SRI AUROBINDO
Lettres sur le Yoga
Volume 2. Section 2
8. Les relations humaines dans le yoga
1547
On dirait que vous n'avez pas compris le principe de notre yoga. L'ancien yoga exigeait un renoncement total, allant jusqu'à l'abandon de la vie du monde. Notre yoga, au contraire, a pour but une vie nouvelle et transformée. Mais il impose avec la même rigueur inexorable un rejet total du désir et de l'attachement dans le mental, la vie et le corps. Son but est de reconstruire les bases de la vie dans la vérité de l'esprit et, à cette fin, d'extirper du mental, de la vie et du corps les racines de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous faisons pour les transférer à une conscience plus grande, au-dessus du mental. Il s'ensuit que dans la vie nouvelle, toutes les relations devront être fondées sur une intimité spirituelle et sur une vérité toutes différentes de celles qui soutiennent nos relations actuelles. Quand vient l'appel d'en haut, il faut être prêt à renoncer à ces affections que l'on qualifie de naturelles. Les conserver, si peu que ce soit, n'est possible qu'au prix d'une mutation qui les transforme de fond en comble. La décision d'y renoncer ou de les conserver en les transformant doit toutefois être déterminée non par les désirs personnels, mais par la vérité supérieure. Tout doit être abandonné au Maître suprême du Yoga.
Le pouvoir qui est à l'œuvre dans notre yoga est d'un caractère minutieux et ne tolère en fin de compte rien de grand ni de petit qui soit un obstacle à la Vérité et à sa réalisation.
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1548
Les relations personnelles ne font pas partie du yoga. C'est seulement lorsqu'on a l'union avec le Divin qu'une relation spirituelle vraie avec les autres peut exister.
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1549
L'idée que tous les sâdhak doivent se tenir à distance les uns des autres et être à couteaux tirés est elle-même un préjugé auquel il faut renoncer. La loi de la vie yoguique est l'harmonie, non la discorde. Ce préjugé vient peut-être de la conception ancienne où le nirvana était le but; mais ici, le but n'est pas le nirvana. Le but, ici, est la réalisation du Divin dans la vie et à cette fin, l'unité et la solidarité sont indispensables.
L'idéal du yoga est de tout centrer sur le Divin et autour de lui et la vie des sâdhak doit se fonder solidement sur cette base; leurs relations personnelles doivent, elles aussi, avoir le Divin pour centre. En outre, la base de toutes les relations doit être transférée du vital au spirituel, le vital n'étant plus qu'une forme et un instrument du spirituel; quelles que soient, par conséquent, les relations des sâdhak entre eux, ils devront renoncer à toute jalousie, à tout conflit, à toute haine, aversion, rancœur et autres sentiments pervers du vital, car ces sentiments ne peuvent avoir aucune part dans la vie spirituelle. De même, tout amour égoïste, tout attachement égoïste devra disparaître aussi: cet amour qui n'aime que pour l'ego et qui, dès que l'ego est blessé et insatisfait, cesse d'aimer ou même se complaît dans la rancœur et la haine. Il doit y avoir derrière l'amour une unité réelle, vivante et durable. Il va de soi que tout ce qui ressemble à l'impureté sexuelle doit disparaître aussi.
Tel est l'idéal, mais la manière de l'atteindre peut varier selon les individus. L'une des voies consiste à tout quitter pour ne suivre que le Divin. Elle n'entraîne aucune aversion pour quiconque, pas plus qu'une aversion à l'égard du monde et de la vie. Il s'agit seulement de s'absorber dans le but central, l'idée étant qu'une fois celui-ci atteint, il sera facile de fonder toutes les relations sur une vraie base, de s'unir véritablement aux autres dans le cœur, l'esprit et la vie, d'être uni à eux dans la vérité spirituelle et dans le Divin. L'autre voie consiste à partir d'où l'on est et à aller de l'avant, avec pour préoccupation centrale la recherche du Divin et en y subordonnant tout le reste, sans pour autant le laisser de côté, mais en cherchant plutôt à transformer peu à peu, progressivement, tout ce qui est capable d'une telle transformation. Tout ce qui, dans la relation, est indésirable: impureté sexuelle, jalousie, colère, exigence égoïste, s'élimine à mesure que l'être intérieur se fait plus pur, pour être remplacé par l'unité d'âme à âme et par la cohésion de la vie en société dans le cercle du Divin.
Non pas qu'il soit impossible d'avoir des relations personnelles en dehors du cercle des sâdhak, mais là encore, si la vie spirituelle grandit au-dedans, elle aura forcément une influence sur la relation qu'elle spiritualisera dans le sâdhak. Et aucun attachement ne doit exister qui soit de nature à faire de cette relation un obstacle au Divin ou à rivaliser avec lui. Il en est souvent ainsi de l'attachement à la famille, etc., et si tel est le cas, cet attachement quitte le sâdhak. Je ne crois pas que l'on puisse considérer cette exigence comme excessive. Tout cela peut cependant se faire peu à peu; couper court aux relations existantes est nécessaire pour certains, il n'en est pas de même pour tous. Une transformation, si graduelle soit-elle, est indispensable, et une rupture là où la rupture s'impose.
P.S. — Je dois aussi répéter que chaque cas est différent: une règle unique pour tous n'est ni pratique, ni praticable. Ce dont chacun a besoin pour son progrès spirituel est le seul impératif à garder présent à l'esprit.
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1550
L'absence d'amour et de sympathie n'est pas nécessaire pour se sentir proche du Divin; au contraire, un sentiment de rapprochement et d'unité avec les autres fait partie de la conscience divine dans laquelle le sâdhak pénètre en se sentant proche du Divin et uni à lui. Le but final du mâyâvâdin est certes un rejet complet de toutes les relations et dans le yoga ascétique, la perte totale de tous les rapports d'amitié et d'affection, de tout attachement au monde et aux êtres qui y vivent serait considérée comme le prodrome d'un pas en avant vers la libération, môksha; mais je crois que même dans ce cas, un sentiment d'unité et de sympathie spirituelle détachée à l'égard de tous est au moins, comme la compassion bouddhiste, l'avant-dernier stade qui précède le tournant vers le môksha ou le nirvana. Dans notre yoga, le sentiment d'unité avec les autres, l'amour, la joie universelle et l'Ânanda forment une partie essentielle de la libération et de la perfection qui sont le but de la sâdhanâ.
Par ailleurs la société humaine, l'amitié humaine, l'amour, l'affection, la sympathie reposent principalement et en général — pas entièrement, ni dans tous les cas — sur une base vitale et sont, à leur centre, sous l'emprise de l'ego. C'est en raison du plaisir d'être aimé, du plaisir d'élargir l'ego par les contacts, par l'interpénétration des esprits, en raison de l'exaltation produite par l'échange vital qui nourrit leur personnalité, que les êtres humains aiment d'ordinaire; et d'autres mobiles, plus égoïstes encore, se mêlent aussi à ce mouvement essentiel. Bien entendu, des éléments spirituels, psychiques, mentaux, vitaux plus élevés interviennent ou peuvent intervenir; mais tout est très mélangé, même dans le meilleur des cas. C'est pourquoi à un certain stade, avec ou sans raison apparente, le monde, la vie, la société et les relations humaines, comme la philanthropie (qui est entachée d'ego tout autant que le reste) commencent à devenir insipides. Il y a parfois à cela une raison apparente: le vital de surface subit une déception, les proches retirent leur affection, on s'aperçoit que ceux que l'on aimait ou que les hommes en général ne sont pas ce que l'on croyait, et quantité d'autres raisons; souvent, cependant, la cause en est, dans une certaine partie de l'être intérieur, une déception cachée qui ne se transmet pas ou se transmet mal au mental, parce qu'il attendait de ces sentiments quelque chose qu'ils ne peuvent pas donner. Beaucoup l'ont éprouvé, parmi ceux qui se tournent vers la vie spirituelle ou y sont poussés. Pour certains cela prend la forme d'un vairāgya qui les mène à l'indifférence ascétique et leur donne l'ardent désir du môksha. Pour nous, ce que nous tenons pour nécessaire, c'est que le mélange disparaisse et que la conscience s'établisse à un niveau plus pur (non seulement une conscience spirituelle et psychique, mais une conscience mentale, vitale, physique plus pure et plus élevée) où ce mélange n'existe pas. On sentirait alors le véritable Ânanda de l'unité, de l'amour, de la sympathie, de la camaraderie, l'Ânanda spirituel qui à la base existe en lui-même, mais s'exprime au moyen des autres parties de la nature. Pour que cela se produise, il est évident qu'une transformation doit intervenir: ces mouvements doivent perdre leur ancienne forme qui laissera place à un moi nouveau et supérieur, afin qu'il dévoile sa propre manière de s'exprimer, de se réaliser et de réaliser le Divin au moyen de ces sentiments: telle est la vérité intérieure de la question.
L'état que vous décrivez est donc, je suppose, une période de transition et de changement — état négatif au début, comme le sont souvent ces mouvements — qui a pour but de créer un espace vide où le nouvel état positif pourra apparaître, dans lequel il vivra et qu'il remplira. Mais le vital, n'ayant pas eu une expérience prolongée, tout à fait satisfaisante ou complète de ce qui doit remplir ce vide, ne ressent que la perte et s'en afflige, alors qu'une autre partie de l'être, ou même une autre partie du vital, est prête à laisser aller ce qui disparaît et ne tient pas à le garder. Si ce n'était ce mouvement du vital (qui a été chez vous très puissant, très vaste, très avide de vie), cette disparition n'apporterait, du moins après une première sensation de vide, qu'un sentiment de paix, de délivrance, d'attente tranquille de choses plus grandes. La paix et la joie qui vous sont venues sous la forme du contact de Shiva vous ont donné une indication de ce qui, dans un premier temps, doit remplir le vide; naturellement ce n'est pas la totalité, mais seulement un commencement, une base pour un nouveau moi, une nouvelle conscience, une activité de nature plus grande: comme je vous l'ai dit, une paix et un calme spirituels profonds sont la seule fondation stable d'une Bhakti et d'un Ânanda durables. Dans cette nouvelle conscience, il y aurait une base nouvelle pour les relations avec les autres; car votre destinée spirituelle ne peut pas être un ascétisme aride ou un isolement solitaire, puisque cela n'est pas en harmonie avec votre svabhāva qui est fait pour la joie, l'immensité, l'expansion, un mouvement global de la force de vie. Ne vous découragez donc pas; attendez le mouvement purificateur de Shiva.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 6.
