substance et existence sont la même chose. Dans la création, on peut les considérer comme deux aspects de l'esprit.
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2256
Le Moi est essentiellement universel; le moi individualisé n'est rien d'autre que le moi universel ressenti à partir d'un centre individuel ou en lui. Si vous ne sentez pas ce que vous avez réalisé comme l'un en tous, alors ce n'est pas l'Âtman c'est l'être central qui ne révèle pas encore son aspect universel en tant qu'Âtman.
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2257
Le moi est ressenti soit comme universel, un en tous, soit comme un individu universalisé semblable aux autres en essence, qui s'étend partout à partir de chaque être, mais a son centre ici. Évidemment "centre" est une façon de parler, car en général on ne sent aucun centre physiquement "localisé; seulement toutes les actions se déroulent autour de l'individu.
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2258
En général, l'expérience de l'Impersonnel est qu'il est partout sans forme ni limite, en tout lieu et à tout moment.
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2259
Le Divin impersonnel n'a pas de demeure et ne peut pas en avoir; il pénètre tout. Si quelqu'un dit que le Divin impersonnel a sa demeure dans le cœur, on peut lui demander ce qu'il entend par Divin impersonnel.
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2260
Dans la conscience cosmique, le "je" personnel disparaît pour se fondre dans le Moi unique de tous. Le "je" qui seul existe n'est pas celui de la personne, le "je" individualisé, mais le "je" universalisé identique à tous et au Moi cosmique (Âtman).
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2261
Ce qui restera après la libération, c'est l'être central, non l'ego. L'être central vivra dans la conscience du Divin partout et aussi dans tous les autres êtres; sa conscience ne sera donc pas celle d'un ego séparé, mais celle d'un centre de la Multiplicité divine parmi bien d'autres.
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2262
Ce que vous ressentez est l'état normal qui accompagne la libération. L'activité des sens, etc., se poursuit comme auparavant, mais la conscience est différente, de sorte qu'on a non seulement le sentiment de libération, de séparation, etc.,' mais que l'on vit dans un monde tout différent de celui du mental, de la vie ou des sens ordinaires. C'est une autre conscience qui commence, dotée d'une autre connaissance, d'une autre manière de considérer les choses. Ensuite, à mesure que cette conscience prend possession des instruments, elle s'harmonise avec les sens et avec la vie; mais les instruments aussi deviennent différents, leur point de vue se transforme, ils voient le monde non plus comme avant, mais comme s'il était fait d'une autre substance et avait une autre signification.
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2263
La libération est la première nécessité: vivre dans la paix, le silence, la pureté, la liberté du moi. Si, en même temps, ou plus tard, on s'éveille à la conscience cosmique, alors on peut être libre et pourtant un avec toutes choses.
Il est possible d'avoir la conscience cosmique sans la libération, mais alors aucune partie de l'être n'est libre à l'égard de la nature inférieure et on peut devenir, dans sa conscience élargie, le champ d'action de toutes sortes de forces sans être capable ni de s'en libérer, ni de les maîtriser.
Si au contraire la réalisation du Moi s'est accomplie, une partie de l'être demeure intacte au milieu du jeu des forces cosmiques, et si, dans le même temps, la paix et la pureté du moi se sont établies dans la conscience intérieure tout entière, les contacts extérieurs de la nature inférieure ne peuvent pénétrer l'être ni le dominer. C'est pourquoi il vaut mieux que la réalisation du Moi précède la conscience cosmique et la soutienne.
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2264
Quand se développe la réalisation du Moi ou la conscience cosmique, ou que règne le vide qui en est la condition préalable, une tendance automatique à l'unité avec tous apparaît: leurs affections mentales, vitales et physiques peuvent aisément vous toucher. Il faut veiller à rester libre.
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2265
Vous avez eu une ouverture mentale et un commencement d'ouverture vitale à la conscience cosmique; si cet état s'était maintenu au niveau spiritualisé, et cantonné à la vision ou au sentiment de l'Ânanda divin, sans recherche de possession ou de jouissance extérieure grossière, il aurait établi une conscience yoguique et constitué une base pour que descendent la connaissance, la paix, le pouvoir, l'amour psychique et la consécration.
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2266
C'est très bien. L'élargissement de la conscience jusqu'à ce que l'on soit un avec l'Infini universel est un stade important dans la sâdhanâ.
