SRI AUROBINDO
Lettres sur le Yoga
Volume 2. Section 2
1. Le but du yoga intégral
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Le but que nous poursuivons dans notre yoga est de pénétrer dans la Présence et la Conscience divines et d'en être possédés, d'aimer le Divin pour. le Divin seul, d'harmoniser notre nature à la nature du Divin et d'être, dans notre volonté, nos œuvres et notre vie, l'instrument du Divin. Dans notre yoga, le but n'est pas de devenir un grand yogi ou un surhomme (bien que cela puisse arriver), ni de s'emparer du Divin pour alimenter le pouvoir de l'ego, flatter son orgueil ou satisfaire son plaisir. Son but n'est pas non plus le môksha, bien qu'il mène à la libération et que tout le reste puisse s'ensuivre; ces objectifs ne doivent pas être nôtres. Le Divin seul est notre but.
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Aborder notre yoga dans la seule idée de devenir un surhomme serait un acte d'égoïsme vital qui irait à l'encontre du but même du yoga. Ceux qui placent cet objectif au premier plan de leurs préoccupations courent invariablement à l'échec dans le domaine spirituel et dans les autres. Dans notre yoga, le but est tout d'abord d'entrer dans la conscience divine en y fusionnant l'ego séparatif(soit dit en passant, on découvre par là même le vrai moi individuel qui n'est pas l'ego humain limité, vain et égoïste, mais une parcelle du Divin) et ensuite, de faire descendre la conscience supramentale sur la terre pour qu'elle transforme le mental, la vie et le corps. Tout le reste ne peut être qu'une conséquence de ces deux objectifs, non le but principal du yoga.
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Vous devez vous débarrasser de certaines idées fausses que vous semblez avoir au sujet du yoga, car elles sont dangereuses et tout sâdhak devrait les rejeter:
1. L'objet du yoga n'est pas de devenir "comme" Sri Aurobindo ou la Mère. Ceux qui caressent cette idée sont facilement amenés à en déduire qu'ils peuvent devenir aussi grands et même plus grands qu'eux. Cela ne fait que nourrir l'ego.
2. L'objet du yoga n'est pas d'acquérir des pouvoirs ou d'être plus puissant que d'autres, d'avoir de grandes siddhi ou d'accomplir des actions grandioses, merveilleuses ou miraculeuses.
3. L'objet du yoga n'est pas de devenir un grand yogi ou un surhomme. Cette manière égoïste d'aborder le yoga ne peut rien amener de bon; évitez-la à tout prix.
4. Parler du supramental et penser à le faire descendre en vous est de tout le plus dangereux. Cela peut conduire à une mégalomanie et à une perte d'équilibre totales. Ce que doit rechercher le sâdhak, c'est une pleine ouverture au Divin, la transformation psychique de sa conscience, la transformation spirituelle. De ce changement de conscience, l'absence d'ego, l'absence de désir, l'humilité, la bhakti, le don de soi, le calme, l'égalité, la paix, une sincérité tranquille sont les composants nécessaires. Jusqu'à la transformation psychique et spirituelle, penser à devenir supramental est une absurdité, et une absurdité arrogante de surcroît.
Toutes ces idées égoïstes, si l'on s'y complaît, ne peuvent que magnifier l'ego, dénaturer la sâdhanâ et mener à de graves dangers spirituels. Il faut les rejeter totalement.
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Bien sûr que c'est possible [de faire le yoga sans être un grand homme]. La grandeur n'est pas nécessaire. Au contraire, la première nécessité est l'humilité, car celui qui a de l'ego et de l'orgueil ne peut pas réaliser le Suprême.
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J'ignore malheureusement la langue télougou et n'ai donc pas pu lire l'original de votre livre, mais je me suis fait une certaine idée de son contenu grâce au compte rendu qui en est donné en anglais. Il s'agit essentiellement, me semble-t-il, d'un exposé et d'une justification du Pourna Yoga et de mon message; je crois que vous en avez correctement défini les deux principaux éléments: d'abord l'acceptation du monde comme manifestation du Pouvoir divin, et non son rejet en tant qu'erreur ou illusion, ensuite le caractère de cette manifestation considérée comme une évolution spirituelle, le yoga étant le moyen de transformer le mental, la vie et le corps pour qu'ils deviennent les instruments d'une perfection spirituelle et supramentale. L'univers n'est pas seulement un fait matériel, il est aussi un fait spirituel; la vie n'est pas seulement un jeu de forces ou une expérience mentale, elle est aussi un champ d'évolution pour l'esprit caché. La vie humaine ne trouvera sa plénitude et ne pourra se transformer en quelque chose qui la dépasse que lorsque cette vérité aura été saisie, que nous en aurons fait la force motrice de notre existence et que nous aurons découvert le moyen de la concrétiser dans les faits. Ce moyen, nous le trouverons dans un yoga intégral et dans une union de toutes les parties de notre être avec le Divin, ce qui aura pour effet de transmuer tous ces éléments aujourd'hui discordants en l'harmonie d'une conscience et d'une existence supérieures et divines.
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La méthode de yoga que nous suivons ici a un but différent des 'autres, car elle vise non seulement à nous faire passer de la conscience terrestre habituelle, ignorante, à la conscience divine, mais encore à faire descendre ici-bas, dans l'ignorance du mental, de la vie et du corps, le pouvoir supramental de cette divine conscience et à les transformer, à manifester le Divin sur la terre et à créer une vie divine dans la matière. C'est un but extrêmement difficile, un yoga difficile, et pour beaucoup de gens, ou même la plupart, il paraîtra impossible. Toutes les forces établies de la conscience terrestre ignorante habituelle s'y opposent, le repoussent et essayent de l'empêcher, et le sâdhak s'apercevra que son propre mental, sa vie et son corps sont pleins des obstacles les plus rebelles à la réalisation de ce but. Si vous pouvez accepter l'idéal de tout votre cœur, affronter toutes les difficultés, laisser derrière vous le passé et ses attaches, et si vous êtes prêt à renoncer à tout et à tout risquer pour cette divine possibilité, alors seulement vous pouvez espérer découvrir par l'expérience la Vérité qui est derrière.