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1551
J'ai toujours dit que le vital était indispensable à l'action divine ou spirituelle: sans lui, il ne peut y avoir aucune expression complète, aucune réalisation dans la vie, et même guère de réalisation dans la sâdhanâ. Quand je parle d'un mélange du vital ou de ses obstructions, de ses révoltes, etc., c'est du vital extérieur non régénéré, plein de désir, d'ego et de passions inférieures que je veux parier. Je pourrais m'élever de la même façon contre le mental et le physique lorsqu'ils obstruent ou contrecarrent la sâdhanâ, mais précisément parce que le vital est si puissant et si indispensable, son obstruction, son opposition ou son refus de coopérer sont d'une surprenante efficacité et les erreurs qu'il introduit sont plus dangereuses pour la sâdhanâ. C'est pour cette raison que j'ai toujours dénoncé avec insistance les dangers du vital non régénéré et fait ressortir la nécessité de le maîtriser et de le purifier, et non pour soutenir, comme les sannyâsî, que le vital et son pouvoir de vie doivent être condamnés et rejetés de par leur nature même.
L'affection, l'amour, la tendresse sont, par nature, psychiques; le vital les ressent parce que le psychique essaie de s'exprimer au moyen du vital. C'est par l'intermédiaire de l'être émotif que le psychique s'exprime le plus facilement, car il se tient juste derrière lui dans le centre du cœur. Mais il veut que ces sentiments soient purs. Non qu'il refuse, pour s'exprimer au-dehors, de se servir du vital et du physique, mais comme l'être psychique est la forme de l'âme, il est naturel que l'attirance d'âme à âme, l'union de l'âme avec l'âme soient pour lui ce qu'il y a de plus durable et de plus concret. Le mental, le vital et le corps sont des moyens d'expression, et comme tels ils sont très précieux, mais la vie intérieure est, pour l'âme, primordiale, elle est la réalité la plus profonde; ils doivent donc lui être subordonnés et se soumettre à ses conditions: ils doivent être son expression, ses instruments, son canal. Je ne pense pas qu'en insistant sur le domaine intérieur, celui du psychique et du spirituel, je dise quoi que ce soit de nouveau, d'étrange ou d'inintelligible. Ces choses ont toujours fait l'objet, depuis les origines, d'une insistance particulière, et plus l'être humain est évolué, plus s'accroît leur importance. Je ne vois pas comment le yoga pourrait exister sans cette prépondérance accordée à la vie intérieure, à l'âme et à l'esprit. Préconiser la maîtrise du vital, sa subordination et sa sujétion au spirituel et au psychique n'a rien non plus de nouveau, d'étrange ni d'exorbitant. On lui a toujours accordé une importance primordiale dans toutes les formes de vie spirituelle; même les yogas qui cherchent le plus à utiliser le vital, comme certaines formes du vishnouïsme, exigent cependant qu'il soit purifié et offert tout entier au Divin. Toute réalisation du Divin est une réalisation intérieure; seulement ici, l'âme s'offre par l'intermédiaire de l'être émotif. L'âme, l'être psychique, n'est pas quelque chose d'incompréhensible ou dont on n'a jamais entendu parler.
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1552
On ne peut évidemment pas se fier à l'affection humaine, tant elle est fondée sur l'égoïsme et le désir; c'est une flamme de l'ego, tantôt trouble et brumeuse, tantôt plus claire et plus brillamment colorée; tantôt tamasique, fondée sur l'instinct et l'habitude, tantôt radjasique et nourrie par la passion ou la soif d'échange vital, tantôt plus sattwique et qui s'efforce d'être ou de paraître, à ses propres yeux, désintéressée. Mais fondamentalement, son existence repose sur un besoin personnel ou une contrepartie quelconque, intérieure ou extérieure, et quand le besoin n'est pas satisfait, quand la contrepartie cesse d'être accordée ou ne l'est pas, très souvent elle diminue, meurt ou ne subsiste plus que comme le vestige tiède ou troublé d'une habitude passée; ou encore elle se tourne ailleurs pour se satisfaire. Plus elle est intense, plus elle tend à être perturbée par des tumultes, des heurts, des querelles, des troubles égoïstes de toutes sortes, des mouvements égoïstes, des exigences, des égarements pouvant aller jusqu'à la fureur et la haine, des ruptures. Non que ces affections ne soient pas durables: les affections tamasiques instinctives durent à cause de l'habitude, en dépit de tout ce qui divise les personnes, comme par exemple certaines affections familiales; les affections radjasiques peuvent quelquefois durer en dépit de toutes les perturbations, incompatibilités et ruptures violentes, parce que l'un a un besoin vital de l'autre et s'y accroche pour cette raison, ou parce que tous deux ont ce besoin et sans arrêt se séparent pour revenir et reviennent pour se séparer ou vont de querelle en réconciliation et de réconciliation en querelle; les affections sattwiques durent très souvent par devoir vis-à-vis d'un idéal ou par quelque autre soutien, bien qu'elles puissent perdre de leur acuité, de leur intensité ou de leur éclat. Mais on ne peut vraiment compter sur une affection que lorsque l'élément psychique dans l'affection humaine devient assez fort pour nuancer ou dominer le reste. Pour cette raison, l'amitié est ou plutôt peut, le plus souvent, être la plus durable des affections humaines, parce qu'en elle le vital intervient dans une moindre mesure et, bien qu'elle soit une flamme de l'ego, elle peut brûler d'un feu tranquille et pur qui donne en permanence sa chaleur et sa lumière. On ne peut néanmoins avoir une amitié fiable qu'avec un très petit nombre de personnes; une horde d'amis affectueux et fidèlement désintéressés est un phénomène si rare que l'on peut sans risque le taxer d'illusion... De toute façon l'affection humaine, quelle que soit sa valeur, a sa place, car par elle l'être psychique reçoit les expériences émotives dont il a besoin jusqu'à ce qu'il soit prêt à préférer le vrai à l'apparence, le parfait à l'imparfait, le divin à l'humain. De même que la conscience doit s'élever au niveau supérieur, de même les activités du cœur doivent, elles aussi, s'élever au niveau supérieur et changer de base et de caractère. Le yoga consiste à fonder toute la vie et toute la conscience sur le Divin; aussi l'amour et l'affection doivent-ils de même s'enraciner dans le Divin; ils doivent avoir pour base une unité spirituelle et psychique dans le Divin; atteindre le Divin d'abord, en laissant le reste de côté, ou chercher le Divin seul est la route directe vers cette mutation. Cela veut dire: pas d'attachement; cela ne veut pas forcément dire: transformer l'affection en dégoût ou en indifférence glacée. Mais X semble vouloir introduire ses émotions vitales telles quelles dans le Divin. Laissez-le essayer, ne l'importunez pas avec des critiques et des sermons; si ce n'est pas possible, il faudra bien qu'il s'en rende compte par lui-même.
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1553
Ce n'est pas à cause de votre nature ou d'un destin néfaste que votre vital ne peut pas trouver dans les relations avec les autres la satisfaction qu'il en attendait. Ces relations ne peuvent jamais donner une satisfaction complète ou permanente; si c'était possible, l'être humain n'aurait aucune raison de chercher le Divin. Il demeurerait satisfait de la vie terrestre ordinaire. C'est seulement lorsqu'on a trouvé le Divin, lorsque la conscience s'élève à la vraie conscience, que les vraies relations avec les autres peuvent s'établir.
En disant qu'il n'y avait pas de mal à cela, je voulais dire que mieux valait confier à Mère ce que vous aviez en tête plutôt que de continuer à l'agiter en vous. Mais cela fait, il faudrait que tout soit chassé du mental qui devrait retrouver sa tranquillité.
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1554
Ces mouvements font partie de la nature vitale ignorante de l'homme. L'amour que deux êtres humains ressentent l'un pour l'autre est aussi, en général, un amour vital égoïste, et ces autres mouvements: revendications, exigences, jalousie, abhimāna, colère, etc., l'accompagnent fréquemment. Ils n'ont pas leur place dans le yoga, pas plus que dans l'amour vrai, psychique ou divin. Dans le yoga, tout l'amour devrait être tourné vers le Divin et ne s'adresser aux humains ou à d'autres êtres qu'en tant qu'ils sont des réceptacles du Divin: l'abhimāna et le reste ne devraient y avoir aucune place.
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1555
Tout cela n'est évidemment pas de l'amour, mais de l'amour-propre. La jalousie n'est qu'une forme détestable de l'amour-propre. C'est ce que les gens ne comprennent pas: ils croient même que les exigences, la jalousie, la vanité blessée sont des signe de l'amour ou du moins ses compagnons naturels.
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1556
Le mouvement du vital supérieur est plus raffiné et plus vaste dans son action que celui du vital ordinaire. Il met l'accent sur l'émotion plutôt que sur la sensation et le désir, mais il n'est pas dénué d'exigence et de désir de possession.
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1557
Les relations qui, dans la vie humaine, font partie de la nature vitale ordinaire, sont sans valeur dans la vie spirituelle; elles font plutôt obstacle au progrès; car le mental et le vital devraient eux aussi se tourner tout entiers vers le Divin. En outre, l'objectif de la sâdhanâ est de pénétrer dans une conscience spirituelle et de tout fonder sur une base spirituelle nouvelle, ce qui ne peut se faire que lorsqu'on est parvenu à une union complète avec le Divin. En attendant, il faut avoir pour tous une bienveillance tranquille, mais les relations vitales ne sont pas une aide, car elles maintiennent la conscience en bas, à un niveau vital, et l'empêchent de s'élever à un niveau supérieur.
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1558
Il est facile de répondre à votre question sur l'âme complémentaire et le mariage: la voie de la vie spirituelle va pour vous dans une direction, le mariage dans une autre qui lui est tout à fait opposée. Toute référence à une âme complémentaire est un camouflage sous lequel le mental cherche à dissimuler les besoins sentimentaux, sensuels et physiques de la nature vitale inférieure. C'est cette nature vitale en vous qui pose la question et aimerait recevoir une réponse qui réconcilierait ses désirs et ses exigences avec l'appel de l'âme vraie en vous. Mais elle ne doit pas s'attendre à nous voir approuver la réconciliation d'éléments aussi disparates. La voie du yoga supramental est claire: elle ne passe pas par de telles concessions; pas, dans votre cas, par la satisfaction, si possible sous couvert d'apparences spirituelles, de l'appétit de la nature vitale pour les conforts et les agréments d'une vie domestique et conjugale et pour l'assouvissement des désirs émotifs et des passions physiques ordinaires, mais par la purification et la transformation des forces que ces mouvements pervertissent et utilisent à contre-sens. Non pas ces exigences humaines et animales, mais l'Ânanda divin qui est au-dessus et au-delà d'elles et que l'abandon à ces formes dégradées de lui-même empêcherait de descendre: tel est le but grandiose auquel l'être vital du sâdhak doit aspirer.
