Mère
Entretiens
Le 31 octobre 1956
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Mère, quelqu’un m’a demandé de vous prier d’expliquer l’une de vos phrases. Vous avez dit quelque part qu’il faut que l’on devienne le Divin d’abord, avant que l’on puisse supporter la pression de l’Amour divin. C’est en anglais dans le «Diary».
Oh! vous traduisez librement!
(Un disciple traduit à haute voix) «On doit être soimême divin avant de pouvoir supporter la pression de l’Amour divin.»
Alors, qu’est-ce que l’on demande?
On demande s’il faut que l’homme devienne divin d’abord, avant que l’Amour se répande sur la terre?
Je ne crois pas que ce soit cela que cela veut dire. Certainement vous voulez dire que l’Amour divin ne peut se manifester que quand l’homme sera divin? Est-ce cela que vous voulez dire?
C’est cela que l’on comprend.
Oh! c’est comme cela qu’on comprend!... Mais je ne crois pas que ce soit cela que cela veut dire.
D’abord, nous allons prendre le fait historique, s’il y en a. C’est-à-dire que, par suite de l’action des forces de séparation, la Conscience est devenue inconscience et que la matière a été créée telle qu’elle est, sur une base d’inconscience si totale qu’aucun contact ne paraissait possible entre l’Origine et ce qui était créé. Et c’est cette inconscience si totale qui a rendu nécessaire une descente directe, sans passer par les régions intermédiaires, de la Conscience divine sous sa forme d’Amour. Et c’est cette descente de l’Amour divin dans la matière, la pénétrant et ajoutant un élément nouveau à sa composition, qui a permis l’ascension, lente pour nous, mais l’ascension ininterrompue, de l’inconscience vers la conscience et de l’obscurité vers la lumière. Par conséquent, on ne peut pas dire que l’Amour ne peut se manifester que lorsque la création devient divine, parce que c’est au contraire à cause de sa manifestation que la création est capable de redevenir divine.
Ce que j’ai dit là ne concernait pas cela.
Je parlais non pas du monde en général, mais de la conscience humaine en particulier; et certainement, je faisais allusion au fait que cet Amour divin qui anime tout, pénètre tout, supporte tout et mène tout vers le progrès et l’ascension vers le Divin n’est pas senti, n’est pas perçu par la conscience humaine et que, même dans la mesure où l’être humain le perçoit, il a de la difficulté à le supporter; non seulement à le contenir, mais à pouvoir le tolérer, je pourrais dire, parce que sa puissance dans sa pureté, son intensité dans sa pureté sont d’une qualité trop forte pour être supportées par la nature humaine. Ce n’est qu’en le diluant, le déformant, l’atténuant et l’obscurcissant pour ainsi dire, qu’il devient acceptable à la nature humaine. Ce n’est que lorsqu’il s’éloigne de sa nature vraie et de sa qualité essentielle, que l’homme l’admet, et d’ailleurs (souriant) l’approuve et le glorifie. C’est-à-dire qu’il faut qu’il soit déjà très dévoyé pour être admis par la conscience humaine. Et pour que la conscience humaine l’accepte, le tolère et le reçoive dans sa plénitude et sa pureté, il faut qu’elle devienne divine.
C’était cela que je voulais dire, ce n’était pas autre chose.
J’affirmais qu’un être humain, à moins qu’il ne s’élève jusqu’aux hauteurs divines, est incapable de recevoir, d’apprécier et de connaître ce qu’est l’Amour divin. Il faut que l’Amour cesse d’être divin pour être admis par l’homme.
Mais cela, c’est un phénomène de conscience extérieur, superficiel; cela n’empêche pas que l’Amour sous sa forme de Grâce soit à l’oeuvre partout et toujours et qu’il fasse son travail d’une façon pour ainsi dire inconnue, mais constante; et je pense, en effet, qu’il ne travaille jamais si bien que quand il n’est pas connu... parce que même la soi-disant compréhension humaine est déjà une déformation.
Cela, c’est le sens de la phrase, et pas autre chose. Je ne parlais pas d’un phénomène cosmique.
Mère, vous avez dit, l’un des mercredis: «L’expérience ne commence pour vous que quand vous pouvez la décrire; eh bien, quand vous pouvez la décrire, la majeure partie de son intensité et de sa capacité d’action pour la transformation intérieure et extérieure est déjà évaporée.» (Entretien du 17 octobre 1956)
Et alors...?
Alors, qu’est-ce qu’il faut faire avec l’expérience? S’il y a une expérience sans qu’on puisse l’exprimer, qu’est-ce qui arrive?