La sâdhanâ de notre yoga ne procède par aucun enseignement mental fixe ni par des formes prescrites de méditation, mantra ou autres, mais par aspiration, par concentration à l'intérieur ou vers le haut, par l'ouverture à l'Influence, au Pouvoir divin au-dessus de nous et à son action, à la Présence divine dans le cœur, et par le rejet de tout ce qui leur est étranger. Ce n'est que par la foi, l'aspiration et la soumission que cette ouverture peut se faire.
Lumières sur le Yoga, chapitre I. Traduction de la Mère.
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Apparemment vous ressentez un appel et vous étés peut-être apte au yoga, mais il existe plusieurs chemins et chacun d'eux se propose un but différent et une réalisation différente. Tous les sentiers ont en commun la conquête des désirs et l'abandon des relations ordinaires de la vie, tous essaient de passer de l'incertitude à la certitude éternelle. On peut aussi essayer de conquérir le rêve et le sommeil, la faim et la soif, etc. Mais il n'entre pas dans l'objectif de mon yoga que l'on n'ait aucune relation avec te monde ou avec la vie, que l'on annihile les sens ou que l'on inhibe entièrement leur action. Mon yoga a pour objectif de transformer la vie en y faisant descendre la Lumière, le Pouvoir et la Béatitude de la Vérité divine et ses certitudes dynamiques. Ce n'est pas un yoga ascétique, il ne fuit pas le monde, c'est un yoga de la vie divine. Votre but, au contraire, ne peut être atteint qu'en entrant en samâdhi et en coupant ainsi tout lien avec l'existence dans le monde.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre III.
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Il n'est pas indispensable d'être un ascète; il suffit de pouvoir apprendre à vivre au-dedans, dans l'être intérieur, au lieu de vivre à la surface, de découvrir l'âme ou l'individualité véritable qui est voilée par les forces mentales et vitales de surface, et d'ouvrir l'être à la Réalité supraconsciente. Mais on ne peut pas y parvenir à moins d'être entièrement sincère et unifié dans son effort.
Pour répondre à votre seconde question, je dirai que participer à la mission de Sri Aurobindo dépend soit de l'aptitude à pratiquer un yoga difficile, soit d'une vocation à se consacrer à cet idéal sans accorder une seule pensée aux revendications de l'ego ou des désirs vitaux; sinon mieux vaut ne pas l'envisager.
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Oui, à moins que la nature extérieure ne soit transformée, on peut monter aussi haut qu'il est possible et avoir les plus grandes expériences, le mental extérieur n'en demeure pas moins un instrument de l'Ignorance.
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Il est toujours possible d'obtenir certaines réalisations sur le plan du mental spirituel, même si le vital est encore impur. Il y a une sorte de séparation entre le Pourousha et la Prakriti au niveau mental qui donne une connaissance sans effets transformateurs sur la vie. Mais la théorie de ces yogis est qu'il faut connaître le Moi; la vie et ce que l'on fait dans la vie, c'est sans importance. Avez-vous lu l'histoire du yogi qui était venu avec sa concubine et à qui Râmakrishna demandait: "Pourquoi vivez-vous ainsi?" Il lui répondit: "Tout est Maya, donc peu importe, puisque je connais le Brahman." Il est vrai que Râmakrishna lui répondit: "Je crache sur votre Védânta," mais logiquement l'argument du yogi se tenait, car si toute la vie et toute l'action sont Maya et que seul le Brahman silencieux est réel, alors...
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Dans l'état du Brahman, on sent le moi intact et pur, mais la nature reste imparfaite. Le sannyâsî ordinaire ne s'en soucie pas, parce que son but n'est pas de rendre sa nature parfaite, mais de s'en séparer.
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La paix est une base nécessaire, mais elle ne suffit pas. La paix, si elle est forte et permanente, peut libérer l'être intérieur qui devient alors le témoin calme et impassible des mouvements extérieurs. C'est la libération du sannyâsî. Dans certains cas elle peut libérer aussi l'être extérieur puisque l'ancienne nature se trouve rejetée au-dehors, dans la conscience environnante. Mais là encore il s'agit d'une libération, non d'une transformation.
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Ils [les anciens yogis] avaient pour but la réalisation et ne se souciaient pas de la divinisation, sauf dans le yoga tantrique et quelques autres. Même dans ceux-ci, cependant, leur but était de devenir des saints et des siddha plutôt qu'autre chose.
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Le pouvoir, la luminosité, la plénitude, etc. d'une expérience dépendent dans une très large mesure du plan sur lequel elle se déroule. Une réalisation mentale est très différente d'une réalisation surmentale ou d'une réalisation supramentale, bien que la Vérité réalisée puisse être la même. Ainsi la connaissance de la Matière comme Brahman a un effet très différent de la connaissance de la Vie, du Mental, du Supramental ou de l'Ânanda comme Brahman. Si la réalisation du Divin par le mental revenait au même que sa réalisation sur des plans supérieurs, notre yoga n'aurait aucun sens: monter jusqu'au supramental ou le faire descendre serait inutile.
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Être en union complète avec le Divin est le but final. Quand sur un plan ou un autre l'union est constante, on peut être qualifié de yogi, mais il faut rendre cette union complète. Il y a des yogis qui possèdent l'union sur le seul plan spirituel, d'autres qui sont unis dans le mental et dans le cœur, d'autres également dans le vital. Dans notre yoga, nous avons en outre pour but l'union dans la conscience physique et sur le plan supramental.