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1559
Un échange vital humain ne peut pas être un vrai soutien pour la sâdhanâ; il ne pourrait au contraire que la détériorer et la déformer en induisant la conscience à se duper elle-même et en menant l'être émotif et la nature vitale dans la mauvaise direction.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 2.
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1560
Ce que vous écrivez au sujet des liens familiaux est parfaitement exact. Ils créent un échange inutile et empêchent l'être de se tourner tout entier vers le Divin. Lorsqu'on s'est engagé dans la voie du yoga, les relations doivent se fonder de moins en moins sur une origine physique ou sur les habitudes de la conscience physique, et de plus en plus sur la base de la sâdhanâ: de sâdhak à sâdhak, en considérant les autres comme des âmes cheminant sur le même sentier ou comme des enfants de la Mère, et non à la manière ordinaire ou dans la perspective passée.
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1561
Quand on aborde la vie spirituelle, les liens familiaux, qui appartiennent à la nature ordinaire, disparaissent; on devient indifférent aux choses du passé. Cette indifférence est une libération. Elle peut fort bien ne contenir aucune rudesse. Demeurer lié aux anciennes affections physiques serait demeurer lié à la nature ordinaire et interdirait tout progrès spirituel.
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1562
L'attachement aux parents appartient à la nature physique ordinaire; il n'a rien à voir avec l'Amour divin.
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1563
C'est là [la dette de l'enfant envers son père parce qu'il l'a élevé] une loi de la société humaine, non une loi du karma. L'enfant n'a pas demandé au père de le mettre au monde, et si le père a agi pour son propre plaisir, le moins qu'il puisse faire est d'élever l'enfant. Toutes ces relations sont des relations sociales (et la dette n'est pas du tout non plus à sens unique, de l'enfant envers le père), mais quelles qu'elles soient, elles cessent d'exister dès que l'on se consacre à la vie spirituelle. Car la vie spirituelle ne repose en rien sur les relations physiques extérieures; c'est dès lors au Divin seul que l'on a affaire.
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1564
Lorsque l'être intérieur se tourne vers le Divin, il s'éloigne naturellement des anciennes relations vitales, des mouvements et des contacts extérieurs du passé, jusqu'à ce qu'il puisse apporter dans l'être extérieur une conscience nouvelle.
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1565
Le mouvement dont vous parlez n'est pas psychique, mais émotif. C'est une force vitale émotive que vous émettez et gaspillez. Elle est de plus néfaste car, tandis que d'un côté vous essayez de rejeter une relation ou un lien vital du passé avec ces personnes, vous rétablissez d'une autre manière, par ce mouvement, une relation vitale avec elles. S'il y avait quelque chose de faux dans votre premier mouvement, c'est là une manière tout à fait fausse d'y remédier.
Le rejet ne devrait certes s'accompagner d'aucun sentiment violent contre quiconque, parce que la violence est le signe d'une certaine faiblesse dans le vital qui doit être corrigée, et pour nulle autre raison. Le rejet doit être tranquille, ferme, sûr de lui, décisif; alors il deviendra radical et efficace.
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1566
C'est à mesure que grandit l'amour pour le Divin que les autres affections cessent de troubler le mental.
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1567
L'influence de l'amour pour le Divin, quand il prend possession d'une partie quelconque de l'être, a pour effet d'orienter cette partie vers le Divin — c'est ce que vous décrivez comme une "concentration sur la Mère" — et tout finit par se rassembler et s'harmoniser autour de cette tendance centrale de l'être. La difficulté réside dans les parties mécaniques de l'être où les anciennes pensées poursuivent leur ronde par habitude. Si la concentration continue à croître, leur activité devient quelque chose de négligeable, à la périphérie du mental, et finit par s'évanouir pour être remplacé par des phénomènes qui appartiennent à la nouvelle conscience.
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1568
La solitude intérieure ne peut être guérie que par l'expérience intérieure de l'union avec le Divin: aucune relation humaine ne peut remplir ce vide. Dans la vie spirituelle, l'harmonie avec les autres doit de même se fonder non sur des affinités mentales et vitales, mais sur la conscience divine et l'union avec le Divin. Quand on sent le Divin et que l'on sent les autres dans le Divin, alors vient l'harmonie réelle. En attendant, il peut y avoir la bienveillance et l'unité fondées sur la perception d'un but divin commun et sur le sentiment que l'on est, comme tous les autres, un enfant de la Mère... L'harmonie réelle ne peut venir que d'une base psychique ou spirituelle.
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1569
Être seul avec le Divin est, pour le sâdhak, le plus haut de tous les états privilégiés, car c'est là qu'il se rapproche le plus, intérieurement, du Divin; cet état peut faire de l'existence tout entière une communion dans la chambre du cœur autant que dans le temple de l'univers. De plus, c'est le commencement et la base de l'unité véritable avec tous les êtres, car ainsi cette unité s'établit sur sa base véritable, sur le Divin; c'est en effet dans le Divin que l'être les rencontre tous et s'unit à tous, et non plus dans un échange précaire au niveau de l'ego mental et vital. Ne redoutez donc pas la solitude, mais placez votre confiance en la Mère et avancez sur le Sentier dans sa force et sa Grâce.
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1570
L'amour du sâdhak doit être pour le Divin. C'est seulement quand il a cela pleinement qu'il peut aimer les autres de la vraie manière.
Lumières sur le Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.
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1571
Se donner à quelqu'un de l'extérieur, c'est sortir de l'atmosphère de la sâdhanâ et se donner aux forces du monde extérieur. On peut avoir un sentiment psychique d'amour pour quelqu'un, un amour universel pour toutes les créatures, mais on ne doit se donner qu'au Divin.
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1572
On ne peut pas dire que ces affinités soient bonnes ou mauvaises d'une manière générale. Tout dépend de la personne, des effets qu'elles produisent et de bien d'autres choses. En règle générale, toutes ces affinités doivent être offertes au Divin avec le reste de l'ancienne nature, afin que seul ce qui est en harmonie avec la Vérité divine soit conservé et puisse être transformé pour qu'elle travaille en vous. Toutes les relations avec les autres doivent être des relations dans le Divin et non appartenir à l'ancienne nature personnelle.
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1573
Il existe un amour où l'émotion est tournée vers le Divin dans une réceptivité et une union croissantes. Ce qu'il reçoit du Divin, il le répand sur les autres, mais avec libéralité et sans rien demander en retour; si vous en êtes capable, alors c'est la manière la plus haute et la plus satisfaisante d'aimer.
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1574
Une relation personnelle se forme lorsque deux personnes ont l'une pour l'autre un regard exclusif. Dans notre yoga, la règle concernant les relations personnelles est la suivante: (1) toute relation personnelle doit disparaître dans l'unique relation entre le sâdhak et le Divin; (2) toutes les relations personnelles (psychiques/spirituelles) doivent procéder de la Mère divine, être déterminées par elle et faire partie de la relation unique avec la Mère divine. Dans la mesure où une relation personnelle se conforme à cette double règle et n'admet aucune complaisance physique, aucune déformation ni aucune immixtion du vital, elle peut exister. Mais jusqu'à présent, le supramental n'a pas encore pris possession de tout, il est seulement en train de descendre et des luttes se livrent encore au niveau du vital et du physique; il faut donc observer une grande prudence, plus grande qu'il ne serait nécessaire si la transformation supramentale était déjà là. Les deux personnes doivent être en relation directe avec la Mère et dans une totale dépendance à son égard; elles doivent veiller à ce que cette relation demeure et que rien ne diminue sa totalité ni ne la contredise si peu que ce soit.
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1575
La seule relation admissible ici entre un sâdhak et une sâdhikâ est la même qu'entre sâdhak et sâdhak ou entre sâdhikâ et sâdhikâ: c'est la relation amicale qui existe entre ceux qui suivent le même sentier de yoga et sont des enfants dé la Mère.
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1576
D'une manière générale, la seule méthode pour qu'un homme et une femme réussissent à maintenir entre eux les relations yoguiques libres et naturelles qui devraient exister, dans notre yoga, entre un sâdhak et une sâdhikâ est que chacun soit capable de rencontrer l'autre sans penser le moins du monde que l'un est un homme et l'autre une femme; tous deux sont simplement des êtres humains, tous deux sont des sâdhak, tous deux s'efforcent de servir le Divin, cherchent le Divin seul et rien d'autre. Imprégnez-vous-en complètement et il est probable qu'aucune difficulté n'apparaîtra.
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1577
Vous êtes censés avoir entre vous une relation de sâdhak, faite de bonne volonté et de sentiments amicaux, mais aucune relation particulière de caractère vital. C'est seulement dans le cas où vous ne pouvez rencontrer une certaine personne sans qu'apparaisse cette relation vitale qu'il est préférable de ne pas la rencontrer.
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1578
Quant à tout orienter vers le Divin, c'est un conseil de perfection qui s'adresse à ceux qui veulent voyager sans bagage. Autrement l'amitié entre hommes, entre un homme et une femme ou entre femmes n'est pas interdite, à condition qu'elle soit une véritable amitié et que le sexe n'intervienne pas; à condition aussi qu'elle ne détourne pas du but. Si la motivation centrale est forte, c'est suffisant [...]. En parlant de relations personnelles, je ne voulais certes pas parler d'indifférence pure, car l'indifférence ne crée pas une relation: elle tend au contraire à l'absence totale de relation. L'amitié émotive n'est pas forcément un obstacle.
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1579
L'amitié est certes plus facile entre hommes ou entre femmes qu'entre un homme et une femme, parce que là l'intrusion du sexe est normalement absente. Dans une amitié entre un homme et une femme, la tendance sexuelle peut à tout moment intervenir d'une manière subtile ou directe et causer des perturbations. Mais il n'est pas impossible qu'il existe, entre un homme et une femme, une amitié pure de cet élément; de telles amitiés sont possibles et ont toujours existé. Tout ce qu'il faut, c'est que le vital inférieur ne s'introduise pas par la petite porte ou qu'on ne lui permette pas d'entrer. Il existe souvent une harmonie entre une nature masculine et une nature féminine, une attirance ou une affinité qui repose sur autre chose qu'une quelconque base vitale inférieure (sexuelle), visible ou cachée, et qui parfois dépend surtout, pour subsister, du mental, du psychique ou du vital supérieur, et parfois d'une combinaison des trois. Dans un cas de ce genre l'amitié est naturelle et il y a peu de chances que d'autres éléments s'y introduisent pour la tirer vers le bas ou la briser.