Encore là, ce que je voulais dire, c’est que l’expérience précède et dépasse de beaucoup la formulation que vous en faites dans votre esprit. L’expérience précède, souvent de beaucoup, la capacité de la formuler. L’expérience a une plénitude, une force, une puissance d’action directe sur la nature, qui est immédiate, instantanée. Mettons par exemple que, dans des circonstances données, ou par une grâce exceptionnelle, vous ayez été tout d’un coup mis en contact avec une lumière, une puissance ou une conscience supramentales. C’est comme une brusque ouverture dans votre carapace fermée, comme une déchirure dans cette enveloppe opaque qui vous sépare de la Vérité, et le contact a été établi. Immédiatement cette force, cette conscience, cette lumière agit, même sur vos cellules physiques; elle agit dans le mental, elle agit dans le vital, elle agit dans le corps, change les vibrations, organise la substance et commence son travail de transformation. Vous êtes sous le choc de ce contact subit et de cette action; pour vous, c’est une sorte d’état indescriptible, inexprimable, qui vous saisit et dont vous n’avez aucune notion claire, précise, définie, c’est... «quelque chose qui se passe». Cela peut vous donner l’impression d’être merveilleux ou formidable, mais pour vous c’est inexprimable et incompréhensible. Cela, c’est l’expérience dans son essence et dans sa puissance véritable.
Petit à petit, à mesure que l’action se prolonge et que l’être extérieur commence à assimiler cette action, il y a une capacité d’observation qui s’éveille, d’abord dans la conscience mentale, et une sorte d’objectivation se produit: quelque chose dans le mental regarde, observe et traduit à sa manière. C’est cela que vous appelez comprendre, et c’est cela qui vous donne l’impression (souriant) que vous avez une expérience. Mais cela, c’est déjà une diminution considérable par rapport à l’expérience elle-même, c’est une transcription à l’usage de votre dimension mentale, vitale et physique, c’est-à-dire quelque chose qui se rétrécit, se racornit et vous donne en même temps, à vous, l’impression que cela se clarifie, c’est-à-dire que c’est devenu à la mesure de votre compréhension.
Cela, c’est un phénomène qui se produit toujours et dans les meilleurs cas. Je ne parle pas des cas où cette puissance de l’expérience est absorbée par l’inconscience de votre être et se traduit par un mouvement de plus en plus inconscient; je parle du cas où votre mental est clair, votre aspiration est claire et où vous avez déjà avancé assez considérablement sur le chemin... Et même quand votre mental commence à être transformé, quand il a l’habitude de recevoir cette Lumière, qu’il peut en être pénétré, qu’il est assez réceptif pour l’absorber, de la minute où il veut traduire de façon compréhensible à la conscience humaine (je ne veux pas dire la conscience ordinaire, mais même la conscience humaine éclairée), de la minute où il veut formuler, préciser, rendre compréhensible, il réduit, il amoindrit, il limite — il atténue, affaiblit, estompe l’expérience, en admettant qu’il soit assez pur pour ne pas la falsifier. Parce que s’il y a n’importe où dans l’être, dans le mental ou dans le vital, une insincérité quelconque qui est tolérée, eh bien, l’expérience alors se falsifie et se déforme complètement. Mais je parle des cas les meilleurs, où l’être est sincère, sous contrôle, et où il fonctionne de la façon la plus favorable: la formulation en mots compréhensibles à l’esprit humain est néces- saire-ment, forcément une restriction, une diminution du pouvoir d’action de l’expérience. Quand vous pouvez vous dire d’une façon claire et consciente: «Ceci et cela et ça encore s’est passé», quand vous pouvez décrire d’une façon compréhensible le phénomène, déjà il a perdu de sa puissance d’action, de son intensité, de sa vérité et de sa force. Mais cela ne veut pas dire que l’intensité, le pouvoir d’action et la force n’étaient pas là — ils étaient là, et probablement, dans les meilleurs cas, l’effet maximum de l’expérience se produit avant que vous ne commenciez à lui donner une forme compréhensible.
Je parle là des cas les meilleurs. Je ne parle pas des cas innombrables de ceux qui commencent à avoir une expérience et dont le mental devient curieux, s’éveille et dit: «Oh! qu’est-ce qui se passe?» Alors tout s’évanouit. Ou bien on attrape une queue déformée de quelque chose qui a perdu toute sa force et toute sa réalité... La première chose à faire, c’est d’apprendre à votre mental à ne pas bouger: «Surtout ne bouge pas! Surtout ne bouge pas, laisse la chose se développer pleinement sans vouloir savoir ce qui se passe; ne fais pas l’imbécile, reste tranquille, immobile et attends. Ton tour viendra toujours trop tôt, jamais trop tard.» Il faudrait pouvoir vivre une expérience pendant des heures et des jours sans sentir le besoin de se la formuler. Quand on fait cela, alors on en a le plein profit. Alors cela travaille, ça baratte la nature, ça transforme les cellules — cela commence son vrai travail de transformation. Mais dès que vous commencez à voir et à comprendre et à formuler, c’est déjà quelque chose qui appartient au passé.
Voilà.