Mère
Entretiens
Le 24 octobre 1956
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J’ai ici quelque chose, je ne sais pas si cela nous conduira très loin, mais enfin cela va faire un changement. Tous ces temps derniers, il était toujours question de progrès: comment progresser, ce qui empêchait de progresser, et comment utiliser la Force supramentale, etc. Cela continue, j’en ai tout un paquet encore! Mais nous pouvons changer de sujet pour une fois.
Il y a quelqu’un qui m’a posé une question concernant la mort: ce qui arrive après la mort et comment on reprend un nouveau corps.
Inutile de vous dire que c’est un sujet qui pourrait remplir des volumes, qu’il n’y a pas deux cas semblables, que pratiquement tout est possible dans cette vie après la mort, comme tout est possible sur la terre quand on est dans un corps physique, et que toutes les affirmations, quand elles veulent être généralisées, deviennent dogmatiques. Mais enfin, on peut regarder le problème dans certains détails, et quelquefois on fait des découvertes intéressantes.
La question est comme ceci:
«Quand une âme particulièrement développée quitte le corps, prend-elle l’enveloppe physique subtile avec elle? Quand elle est réincorporée, comment l’introduit-elle dans le nouveau corps?»
Déjà, pour répondre à cela, comme je vous l’ai dit, il faudrait écrire des volumes ou parler pendant des heures. Parce que, à dire vrai, il n’y a pas deux cas semblables — il y a des analogies, on peut faire des classifications, mais c’est purement arbitraire. Ce que je voulais faire, c’est de vous lire ce qui suit, parce que c’est assez amusant (oh! je ne veux pas être... pas sérieuse! disons que c’est assez intéressant):
«Ces questions se posent à propos d’une vieille tradition indienne, de la connaissance occulte du sage roi Pravanahana dont parlent les Upanishads (Chhândôgya et Brihadâranyaka):
«Il est dit qu’après la mort, l’âme de ceux qui ont fait de bonnes actions prend la voie des aïeux, “pitriyâna”, devient la fumée, la nuit, etc., arrive au monde des ancêtres et finalement au paradis lunaire. Le Brahmasûtra en déduit que l’âme prend avec elle tous les éléments, même ceux du physique subtil, qui seront nécessaires à la prochaine incarnation.»
Alors une question:
«Est-ce exact? Le physique subtil est-il suffisamment conscient dans ce cas-là?»
Nous réservons les questions, je continue:
«Puis les Upanishads ajoutent: après avoir épuisé l’amas de bonnes actions, l’âme sort du paradis lunaire, arrive au ciel, puis à l’air, puis aux nuages, en prenant la nature de chacune de ces choses, se jette sur la terre en pluie, entre dans les graines, pénètre dans le corps du père sous forme de nourriture, et finalement constitue le corps de l’enfant.»
C’est vraiment un procédé un peu compliqué, non! (rires) Mais j’ai trouvé cela très amusant. Et la question: (riant)
«Est-il nécessaire de suivre ce processus incertain et hasardeux? L’âme n’anime-t-elle pas le corps directement avec tous les éléments mentaux, vitaux et physiques subtils organisés autour d’elle et nécessaires à la vie suivante? Prend-elle des éléments du monde physique subtil? En ce cas, comment s’harmonisent-ils avec les caractères héréditaires? Surtout, doit-elle passer par le corps du père?»
Voilà!
La seule chose que je puisse dire, c’est qu’il se peut que parfois cela se passe comme cela. Il est probable (au moins je l’espère) que celui qui a fait cette description a observé un phénomène de ce genre; j’espère que ce n’est pas seulement une construction mentale de son imagination occulte... Cela soulève quelques problèmes pratiques! Mais enfin, évidemment, il n’y a rien qui soit impossible. Seulement, on voit avec difficulté l’âme pénétrer la pluie, qui pénètre la graine, qui fait pousser la plante, et puis qui entre sous forme de nourriture plus ou moins cuite dans l’estomac du père, et puis finalement procède à la conception de l’enfant. Je ne dis pas que ce soit impossible, mais c’est très, très, très, très compliqué!