C'est aussi une erreur de croire que seul le vital est chaleureux et que le psychique serait quelque chose de glacé qui ne contiendrait aucune flamme. Une bienveillance claire et limpide est une bonne et belle chose. Mais ce n'est pas ce que l'on entend par amour psychique. L'amour est amour et pas seulement bienveillance. L'amour psychique peut avoir une chaleur et une flamme aussi intenses et même plus intenses que l'amour vital, seulement son feu est pur, il n'a pas besoin, pour subsister, de satisfaire le désir de l'ego ou de dévorer le combustible qu'il étreint. Sa flamme est blanche et non rouge; mais la chaleur blanche n'est pas moins ardente que la rouge. Il est vrai que l'amour psychique n'a pas, en général, la possibilité de se donner libre cours dans les relations humaines et la nature humaine; il lui est plus facile de trouver la plénitude de son feu et de son extase quand il est soulevé vers le Divin. Dans les relations humaines, l'amour psychique se mêle à d'autres éléments qui cherchent aussitôt à s'en servir et à l'éclipser. Rares sont les moments où il trouve un exutoire pour libérer pleinement ses intensités. Autrement il n'interviendra que comme un élément de l'amour; même ainsi, cependant, il introduit dans un amour fondamentalement vital tous les sentiments élevés; c'est du psychique que viennent tous ces beaux sentiments: douceur, tendresse, fidélité, don de soi, sacrifice, rencontre d'âme à âme, sublimations idéalisantes qui soulèvent l'amour humain au-dessus de lui-même. S'il pouvait dominer, gouverner, transmuer les autres éléments mentaux, vitaux, physiques de l'amour humain, alors l'amour pourrait être sur terre un reflet ou une préparation du véritable amour, une union intégrale de l'âme et de ses instruments en une existence duelle. Mais il est rare de rencontrer ne serait-ce qu'une apparence, même imparfaite, d'un tel amour.
De notre point de vue, ce qui est normal dans le yoga, c'est de diriger vers le Divin toute la flamme de la nature, tandis que le reste doit attendre sa vraie base: construire quelque chose de plus grand sur le sable et la boue de la conscience ordinaire n'est pas sans risque. Les amitiés et les camaraderies ne sont pas, de ce fait, nécessairement exclues, mais elles doivent être complètement subordonnées au feu central. Si, dans l'intervalle, on fait de la relation avec le Divin son but unique et l'on s'y absorbe, c'est tout à fait naturel et la sâdhanâ y acquiert toute sa force. L'amour psychique trouve lui-même sa plénitude quand il est l'irradiation de la conscience plus divine que nous recherchons; jusque-là, il lui est difficile de se déployer et de se manifester intégralement dans tout son éclat.
P.S. — Le mental, le vital, le physique sont à proprement parler des instruments pour l'âme et l'esprit; quand ils œuvrent pour eux-mêmes, leurs produits sont ignorants et imparfaits; s'ils peuvent être transformés en instruments conscients du psychique et de l'esprit, alors ils atteignent leur réalisation divine: telle est l'idée contenue dans ce que nous appelons, dans notre yoga, la transformation.
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1580
Le yoga n'exclut pas l'amitié ou l'affection. L'amitié avec le Divin est une relation reconnue dans la sâdhanâ. Les amitiés entre sâdhak existent et la Mère les encourage. Seulement nous cherchons à les établir sur une base plus sûre que la fondation précaire qui est celle de la plupart des amitiés humaines. C'est précisément parce que nous tenons pour sacrés ces sentiments d'amitié, de fraternité et d'amour que nous voulons cette transformation: parce que nous ne voulons pas les voir brisés à tout moment par les mouvements de l'ego, souillés, gâtés et détruits par les passions, les jalousies, les traîtrises auxquelles le vital est prédisposé: c'est pour les rendre véritablement sacrés et sûrs que nous les voulons enracinés dans l'âme, fondés sur le roc du Divin. Notre yoga n'est pas une ascèse: il a pour but la pureté, non une austérité froide. L'amitié et l'amour sont des notes indispensables dans l'harmonie à laquelle nous aspirons. Ce n'est pas un vain rêve, car nous avons vu que même dans des conditions imparfaites, quand un petit peu de l'élément indispensable est là à la racine même, la chose est possible. C'est difficile? Les vieux obstacles se cramponnent avec obstination? Mais aucune victoire ne peut être remportée sans une fidélité stable au but et un long effort. Il n'y a rien d'autre à faire que de persévérer.
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1581
Dans le yoga, l'amitié peut rester, mais l'attachement doit disparaître, comme toute affection assez absorbante pour vous maintenir enchaîné à la vie et à la conscience ordinaires.
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1582
Tout attachement est un obstacle à la sâdhanâ. Vous devriez avoir de la bonne volonté envers tous, de la bonté psychique pour tous, mais pas d'attachement vital.
Lumières sur le Yoga, chapitre 3. Traduction de la Mère.
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1583
Si vous vous attendez à être récompensé de votre bonté, vous serez inévitablement déçu. Seuls ceux qui donnent l'amour pour lui-même, ou la bonté pour elle-même, sans rien attendre en retour, échappent à cette mésaventure. De plus une relation ne peut s'établir sur une base sûre que lorsqu'elle est dénuée d'attachement ou qu'en elle le psychique prédomine des deux côtés.
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1584
Il existe un sentiment psychique fondamental qui s'adresse également à tous; mais il peut aussi y avoir un sentiment psychique spécial pour telle ou telle personne.
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1585
Non, l'amour psychique n'exclut pas le discernement.
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1586
Tout dépend de ce que vous entendez par "amour" psychique. On peut avoir un sentiment psychique pour tous les êtres; ce sentiment ne dépend pas du sexe, pas plus qu'il ne contient quoi que ce soit de sexuel.
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1587
Même dans le monde, il a existé des relations entre un homme et une femme où le sexe n'aurait pas pu intervenir, des relations purement psychiques. La conscience de la différence de sexe serait là, sans aucun doute, sans pour autant constituer une source de désir ou de perturbations. Mais naturellement, un certain développement psychique est nécessaire avant que cela ne soit possible.
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1588
[L'amour psychique:] Il est difficile de définir ses limites ou de le reconnaître. Car même lorsqu'on éprouve pour quelqu'un un amour psychique, dans l'être humain il se mêle tellement au vital que rien n'est plus courant que de légitimer un amour vital en lui attribuant un caractère psychique. On pourrait dire que l'amour psychique se distingue par une pureté et un désintéressement essentiels; mais le vital peut se parer d'une très brillante imitation de ce caractère, quand il veut.
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1589
Selon notre expérience, c'est seulement lorsque les deux personnes sont dans la vraie conscience, centrée sur le Divin, qu'il y a quelque chance d'une véritable communion dans le Divin. Autrement, à mesure que la relation personnelle prend forme, apparaissent soit la déception et la désaffection, soit des réactions qui ne sont pas pures.
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1590
Mais telle est la nature de l'affection vitale humaine: elle est toute d'égoïsme déguisé en amour. Parfois, lorsque la passion vitale, le besoin ou le lien vital est fort, la personne est prête à faire n'importe quoi pour retenir l'affection de l'autre. Mais c'est seulement quand le psychique est capable d'entrer dans le mouvement qu'il peut exister une relation vraiment dépourvue d'égoïsme ou au moins quelque chose d'approchant.
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1591
Le phénomène dont vous parlez est normal pour la nature humaine. Les individus sont attirés l'un vers l'autre, ou l'un est attiré vers l'autre, par un certain sentiment d'affinité, d'accord ou d'attirance entre une certaine partie de sa propre nature et une certaine partie de la nature de l'autre. Tout d'abord c'est la seule chose que l'on ressent; on voit tout ce qui est bon ou plaisant dans la nature de l'autre et l'on va même peut-être jusqu'à lui attribuer des qualités qu'il ne possède pas ou qu'il possède à un moindre degré qu'on ne le croit. Mais lorsqu'on le connaît mieux, on devient sensible à d'autres parties de sa nature avec lesquelles on n'est pas en affinité; les idées peuvent se heurter, les sentiments s'opposer, ou les deux egos entrer en conflit. Si le sentiment d'amour ou d'amitié est fort et durable, on peut surmonter les difficultés de ces contacts et arriver à les harmoniser ou à s'en accommoder; mais très souvent ce n'est pas le cas, ou le désaccord est si aigu qu'il fait obstacle à cette tendance à la conciliation, ou encore l'ego est blessé au point de se rétracter. Alors il est tout à fait possible que l'on commence à voir exagérément les défauts de l'autre et à les grossir, ou à lui attribuer des traits de caractère mauvais ou déplaisants qui ne sont pas en lui. Toute la vision peut changer, le bon sentiment se muer en rancune, en désaffection et même en inimitié ou en antipathie. Cela se produit tout le temps dans la vie humaine. Le contraire arrive aussi, mais moins aisément: le ressentiment se change en bon sentiment, l'opposition en harmonie. Mais évidemment la mauvaise opinion ou le ressentiment envers une personne ne découlent pas forcément de cette seule cause. Ils proviennent de causes multiples: aversion instinctive, jalousie, intérêts antagonistes, etc.
Il faut essayer de regarder les autres avec calme, sans trop s'appesantir sur leurs vertus ou leurs défauts, sans ressentiment, sans malentendus ni injustice, avec un mental et une vision calmes.
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1592
C'est le cours que prend en général l'amour vital quand il n'est pas corrigé et soutenu par une puissante force psychique. Lorsque le premier embrasement vital est passé, l'incompatibilité entre les deux egos commence à se révéler et la relation devient de plus en plus tendue; pour l'un, ou pour chacun, les exigences de l'autre deviennent intolérables à la partie vitale, l'irritation est constante et les revendications de l'autre sont ressenties comme un fardeau et un joug. Les relations vitales n'ont naturellement pas de place dans une vie de sâdhanâ; elles sont un écueil qui empêche la nature de se tourner d'un bloc vers le Divin.
1593
Une quiétude dans toutes les parties de l'être et une aspiration intense, voilà ce qui est venu à vous. Dans la méditation intérieure, vous avez par conséquent ressenti le contact avec la Mère, et ensuite votre être intérieur s'est élevé vers les plans supérieurs de paix, d'immensité et de lumière, puis est revenu à sa place centrale dans le cœur.