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Mais pourquoi [les yogis des sentiers traditionnels] sentiraient-ils la pression [de la descente du supramental], puisqu'ils sont satisfaits de la réalisation qu'ils ont obtenue? Ils vivent dans le mental spirituel et le mental est par nature séparateur; dans leur cas, il s'agit de séparer un aspect ou un état élevé du Divin et de le rechercher à l'exclusion de tout le reste. Toutes les philosophies spirituelles, toutes les écoles de yoga le font. Si elles vont au-delà, c'est dans l'Absolu, et le mental ne peut concevoir l'Absolu sinon comme quelque chose d'inconcevable, neti neti. De plus, pour obtenir le samâdhi, ces yogis se concentrent sur une idée unique et ce qu'ils atteignent, c'est ce que cette idée représente. Le samâdhi est, par nature, une concentration exclusive sur cela; pourquoi donc les ouvrirait-il à autre chose? Peu de yogis sont suffisamment souples pour échapper à cette limitation que s'impose la sâdhanâ; ils sentent que la réalisation n'a pas de fin: quand on parvient à un sommet, on en découvre un autre plus loin. Pour en savoir davantage, il faut entrer en contact conscient et éveillé avec le supramental ou au moins l'entrevoir, c'est-à-dire dépasser le mental spirituel.
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C'est le principe même de notre yoga: la transformation finale ne peut se produire que par la supramentalisation de la conscience, c'est-à-dire par une ascension au-dessus du mental dans le supramental et par la descente du supramental dans la nature. Donc si personne ne peut s'élever du mental au supramental, ni obtenir la descente du supramental, logiquement ce yoga devient impossible. Mais chaque être est un en essence avec le Divin et dans son être individuel, il est une parcelle du Divin, de sorte que nulle barrière infranchissable ne lui interdit de devenir supramental. Il est sans aucun doute impossible pour la nature humaine, étant donné qu'elle a pour base le mental, de triompher de l'Ignorance et de s'élever jusqu'au supramental ou d'en obtenir la descente sans qu'aucune aide ne soutienne ses efforts. Cependant, par la soumission au Divin, cela peut être fait. On fait descendre le supramental dans la nature terrestre par l'intermédiaire de sa propre conscience et on ouvre ainsi la voie à d'autres, mais la transformation doit se répéter dans chaque conscience pour devenir individuellement efficace.
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Le but du yoga est d'ouvrir la conscience au Divin et de vivre de plus en plus dans la conscience intérieure, tout en agissant sur la vie extérieure à partir de cette conscience; d'amener l'être psychique profond au premier plan et, par le pouvoir du psychique, de purifier et de changer l'être afin qu'il soit prêt pour la transformation et uni à la Connaissance divine, à la Volonté divine et à l'Amour divin. Deuxièmement, il faut développer la conscience yoguique, c'est-à-dire universaliser l'être sur tous les plans, devenir conscient de l'être cosmique et des forces cosmiques, s'unir au Divin sur tous les plans jusqu'au surmental. Troisièmement, il faut entrer en contact avec le Divin transcendant, au-delà du surmental, au moyen de la conscience supramentale, supramentaliser la conscience et la nature, et se faire l'instrument de la. réalisation de la Vérité divine dynamique et de sa descente transformatrice dans la nature terrestre.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre I.
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Le Divin a pour nous trois aspects:
1. Il est le Moi et l'Esprit cosmique qui est dans et derrière toutes les choses et tous les êtres; tout dans l'univers est manifesté à partir de lui et en lui, même si cette manifestation se produit maintenant dans l'Ignorance.
2. Il est l'Esprit et le Maître de notre propre être en nous; nous devons le servir, nous devons apprendre à exprimer sa volonté dans tous nos mouvements, afin de pouvoir, par notre croissance, sortir de l'Ignorance pour entrer dans la Lumière.
3. Le Divin est Être et Esprit transcendant, tout béatitude et lumière, connaissance divine et pouvoir divin; nous devons nous élever vers cette suprême existence divine et sa Lumière, et en faire descendre progressivement la réalité dans notre conscience et notre vie.
Dans la nature ordinaire, nous vivons dans l'Ignorance et ne connaissons pas le Divin. Les forces de la nature ordinaire sont des forces non divines parce qu'elles tissent un voile d'ego, de désir et d'inconscience qui nous dissimule le Divin. Pour entrer dans la conscience plus haute et plus profonde qui connaît le Divin et vit lumineusement en lui, nous devons nous débarrasser des forces de la nature inférieure et nous ouvrir à l'action de la Shakti divine qui transformera notre conscience en celle de la Nature divine.
C'est de cette conception du Divin qu'il nous faut partir; la réalisation de sa vérité ne peut venir qu'avec l'ouverture de la conscience et sa transformation.
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La distinction entre le Divin transcendant, le Divin cosmique et le Divin individuel n'est pas de mon invention, elle n'est pas non plus originaire de l'Inde ni de l'Asie; c'est au contraire un enseignement européen reconnu et courant dans la tradition ésotérique de l'Église catholique où elle est l'explication autorisée de la Trinité — Père, Fils et Saint-Esprit — et elle est très répandue dans l'expérience mystique européenne. En essence elle existe dans toutes les disciplines spirituelles qui admettent l'omniprésence du Divin, dans l'expérience védântique indienne et dans le yoga musulman (non seulement dans le soufisme, mais aussi dans d'autres écoles); les musulmans parlent même non seulement de deux ou trois plans du Divin, mais de plusieurs jusqu'au Suprême. En ce qui concerne la conception elle-même, nul doute qu'il existe une différence entre l'individu, le cosmos dans l'espace et le temps, et quelque chose qui dépasse cette formule cosmique ou même toutes les formules cosmiques. Nombreux sont ceux qui ont eu l'expérience d'une conscience cosmique tout à fait différente, en portée et en action, de la conscience individuelle, et si, au-delà de la conscience cosmique, il existe une conscience infinie et éternelle par essence et non seulement par son étendue dans le Temps, celle-ci doit, elle aussi, être différente des deux autres. Et si le Divin existe ou se manifeste dans les trois, n'est-il pas concevable que par Son aspect, dans Son action, Il puisse se différencier Lui-même au point que nous soyons conduits, si nous ne voulons pas brouiller toute la vérité de l'expérience, si nous ne devons pas nous limiter à une expérience purement statique de quelque chose d'indéfinissable, à parler d'un triple aspect du Divin?
