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Mère

Entretiens

 

Le 20 mars 1957

L'enregistrement   

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«La joie de la victoire est quelquefois moindre que l’attraction de la lutte et de la souffrance; pourtant, le laurier et non la croix doit être le but de l’âme conquérante.

«Les âmes qui n’aspirent pas sont les échecs de Dieu, mais la Nature est satisfaite et aime à les multiplier, parce qu’elles assurent sa stabilité et prolongent son empire.

«Ceux qui sont pauvres, ignorants, mal nés et mal éduqués ne sont pas le troupeau vulgaire. Le vulgaire comprend tous ceux qui sont satisfaits de la petitesse et de l’humanité moyenne.

«Aide les hommes, mais n’appauvris pas leur énergie. Dirige et instruis-les, mais aie soin de laisser intactes leur initiative et leur originalité. Prends les autres en toi-même, mais donne-leur en retour la pleine divinité de leur nature. Celui qui peut agir ainsi est le guide et le guru.

«Dieu a fait du monde un champ de bataille et l’a rempli du piétinement des combattants et des cris d’un grand conflit et d’une grande lutte. Voudrais-tu dérober sa paix sans payer le prix qu’il a fixé?

«Méfie-toi d’un succès apparemment parfait; mais quand, après avoir réussi, tu trouves encore beaucoup à faire, réjouis-toi et va de l’avant, car le labeur est long jusqu’à la réelle perfection.

«Il n’y a pas d’erreur plus engourdissante que de prendre une étape pour le but ou de s’attarder trop longtemps à une halte.» (Aperçus et Pensées, «Et Pensées»)

Tout ce que Sri Aurobindo dit ici, c’est pour lutter contre la nature humaine dans ce qu’elle a d’inerte, de lourd, de paresseux, de facilement satisfait, d’ennemi de l’effort. Combien de fois l’on rencontre dans la vie des gens qui se font pacifistes parce qu’ils ont peur de lutter, qui aspirent au repos avant de l’avoir gagné, qui se contentent d’un petit progrès et qui en font, dans leur imagination et dans leur désir, une réalisation merveilleuse afin de pouvoir légitimement s’arrêter sur la route.

Dans la vie ordinaire déjà, c’est tellement ainsi. Au fond, c’est cela l’idéal bourgeois, celui qui a abruti l’humanité et l’a rendue ce qu’elle est maintenant: «Travaillez pendant que vous êtes jeunes, accumulez des biens, des honneurs, une position, soyez prévoyants, mettez de côté, faites-vous un capital, devenez fonctionnaires afin que, plus tard, quand vous aurez quarante ans, vous puissiez vous asseoir, jouir de vos rentes, et plus tard de votre pension et, comme l’on dit, jouir d’un repos bien gagné.» S’asseoir, s’arrêter sur la route, ne plus avancer, s’endormir, descendre avant l’heure vers la tombe, cesser de vivre la raison d’être de la vie — s’asseoir.

De la minute où l’on cesse d’avancer, on recule. Du moment où l’on est satisfait et où l’on n’aspire plus, on commence à mourir. La vie, c’est le mouvement, c’est l’effort, c’est la marche en avant, c’est l’escalade de la montagne, c’est gravir vers les révélations, vers les réalisations futures. Rien n’est plus dangereux que de vouloir se reposer. C’est dans l’action, c’est dans l’effort, c’est dans la marche en avant qu’il faut trouver le repos, le vrai repos de la confiance totale dans la Grâce divine, de l’absence de désirs, de la victoire sur l’égoïsme.

Le vrai repos, c’est celui de l’élargissement, de l’universalisation de la conscience. Devenez vastes comme le monde et vous serez toujours dans le repos. En pleine action, en pleine bataille, en plein effort, vous aurez le repos de l’infini et de l’éternité.