Le manque d'égalité dans les sentiments à l'égard des autres, la sympathie et l'antipathie, sont enracinés dans la nature du vital humain. La raison en est que certains sont en harmonie avec votre tempérament vital, d'autres non; il y a aussi l'ego vital qui est mécontent quand il est blessé, quand les choses ne vont pas comme il le voudrait ou quand les gens n'agissent pas selon ses préférences ou ses idées sur ce qu'ils devraient faire. Dans le Moi au-dessus règnent le calme et l'égalité spirituels, une bonne volonté pour tous ou, à un certain stade, une indifférence tranquille à l'égard de tout ce qui n'est pas le Divin; dans le psychique réside, à la base, une bonté ou un amour égal pour tous, mais il peut y avoir des relations spéciales avec une personne; le vital, quant à lui, est toujours d'humeur inégale et plein de sympathies et d'antipathies. Le vital doit être calmé par la sâdhanâ; le Moi au-dessus doit infuser en lui sa bonne volonté et son égalité tranquilles envers toutes choses, et le psychique sa bonté ou son amour général. Cela viendra, mais il faudra peut-être du temps. En attendant, vous devez consolider les idées que vous exprimez dans votre lettre — car ce sont de véritables idées psychiques — et cela vous aidera à atteindre ce but. Vous devez vous débarrasser de tous mouvements, intérieurs comme extérieurs, de colère, d'impatience ou d'antipathie. Si les choses vont mal ou sont mal faites vous direz simplement: "La Mère sait", et vous continuerez tranquillement à faire ou à faire faire les choses aussi bien que vous le pouvez sans frictions. Plus tard, nous vous montrerons comment vous servir de la force de la Mère pour que les choses aillent mieux, mais d'abord vous devez trouver votre équilibre intérieur dans un vital tranquille, car c'est seulement ainsi que la Force peut être utilisée avec tout le succès possible.
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1594
Le travail se fait toujours mieux en silence, sauf dans la mesure où il est nécessaire de parler pour le travail lui-même. Mieux vaut réserver la conversation aux heures de loisir. Ainsi personne ne trouvera à redire à votre silence pendant le travail.
Quant au reste, ce que vous devez faire, c'est conserver l'attitude juste vis-à-vis des autres et ne pas vous laisser bouleverser, irriter ou contrarier par quoi que ce soit qu'ils puissent dire ou faire: en d'autres termes, garder le samatā et la bienveillance universelle propres à un sâdhak du yoga. Si vous agissez ainsi et que pourtant les autres continuent à être bouleversés ou contrariés, vous ne devrez pas y prêter attention, puisque leur mauvaise réaction ne sera pas de votre fait.
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1595
J'ai lu votre lettre et je comprends maintenant ce que vous trouvez éprouvant, mais cela ne nous paraît pas suffisamment sérieux pour être ressenti comme une juste cause de perturbation. Ces désagréments sont inévitables lorsque des gens vivent et travaillent ensemble. Ils surgissent d'un malentendu entre deux mentalités et deux volontés, chacune tirant à soi et se sentant blessée ou mortifiée si l'autre ne suit pas. La guérison ne peut venir que par un changement de conscience; car lorsqu'on entre dans une conscience plus profonde, d'abord on voit la cause de ces incidents et l'on n'est pas troublé; on y gagne une compréhension, une patience et une tolérance qui libèrent de la contrariété et des autres réactions. Si, dans les deux partenaires, ou dans tous, la conscience s'accroît, alors chacun acquiert une compréhension mentale des points de vue de l'autre qui lui permet d'apporter plus aisément dans le travail une harmonie et un fonctionnement sans heurt. C'est ce que l'on devrait rechercher par la transformation intérieure: créer la même harmonie du dehors, par des moyens extérieurs, n'est pas si facile, car le mental humain est rigide dans ses perceptions et le vital humain insiste pour agir à sa guise. Que telle soit votre volonté primordiale: croître vous-même au-dedans, laisser venir la conscience plus claire et plus profonde et souhaiter avec bienveillance la venue de la même transformation chez les autres, afin que la charité et l'harmonie puissent remplacer les heurts et les malentendus.
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1596
Mais j'ai déjà dit que les disputes, les brouilles ne font pas partie de la sâdhanâ: les éclats et les désaccords dont vous parlez sont, tout comme dans le monde extérieur, des frictions de l'ego vital. On ne peut pas proclamer que les antagonismes, les antipathies, les inimitiés, les querelles font partie de la sâdhanâ, pas plus que les impulsions ou les actes sexuels. L'harmonie, la bienveillance, la patience, l'égalité d'âme sont des .idéaux nécessaires dans les relations entre sâdhak. On n'est pas obligé de fréquenter les autres, mais si l'on vit retiré, il faut que ce soit pour des raisons de sâdhanâ et non pour d'autres motifs; en outre, cette solitude ne devrait s'accompagner d'aucun sentiment de supériorité ou de mépris pour les autres [...] Si quelqu'un s'aperçoit que la fréquentation d'un autre sâdhak, pour n'importe quelle raison, fait naître en lui des sentiments vitaux indésirables, il peut certes s'abstenir de le fréquenter, par prudence, jusqu'à ce qu'il ait surmonté sa faiblesse. Mais il n'est pas pour autant nécessaire d'éviter les autres avec ostentation ou de se brouiller publiquement avec eux, et cela trahit des sentiments qui devraient tout autant être surmontés.
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1597
Ces résultats ne sont pas un châtiment, ils sont l'effet naturel de l'égoïsme auquel on a cédé. Toutes les disputes ont pour origine égoïsme qui cherche à imposer son opinion et affirme sa propre importance, considère qu'il a raison et que tous les autres ont tort et suscite ainsi la colère, un sentiment d'injustice, etc. Il ne faut pas se prêter à ces mouvements, mais les rejeter aussitôt.
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1598
Je vous demanderais de ne pas laisser le ressentiment ou quoi que ce soit d'autre apparaître ou dicter votre conduite. Laissez tout cela de côté et considérez que la paix intérieure et la recherche du Divin sont la seule chose qui importe; ces heurts ne sont que des sursauts de l'ego. Tournez-vous vers le but unique, mais pour le reste conservez une calme bienveillance pour tous.
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1599
Si vous voulez avoir la connaissance, voir en tous des frères ou trouver la paix, vous devez penser moins à vous-même, à vos désirs, à vos sentiments, à la façon dont les gens vous traitent, et davantage au Divin: vivre pour le Divin, non pour vous-même.
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1600
Vous avez maintenant adopté l'attitude juste, et si vous la gardez tout ira mieux. Vous êtes venu à la Mère divine pour le yoga, non pour l'ancien genre de vie. Vous devriez aussi considérer cet endroit comme un Ashram, non comme un saṃsāra ordinaire, et, dans vos relations avec les autres personnes ici, vous efforcer de vaincre la colère, l'autoritarisme et l'orgueil, quelle que puisse être leur attitude ou leur conduite à votre égard; car tant que vous resterez dans ces dispositions, vous aurez du mal à progresser dans le yoga.
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1601
Les querelles et les disputes sont la preuve d'un manque d'équilibre yoguique et ceux qui ont une volonté sincère de pratiquer le yoga doivent apprendre à les surmonter par le développement intérieur. Il est relativement facile de ne pas se heurter quand il n'y a pas de cause de conflit, de discussion ou de querelle; c'est quand il y a une raison et que la partie adverse est insupportable et déraisonnable que l'on a l'occasion de s'élever au-dessus de sa propre nature vitale.
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1602
En réponse à votre question, c'est une partie sentimentale de la nature vitale qui se dispute avec les gens et refuse de leur parler, et c'est cette même partie, en réaction contre cette humeur, qui veut leur parler et avoir des relations avec eux. Tant que persiste l'un de ces mouvements, l'autre est possible aussi. Quand on se débarrasse de cette sentimentalité et que l'on oriente tous les sentiments purifiés vers le Divin, alors seulement ces fluctuations disparaissent et une calme bienveillance pour tous les remplace.
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1603
Un sâdhak peut adopter l'une de ces deux attitudes: soit une calme égalité envers tous, qu'ils soient amicaux ou hostiles, soit une bienveillance générale.
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1604
Ne vous appesantissez pas trop sur les défauts des autres. Cela n'aide pas. Gardez toujours une attitude de tranquillité et de paix.
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1605
C'est tout à fait exact. Seul ceux qui ont de la sympathie peuvent aider. Il est certain aussi que l'on devrait être capable de voir sans haine les défauts des autres. La haine porte préjudice aux deux parties et n'en aide aucune.
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1606
Il n'y a aucun mal à regarder et à observer, si on le fait avec sympathie et impartialité; c'est la tendance à critiquer, à trouver à redire, à condamner les autres sans nécessité (et souvent tout à fait à tort) qui crée une mauvaise atmosphère, à la fois pour soi et pour les autres. Et pourquoi cette dureté et cette prétentieuse condamnation? Chacun n'a-t-il pas ses défauts? Pourquoi devrait-il être si âpre à trouver à reprendre chez les autres et à les condamner? On est parfois obligé de juger, mais il ne faut pas le faire à la hâte ou dans un esprit malveillant.
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1607
Les hommes sont toujours plus enclins à critiquer sévèrement le travail des autres, à leur dire comment les choses doivent être faites et ce qu'il ne faut pas faire, qu'ils ne sont habiles à éviter eux-mêmes de semblables erreurs. Souvent, en effet, il est facile de voir chez les autres des défauts que l'on a en soi mais que l'on ne voit pas. Ces défauts, et d'autres tels que celui que vous mentionnez, sont le propre de la nature humaine et peu y échappent. Le mental humain n'est pas vraiment conscient de lui-même; c'est pourquoi dans le yoga, il faut essayer de voir ce que l'on a en soi-même et devenir de plus en plus conscient.
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1608
Il ne s'agit pas de la vie ordinaire. Dans la vie ordinaire, les gens ont toujours un jugement erroné parce qu'ils jugent selon des critères mentaux et en général conventionnels. Le mental humain n'est pas un instrument de la vérité, c'est un instrument de l'ignorance et de l'erreur.
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1609
C'est l'ego étriqué en chacun qui aime à découvrir les défauts, "réels ou non", des autres et en parler, et peu importe qu'ils soient réels ou non; l'ego n'a nullement le droit d'en juger, parce qu'il n'a ni la vision ni l'esprit justes. Seul l'Esprit calme, désintéressé, sans passion, plein de compassion et d'amour peut juger et voir avec justesse la force et la faiblesse en chaque être.