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2267
Oui, c'était une très bonne expérience et votre sentiment à son égard était juste. Quand la conscience est étroite et personnelle ou enfermée dans le corps, il lui est difficile de recevoir quoi que ce soit du Divin; plus elle s'élargit, plus elle peut recevoir. Vient un moment où elle se sent vaste comme le monde et capable de recevoir en elle le Divin tout entier.
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2268
C'est une expérience de l'extension de la conscience. Dans l'expérience yoguique, la conscience s'étend dans toutes les directions: autour, au-dessous, au-dessus, et dans chacune elle s'étend à l'infini. Quand la conscience du yogi se libère, il vit sans cesse non pas dans le corps, mais dans cette hauteur, cette profondeur et cette largeur infinies. La base de sa conscience est un vide ou un silence infini, mais en eux tout peut se manifester: Paix, Liberté, Pouvoir, Lumière, Connaissance, Ânanda. Cette conscience est appelée d'ordinaire la Conscience du Moi ou Âtman, car elle est une existence pure ou un moi pur qui est la source de toutes choses et les contient toutes.
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2269
Oui, [l'immensité] est ressentie comme un vaste espace substantiel plein de pouvoir, qui donne un sentiment d'unité libre, infinie, identique du haut en bas.
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2270
Au début l'expérience de l'immensité, comme d'autres expériences, ne vient que de temps à autre. C'est seulement plus tard qu'elle devient fréquente et se prolonge jusqu'à ce que finalement elle s'installe et que la conscience reste toujours vaste.
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2271
Vous devez chasser la peur de la concentration. Le vide que vous sentez descendre sur vous est le silence de la grande paix dans laquelle vous devenez conscient de votre moi, non comme le petit ego enfermé dans le corps, mais comme le moi spirituel aussi vaste que l'univers. La conscience n'est pas dissoute, ce sont les limites de la conscience qui sont dissoutes. Dans ce silence, les pensées peuvent cesser pendant un certain temps, il peut ne rien y avoir d'autre qu'une grande liberté et une immensité sans limite, mais dans ce silence, dans cette immensité vide peuvent descendre la vaste paix d'en haut, la lumière, la béatitude, la connaissance, la Conscience supérieure dans laquelle vous sentez l'unité du Divin. C'est le début de la transformation et il n'y a là rien à redouter.
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2272
Cela signifie la libération du sens corporel dans laquelle on peut vraiment dire: "Je ne suis pas le corps". Cette libération fait partie de la conscience cosmique, comme aussi la réalisation de la Volonté cosmique.
C'est la libération du seul sens corporel. Elle est tout à fait différente de la maîtrise du corps.
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2273
Ce que vous avez senti comme un air puissant et subtil était l'expression concrète de la conscience ou de l'existence consciente en elle-même, indépendante du corps. Jusqu'à présent l'expérience est encore limitée par le corps, mais quand elle perd ses limites, on a le sentiment d'un vaste éther qui remplit tout l'espace, Âkâsha Brahman. À mesure qu'elle se développe, le sens corporel disparaît, et lorsque le mental est devenu lui aussi tout à fait inactif, on sent que l'on est soi-même cette conscience qui s'étend à tout l'Infini.
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2274
Si ces phénomènes étaient imaginaires, vous seriez capable de les reproduire exactement chaque fois que vous y pensez. L'idée qu'ils sont imaginaires appartient au mental physique qui ne peut croire à rien de supraphysique.
Cette ouverture de la poitrine dans le vide (pas réellement le vide, mais l'âkâsha infini du Chit universel et illimité) est toujours le signe d'une ouverture de l'être émotif à l'immensité du Divin universel. Les sâdhak voient souvent l'image de l'âkâsha en dhyâna. Quand la conscience se libère, que ce soit dans le mental ou dans une autre partie de l'être, on a toujours cette:impression de vide immense et infini. Du haut de la tête à la. gorge se trouve le plan mental de l'être; si une ouverture et un vide ou une immensité comme celle-ci s'y produisent, c'est le signe que l'être mental se libère dans l'Universel.. De la gorge au ventre s'étend le vital supérieur ou région émotive. Au-dessous se trouve le plan vital inférieur.
