Mère
Entretiens
Le 11 septembre 1957
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Douce Mère, pourquoi, à première vue, se sent-on attiré par certaines personnes, et pour d’autres on sent une répulsion?
Généralement, c’est basé sur des affinités vitales, pas autre chose. Il y a des vibrations vitales qui s’accordent et des vibrations vitales qui ne s’accordent pas. C’est généralement cela, rien d’autre. C’est de la chimie vitale.
Il faudrait être dans une conscience beaucoup plus profonde et clairvoyante pour que cela puisse être autre chose. Il existe une perception intérieure basée sur une conscience psychique qui vous fait sentir quels sont ceux qui ont une même aspiration, un même but, et qui peuvent être des compagnons sur la route, et cette perception vous rend clairvoyant aussi pour ceux qui suivent un chemin très différent ou qui ont en eux des forces qui vous sont adverses et qui peuvent vous nuire dans votre développement. Mais pour arriver à une telle perception, il faudrait, soi-même, être exclusivement occupé de son progrès spirituel et de sa réalisation intégrale. Or, ce n’est pas souvent le cas. Et généralement aussi, quand on est arrivé à cette clairvoyance intérieure, cela ne se traduit pas par une attraction et une répulsion, mais par une connaissance très «objective», pourrait-on dire, et une sorte de certitude intérieure qui vous fait agir d’une façon calme et raisonnée, mais pas avec des attractions et des répulsions.
Par conséquent, on peut dire d’une façon générale et presque absolue, que ceux qui ont des sympathies et des antipathies très précises et impulsives, c’est qu’il vivent dans une conscience vitale. Il peut s’y mélanger des affinités d’ordre mental, c’est-àdire qu’il y a des intelligences qui aiment à avoir des relations d’activités communes, mais là aussi, ce sont des gens qui sont à un niveau beaucoup plus élevé dans l’ordre intellectuel, et cela se traduit davantage aussi par un sentiment plus ou moins confortable dans les relations et par quelque chose de beaucoup plus tranquille et détaché. On a plaisir à parler avec certaines personnes, et d’autres n’ont aucun attrait, on n’y trouve aucun avantage. C’est un peu plus distant et tranquille; cela appartient plus au monde de la raison. Mais antipathie et sympathie, c’est clairement dans le monde vital. Eh bien, il y a une chimie vitale comme il y a une chimie physique: il y a des corps qui se repoussent et il y a des corps qui s’attirent; il y a des substances qui se combinent, il y en a d’autres qui font des explosions, et c’est comme cela. Il y a des vibrations vitales qui s’accordent, et qui s’accordent au point que, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, ces sympathies sont prises pour ce que les hommes appellent de l’amour, et que tout d’un coup ils sentent: «Oh! celui-là, c’est celui que j’attendais. Oh! celle-là, c’est celle que je cherchais!» (riant) et ils se précipitent l’un sur l’autre, jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent que c’était très superficiel et que ce sont des choses qui ne peuvent pas durer. Voilà. Alors le premier conseil que l’on donne à ceux qui veulent faire le yoga: «Élevez-vous au-dessus des sympathies et des antipathies.» C’est une chose qui n’a pas de réalité profonde et qui peut tout au moins vous conduire vers des difficultés quelquefois assez insurmontables. Vous pouvez abîmer votre vie avec ces choses-là. Et le mieux est de ne pas en tenir compte, de se reculer un peu en soi-même et de se demander pour quelle raison — pas très mystérieuse — on aime à rencontrer celui-ci, on n’aime pas à rencontrer celui-là.
Mais je dis qu’il y a un moment, quand on est exclusivement occupé de sa sâdhanâ, où l’on peut sentir (mais d’une façon à la fois beaucoup plus subtile et beaucoup plus tranquille) que tel contact est favorable à la sâdhanâ et que tel autre contact est nuisible. Mais cela prend toujours une forme beaucoup plus «détachée», pour ainsi dire, et c’est souvent même en contradiction avec les soi-disant attractions et répulsions du vital; très souvent, cela n’a rien à voir avec elles.
Alors, le mieux est de regarder cela d’un peu loin et de se sermonner un peu sur la futilité de ces choses.
Il existe évidemment des natures qui sont presque foncièrement mauvaises, des êtres qui sont nés méchants et qui aiment à faire du mal, et logiquement, si l’on est dans un état naturel, pas perverti, comme le sont les animaux (car à ce point de vue, ils sont très supérieurs à l’homme; la perversion commence avec l’humanité), alors on se tient à l’écart, comme on se tiendrait à l’écart de quelque chose de foncièrement nuisible. Mais heureusement, ce sont des cas qui ne sont pas très fréquents, et ce que l’on rencontre dans la vie, ce sont généralement des natures très mélangées où il y a une sorte d’équilibre, pour ainsi dire, entre le bon et le mauvais, et l’on peut s’attendre à avoir des relations à la fois bonnes et mauvaises. Il n’y a pas de raison de sentir une antipathie profonde parce que, comme on est soimême mélangé (riant), le semblable rencontre le semblable!
