Mère
Entretiens
Le 21 mai 1958
This text will be replaced |
Douce Mère, que veut dire exactement «honnêteté mentale»?
C’est un mental qui n’essaye pas de se tromper lui-même. Et en fait, ce n’est pas un «essai» parce qu’il y réussit fort bien!
Il semblerait, dans la constitution psychologique ordinaire de l’homme, que la fonction presque constante du mental soit de donner une explication acceptable de ce qui se passe dans l’être de désir, le vital, les parties les plus matérielles du mental et les parties les plus subtiles du corps. Il y a une sorte de complicité générale de toutes les parties de l’être pour donner une explication, et même une légitimation confortable, à tout ce que nous faisons, pour éviter autant que possible les impressions pénibles qui proviennent des erreurs commises et des mouvements peu désirables. Par exemple, à moins que l’on n’ait subi ou que l’on ne se soit appliqué un dressage spécial, quoi que l’on fasse, le mental s’en donne à lui-même une explication suffisamment favorable pour que l’on ne soit pas gêné. Ce n’est que sous la pression des réactions extérieures ou des circonstances, ou des mouvements venant des autres gens, que, petit à petit, on consent à regarder moins favorablement ce que l’on est et ce que l’on fait, et que l’on commence à se demander si les choses ne pourraient pas être mieux qu’elles ne sont.
Spontanément, le premier mouvement est ce que l’on appelle en anglais «self-defence». On se met sur ses gardes et, tout à fait spontanément, on veut avoir raison... pour de toutes petites choses, des choses absolument sans importance, c’est une attitude ordinaire dans la vie.
Et les explications, on se les donne à soi-même; ce n’est que sous la pression des circonstances que l’on commence à les donner à d’autres, ou à un autre, mais d’abord on se rend très confortable, première chose: «C’était comme cela, parce que ça devait être comme cela, et c’est arrivé à cause de ça, et...», et c’est toujours la faute des circonstances ou des autres. Et il faut vraiment un effort — je dis, à moins que l’on n’ait subi une discipline, que l’on n’ait pris l’habitude de le faire automatiquement —, il faut un effort pour commencer à comprendre que ce n’est peut-être pas comme cela! Que peut-être on n’a pas fait exactement ce que l’on devait faire ou réagi comme on devait réagir. Et même quand on commence à le voir, il faut un effort encore beaucoup plus grand pour le reconnaître... officiellement.
Quand on commence à voir que l’on a fait une faute, le premier mouvement du mental est de jeter cela en arrière et de mettre un manteau devant, le manteau d’une très bonne petite explication, et puis tant que l’on n’est pas obligé de le montrer, on le cache. Et c’est cela que j’appelle «manquer d’honnêteté mentale».
D’abord, on se trompe par habitude, mais même quand on commence à ne pas se tromper, il y a instinctivement le mouvement d’essayer, essayer de se tromper pour être confortable. Et alors, il faut un pas encore plus grand, une fois que l’on a compris que l’on s’était trompé, pour avouer franchement que «oui, je me suis trompé».
Toutes ces choses-là sont si habituelles, si automatiques pour ainsi dire, que l’on ne s’en aperçoit même pas; mais quand on commence à vouloir établir une discipline sur son être, alors on fait des découvertes vraiment formidablement intéressantes. Quand on a découvert cela, on s’aperçoit que l’on vit constamment dans une... le meilleur mot, c’est «self-deception», un état de tromperie volontaire; c’est-à-dire que l’on se trompe soi-même spontanément. Ce n’est pas qu’il faille réfléchir: spontanément on met un joli manteau sur ce que l’on a fait pour que cela n’apparaisse pas dans sa vraie couleur... et alors pour des choses qui sont tellement insignifiantes, qui ont si peu d’importance! N’est-ce pas, on pourrait comprendre que si de reconnaître sa faute avait des conséquences graves pour son existence même, l’instinct de conservation vous fasse faire cela comme une protection, mais il ne s’agit pas de cela, il s’agit de choses qui sont absolument indifférentes, qui n’ont aucune conséquence, excepté celle d’avoir à se dire: «Je me suis trompé!»
C’est-à-dire qu’il faut un effort pour être sincère mentalement. Il faut un effort, il faut une discipline. Je ne parle pas naturellement de ceux qui mentent pour ne pas être pris, parce que cela, tout le monde sait qu’il ne faut pas le faire. D’ailleurs les mensonges les plus stupides sont les plus inutiles parce qu’ils sont si flagrants qu’ils ne peuvent tromper personne. Ça, ce sont des exemples que l’on a constamment; on prend quelqu’un en faute, on lui dit «c’est comme ça»; il donne une explication idiote, que personne ne peut comprendre, personne ne peut admettre, elle est idiote, mais dans l’espoir de se couvrir. C’est spontané, n’est-ce pas, mais on sait que cela ne se fait pas. Mais l’autre manière de tromperie est encore beaucoup plus spontanée, et elle est tellement habituelle que l’on n’en est pas conscient. Par conséquent, quand on parle d’honnêteté mentale, on parle d’une chose qui s’acquiert par un effort très constant et très soutenu.
On s’attrape, n’est-ce pas, tout d’un coup on s’attrape en train de se donner à soi-même quelque part dans la tête, là comme ça, ou ici (Mère désigne le coeur), là c’est plus grave... mais de donner une petite explication très favorable. Et c’est seulement quand on peut se pincer, là, se tenir, et qu’on se regarde bien en face et qu’on dit: «Tu crois que c’est comme ça?», alors, si l’on est très courageux et que l’on mette une très forte pression, on finit par se dire: «Oui, je sais très bien que ce n’est pas comme ça!»
Quelquefois cela prend des années. Il faut que le temps ait passé, il faut que l’on ait bien changé au-dedans de soi, il faut que la vision des choses soit différente, il faut que l’on soit dans une condition différente vis-à-vis des circonstances, dans une relation différente, pour voir clairement, complètement, à quel point on se trompait soi-même — et au moment même, on était persuadé que l’on était sincère.
(silence)
Il est probable que la sincérité parfaite ne pourra venir que lorsqu’on se sera élevé au-dessus de cette sphère de mensonge qu’est la vie telle que nous la connaissons sur la Terre, la vie mentale, même supérieure.
Lorsqu’on aura surgi dans la sphère supérieure, dans le monde de la Vérité, on pourra voir les choses vraiment telles qu’elles sont, et les voyant telles qu’elles sont, on pourra les vivre dans leur vérité. Alors, tous les mensonges tomberont naturellement. Et les explications favorables n’ayant plus aucune raison d’être disparaîtront, car il n’y aura plus rien à expliquer.
Les choses seront évidentes d’elles-mêmes, la Vérité transparaîtra dans les formes, la possibilité de l’erreur disparaîtra.