Dans la pratique du yoga la dynamique est très différente selon la manière dont on aborde ces trois réalisations possibles. Si je réalise le Divin uniquement comme ce qui n'est pas mon moi personnel, mais qui cependant fait mouvoir secrètement tout mon être personnel et que je puis faire sortir de derrière le voile, ou si je crée une image de cette divinité dans les divers éléments de moi-même, c'est une réalisation, mais elle est limitée. Si c'est la Divinité cosmique que je réalise, si je dissous en elle tout mon moi personnel, c'est une réalisation très vaste, mais je deviens un simple canal pour le Pouvoir universel et aucun accomplissement personnel ou divinement individuel n'est possible pour moi. Si je m'élance vers la seule réalisation transcendante, je me perds, et du même coup je perds le monde, dans l'Absolu transcendant. Si au contraire mon but n'est rien de tout cela, mais que je veuille réaliser et aussi manifester le Divin dans le monde, faire descendre à cette fin un Pouvoir non encore manifesté — comme le supramental — une harmonisation de ces trois réalisations devient indispensable. Il faut que je le fasse descendre, et d'où le ferais-je descendre, puisqu'il n'est pas encore manifesté dans la formule cosmique, sinon de la Transcendance non manifestée que je dois atteindre et réaliser? Il faut que je le fasse descendre dans la formule cosmique et s'il en est ainsi, je dois réaliser le Divin cosmique et devenir conscient du moi cosmique et des forces cosmiques. Mais il faut que je lui fasse prendre corps ici, sinon il continue à n'être qu'une influence et non une chose fixée dans le monde physique, et c'est seulement par l'entremise du Divin dans l'individu que cela peut être fait.
Ce sont là des éléments de la dynamique de l'expérience spirituelle et je suis obligé de les admettre pour qu'une œuvre divine soit accomplie.
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Il est évident que chercher le Divin uniquement pour ce que l'on peut obtenir de Lui n 'est pas l'attitude juste; mais s'il était absolument interdit de Le rechercher à cette fin, la plupart des gens dans le monda ne se tourneraient pas vers Lui du tout. Je suppose donc qu'on les laisse faire pour qu'ils puissent prendre le départ; s'ils ont la foi, il est possible qu'ils reçoivent ce qu'ils demandent, qu'ils pensent que c'est bien de continuer, et puis qu'un jour l'idée leur vienne qu'après tout ce n'est pas vraiment ce qu'il convient de faire et qu'on peut aborder le Divin d'une meilleure manière et dans un meilleur esprit. S'ils n'en reçoivent pas ce qu'ils veulent et malgré tout se tournent vers le Divin et Lui font confiance, alors cela prouve qu'ils commencent à être prêts. Considérons cela comme une sorte d'école maternelle pour ceux qui ne sont pas prêts. Mais ce n'est évidemment pas la vie spirituelle, ce n'est qu'une sorte de voie d'accès religieuse et simpliste. Car dans la vie spirituelle, la règle est de donner et de ne rien exiger. Le sâdhak peut cependant demander à la Force divine de l'aider à préserver sa santé ou à la rétablir, s'il le fait comme une partie de sa sâdhanâ, pour que son corps fonctionne bien et soit apte à la vie spirituelle, qu'il soit un instrument capable d'accomplir l'Œuvre divine.
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Laissons tout d'abord de côté la question hors de propos ici, de savoir ce que nous ferions si l'union avec le Divin apportait une éternelle absence de joie, le Nirânanda ou la souffrance. Rien de tel n'existe et introduire à toute force ce problème dans le débat ne fait que l'obscurcir. Le Divin est Ânandamaya et on peut le chercher pour l'Ânanda qu'il donne; mais il contient aussi beaucoup d'autres choses et on peut le chercher pour n'importe laquelle d'entre elles: pour la paix, pour la libération, pour la connaissance, pour le pouvoir, pour tout ce qui suscite une attirance ou un élan. On peut fort bien dire: "Puisse-je recevoir du Divin le Pouvoir, faire Son travail ou Sa volonté, et je serai satisfait, même si l'usage du Pouvoir entraîne aussi la souffrance." Il est possible de fuir la béatitude si elle paraît trop écrasante ou trop extatique et de demander seulement, ou de préférence, la paix, la libération, le nirvana. Vous parlez d'accomplissement de soi; vous pouvez considérer le Suprême non comme le Divin, mais comme votre propre Moi suprême, et rechercher la plénitude de votre être dans ce Moi suprême, mais il n'est pas nécessaire de le considérer comme un moi de félicité, d'extase, d'Ânanda; on peut le considérer comme un moi de liberté, d'immensité, de connaissance, de tranquillité, de force, de calme, de perfection — trop calme peut-être pour qu'y pénètre ne serait-ce qu'une ondulation de quelque chose d'aussi bouleversant que la joie. Ainsi, même si l'on aborde le Divin pour ce que l'on peut y gagner, il n'est pas exact que l'on puisse l'aborder ou rechercher l'union avec Lui pour le seul Ânanda qu'il procure et rien d'autre.