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2275
C'est, je crois, davantage un oubli du corps qu'une absence d'identification avec lui. Dams une mentalisation ou une activité vitale intenses, le corps prend une importance secondaire et devient plus extérieur; la même chose peut se produire, dans une certaine mesure plus constamment, chez celui qui vit dans son mental ou son vital et s'identifie plus étroitement à eux. Mais c'est tout de même bien le mental dans le corps, le vital dans le corps. Il n'y a pas de libération, on ne s'en sépare pas complètement comme dans la libération spirituelle.
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2276
Non, il n'est pas possible au mental humain de vivre entièrement en lui-même au point de se désintéresser totalement du corps; une libération réelle ou complète est impossible sans la libération spirituelle. Tout ce que peut le mental, c'est s'absorber sans cesse en lui-même et négliger ou oublier le plus possible le corps. On constate souvent cela chez ceux qui mènent une vie mentale solitaire (les savants, les penseurs, etc.) et n'ont pas besoin de se soucier de leur gagne-pain, de leur famille, etc.
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2277
Le soleil qui se lève à l'horizon représente la lumière directe de la Vérité divine s'élevant dans l'être; le rayon dirigé vers le haut ouvre l'être à la Vérité telle qu'elle est au-dessus du mental, le rayon venant d'en face l'ouvre à ce que nous appelons la conscience cosmique; il se libère de la limitation personnelle, s'ouvre et commence à percevoir le mental universel, le physique universel, le vital universel. L'action sur le cœur était la pression de ce Soleil sur lui pour qu'il ait l'ouverture directe, afin que la conscience puisse devenir libre, vaste et tout entière en paix.
Il est très important que vous ayez été capable de rester immuable et impassible devant la pression adverse et de garder sans cesse la conscience de la Paix à l'arrière-plan. C'est le signe que cette conscience se consolide et devient plus efficace.
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2278
L'immensité vient quand on dépasse ou que l'on commence à dépasser la conscience individuelle et à s'étendre vers la conscience universelle. Mais le psychique peut être actif même dans la conscience individuelle.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.
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2279
Le psychique est le support de l'évolution individuelle; il est relié à l'universel à la fois par un contact direct et par l'intermédiaire du mental, du vital et du corps.
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2280
L'amour, la joie et le bonheur viennent du psychique. Le Moi donne la paix ou un Ânanda universel.
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2281
Le Moi ou Âtman est inactif; c'est la Nature (Prakriti) ou la Shakti qui agit. Quand on sent le Moi, c'est d'abord une existence, un silence, une liberté, une paix infinis que l'on sent; cela s'appelle l'Âtman ou le Moi. Toutes les actions qui se déroulent en lui sont ressenties, selon les réalisations, soit comme des forces de la Nature à l'œuvre dans cette immensité, soit comme la Shakti divine à l'œuvre, soit comme le Divin cosmique, soit comme leurs différents pouvoirs à l'œuvre. Ce n'est pas le Moi que l'on sent agir.
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2282
Quant au spectateur et aux anneaux du dragon, c'est l'image sino-japonaise de la force du monde s'étendant dans le cours de l'univers; elle exprime l'attitude du témoin qui voit tout cela et observe dans son déploiement le déroulement du jeu de la divine Lîlâ. C'est cette attitude qui donne le plus de calme, de paix, de samatā face à l'énigme du fonctionnement cosmique. Non que l'action et le mouvement ne soient pas acceptés: ils sont acceptés comme l'Œuvre divine qui conduit à des fins que le mental ne peut pas toujours voir immédiatement, mais dont l'âme devine, à travers tout, le but suprême et ce qui la guide en secret.
Il y a évidemment ensuite une expérience où se fondent les deux aspects du Divin Tout, Témoin et Acteur; mais cette position du spectateur vient d'abord et mène à cette seconde expérience plus complète. Elle donne l'équilibre, le calme, permet peu à peu de comprendre l'âme, la vie et leurs significations profondes sans lesquelles la pleine expérience supramentale ne peut venir.
