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Mère

Entretiens

 

Le 28 mai 1958

L'enregistrement   

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«Il est tout à fait vrai que si l’on s’arrête à la surface des choses, la vie semble n’être qu’une opération de la matière, le mental une simple activité de la vie; et il semblerait en résulter que ce que nous appelons âme ou Esprit est seulement un pouvoir de la mentalité — l’âme une forme affinée du mental, la spiritualité une activité élevée de l’être mental incarné. Mais c’est là une vision superficielle des choses, car la pensée se concentre sur les apparences et les processus, elle ne regarde pas ce qui est derrière les processus. Partant du même principe, on pourrait aussi bien conclure que l’électricité n’est qu’un produit ou une opération de la matière qui forme l’eau et les nuages, parce que c’est dans ce champ que l’éclair jaillit; mais une investigation plus approfondie a montré que tous deux, l’eau et les nuages, ont au contraire l’énergie de l’électricité comme fondement, comme puissance ou énergie-substance constitutive. Ce qui semble n’être qu’un résultat est en fait, dans la réalité du phénomène mais non dans sa forme, l’origine; l’effet se trouve déjà dans l’essence et préexiste à la cause apparente; le principe de l’activité qui émerge est antérieur au champ d’action présent. Il en est de même d’un bout à l’autre de la Nature et de son évolution. La matière n’aurait pu s’animer si le principe de vie n’avait déjà été là, constituant la matière et en émergeant sous forme de vie-dans-la-matière. La vie-dans-la-matière n’aurait pu commencer à sentir, à percevoir, à penser, à raisonner, si le principe mental n’avait déjà été là derrière la vie et la substance, les constituant et s’en servant comme d’un champ d’opération, puis émergeant sous forme de vie pensante et de corps pensant. De même, la spiritualité émergeant dans le mental, est le signe d’un pouvoir qui, lui-même, a fondé et constitué la vie, le mental et le corps, et qui émerge maintenant sous la forme d’un être spirituel dans un corps vivant et pensant. Jusqu’où ira cette émergence, dominera-t-elle et transformera-t-elle son instrument, est une question secondaire. Mais ce qu’il faut tout d’abord établir, c’est que l’esprit a une existence distincte de celle du mental et plus grande que la sienne, que la spiritualité est autre chose que la mentalité et, par conséquent, que l’être spirituel est distinct de l’être mental. En effet, l’Esprit émerge à la fin de l’évolution, parce qu’il est l’élément, le facteur involutif originel. L’évolution est une action inverse de l’involution. Ce qui, dans l’involution, est le dernier et ultime dérivé, est le premier à paraître dans l’évolution; ce qui était originel et primordial dans l’involution, est, dans l’évolution, l’émergence dernière et suprême.» (L’Évolution spirituelle, p. 35-36)

On m’a demandé aujourd’hui de vous parler de l’Avatâr.

La première chose que j’aie à dire, c’est que Sri Aurobindo a écrit sur le sujet, et la personne qui m’a posé la question ferait bien de commencer par lire ce que Sri Aurobindo a écrit.

De cela, je ne vous parlerai pas parce qu’il vaut mieux que vous le lisiez.

Mais je pourrais vous parler d’une très vieille tradition, plus ancienne que les deux lignes de traditions connues du point de vue spirituel et occulte, c’est-à-dire la ligne védique et la ligne chaldéenne; une tradition qui semble avoir été à l’origine de ces deux traditions connues et dans laquelle il est dit que lorsque, par suite de l’action des forces adverses — que la tradition hindoue appelle les asuras — le monde, au lieu de se développer selon sa loi de Lumière et de Conscience inhérente, fut plongé dans l’obscurité, l’inconscience et l’ignorance que nous connaissons, la Puissance créatrice implora l’Origine suprême, lui demandant une intervention spéciale qui serait capable de sauver cet univers corrompu; et en réponse à cette prière, fut émanée de l’Origine suprême une Entité spéciale, faite d’Amour et de Conscience, qui s’est projetée directement dans la matière la plus inconsciente afin d’y commencer un travail de réveil à la Conscience et à l’Amour originels.

Dans les anciens récits, on décrivait cet Être comme étendu dans un sommeil profond au fond d’une cave très sombre, et dans son sommeil émanaient de Lui des rayons de lumière prismatiques qui se répandaient petit à petit dans l’Inconscience et qui se logeaient dans tous les éléments de cette Inconscience afin d’y commencer son oeuvre de Réveil.

Si l’on entre consciemment dans cet Inconscient, on peut encore y voir ce même Être merveilleux, encore dans un sommeil profond, qui continue son oeuvre d’émanation, qui répand sa Lumière, et qui continuera à le faire jusqu’à ce que l’Inconscience ne soit plus Inconscience, que l’Obscurité ait disparu du monde — et toute la création s’éveillera à la Conscience supramentale.

Et il est remarquable que cet Être merveilleux ressemble étrangement à celui dont j’ai eu la vision un jour, l’Être qui se trouve à l’autre extrémité, à la limite de la Forme et du Sans- Forme. Mais celui-là était dans une gloire dorée, carminée, tandis que dans son sommeil, l’autre Être était d’une blancheur diamantée émanant des rayons d’opale.

En fait, c’est l’origine de tous les Avatârs. C’est pour ainsi dire le premier Avatâr universel qui, petit à petit, a pu revêtir des corps de plus en plus conscients, et qui a fini par se manifester dans une sorte de lignée connue d’Êtres qui sont descendus directement du Suprême pour parfaire ce travail de préparation de l’univers afin que, par une progression continue, il puisse s’apprêter à recevoir et à manifester dans son ensemble la Lumière supramentale.

Dans chaque pays, dans chaque tradition, on a présenté l’événement d’une façon spéciale, avec des limitations différentes, des détails différents, des spécialisations particulières, mais à dire vrai, l’origine de toutes ces histoires est la même, et c’est ce que nous pourrions appeler une intervention directe, consciente, du Suprême dans la matière la plus obscure, sans passer par tous les intermédiaires, pour éveiller cette matière à la réceptivité des Forces divines.

Les espaces qui séparent ces différentes incarnations semblent devenir de plus en plus courts, comme si, à mesure que la matière était plus prête, l’action pouvait se précipiter et devenir de plus en plus rapide dans son mouvement, de plus en plus consciente aussi, de plus en plus efficace, de plus en plus décisive.

Et elle ira en se multipliant et en s’intensifiant jusqu’à ce que l’univers tout entier devienne l’Avatâr total du Suprême.