Ce qui en découle fait que tout votre raisonnement ne tient plus debout. Car ce sont là des aspects de la Nature divine, des pouvoirs du Divin, des états de son être, mais le Divin Lui-même est quelque chose d'absolu, quelqu'un qui existe en soi, qui n'est pas limité par ses aspects; merveilleux et ineffable, ce n'est pas Lui qui existe par eux, ce sont eux qui existent à cause de Lui. Il s'ensuit que s'il attire par ses aspects, il peut attirer plus encore par l'absolu même de son moi qui est plus suave, plus imposant, plus profond qu'aucun de ses aspects. Sa paix, son extase, sa lumière, sa liberté, sa beauté sont merveilleuses et ineffables parce qu'il est lui-même magiquement, mystérieusement, transcendentalement merveilleux et ineffable. On peut alors le rechercher pour son moi merveilleux et ineffable, et pas seulement pour l'un ou l'autre de ses aspects. Pour cela, la seule chose nécessaire est d'abord de parvenir à un point où l'être psychique sent en lui que le Divin l'attire, et ensuite d'atteindre le point où le mental, le vital et chaque autre élément commence à sentir aussi que c'était cela qu'il voulait, et que la poursuite superficielle de l'Ânanda ou d'on ne sait quoi d'autre n'était qu'un prétexte pour attirer la nature vers cet aimant suprême.
Selon vous, parce que nous savons que l'union avec le Divin nous apportera l'Ânanda, c'est nécessairement pour l'Ânanda que nous recherchons l'union; cet argument n'est pas juste et n'a aucun poids. L'amoureux d'une reine a beau savoir que si elle répond à son amour, il en résultera pour lui le pouvoir, le rang, les richesses, ce n'est pas forcément pour le pouvoir, le rang, les richesses qu'il cherche à en être aimé. Il peut l'aimer pour elle-même et pourrait l'aimer tout autant si elle n'était pas reine; il peut n'avoir aucun espoir d'être aimé en retour et pourtant l'aimer, l'adorer, vivre pour elle, mourir pour elle simplement parce qu'elle est elle. C'est arrivé, et certains hommes ont aimé une femme sans aucun espoir de possession ou d'aboutissement, aimé avec constance, avec passion, alors même que devenue vieille, elle avait perdu sa beauté. Les patriotes n'aiment pas seulement leur patrie quand elle est riche, puissante, grande et qu'elle a beaucoup à leur offrir; l'amour de la patrie a été le plus ardent, le plus passionné, le plus absolu quand le pays était pauvre, déchu, misérable, n'ayant rien à offrir que la ruine, les blessures, la torture, la prison, la mort pour gages des services rendus; et pourtant même en sachant qu'ils ne la verraient jamais libre, des hommes ont vécu, servi, sont morts pour elle, pour elle-même et non pour ce qu'elle pouvait leur donner. Certains hommes ont aimé la Vérité pour elle-même et pour ce qu'ils pouvaient chercher et trouver en elle, ont accepté la pauvreté, les persécutions et même la mort; ils se sont même contentés de la chercher toujours sans jamais la trouver, et pourtant n'ont jamais abandonné leur quête. Qu'est-ce que cela signifie? Que l'être humain, la patrie, la Vérité, d'autres choses encore peuvent être aimées pour elles-mêmes et pour rien d'autre, pour aucune circonstance ni qualité accessoire, aucune conséquence agréable, mais pour quelque chose d'absolu qui est en elles ou derrière les apparences ou les circonstances. Le Divin est plus qu'un homme ou une femme, plus qu'un morceau de terre ou une croyance, une opinion, une découverte, un principe. Il est La Personne au-delà de toutes les personnes. Patrie et Pays de toutes les âmes, Vérité dont toutes les vérités ne sont que des images imparfaites. Ne peut-Il donc pas être aimé et recherché pour Lui-même, autant et plus que ceux-ci ne l'ont été des hommes, même dans leur moi et leur nature inférieurs?
Ce que votre raisonnement passe sous silence, c'est ce qui est absolu ou tend vers l'absolu, tant dans l'homme et dans sa recherche que dans le Divin, quelque chose qui ne s'explique ni par un raisonnement mental ni par un mobile vital. Il y a certes un mobile, mais c'est un mobile de l'âme et non du désir vital; il y a certes une raison, mais c'est une raison qui appartient non pas au mental, mais au moi et à l'esprit. Une quête aussi, mais une quête qui est une aspiration inhérente à l'âme, non une convoitise du vital. C'est ce qui apparaît avec le pur don de soi, quand le "je te cherche pour ceci, je te cherche pour cela" fait place au pur "Je te cherche pour toi". C'est de cet absolu merveilleux et ineffable dans le Divin que parle X quand il dit: "Non la connaissance, ni ceci, ni cela, mais Krishna." Cette attirance est en vérité un impératif catégorique, le moi en nous est attire vers le Divin à cause de l'appel impératif du Moi plus grand, de l'âme ineffablement attirée vers l'objet de son adoration parce qu'il ne peut pas en être autrement, parce que cela est cela, et que Lui est Lui. C'est tout.
Si j'ai tant écrit, c'est seulement pour expliquer ce que nous voulons dire quand nous parlons de chercher le Divin pour lui-même et pour rien d'autre... pour autant que ce soit explicable. Explicable ou non, c'est l'un des faits dominants de l'expérience spirituelle. La volonté de se donner n'est qu'une expression de ce fait. Mais cela ne signifie pas que je vous reproche de demander l'Ânanda. Demandez-le sans hésiter, dès lors que cette demande correspond à un besoin dans une certaine partie de votre être, car ce sont ces choses qui mènent vers le Divin, tant que l'appel intérieur absolu, qui est là tout le temps, ne s'est pas hissé à la surface. Mais c'était lui, en réalité, qui exerçait son attirance dès le début et qui est là derrière: c'est l'impératif spirituel catégorique, le besoin absolu de l'âme pour le Divin.