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2283
Les forces universelles sont mues par leur propre force et par leur conscience intrinsèque; mais il y a aussi l'Esprit cosmique qui les soutient et détermine leur jeu par sa vision et sa volonté organisatrice, bien qu'il laisse les forces agir directement; c'est le jeu de la Prakriti universelle avec, à l'arrière-plan, le Pourousha universel qui regarde. Dans l'individu aussi, le Pourousha individuel peut, s'il le veut, non seulement consentir au jeu de la Prakriti, mais l'approuver, le rejeter ou exercer sa volonté pour qu'il change. Tout cela constitue le jeu lui-même, tel que nous le voyons ici-bas. Il y a quelque chose au-dessus, mais l'action de ce quelque chose est une intervention plutôt qu'un contrôle de tous les instants; le contrôle ne peut devenir direct et constant que lorsqu'on substitue au jeu des forces le gouvernement du Divin.
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2284
C'est dans la vraie conscience yoguique que l'on sent l'unité et que l'on y vit, sans être affecté par l'être extérieur et ses mouvements inférieurs, mais en les contemplant tout en souriant de leur ignorance et de leur petitesse. On deviendra beaucoup plus apte à manipuler ces choses extérieures si l'on maintient sans cesse cette séparation.
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2285
Ce sont les aspects Pourousha et Prakriti de la nature; l'un conduit à l'existence consciente pure, qui est statique, l'autre à la force consciente pure, qui est dynamique. L'obscurité passée d'où ils sont sortis est celle de l'ignorance, l'obscurité future que l'on sent au-dessus est la supraconscience. Mais évidemment cette supraconscience est en réalité lumineuse; seulement on ne voit pas sa lumière. Les trois formes de conscience sont les trois aspects de la Nature représentés par les trois gouna: la force du tamas subconscient, l'Inertie, qui est la loi de la Matière; la force du désir à moitié conscient, la Kinésis, qui est radjas, qui est la loi de Vie; et la force de Prakâsha sattwique, qui est la loi de l'Intelligence.
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2286
Il n'y a qu'un seul Pourousha; il agit selon la situation et le besoin de la conscience à un moment donné.
C'est la nature de l'action au-dessus du mental ordinaire ou dans la conscience cosmique qui a de multiples aspects.
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2287
La Prakriti n'est que la force exécutrice ou agissante; le Pouvoir derrière la Prakriti est Shakti, C'est la Chit-Shakti dans la manifestation: c'est la conscience spirituelle.
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2288
C'est vrai de la connaissance mentale et de la volonté mentale, non de la volonté-connaissance supérieure. Dans le supramental, connaissance et volonté ne font qu'un.
Toutes les énergies proviennent de Chit-Shakti, mais elles en diffèrent à mesure qu'elles descendent.
Il est vrai que la Vie est typiquement une Force; le Physique est typiquement substance, mais le dynamisme des deux provient de Chit; le dynamisme du mental aussi, tous les dynamismes.
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2289
Il y a une Force commune qui travaille en tous; une vibration de cette Force ou l'un quelconque de ses mouvements peut (elle ne le fait pas toujours) éveiller la même vibration chez quelqu'un d'autre.
Il y a un mouvement constant (Prakriti) et un constant silence (Pourousha).
Selon l'Oupanishad, il y a un éther d'Ânanda dans lequel tous vivent et respirent; s'il n'était pas là, nul ne pourrait vivre ni respirer.
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2290
La force "créée" n'est pas vôtre, c'est celle de la Prakriti; votre volonté la met en mouvement, elle ne la crée pas vraiment; mais une fois mise en mouvement, elle tendra à s'accomplir tant que le jeu des autres forces le permettra. Aussi, naturellement, si vous voulez l'arrêter, devrez-vous mettre en mouvement une force contraire suffisamment puissante pour s'opposer à son élan.
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2291
Cette vision est la perception du mouvement cosmique des choses qui se développent d'état en état et, à l'intérieur de ce mouvement, la perception des mouvements individuels qui le constituent. Il est possible aussi qu'elle signifie le Tout vu comme le Temps qui s'écoule, ou ce même Temps vu comme une dimension et entrecroisé avec l'Espace, comme la trame et la chaîne d'un tissu, etc.
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2292
Le monde est la forme, la réalité est le Divin. Il faut voir la présence dans la forme.
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2293
Le Divin est la Vérité suprême parce qu'il est l'Être suprême de qui tous sont issus et en qui tous demeurent.