Je peux dire que j’ai assisté à une quantité innombrable d’incarnations d’âmes évoluées dans des êtres qui étaient ou en préparation ou déjà nés. Comme je l’ai dit, les cas sont assez différents; cela dépend plus de conditions psychologiques que de conditions matérielles, mais cela dépend aussi des conditions matérielles. Cela dépend de l’état de développement de l’âme qui veut se réincarner (nous prenons le mot âme, ici, dans le sens d’être psychique, ce que nous appelons l’être psychique), cela dépend de son état de développement, cela dépend du milieu dans lequel il va s’incarner, cela dépend de la mission qu’il a à remplir — cela fait beaucoup de conditions différentes... Cela dépend énormément de l’état de conscience des parents. Parce qu’il va de soi qu’il y a une différence formidable entre faire un enfant volontairement, avec une aspiration consciente, un appel vers le monde invisible et une ardeur spirituelle, et faire un enfant par accident et sans l’avoir voulu, et quelquefois même sans le vouloir du tout. Je ne dis pas que dans ce dernier cas il ne puisse pas y avoir aussi une incarnation, mais généralement elle se produit plus tard, pas à la conception.
Pour la formation de l’enfant, cela fait une grande différence.
Si l’incarnation se produit à la conception, toute la formation de l’enfant qui va naître est dirigée et gouvernée par cette conscience qui va s’incarner: le choix des éléments, l’attraction de la substance — un choix parmi les forces et même la substance de la matière qui est assimilée. Il y a déjà un triage. Et cela donne naturellement des conditions tout à fait spéciales pour la formation du corps, qui peut être déjà plus ou mois développé, évolué, harmonisé avant sa naissance. Je dois dire que c’est tout à fait, tout à fait exceptionnel; mais enfin cela se produit.
Il y a des cas plus fréquents où, juste au moment de sa naissance, c’est-à-dire de son premier geste d’indépendance, quand l’enfant commence à se faire les poumons en criant autant qu’il peut, à ce moment-là, très souvent, cette espèce d’appel de la vie rend la descente plus facile et plus efficace.
Parfois des jours et quelquefois des mois se passent, et la préparation est lente et l’entrée se fait très progressivement, d’une façon tout à fait subtile et presque insaisissable.
Parfois cela vient beaucoup plus tard, quand l’enfant luimême devient un peu conscient et qu’il sent une relation très subtile, mais très réelle, avec quelque chose qui d’en haut, de très haut, est comme une influence qui pèse sur lui; et alors il peut, lui, commencer à sentir le besoin d’être en rapport avec ce quelque chose qu’il ne connaît pas, qu’il ne comprend pas, mais qu’il sent seulement; et cette aspiration tire le psychique et le fait descendre en lui.
Je vous donne ici quelques cas assez fréquents; il y en a beaucoup d’autres; cela peut se produire d’innombrables manières. Ce que je vous ai décrit, ce sont les cas les plus fréquents que j’ai vus.
Alors cette âme qui veut s’incarner, quelquefois elle reste dans un domaine du mental supérieur, à proximité de la terre, ayant choisi sa demeure future; ou bien elle peut descendre davantage, dans le vital, et de là, avoir une action plus directe; ou alors elle peut entrer dans le physique subtil et gouverner de tout près le développement de son corps futur.
Maintenant l’autre question, celle concernant le départ.
Cela aussi dépend du degré de développement, des conditions de la mort — et surtout de l’unification de l’être et de son attitude au moment de quitter le corps. Il était question ici d’êtres pleinement développés, c’est-à-dire de psychiques pleinement développés (et je ne sais pas si l’on parle d’un être psychique qui a profité de sa présence dans un corps physique pour faire le yoga, parce que, alors, les conditions sont tout à fait différentes). Mais d’une façon plus générale, souvent je vous ai dit que tout dépend, en ce qui concerne le revêtement extérieur de l’être, de son attitude au moment de mourir, et cette attitude dépend nécessairement de son développement intérieur et de son unification.