Je ne dis pas qu'il n'y aura pas d'Ânanda. Le don de soi est lui-même un Ânanda profond; ce qu'il apporte entraîne dans son sillage un Ânanda inexprimable, et cette méthode l'apporte plus tôt qu'aucune autre, de sorte que l'on peut presque dire: "Un don de soi sans ego est la meilleure tactique." Seulement on ne se donne pas pour des raisons tactiques. Si l'Ânanda est le résultat, le don de soi n'est pas accompli pour ce résultat, mais pour lui-même et pour le Divin lui-même; la distinction peut sembler subtile au mental, mais elle est très réelle.
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Je ne voulais pas dire que c'était une erreur d'aspirer à l'Ânanda. Ce que je voulais indiquer, c'était la condition nécessaire à la possession permanente de l'Ânanda (des signes, des visites, des descentes soudaines, on peut en avoir avant); la condition essentielle de cette possession permanente est une transformation de la conscience, la venue de la paix, de la lumière, etc., de tout ce qui détermine le passage de la nature normale à la nature spiritualisée. Et puisqu'il en est ainsi, mieux vaut faire de ce changement de conscience le premier objectif de la sâdhanâ. Au contraire, s'évertuer à obtenir immédiatement l'Ânanda constant dans une conscience qui n'est pas encore capable de le retenir, et plus encore y substituer des joies et des plaisirs moindres (vitaux), peut fort bien arrêter le flot des expériences spirituelles qui rendent l'extase continue essentiellement possible. Mais je n'ai certes jamais voulu dire que l'Ânanda ne devait pas être atteint, ni insisté pour que vous vous dirigiez vers un Brahman nirānanda (sans joie). Au contraire, j'ai dit que l'Ânanda était le couronnement du yoga: cela signifie bien qu'il fait partie de la siddhi la plus élevée.
Tout ce que l'on veut, avec sincérité et persévérance, obtenir du Divin, le Divin le donne à coup sûr. Si donc vous voulez l'Ânanda et que vous persistez à le vouloir, vous finirez sûrement par l'obtenir. La seule question est de savoir quel pouvoir vous utiliserez principalement dans votre quête: exigence vitale ou aspiration psychique se manifestant au moyen du cœur et se communiquant à la conscience mentale, vitale et physique. De ces deux pouvoirs, l'aspiration psychique est le plus grand et raccourcit le chemin; par ailleurs, il faut en arriver là tôt ou tard.
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Trouver le Divin est en réalité la raison principale de rechercher la Vérité spirituelle et la vie spirituelle; c'est la seule chose indispensable et sans elle tout le reste n'est rien. Une fois que l'on a trouvé le Divin, il faut Le manifester, c'est-à-dire transformer tout d'abord notre conscience limitée en la Conscience divine, vivre dans la Paix, la Lumière, l'Amour, la Force, la Félicité infinis, devenir tout cela dans notre nature essentielle et, en conséquence, en être le réceptacle, le canal, l'instrument dans notre nature active. Introduire dans l'activité le principe de l'unité sur le plan matériel, ou travailler pour l'humanité, est une interprétation mentale erronée de la Vérité: tel ne peut pas être le premier et le véritable but de la quête spirituelle. Il nous faut trouver le Moi, le Divin; alors seulement nous pourrons savoir quel travail le Moi ou le Divin exige de nous. Jusque là, notre action dans la vie ne peut être qu'une aide ou un moyen pour trouver le Divin et ne devrait pas avoir d'autre raison d'être. À mesure que nous grandissons dans la conscience intérieure, ou à mesure que la Vérité spirituelle du Divin croît en nous, notre vie et notre action doivent en effet découler de plus en plus de cette recherche, faire corps avec elle. Mais décider par avance, selon nos conceptions mentales limitées, de ce qu'elles doivent être, entrave la croissance en nous de la Vérité spirituelle. À mesure que celle-ci grandira, nous sentirons la Lumière et la Vérité divines, la Puissance et la Force divines, la Pureté et la Paix divines travailler en nous, se charger de nos actions et aussi de notre conscience, les utilisant pour nous remodeler à l'Image du Divin, éliminant les scories pour y substituer l'or pur de l'Esprit. C'est seulement quand la Divine Présence sera permanente en nous et que la conscience sera transformée que nous aurons le droit de nous dire prêts à manifester le Divin sur le plan matériel. Si nous érigeons un idéal ou un principe mental et l'imposons au travail intérieur, nous courons le risque de nous limiter à une réalisation mentale ou d'entraver et même de fausser, par une formation arrêtée à mi-chemin, la véritable croissance vers une communion et une unité totales avec le Divin et le jaillissement libre et intime de Sa volonté dans notre vie. Le mental moderne est particulièrement sujet à cette erreur d'orientation. Il est infiniment préférable d'aborder le Divin pour la Paix, la Lumière ou la Félicité que donne Sa réalisation que de faire intervenir ces mobiles secondaires qui peuvent nous détourner de la seule chose indispensable. La divinisation de la vie matérielle, tout autant que celle de la vie intérieure, fait partie de notre vision du Plan divin, mais elle ne peut être accomplie que par un jaillissement de la réalisation intérieure, quelque chose qui croît du dedans vers le dehors, non par la mise en œuvre d'un principe mental.