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2294
Le Divin est ce dont tout est issu, en quoi tout vit, et retourner à la vérité du Divin maintenant obscurcie par l'Ignorance est le but de l'âme dans la vie. Dans sa suprême Vérité, le Divin est paix absolue et infinie, conscience, existence, pouvoir et Ânanda absolus et infinis.
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2295
Le Suprême ne peut pas créer par l'intermédiaire du Transcendant, puisque le Transcendant est le Suprême. C'est par l'intermédiaire de la Shakti cosmique que le Divin crée.
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2296
La Force cosmique est régie par le surmental. Le supramental n'agit pas sur elle directement; tout ce qui descend de ce plan se modifie pour traverser le surmental et prendre une forme atténuée, adaptée au plan où s'applique son action: mental, vital ou physique. Mais cette intervention est exceptionnelle dans le jeu habituel des forces cosmiques.
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2297
L'esprit cosmique contient le supramental, mais il le maintient au-dessus et agit pour le moment entre le surmental et le physique. C'est seulement quand l'Ignorance sera retirée que le supramental apportera directement sa contribution dynamique aux fonctionnements de la Nature cosmique ici-bas. Jusque-là il ne peut y en avoir que des reflets.
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2298
Il [l'Esprit cosmique] utilise la Vérité et le Mensonge, la Connaissance et l'Ignorance, et toutes les autres dualités comme des éléments dans la manifestation, et il élabore ce qui doit être élaboré jusqu'à ce que tout soit prêt pour un fonctionnement supérieur.
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2299
Les forces cosmiques ici-bas, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, sont des forces de l'Ignorance. Au-dessus d'elles est la Conscience-de-Vérité qui ne pourra se manifester que lorsque l'ego et le désir auront été surmontés: c'est la force de la Conscience-de-Vérité divine qui doit descendre; la Paix, la Lumière, la Connaissance, la Pureté, l'Ânanda supérieurs doivent agir sur les forces cosmiques dans l'individu pour les transformer et substituer la Conscience-de-Vérité au fonctionnement ordinaire.
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2300
Un cosmos, un univers est toujours une harmonie, sinon il ne pourrait pas exister, il volerait en éclats. Mais de même que certaines harmonies musicales sont construites, en partie ou principalement, à partir de discordances, de même notre univers (l'univers matériel) est discordant dans ses éléments pris séparément: les éléments individuels sont, dans une large mesure, discordants entre eux; c'est seulement grâce à la Volonté divine qui le soutient à l'arrière-plan que le tout est cependant une harmonie pour ceux qui le regardent avec 1g vision cosmique. Mais c'est une harmonie en évolution, en progrès; c'est-à-dire que tout se combine pour s'efforcer vers un but qui n'est pas encore atteint, et l'objet de notre yoga est de hâter l'arrivée à ce but. Lorsqu'il sera atteint, une harmonie fondée sur les harmonies se substituera à l'harmonie actuelle fondée sur les discordances. Telle est l'explication de l'apparence actuelle des choses.
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2301
Tout n'est pas parfait ici-bas, mais tout élabore la Volonté cosmique dans le cours des âges.
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2302
L'harmonie de la conscience inférieure est une harmonie entre des discordances produites par le conflit et le mélange des forces.
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2303
Cette vision est une représentation sonore de l'harmonie cosmique dont l'Ignorance représente une chute et une discordance.
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2304
En tout il y a un rythme, inaudible pour l'oreille physique, et par ce rythme les choses existent.
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2305
Ces deux sons [OM et les cloches d'église] indiquent d'ordinaire l'ouverture ou une tentative d'ouverture à la conscience cosmique.
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2306
C'est lorsque vous sentez la beauté ou la présence universelle ou divine dans les choses que les sens sont ouverts au Divin.
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2307
On peut vivre en contact avec le Divin, même parmi les forces universelles; mais pour vivre dans le Divin, il faut être capable soit de s'élever au-dessus de la Nature universelle inférieure, soit de faire descendre la Conscience divine ici-bas. Les débuts sont difficiles pour la plupart des chercheurs et ce n'est vraiment facile à aucun moment.
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2308
Être sans cesse immergé dans le Divin n'est pas si facile. On ne peut le faire qu'en s'absorbant dans son propre moi intérieur, ou par une conscience qui voit tout dans le Divin et le Divin en tout, et qui est constamment dans cet état. Personne n'y est encore arrivé.