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1610
Oui, tout cela est vrai. Le vital inférieur prend un plaisir méchant et mesquin à relever les défauts des autres et par là, on retarde son propre progrès et celui de la personne qui fait l'objet de la critique.
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1611
Le goût du commérage est toujours un obstacle.
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1612
Ces reproches (dur comme la pierre, etc.) sont couramment dirigés contre le sâdhak par ceux qui ne comprennent pas, lorsqu'il demeure ferme sur son chemin devant ce qu'exige de lui le vital humain ordinaire. Mais vous ne devriez pas en être perturbé. Mieux vaut être une pierre sur la route qui mène au Divin qu'une argile molle et faible dans les sentiers bourbeux de la nature vitale humaine ordinaire.
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1613
Ce qui compte, ce n'est pas ce que les autres pensent de vous, mais ce que vous êtes vous-même.
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1614
Même une critique malveillante (injuste ou mal intentionnée) peut parfois apporter une aide par l'un de ses aspects, si on peut la regarder sans être affecté par ce qu'elle a d'injuste.
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1615
La louange et le blâme peuvent naturellement produire cet effet (la nature humaine y est plus sensible qu'à presque n'importe quoi d'autre, davantage même qu'à un bienfait ou à un préjudice réels) à moins que l'équanimité n'ait été établie, ou encore qu'il y ait une confiance si complète, une dépendance si joyeuse à l'égard d'une personne que la louange comme le blâme sont salutaires à la nature. Certains ont, même sans yoga, un mental si équilibré qu'ils acceptent et soupèsent avec calme la louange et le blâme pour ce qu'ils valent, mais c'est extrêmement rare.
1616
L'idée d'aider les autres est une forme subtile de l'ego. Seule la Force divine peut aider. On peut être son instrument, mais il faudrait d'abord apprendre à être un instrument approprié et sans ego.
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1617
L'idée d'aider les autres est un fantasme de l'ego. C'est seulement lorsque la Mère délègue et donne sa force que l on peut aider et même dans ce cas, seulement dans certaines limites.
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1618
Tout changement doit venir de l'intérieur avec le soutien perçu ou caché du Pouvoir divin; ce n'est qu'en s'ouvrant soi-même à ce Pouvoir que l'on peut recevoir une aide, et non par un contact mental, vital ou physique avec d'autres personnes.
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1619
C'est une aide relative et partielle, bien sûr, mais elle est parfois utile. Une aide radicale ne peut venir que du dedans, par l'action de la Force divine et l'assentiment de l'être. Il faut bien dire que ceux qui croient aider n'apportent pas tous une aide réelle, et aussi que lorsque l'aide s'accompagne de l'exercice d'une "influence", celle-ci peut être d'un caractère complexe et nuire autant qu'aider si l'instrument n'est pas pur.
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1620
Oui, il en est toujours ainsi dans la conduite humaine: les hommes veulent s'aider les uns les autres, mais ils ont un mobile caché ou un sentiment dont l'origine est l'ego.
Ce n'est que lorsqu'on vit dans une conscience plus haute qu'il en est autrement.
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1621
La véritable faille de l'ambition d'être comme une mère — du moins telle qu'elle se manifeste en de nombreuses femmes comme en elle — provient de ce qu'elle dissimule un mouvement de l'ego: le désir de jouer un grand rôle, d'être entourée de dépendants, d'avoir la réputation d'une mère, etc., etc. En réalité l'altruisme humain a, la plupart du temps, cette base d'ego. Si l'on se débarrasse de cela, la volonté d'aider peut prendre sa vraie place, celle d'un mouvement de pure sympathie et de sentiment psychique.
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1622
Inutile de vous faire trop de souci à propos des idées de X ou d'y attacher de l'importance. Leur seule vérité est que le vital se mêle très aisément à tous les mouvements, même ceux de la sâdhanâ, si l'on n'est pas attentif. La seule sauvegarde contre cela est de tout orienter vers le Divin et de tout faire venir du divin, en se débarrassant de l'attachement, de l'ego et du désir. Dans les relations avec les autres sâdhak il ne doit pas y avoir de raideur ni de dureté, d'attachement ni de penchants sentimentaux.
Quant au sentiment maternel, il doit être transformé comme tout le reste. Le danger de toutes ces relations, quand elles ne sont pas transformées, est qu'elles peuvent, d'une manière subtile, servir l'ego. Pour éviter cela, il faut faire de soi-même un simple instrument, en éliminant jusqu'à l'ego de l'instrument, et être conscient de la source, sans chercher à imposer aucune action ni aucune relation, mais en permettant simplement à l'instrument d'être utile chaque fois que l'on sent clairement que telle est bien l'intention. Il faut aussi veiller à ne laisser passer aucune force sauf les bonnes, celles qui sont en harmonie avec la conscience supérieure et qui sont salutaires. Si l'on agit toujours dans cet esprit et avec cette vigilance, alors même si l'on commet des erreurs, c'est sans importance: la conscience qui grandit les rectifiera et progressera vers un fonctionnement plus parfait.
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1623
L'inconvénient, lorsqu'on aide les autres, c'est bien entendu que l'on entre en contact avec leur conscience et leurs difficultés, et aussi que l'on s'extériorise davantage.
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1624
Oui, c'est dangereux [de sympathiser avec quelqu'un qui est tombé dans l'erreur], parce qu'ainsi vous entrez en contact avec la Force adverse qui l'a bouleversé et aussitôt cette Force essaie de vous atteindre, de vous communiquer ses suggestions et de vous corrompre par une sorte de contagion ou d'infection.
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1625
Par la sympathie, vous entrez en contact avec ce qui est en l'autre et le recevez; vous pouvez également donner ou laisser sortir une partie de votre force qui va vers l'autre, ou encore vous la laisser soustraire. C'est la sympathie vitale qui produit cet effet; une calme bienveillance spirituelle ou psychique n'entraîne pas ces réactions.
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1626
Endosser les difficultés des autres serait cependant, je le crains, un lourd fardeau pour quiconque et je doute de l'efficacité de cette méthode. On peut faire quelque chose de beaucoup plus utile: si l'on a la force, donner de sa force à l'autre; si l'on a la paix, répandre sa paix sur l'autre, etc. Cela, on peut le faire sans perdre sa force ou sa paix, si c'est fait comme il faut.
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1627
Deux attitudes sont possibles en la matière et chacune a ses mérites. Il y a beaucoup à dire en faveur de l'attitude de X: d'abord parce que tant que la siddhi n'est pas complète, l'aide que l'on donne est toujours un peu aléatoire et imparfaite, et ensuite, à cause du danger que l'on encourt, et sur lequel les yogis expérimentés insistent si souvent, lorsqu'on se charge des difficultés de ceux que l'on aide. Malgré tout, attendre d'avoir atteint la perfection n'est pas toujours possible.
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1628
Vouloir avec une constance inébranlable le bien de quelqu'un en concentrant cette volonté à la fois dans la tête et dans le cœur est la meilleure manière possible de l'aider.
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1629
Si votre mari traverse une période dangereuse de sa vie, qu'il souffre de mauvaise santé et que vous compatissez à ses ennuis, le mieux, pour lui, est encore de vous tranquilliser et de faire appel au Divin pour qu'il l'aide à traverser cette mauvaise passe. Même dans la vie ordinaire, l'inquiétude et la dépression créent une atmosphère qui n'aide pas une personne malade ou en difficulté. Dès lors que l'on est devenu un sâdhak, la véritable attitude spirituelle de confiance en la Volonté divine et d'appel à l'aide d'en haut, que ce soit pour soi-même ou pour aider ceux à qui l'on porte encore de l'intérêt, est toujours la voie la meilleure et la plus efficace.
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1630
Quelle que soit la chose ou la personne que vous avez remise entre les mains du Divin, vous ne devriez plus y être attaché ni vous en inquiéter, mais tout laisser au Divin afin qu'il agisse pour le mieux.
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1631
Il est très bon que la condition dont vous parlez se soit établie, c'est un grand progrès. Quant aux prières, le fait même de prier et l'attitude que cela engendre, en particulier lorsqu'on prie sans égoïsme pour les autres, vous ouvre au Pouvoir supérieur, même si aucun effet correspondant ne se tait sentir dans la personne pour laquelle vous priez. Rien ne peut être formellement affirmé à ce sujet, car le résultat dépend nécessairement des personnes, de leur ouverture, de leur réceptivité ou de quelque chose en elles qui peut répondre à la Force que la prière fait descendre.
1632
Être capable de ne pas fréquenter trop de monde, à condition que ce ne soit pas poussé trop loin, est certes précieux. Je dois cependant vous signaler que même lorsque les contacts sont réduits, des ondes indésirables peuvent entrer: c'est une mesure de précaution, mais elle ne vous garantit pas une sécurité absolue. Par ailleurs la retraite totale vous fait tomber dans l'excès contraire et a aussi ses dangers. La sauvegarde complète contre les "choses" qui distraient, dérangent, extériorisent, etc. ne peut venir que d'une croissance de la conscience intérieure. En attendant, l'absorption en soi et la limitation des contacts peuvent être utiles, si elles sont employées à bon escient.
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1633
Il est vrai que l'on doit essayer de préserver son état intérieur en toutes circonstances, même les plus contraires; mais cela ne signifie pas que l'on doive accepter sans nécessité des circonstances défavorables quand il n'y a aucune bonne raison de les laisser se perpétuer. Le système nerveux et l'être physique, en particulier, ne peuvent pas supporter une tension excessive, le mental et le vital supérieur non plus; votre fatigue est venue d'une tension qui s'est créée parce que vous viviez dans la Conscience unique tout en vous exposant à trop de contacts prolongés avec la conscience ordinaire. Il faut vous défendre un peu, pour que votre conscience ne soit pas tout le temps tirée vers le bas ou au-dehors dans l'atmosphère ordinaire, ou votre physique surmené parce qu'il est forcé de se livrer à des activités qui vous sont devenues étrangères. Ceux qui pratiquent le yoga cherchent souvent dans la solitude un refuge contre ces difficultés; ici, ce n'est pas nécessaire, mais vous n'avez tout de même pas besoin d'accepter d'être soumis sans arrêt à cette sorte de tension inutile.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 3.