Si nous prenons le cas le meilleur, de quelqu’un qui a complètement unifié son être autour de la Présence divine en lui, qui n’est plus qu’une volonté, qu’une conscience, cet être-là aura groupé autour de son être psychique central un mental pleinement développé et organisé, un vital absolument soumis et collaborant, et un physique obéissant, docile et souple. Ce physique, étant pleinement développé, aura un corps subtil — ce que Sri Aurobindo appelle un «physique véritable» — qui dépassera infiniment les limites de son corps et qui aura une souplesse, une plasticité, un équilibre suffisants pour qu’il puisse adhérer aux parties intérieures de l’être et suivre le mouvement de l’âme dans son... je ne veux pas parler d’ascension, mais dans ses pérégrinations en dehors du corps. Ce que l’âme fera, où elle ira? Tout dépend de ce qu’elle a décidé avant de quitter le corps. Et cette capacité de maintenir autour d’elle l’être qui a été pleinement organisé et unifié dans la vie physique lui permettra effectivement de choisir ce qu’elle voudra faire — ce qui représente aussi un champ très différent de possibilités, depuis passer consciemment d’un corps dans un autre, tout droit (il y a des cas où l’un de ces êtres pleinement conscients et pleinement développés a lentement préparé un autre être qui soit capable de le recevoir et de l’assimiler et, afin de ne pas cesser son travail matériel quand il sort d’un corps, il va se joindre à un autre être psychique, se fondre en lui, s’ajouter à lui dans un autre corps physique; cela, c’est le cas extrême, extrêmement rare aussi, mais qui fait partie de la connaissance occulte tout à fait traditionnelle), jusqu’au cas, à l’autre extrême, où l’âme ayant fini son expérience corporelle désire l’assimiler dans le repos et se préparer à une autre existence physique plus tard, quelquefois beaucoup plus tard. Et alors il se produit ceci, parmi beaucoup d’autres possibilités: il laisse dans chaque domaine — dans le domaine physique subtil, dans le domaine vital, dans le domaine mental — les êtres correspondants; il les laisse avec une sorte de lien entre eux, mais chacun garde une existence indépendante, et lui-même pénètre dans la zone, la réalité, le monde psychique propre et y entre dans un repos béatifique assimilateur, jusqu’à ce qu’il ait, (riant) comme il est décrit dans ce papier, assimilé toutes ses bonnes oeuvres, digéré toutes ses bonnes oeuvres, et qu’il soit prêt à recommencer une expérience nouvelle. Et alors, si son travail a été bien fait et si les parties de son être ou les revêtements de son être qu’il a laissés dans les différents domaines s’y sont comportés comme il faut, quand il redescendra, il revêtira l’une après l’autre toutes ces parties qui vivaient avec lui dans une vie passée, et avec cette richesse de connaissance et d’expérience, il se préparera à entrer dans un corps nouveau... Ce sera peut-être après des centaines ou des milliers d’années, parce que, dans ces domaines-la, tout ce qui est organisé n’est plus nécessairement soumis à la décomposition que nous appelons ici la «mort». Dès qu’un être vital est pleinement harmonisé, il devient immortel. Ce qui le dissout et le disloque, ce sont tous les désordres intérieurs et toutes les tendances, justement, de destruction et de décomposition; mais s’il est pleinement harmonisé et organisé et pour ainsi dire divinisé, il devient immortel. Pour le mental, c’est la même chose. Et même dans le physique subtil, les êtres qui se sont pleinement développés et qui ont été imprégnés des forces spirituelles ne se dissolvent pas nécessairement après la mort. Ils peuvent continuer une action, ou ils peuvent prendre un repos salutaire dans certains éléments de la Nature comme l’eau — généralement c’est dans un liquide, c’est dans l’eau ou c’est dans la sève des arbres — ou ce peut être, comme il est décrit là, (riant) dans les nuages. Mais ils peuvent aussi rester actifs et continuer d’agir sur les éléments plus matériels de la nature physique.
Je vous ai donné là un certain nombre d’exemples; je vous dis, je pourrais vous parler pendant des heures et il y aurait toujours des exemples nouveaux à donner! Mais cela couvre le sujet d’une façon un peu générale et cela ouvre la porte aux imaginations.
Voilà.