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2309
L'Esprit ou Moi cosmique contient tout dans le cosmos; il soutient le Mental cosmique, la Vie universelle et la Matière universelle ainsi que le surmental. Le Moi est plus que toutes ces choses qui sont ses formulations dans la Nature.
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2310
[Les effets de l'ouverture au Mental cosmique:] On perçoit le Mental cosmique et les forces mentales qui s'y meuvent, et comment elles agissent sur son propre mental et celui des autres, et on est capable d'agir sur son propre mental avec une connaissance plus grande et un pouvoir plus efficace. Cette ouverture a bien d'autres effets, mais celui-ci est fondamental. Cela, évidemment, si l'on s'ouvre comme il convient et que l'on ne devient pas un simple champ d'action passif pour toutes sortes d'idées et de forces mentales.
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2311
L'ouverture au Mental cosmique rend, par exemple, plus aisée l'expérience du Divin partout, mais elle n'est pas d'essence spirituelle; à moins que ne viennent des expériences spirituelles plus vastes, elle peut ne pas être spirituelle du tout.
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2312
Ce qui vous arrive, c'est que vous êtes entré en contact avec le Mental cosmique où se meuvent toutes sortes d'idées, de possibilités, de formations. Le mental individuel adopte celles qui l'attirent ou qui peut-être prennent une forme particulière en l'atteignant. Mais ce sont des possibilités, non des vérités; mieux vaut donc ne pas les laisser se donner ainsi libre cours.
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2313
Le mental a ses propres domaines, la vie a ses propres domaines, tout comme la matière a les siens. Dans les domaines du mental, la vie et la substance sont entièrement subordonnées au Mental et obéissent à ses lois. Ici, sur terre, c'est l'évolution avec la matière comme point de départ, la vie comme milieu et le mental qui en émerge. Il y a de nombreux degrés, de nombreux domaines, de nombreuses combinaisons dans le cosmos; il y a même de nombreux univers. Le nôtre n'est qu'un univers parmi beaucoup d'autres.
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2314
[L'effet de l'ouverture à la Vie cosmique:] On commence à percevoir toutes les forces de vie et comment elles agissent sur soi-même et les autres, sur le mental, sur le corps, et aussi les mouvements de telle ou telle force derrière les événements. On commence aussi à percevoir directement le plan vital, ses mondes, ses êtres, et l'action directe de leurs formations sur la vie terrestre. En même temps, on doit devenir conscient de son propre être vital vrai et trouver en lui, et non dans le vital de surface ou de désir, la source de l'action dans tous ces domaines. Ces effets ne viennent pas tous à la fois; ils se développent à mesure que grandit le contact avec la Vie cosmique.
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2315
Le vital universel, en particulier, exerce une attirance trompeuse et déclenche un afflux exaltant de pouvoir (non de vrai pouvoir tranquille, mais simplement de force) et ceux qui s'y laissent prendre s'y cramponnent comme un ivrogne à sa boisson. De cela, ils tirent l'impression d'être forts, grands, pleins de choses intéressantes; quand on le leur enlève, ils se sentent "comme tout le monde" et demandent qu'on le leur rende.
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2316
Les forces universelles, ce sont toutes les forces, bonnes ou mauvaises, favorables ou hostiles, de lumière et d'ombre, qui se meuvent dans le cosmos.
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2317
La terre est un lieu d'évolution où toutes ces forces se rencontrent et essaient de se manifester; de leur action, quelque chose doit sortir. Sur d'autres plans (le mental, le vital, etc.)-, il n'y a pas d'évolution; là, chacune d'elles agit séparément selon sa propre loi.
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2318
"Universel" s'applique à tout dans l'univers; il y a des êtres individuels partout, mais ils ne sont pas physiques au sens terrestre du terme, car leur constitution est différente.
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2319
Non, ils [les êtres hostiles] ne créent pas de forces universelles; ils sont eux-mêmes mus par elles et les font mouvoir.
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2320
Oui, évidemment, il y a toujours un combat entre les forces de Lumière et les forces d'Obscurité.
Dans la sâdhanâ, il se concentre et nous en devenons conscients.