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1634
Vous avez tout à fait raison. Ne pas se mêler aux autres prive de l'épreuve qu'impose à la conscience ce contact avec eux et de l'occasion de progresser dans ces domaines. Il n'est pas profitable, du point de vue spirituel, de fréquenter les autres quand il ne s'agit que de s'abandonner au vital, de bavarder, d'échanger des mouvements vitaux, etc.; mais s'abstenir de toute fréquentation et de tout contact n'est pas désirable non plus. C'est seulement lorsque la conscience a vraiment besoin d'une retraite complète que l'on peut se retirer ainsi, et encore même dans ce cas, la retraite peut être complète, mais non absolue. Car dans la retraite absolue on vit une vie purement subjective et l'occasion d'étendre le progrès spirituel à la vie extérieure et de le mettre à l'épreuve dans le détail n'existe pas.
Il est bon que vous ayez pris rapidement l'attitude juste devant cet incident; c'est l'indication d'un bon progrès dans la conscience.
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1635
[Être en compagnie, rire, plaisanter, etc.:] C'est une sorte d'expansivité vitale, ce n'est pas la force vitale... et cette dépense d'énergie est dispendieuse aussi! Car dans ces rencontres, ceux dont le vital est fort acquièrent davantage de force, mais ceux dont le vital est faible dépensent le peu de force qu'ils ont et s'affaiblissent.
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1636
Je crois qu'aucune règle ne peut être établie qui soit applicable à tous. Certains ont cette tendance expansive du vital, d autres ont tendance à se concentrer. Ceux-ci s'absorbent dans l'intensité de leur effort et en recueillent sans aucun doute une grande force de progrès; la dépense et la perte d'énergie qui adviennent souvent aux plus communicatifs r sont épargnées; en outre ils deviennent ainsi moins ouverts aux réactions des autres (bien que cela ne puisse être entièrement évité). Les autres ont besoin de communiquer ce qui est en eux et ne peuvent attendre la plénitude complète pour utiliser ce qu'ils ont. Ils peuvent même avoir besoin, pour progresser, de donner autant que de prendre. La seule chose est qu'ils doivent équilibrer ces deux tendances en se concentrant, pour recevoir d'en haut, autant ou plus qu'ils ne s'ouvrent latéralement pour distribuer.
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1637
X a un vital très fort et très expansif, aussi est-il tout à fait naturel, s'il a de l'amitié pour quelqu'un, qu'il puisse produire sur lui ce genre d'effet lorsqu'il le rencontre. Mais à ma connaissance, il n'est pas conscient de ce qu'il donne ou reçoit; c'est plus probablement une action spontanée. Pourtant, il n'a pas l'habitude de donner seulement, car un vital fort et expansif, contrairement à un vital fort et réservé, a besoin de recevoir autant que de donner.
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1638
C'est une question de tempérament. Dans leur psychique et leur vital, certains sont sensibles et réagissent à tout, quelle qu'en soit l'origine; d'autres ont des nerfs solides et sont murés contre l'invasion. Ce n'est pas du tout une question de force ou de faiblesse. Les premiers ont un plus grand sens de la vie et réagissent davantage à la vie; ils en souffrent plus et en tirent davantage. C'est la différence entre les Grecs et les Romains. Même sans égoïsme, la différence subsiste, car elle fait partie du caractère. Dans le yoga, ceux qui appartiennent au premier type sont davantage capables de tout sentir directement et de tout connaître en détail par une expérience directe; c'est leur grand avantage. Les autres doivent utiliser leur mental pour connaître et leur compréhension est moins intime.
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1639
Il est vrai que des relations trop étroites avec les autres tendent à abaisser l'état de conscience, s'ils ne sont pas eux-mêmes dans l'attitude juste et vivent beaucoup dans le vital. Dans tous les contacts, ce que vous devez faire, c'est rester intériorisé, garder une attitude détachée et ne pas vous laisser troubler par les difficultés qui apparaissent dans le travail ou dans les mouvements des gens, mais rester vous-même dans le mouvement vrai. Ne vous laissez pas prendre par le désir d'"aider" les autres: faites et dites vous-même la chose juste dictée par votre équilibre intérieur, et laissez l'aide venir à eux du Divin. Nul ne peut vraiment aider; seule la Grâce divine peut le faire.
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1640
Tout cela [harmonie, joie et amour] est en vous et quand il en est ainsi, cela se répand dans l'atmosphère; mais naturellement seuls peuvent en avoir leur part ceux qui sont ouverts et sensibles à cette influence. Néanmoins chacun de ceux qui portent en eux la paix ou l'amour y ajoute sa propre influence, de sorte que la paix, ou l'amour, augmente dans l'atmosphère.
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1641
Lorsqu'on reste un moment à s'entretenir, etc., avec quelqu'un, il se produit toujours un certain échange vital, à moins que l'on ne rejette, instinctivement ou de propos délibéré, ce qui vient des autres. Si l'on est impressionnable, on peut recevoir de l'autre une forte impression ou une forte influence. Ensuite, lorsqu'on rencontre une autre personne, il se peut qu'on lui transmette cette impression ou cette influence. Cela arrive constamment. Mais la transmission se fait à l'insu de l'intermédiaire. Quand on est conscient, on peut l'empêcher de se produire.
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1642
Il est tout à fait possible qu'une personne commence à se sentir déprimée en parlant avec une autre. La conversation entraîne un échange vital; c'est donc toujours possible. Quant à savoir si leur observation était exacte dans tel cas particulier, c'est une autre affaire.
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1643
Oui, c'est là le critère. Quand on a affaire aux gens on peut toujours projeter sa conscience vers eux ou les recevoir dans sa conscience, mais cela n'équivaut pas à un attachement; il faut quelque chose de plus: une emprise du vital sur la personne ou une emprise de la personne sur le vital, etc.
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1644
C'est surtout intérieurement que vous devez rester sur vos gardes. Cependant, si vous vous sentez mal à l'aise dans les foules, mieux vaut les éviter, sauf s'il s'agit de concerts puisque là, vous vous sentez en sécurité. Lorsqu'une foule de gens s'adonne à des échanges purement mondains, le niveau de conscience est forcément inférieur et des forces indésirables peuvent s'y mouvoir s'il se trouve là quelqu'un qui est ouvert à elles; si l'on en est à un stade de conscience où l'on est en train de s'ouvrir à des choses supérieures, sans toutefois être déjà fixé dans un calme solide et bien établi, il est plus sûr de s'en écarter.
Dans la sâdhanâ, on est censé garder à distance les forces extérieures ou du moins ne pas se laisser envahir par elles. Si l'on fait face à une difficulté dans l'esprit juste et qu'on la surmonte, naturellement on progresse, mais ce n'est pas la même chose que de laisser des forces ou des influences étrangères pénétrer dans l'être conscient. Personne n'est obligé de les inviter à entrer; elles ne sont que trop promptes à le faire sans en être priées. On peut regarder toutes les forces et en devenir conscient, même les plus mauvaises, les plus sombres et les plus hostiles, pourvu que l'on reste sur ses gardes et que l'on refuse tout crédit et tout soutien à leurs suggestions, qu'on les rejette chaque fois qu'elles visent une place dans la conscience et la nature. Mais tous ne sont pas capables de le faire dès le début.
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1645
Dispersion et sâdhanâ sont deux choses qui ne peuvent pas aller ensemble. Dans la sâdhanâ on doit exercer un contrôle sur le mental et sur tous ses actes; dans la dispersion, on est au contraire dominé et emporté par le mental et incapable de l'empêcher de s'écarter de son sujet. Si le mental est sans cesse dispersé, vous ne pourrez pas non plus vous concentrer sur la lecture ni sur aucune autre occupation, vous ne serez bon à rien sauf peut-être au bavardage, aux mondanités, au flirt et autres occupations similaires.
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1646
Vous avez tort de croire que la sâdhanâ de X, Y ou Z ne souffre pas de la dispersion de leur mental dans toutes les directions. Ils auraient avancé beaucoup plus loin sur le sentier s'ils faisaient un yoga concentré; je dirais même qu'Y, qui a une énorme réceptivité et est avide de progrès, en serait maintenant trois fois plus loin. De plus, votre nature est intense dans tout ce qu'elle fait; la voie directe était en conséquence son chemin naturel. Évidemment, une fois que la conscience supérieure sera établie et que le vital et le physique seront tous deux suffisamment prêts pour que l3 sâdhanâ continue d'elle-même, une tapasyâ stricte ne sera plus nécessaire. Jusque-là, cependant, nous considérons qu elle est très utile, très salutaire et dans bien des cas indispensable. Mais nous ne cherchons pas à l'imposer lors"c la nature n'y est pas disposée. Je constate aussi que ceux adoptent la ligne directe (ils ne sont pas encore très ombreux) ont d'eux-mêmes tendance à abandonner ces intérêts et ces occupations qui dispersent le mental et à se jeter tout entiers dans la sâdhanâ.
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1647
Oui, certes, la dispersion est un fait intérieur. Mais certains éléments extérieurs favorisent la dispersion de la conscience et si quelqu'un comme X dit qu'il ne se disperse pas alors qu'il vagabonde avec un compagnon comme Y, je dirais ou bien qu'il ne dit pas la vérité, ou bien qu'il se ment à lui-même. Si l'on est toujours dans la conscience intérieure, on ne peut pas être dispersé, même dans des activités extérieures; ou si l'on est conscient du Divin à tout moment et dans tout ce que l'on fait, alors aussi on peut lire les journaux ou écrire quantité de lettres sans se disperser. Même dans ce cas, cependant, bien qu'il n'y ait pas de dispersion, l'intensité de la conscience est moindre que lorsqu'on ne met pas une partie de soi-même dans des activités complètement extérieures. C'est seulement quand la conscience est devenue tout à fait siddha que cette différence n'existe même plus. Cela ne signifie pas que l'on ne doit rien faire d'extérieur, car alors on ne s'entraîne pas à joindre les deux consciences. Mais il faut bien reconnaître que certaines activités dispersent la conscience, l'abaissent ou l'extériorisent davantage que d'autres. En particulier, on ne doit pas se mentir à soi-même ni se leurrer en prétendant que l'on n'est pas dispersé par elles alors qu'on l'est. Quant aux gens qui veulent amener les autres au yoga, je dirais que s'ils s'amenaient eux-mêmes plus près du but intérieur, ce serait une activité beaucoup plus fructueuse. Et cela finirait par "amener" beaucoup plus de gens, et d'une meilleure manière, que la rédaction d'une quantité de lettres.