Vous m'avez demandé quelle discipline il fallait suivre pour convertir la recherche mentale en une expérience spirituelle vivante. La première nécessité est de pratiquer la concentration de votre conscience au-dedans de vous. Le mental humain ordinaire a, en surface, une activité qui voile le vrai Moi. Mais il y a une autre conscience, cachée au-dedans derrière la conscience de surface, où nous pouvons acquérir la perception du vrai Moi et d'une vérité plus vaste et plus profonde de la nature, où nous pouvons réaliser le Moi, libérer la nature et la transformer. Tranquilliser le mental de surface et commencer à vivre au-dedans est le but de cette concentration. Cette conscience véritable, distincte de la conscience de surface, a deux centres principaux, l'un dans le cœur (non pas le cœur physique, mais le centre cardiaque au milieu de la poitrine), l'autre dans la tête. Par la concentration dans le cœur .on s'ouvre vers le dedans et en poursuivant cette ouverture intérieure, en pénétrant profondément, on devient conscient de l'âme ou être psychique, de l'élément divin dans l'individu. Cet être dévoilé commence à venir au premier plan, à gouverner la nature, à l'orienter, elle et tous ses mouvements, vers la Vérité, vers le Divin, et à appeler en elle tout ce qui est au-dessus. Il apporte la conscience de la Présence, la consécration de l'être au Suprême, il fait descendre dans notre nature une Force, une Conscience plus grande qui attendait au-dessus de nous. La concentration dans le centre du cœur, accompagnée de l'offrande de soi au Divin et de l'aspiration à cette ouverture intérieure et à la Présence dans le cœur, est le premier mode de concentration et, si on peut le pratiquer, c'est un début naturel; car son résultat, une fois acquis, rend le chemin spirituel beaucoup plus aisé et sûr que si l'on commence d'une autre manière.
Cette autre manière consiste à se concentrer dans la tête, dans le centre mental. Si elle apporte le silence dans le mental de surface, elle ouvre au-dedans un mental intérieur plus vaste et plus profond qui est davantage capable de recevoir l'expérience et la connaissance spirituelles. Mais une fois que l'on est concentré à cet endroit, il faut ouvrir la conscience mentale silencieusement vers le haut à tout ce qui est au-dessus du mental. Après un certain temps, on sent la conscience s'élever au-dessus; elle monte enfin au-delà du couvercle qui l'a si longtemps tenue enfermée dans le corps et trouve au-dessus de la tête un centre où elle se libère dans l'Infini. Là, elle commence à entrer en contact avec le Moi universel, la Paix, la Lumière, le Pouvoir, la Connaissance, la Béatitude du Divin, à y pénétrer, à devenir tout cela et à en sentir la descente dans la nature. Se concentrer dans la tête en aspirant à la tranquillité du mental et à la réalisation du Moi et du Divin au-dessus est le deuxième mode de concentration. Il est important, cependant, de se souvenir que la concentration de la conscience dans la tête n'est qu'une préparation à l'ascension de cette conscience vers le centre qui se trouve au-dessus; autrement on peut rester enfermé dans son propre mental et ses expériences ou, au mieux, atteindre seulement un reflet de la Vérité qui est au-dessus au lieu de monter dans la transcendance spirituelle pour y vivre. Pour certains la concentration mentale est plus facile, pour d'autres c'est la concentration dans le centre du cœur; certains sont capables de faire les deux alternativement, mais il est préférable, si l'on en est capable, de commencer par le centre du cœur.
L'autre aspect de la discipline concerne les activités de la nature, du mental, du moi-de-vie ou vital, de l'être physique. Ici le principe consiste à harmoniser la nature à la réalisation intérieure afin de ne pas être divisé en deux parties discordantes. Plusieurs disciplines ou méthodes sont possibles. Dans l'une on offre toutes les activités au Divin, on appelle le guide intérieur et on demande que la nature soit prise en charge par un Pouvoir supérieur. Si l'on est ouvert à l'âme au-dedans, si l'être psychique vient au premier plan, alors il n'y a pas grande difficulté: cet état s'accompagne d'une discrimination psychique, d'une indication constante, et enfin d'une direction qui révèle toutes les imperfections et, tranquillement et patiemment, les élimine, introduit dans le mental et le vital les mouvements justes et donne aussi une forme nouvelle à la conscience physique. Une autre méthode consiste à faire un pas en arrière en se détachant des mouvements de l'être mental, vital et physique, à ne considérer leurs activités que comme une formation habituelle de la Nature générale dans l'individu, formation qui nous est imposée par les fonctionnements du passé et qui ne fait nullement partie de notre être vrai; dans la mesure où nous réussissons, où nous nous détachons, où nous voyons le mental et ses activités comme n'étant pas nous, la vie et ses activités comme n'étant pas nous, le corps et ses activités comme n'étant pas nous, nous commençons à percevoir un Être intérieur en nous — mental intérieur, vital intérieur, physique intérieur — silencieux, calme, non lié, non attaché, qui reflète le vrai Moi au-dessus et peut être son représentant direct; de cet Être intérieur silencieux proviennent le rejet de tout ce qui doit être rejeté, l'acceptation de ce qui peut être gardé et transformé à l'exclusion du reste, une Volonté profonde qui tend vers la perfection ou un appel au Pouvoir divin pour qu'il fasse à chaque pas ce qui est nécessaire à la transformation de la nature. Cet Être intérieur peut aussi ouvrir le mental, la vie et le corps à l'entité psychique intérieure et à son influence qui nous guide, ou à son gouvernement direct. Dans la plupart des cas ces deux méthodes apparaissent simultanément et vont de pair, puis finissent par se fondre en une seule. Mais on peut commencer par l'une ou par l'autre, celle que l'on trouve la plus naturelle et la plus facile à suivre.