Quant aux êtres hostiles, ils sont toujours en train de se battre les uns contre les autres; mais ils font cause commune contre la Vérité et la Lumière.
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2321
Les forces sont conscientes. Il y a par ailleurs des êtres individualisés qui représentent les forces ou les utilisent. Le mur entre conscience et force, impersonnalité et personnalité s'amincit beaucoup lorsqu'on passe derrière le voile de la matière. Si l'on regarde un fonctionnement du point de vue de la force impersonnelle, on voit une force ou une énergie à l'œuvre, agissant dans un but ou en vue d'un résultat; si on le regarde du point de vue de l'être, on voit un être qui possède la force consciente, la guide et l'utilise, ou représente une force consciente qui l'utilise comme instrument de son action et de son expression particulières. Vous parlez d'ondes, mais la science moderne a découvert que si l'on observe le mouvement de l'énergie, il semble d'une part être une onde et se comporter comme une onde, et de l'autre être une masse de particules et se comporter comme une masse de particules, chacune agissant à sa propre manière. Ici c'est un peu le même principe.
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2322
Les Forces de la Nature sont des forces conscientes; elles peuvent fort bien combiner tout ce qui est nécessaire à une action et à un but, et quand un moyen échoue, en adopter un autre.
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2323
Oui, [les forces] sont capables d'agir avec plus de puissance lorsqu'elles peuvent faire une formation spéciale que si elles doivent mener une action psychologique générale, commune à toute la nature humaine.
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2324
Elles [les forces cosmiques] agissent sur tous, selon la nature de chacun, et aussi selon sa volonté et sa conscience.
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2325
L'égoïsme fait partie du mécanisme de la Nature universelle — il en est une partie importante — d'abord pour faire évoluer l'individualité à partir de la force et de la substance indistinctes de la Nature, et ensuite pour faire de l'individu (par le mécanisme de la pensée, du sentiment, de la volonté et du désir égoïstes) un outil des forces universelles. C'est seulement lorsqu'on entre en contact avec une Nature supérieure qu'il est possible de se libérer de cette domination de l'ego et de la sujétion à ces forces.
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2326
Oui, si l'on a l'expérience concrète [que toutes ses énergies et toutes ses capacités viennent des forces universelles], l'habitude de l'ego diminue beaucoup, mais elle ne disparaît pas complètement. Elle se réfugie dans le sentiment d'être un instrument, et si le psychique ne l'influence pas, l'ego peut fort bien préférer être l'instrument d'une Force quelconque qui nourrit sa satisfaction. Dans ce cas, il peut encore demeurer puissant, même s'il sent qu'il est un instrument et non l'acteur principal.
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2327
Si le psychique est actif, ou dans la mesure où il l'est, il recèle une sorte de détecteur automatique des forces universelles; il met en garde contre ce qui ne doit pas être (pas tellement par la pensée que par un sentiment essentiel) et le rejette, il accepte et transmue ce qui doit être.
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2328
Oui, c'est ainsi. Les forces universelles agissent très souvent par l'intermédiaire du subconscient, surtout quand l'individu a eu l'habitude d'obéir à la force qu'elles envoient et dont les germes, les impressions, les "complexes" sont fortement enracinés dans le subconscient, ou, même si ce n'est plus le cas, dont le souvenir continue à subsister dans le subconscient.
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2329
Il n'y a pas de règle pour cela. L'être humain n'est en général conscient qu'à la surface; mais la surface n'enregistre que les effets d'un travail subliminal. C'est souvent par l'intermédiaire des centres que les forces pénètrent, car c'est ainsi qu'elles ont le plus de pouvoir pour agir sur la nature, mais elles peuvent entrer par n'importe quelle voie.
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2330
Ils [la douleur et le chagrin] seraient plutôt l'effet de l'action des forces universelles, mais dans un certain sens on peut dire que le chagrin et la douleur sont des forces universelles, car souvent leurs ondes surviennent et envahissent l'être sans cause apparente.
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2331
[La mort] est une force universelle; l'événement ou changement appelé mort est simplement l'un des résultats du fonctionnement de cette force.
1 En français dans le texte.
2 Cet avertissement a été donné par Sri Aurobindo dans une longue lettre publiée pour la première fois en 1933, dans un recueil intitulé L'Énigme de ce Monde; elle figure (Regarde le fragment 2214)