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1648
C'est pourquoi nous ne sommes pas pour la correspondance avec la famille ou des personnes de l'extérieur. On ne peut pas établir de contact à moins de s'extérioriser ou de descendre à leur niveau, ce qui est de toute évidence indésirable du point de vue du yoga. Je ne crois pas que l'on puisse leur transmettre beaucoup d'inspiration par des lettres, parce que leur conscience n'est en rien préparée. Les mots peuvent tout au plus effleurer leur mental à la surface; l'important, c'est quelque chose qui est derrière les mots, mais à cela ils ne sont pas ouverts. S'ils existe déjà un intérêt pour les choses spirituelles, c'est différent. Même dans ce cas, mieux vaut souvent laisser les gens suivre leur propre gourou que les attirer dans notre sentier.
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1649
C'est la raison pour laquelle il vaut mieux l'abandonner [la correspondance avec la famille]. Les gens qui continuent à correspondre avec leurs parents ne le sentent pas comme vous, mais c'est néanmoins un fait: ils entretiennent et renforcent des vibrations qui maintiennent les anciennes forces en activité dans le vital et entretiennent leurs impressions dans le subconscient.
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1650
Toute lettre représente un échange avec celui qui l'écrit: quelque chose est là, derrière les mots, quelque chose de sa personne, des forces qu'il a émises ou qu'il avait autour de lui pendant qu'il écrivait. Nos pensées et nos sentiments sont aussi des forces et peuvent avoir des effets sur les autres. Il faut devenir conscient du mouvement de ces forces; alors on peut dominer ses propres formations mentales et vitales et cesser d'être affecté par celles des autres.
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1651
Oui, nos mauvaises et nos bonnes pensées peuvent avoir un "têt, mauvais ou bon, sur les autres, bien qu'elles ne l'aient pas toujours parce qu'elles ne sont pas assez fortes, mais c'est cependant leur tendance. Aussi ceux qui ont cette connaissance disent-ils toujours qu'on devrait s'abstenir de mauvaises pensées à l'égard des autres pour cette raison. Il est vrai que les deux formes de pensée viennent également au mental dans son état ordinaire; mais si le mental et sa volonté sont bien développés, on peut établir une maîtrise sur ses pensées autant que sur ses actes et empêcher les mauvaises d'agir à leur guise. Mais cette maîtrise mentale ne suffit pas au sâdhak. Il doit acquérir un mental tranquille et dans le silence du mental, recevoir seulement les forces de pensée du Divin ou d'autres Forces divines et être leur champ d'action et leur instrument.
Pour réduire le mental au silence il ne suffit pas de rejeter chaque pensée quand elle vient; ce mouvement ne peut être que secondaire. Il faut se retirer de toute pensée et en être séparé, conscience silencieuse observant les pensées si elles viennent, mais ne pensant pas elle-même et ne s'identifiant pas aux pensées. Les pensées doivent être perçues comme des objets complètement extérieurs. Il est alors plus facile de les rejeter ou de les laisser passer sans qu'elles troublent la tranquillité du mental.
N'être troublé ni par la joie ou le chagrin, ni par le plaisir ou le déplaisir, ni par ce que disent ou font les autres, ni par aucune chose extérieure est appelé dans le yoga un état de samatā, égalité à l'égard de toutes choses. Être capable d'atteindre cet état est d'une immense importance dans la sâdhanâ. Il contribue à la venue de la quiétude et du silence dans le mental et aussi dans le vital. Cela signifie en fait que le vital lui-même et le mental vital sont déjà en train de devenir silencieux et tranquilles. Le mental pensant suivra à coup sûr.
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1652
Parler de quelqu'un peut fort bien produire sur lui un effet; cela arrive souvent, car il peut s'agir de la formulation efficace d'une pensée ou d'un sentiment qui, ainsi concrétisé, l'atteint. Mais je ne crois pas que des pensées purement mécaniques ou des imaginations mal formées agiraient de même: cela doit de toute façon être rare et exiger des conditions exceptionnelles ou un jeu de forces dans lequel un rien peut compter.
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1653
La région qui se trouve au-dessous du nombril est le vital inférieur; dans votre cas, il est devenu très sensibilisé à l'état de cette même partie de l'être chez les autres ou peut-être même à leur état général, aussi le reflète-t-il en quelque sorte ou y réagit-il de façon appropriée. Cette phase du développement doit être dépassée, parce qu'il faut que le vital inférieur acquière en lui une paix parfaite et que, même s'il sent l'état des autres, ce soit comme un acte de perception ou de connaissance sans aucune réaction ni aucun reflet.
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1654
Je suppose que cela dépend de l'individu et de votre manière de réagir à lui. S'il émet des vibrations sexuelles ou s'approprie de l'énergie vitale, alors s'ouvrir à lui peut ne pas être bon. Mais dans les échanges superficiels ordinaires, on ne perd pas forcément quelque chose, ou ce que l'on perd est si peu et se répare si automatiquement que c'est sans importance.
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1655
Il est très possible qu'il tire [l'énergie vitale] sans s'en rendre compte, puisque son vital est faible et que ceux dont le vital est faible tirent inconsciemment et automatiquement sur l'énergie des autres.
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1656
Quand des gens se rencontrent il y a en général un échange de forces vitales qui est tout à fait involontaire... Le vampirisme est un phénomène particulier: une personne vit du vital des autres et s'épanouit vitalement à leurs dépens.
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1657
La sensation de fatigue que les gens ont ressentie après avoir vu ce X est un signe de vampirisme; très souvent, cependant, cette sensation n'apparaît pas, mais l'être dans son ensemble en subit un contre-coup. Les nerfs se dérèglent peu à peu; ce que l'on appelle l'enveloppe nerveuse s'affaiblit, ou d'une manière ou d'une autre la vitalité s'amoindrit ou devient anormale, fébrile et irritable. L'effet se manifeste de bien des manières similaires. Le vampirisme sexuel est une autre affaire: dans l'échange sexuel, il est normal de donner et de recevoir, mais le vampire sexuel dévore le vital de l'autre et ne donne rien ou très peu.
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1658
Tant de prudence n'est pas nécessaire. Les échanges vitaux ordinaires sont superficiels. Personne ne peut s'approprier le vital de quelqu'un d'autre, pour l'excellente raison que si cela arrivait, la personne ainsi dépossédée mourrait. Il est bien sûr possible qu'une personne draine les forces vitales d'une autre au point de la laisser abattue, faible ou étiolée, mais seule l'espèce vampire agit ainsi. Il est possible aussi que quelqu'un dépense ses forces vitales à l'excès, au point de s'affaiblir ou d'épuiser son énergie, ce qu'il ne faut pas faire; seuls ceux qui savent comment puiser dans la Force vitale universelle ou peuvent y puiser en abondance et refaire le plein de leurs énergies de vie peuvent donner à profusion. Tous, bien sûr, y puisent dans une certaine mesure, autrement ils ne resteraient pas en vie, car la dépense d'énergie vitale est constante et il faut la compenser; mais pour la plupart, la capacité de puiser est limitée et la capacité de donner sans épuisement est, elle aussi, limitée.
Mais les échanges ordinaires sont inoffensifs pourvu qu'ils soient maintenus dans des limites raisonnables. Ce qui crée une difficulté dans la sâdhanâ, c'est qu'il est facile d'attirer des influences indésirables ou de les transmettre aux autres. C'est la raison pour laquelle à certains stades, il est souvent recommandé de restreindre la parole, les échanges, etc. Mais le vrai remède est de devenir intérieurement conscient, de reconnaître toute incursion ou influence indésirable et d'être capable de la repousser, d'être capable, quand on parle, qu'on est en compagnie, etc., de conserver autour de soi une défense et de ne laisser passer que ce que l'on peut accepter et rien d'autre. Il faut aussi pouvoir mesurer ce que l'on peut donner en toute sécurité et ce que l'on ne peut pas. Quand on a la conscience et la pratique, cette manière d'agir devient quasi automatique.
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1659
Non, les gens ne sont pas conscients de ces choses, seuls quelques-uns le sont. L'échange vital est là, mais ils ne s'en rendent pas compte, parce qu'ils vivent dans le mental extérieur (physique) et que tout cela se passe à l'arrière-plan. Même s'ils se sentent plus énergiques après un échange, ou déprimés, ou fatigués, ils n'attribueront pas cela à la conversation ou au contact, parce que l'échange est inconscient; leur mental extérieur, dans lequel ils vivent, ne s'en rend pas compte.
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1660
[Être conscient de l'échange vital] devient utile lorsque se développe un pouvoir intérieur fondé sur la paix, qui agira sur ces choses et les empêchera de se produire. Tant que l'on est inconscient, on subit l'action dans l'Ignorance, et on n'a aucune possibilité de sortir du cercle, parce qu'on n'a pas la connaissance. La conscience s'accompagne d'un développement intérieur croissant de l'être qui fait de la paix, de la libération une nécessité; en même temps, on s'ouvre à la Force supérieure d'une conscience nouvelle qui met fin à l'échange vital et crée un nouvel équilibre pour la vie du vital comme pour celle du mental. Si l'on se contente de la sensibilité accrue et qu'on ne va pas plus loin, alors celle-ci n'est évidemment pas utilisée comme elle le devrait. Il y a des gens comme X ou Y qui se sont tellement absorbés dans la connaissance "occulte" qu'ils se sont arrêtés là et ont continué à y tourner en rond en commettant toutes sortes de bévues parce que la lumière spirituelle était absente. Il ne faut pas s'arrêter là, mais continuer et aller au-delà jusqu'à la conscience spirituelle et la lumière, la force et l'équilibre plus grands qu'elle apporte.
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1661
Je ne crois pas que les gens soient le moins du monde conscients de ce commerce occulte. Certains, comme Daudet, peuvent observer la dépense ou l'émission des forces, mais pas la traction exercée sur les autres ni son effet. L'idée d'échange mental est familière seulement au sens superficiel, non au sens de l'action silencieuse d'un mental sur un autre, qui est constante; quant aux impacts vitaux, ils ne sont connus que de quelques occultistes. Si l'on devient très conscient, on peut percevoir les forces qui agissent à l'intérieur de soi-même et viennent d'alentour, par exemple les forces de joie, de dépression ou de colère.
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1662
Il doit forcément y avoir une différence entre l'énergie vitale d'un homme cultivé et bien éduqué et celle d'un homme rude et ignorant. Si ce n'est rien de plus, c'est au moins un plus grand raffinement, une plus grande subtilité dans la force vitale et par conséquent dans l'énergie. Boire, si c'est à l'excès, affecte la substance et la qualité de l'énergie; mais il est probable que boire et fumer avec modération auraient un effet moins perceptible. Je ne pense pas que dans la vie ordinaire, les gens observent clairement, mais ils ont souvent une impression générale qu'ils ne peuvent ni expliquer ni préciser.