Enfin, dans toutes les difficultés où l'effort personnel est entravé, l'Instructeur peut intervenir et apporter l'aide nécessaire pour nous faire parvenir à la réalisation ou pour nous faire franchir la prochaine étape.
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Notre yoga exige que l'on consacre totalement sa vie à l'aspiration à découvrir et à incarner la Vérité divine et à rien d'autre. Partager sa vie entre le Divin et quelque activité ou quelque but extérieurs qui n'ont rien à voir avec la recherche de la Vérité est inadmissible. La moindre division de ce genre rend impossible tout succès dans le yoga.
Vous devez aller au-dedans de vous-même et vous engager à une consécration complète à la vie spirituelle. Tout attachement aux préférences mentales doit tomber de vous, toute insistance sur les fins, les intérêts et les attractions du vital doit être mise de côté, tout attachement égoïste à la famille, aux amis, au pays doit disparaître si vous voulez réussir dans le yoga. Tout ce qui doit s'exprimer au-dehors comme énergie et action, doit procéder de la Vérité découverte, et non des motifs inférieurs du mental et du vital; de la Volonté divine et non d'un choix personnel ni des préférences de l'ego.
Les Bases du Yoga, chapitre Il Traduction de la Mère.
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C'est un principe universellement admis de l'effort spirituel que l'on doit être prêt à tout sacrifier sans réserve pour atteindre le Divin par la spiritualisation de la conscience. Si l'on a pour but le développement personnel sur le plan mental, vital et physique, c'est une autre affaire: c'est la vie de l'ego, l'âme restant en arrière, non développée ou à demi développée. Mais pour le chercheur spirituel, le seul développement recherché est celui de la conscience psychique et spirituelle, et cela, uniquement parce que c'est nécessaire pour atteindre et servir le Divin, non pour le développement lui-même. Tout développement du mental, du vital, du physique, toute utilisation des facultés qui peuvent faire partie de la vie spirituelle et servir d'instrument au Divin peuvent être conservés, à condition qu'ils soient offerts pour être transformés et reformulés sur une base spirituelle. Mais ils ne doivent pas être conservés pour eux-mêmes, ni pour l'ego, ni considérés comme une possession personnelle ou utilisés pour soi-même, mais seulement pour le Divin.
Ce que dit James est évidemment vrai, sauf dans la mesure où le politicien peut s'adonner à d'autres activités comme passe-temps pendant ses heures de loisir, mais s'il veut réussir en tant que politicien, il doit consacrer le meilleur de ses énergies à la politique. Inversement, si Shakespeare ou Newton avaient dépensé une partie de leurs énergies dans la politique, ils n'auraient pas été capables d'atteindre de tels sommets dans la poésie ou la science; ou même s'ils l'avaient fait, leur production aurait été beaucoup moins abondante. Les énergies principales doivent être concentrées sur un objectif unique; pour le reste, il ne peut s'agir que de recherches mineures, aux moments de loisir ou pour se distraire, ou d'intérêts plutôt que de recherches, utiles à l'entretien d'une culture générale.
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Tout dépend du but de la vie. Pour celui dont le but est de découvrir et de posséder la vérité spirituelle la plus haute et la vie divine, je ne pense pas qu'une chaire d'université puisse beaucoup compter, pas plus que je ne vois de lien pratique entre les deux. Ce serait différent s'il avait pour objectif une vie d'écrivain et de penseur sur le seul plan intellectuel, sans aucune envolée supérieure ou quête plus profonde. Je ne pense pas que votre refus de vous engager dans un travail de ce genre dénote une faiblesse. Il provient plutôt du fait que seule une petite partie de votre nature, qui n'est ni la plus profonde ni la plus forte, se satisferait de ce travail et de l'atmosphère où vous devriez vous en acquitter.
Dans les cas de ce genre, ce n'est pas le mental pensant, mais l'être vital — la force de vie et la nature de désir, ou une partie de celle-ci au moins — qui détermine d'ordinaire les actions des hommes et leur choix, quand ce n'est pas une nécessité ou une pression extérieure qui force la décision ou l'influence principalement. Le mental n'est qu'un agent d'interprétation, de justification, d'organisation. Parce que vous avez entrepris la sâdhanâ, une pression venue d'en haut et du dedans s'est exercée sur cette partie de votre être vital et l'a détournée des anciennes tendances de ses désirs, de ses anciens penchants et de ses vieilles ornières, celles qui auraient autrefois déterminé son orientation; ce vital — c'est souvent l'une des premières conséquences — est devenu silencieux et neutre. Il n'est plus fortement attiré par la vie ordinaire; il n'a pas encore reçu du centre psychique ou de la volonté mentale supérieure, ou par leur intermédiaire, une illumination et une impulsion suffisantes pour pouvoir adopter un mouvement vital nouveau et s'élancer avec vigueur vers une nouvelle vie. C'est la raison du manque d'énergie dont vous parlez, et c'est pourquoi l'avenir vous paraît flou.
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Si votre âme aspire sans cesse à la transformation, alors c'est à cela que vous devez vous attacher. Rechercher le Divin ou plutôt un certain aspect du Divin — car on ne peut réaliser entièrement le Divin sans transformation — peut suffire à certains, non à ceux dont l'âme aspire à la transformation divine intégrale.
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Devant les hésitations scrupuleuses de X entre Krishna, Shiva et Shakti, je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. Si un homme est attiré par une ou deux formes du Divin, c'est très bien, mais s'il est attiré par plusieurs formes à la fois, il n'a pas besoin de s'en tourmenter. Un individu tant soit peu développé a nécessairement, dans sa nature, plusieurs côtés, et il est tout à fait naturel que différentes formes attirent ou dominent différentes personnalités en lui; il peut les accepter toutes et les harmoniser dans le Divin unique et dans l'Âdyâ Shakti unique dont toutes sont les manifestations.