On dit aussi que certains individus sont comme des vampires et que lorsqu’ils s’approchent d’un autre individu, ils pompent spontanément sa vitalité et son énergie, et que l’on doit s’en garder comme d’un danger très sérieux. Mais cela aussi... Non pas que cela n’existe pas, mais ce n’est pas très fréquent, et surtout pas d’une façon si totale qu’il faille s’enfuir quand on rencontre une personne comme cela.
Alors, au fond, si l’on veut se développer dans le sens spirituel, la première chose à faire est de surmonter ses antipathies... et ses sympathies. Regardez tout cela avec un sourire.
(silence)
«Ainsi, une nouvelle humanité consisterait en une race d’être mentaux sur la terre et dans un corps terrestre, mais suffisamment délivrée de sa condition présente dans le règne de l’Ignorance cosmique, pour être en possession d’un mental perfectionné, un mental de lumière qui pourrait même être un instrument subordonné du Supramental ou Conscience-de-Vérité, et en tout cas capable des possibilités complètes d’un mental fonctionnant comme un récepteur de la vérité, ou être au moins son instrument secondaire dans la pensée et dans la vie. Il pourrait même faire partie de ce que nous appelons une vie divine sur la Terre, ou du moins partie des débuts d’une évolution dans la Connaissance au lieu d’une évolution entièrement ou principalement dans l’Ignorance. Jusqu’où cela irait-il? Est-ce que cela embrasserait finalement toute l’humanité, ou seulement ses éléments les plus avancés? Ceci dépend de l’intention inhérente à l’évolution elle-même et de l’intention de la Volonté cosmique ou transcendante, quelle qu’elle soit, qui guide les mouvements de l’univers.» (La Manifestation Supramentale, chap. V)
Est-ce que cette intention est une chose inconnue?
Vous la connaissez, vous?
Il va de soi que l’évolution a un but, et par conséquent qu’elle ne peut pas s’arrêter maintenant.
C’est parce que vous avez lu les livres de Sri Aurobindo! Mais prenez n’importe qui dans la rue et demandez-lui quelle est l’intention de l’univers et de l’évolution, vous verrez ce qu’il vous répondra! — qu’il n’en sait rien. Naturellement, ceux qui ont lu et étudié les livres de Sri Aurobindo s’imaginent tout au moins en savoir quelque chose. Quand Sri Aurobindo a écrit cela, il l’a écrit (très visiblement) pour des gens qui ne s’occupent pas de yoga et qui n’avaient pas lu ses livres. Il l’a écrit pour des gens qui s’occupent d’éducation physique, alors il s’est mis à leur point de vue, il a exprimé leurs idées et il a essayé de les mener un peu plus loin. Il se place comme pourraient se placer ceux qui n’auraient jamais lu ses livres.
Mais vous avez dit «cela va de soi». Il y a beaucoup de gens ici — plusieurs centaines —, si vous leur demandez individuellement, non pas de vous répéter ce qu’ils ont lu, mais ce qu’ils sentent et pensent en eux-mêmes de l’intention de l’évolution universelle et s’il y a une intention dans l’évolution universelle... je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup qui puissent en toute sincérité vous dire: «C’est comme ceci, c’est comme cela, c’est cela... C’est évident, c’est cela.» Il y en a qui pourront vous citer des passages de Sri Aurobindo, mais autrement...
Si vous cessez de penser vous-même, si vous cessez de penser avec ce que vous avez lu et que vous essayiez d’exprimer votre expérience personnelle, vous avez une certitude?
Je ne parle pas, n’est-ce pas, du résultat de ce que l’on a lu ou de ce que l’on a appris ni de tout cela; je parle du résultat de son expérience personnelle, à soi, quelque chose qui est pour vous évident parce que c’est votre propre vie, c’est votre propre expérience — vous êtes capable de le dire, vous?
Oui.
Oui! eh bien, je vous fais mon compliment.
Malgré moi, cela arrive.
Bon, c’est très bien. Eh bien, j’espère qu’il y en a beaucoup comme vous, c’est tout.
Il y a beaucoup d’éléments qui s’opposent en moi, mais tout de même, il y a quelque chose...
Oui, c’est bon, c’est bon — c’est très bien.
Alors je peux vous dire que vous n’avez pas perdu votre temps depuis que vous êtes ici! (rires)
Eh bien, nous allons regarder cela au-dedans de nous.
(méditation)