Mère
Entretiens
Le 7 novembre 1956
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«La Shakti, le pouvoir de l’Infini et Éternel, descend en nous, travaille, brise nos formations psychologiques actuelles, renverse tous les murs, élargit, libère, [...] elle libère la conscience de son emprisonnement dans le corps, lui permet de sortir en transe ou dans le sommeil, ou même à l’état de veille, et d’entrer dans les autres mondes ou en d’autres régions de ce monde-ci et d’y agir ou d’en rapporter ses expériences. La conscience se répand au-dehors, sent que le corps est seulement une petite partie d’elle-même et commence à contenir ce qui auparavant la contenait: elle réalise la conscience cosmique et s’étend à la mesure de l’univers. Elle commence à connaître intérieurement et directement les forces qui agissent dans le monde, au lieu de les connaître seulement par une observation et un contact extérieurs; elle sent leurs mouvements, distingue leur fonctionnement et peut agir immédiatement sur elles comme le savant agit sur les forces physiques, accepter leur action et leurs effets dans notre mental, notre vie et notre corps, ou les rejeter, ou les modifier, les changer, les remodeler, créer des pouvoirs et des mouvements nouveaux immenses à la place des petits fonctionnements anciens de notre nature. Nous commençons à percevoir l’action des forces du Mental universel et à savoir comment nos pensées sont créées par cette action...» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 205)
Douce Mère, comment nos pensées sont-elles créées par les forces du Mental universel?
Parce que les forces du Mental universel pénètrent dans notre tête. Nous sommes dans un bain de forces, nous ne nous en apercevons pas. Nous ne sommes pas quelque chose d’enfermé dans un sac qui est indépendant du reste: toutes les forces, toutes les vibrations, tous les mouvements nous pénètrent et nous traversent. Et alors nous avons de la force mentale en suspension, c’est-à-dire prête à être utilisée par le pouvoir mental formateur ou créateur. Ce sont pour ainsi dire des forces libres. Dès que cette pensée qui vient du dehors, ou cette force ou ce mouvement, pénètre dans notre conscience, nous lui donnons une forme concrète, une apparence logique et toutes sortes de précisions; mais en fait, tout cela appartient à un domaine dont on est rarement conscient.
Mais ce n’est pas un fait particulier et qui arrive de temps en temps: c’est quelque chose de constant. S’il y a un courant de force qui passe, avec une formation de pensée spéciale, on la voit passer de l’un dans l’autre, et dans chacun cela forme une sorte de centre de lumière ou de force qui garde l’empreinte — plus ou moins pure ou plus ou moins claire, plus ou moins mélangée — du courant initial; et le résultat est ce que nous appelons «notre» pensée.
Mais notre pensée, c’est quelque chose qui n’existe pour ainsi dire pas. Ce ne peut être «notre» pensée que si au lieu d’être comme une place publique, comme nous le sommes généralement dans notre état naturel (nous sommes comme une place publique et toutes les forces passent comme cela, vont, viennent, entrent, sortent, se poussent et même se querellent), si, au lieu d’être cela, nous sommes une conscience concentrée, tournée vers le haut dans une aspiration et ouverte par-delà les limites du mental humain à quelque chose de supérieur, alors, en étant ouvert ainsi, cela fait descendre ce quelque chose de supérieur à travers toutes les couches de réalité, et ce quelque chose peut entrer en contact avec notre cerveau conscient et prendre là une forme qui n’est plus la création d’une force universelle ou d’un mental personnel plus fort que le nôtre, mais l’expression et la création directes d’une lumière qui est au-dessus de nous et qui peut être une lumière de premier ordre si notre aspiration et notre ouverture le permettent. Cela, c’est le seul cas où l’on puisse dire que la pensée est notre pensée. Autrement, tout le reste est simplement une notation au passage: nous notons, nous revêtons de mots une force qui est une force tout à fait universelle et collective et qui entre, sort, bouge et passe de l’un à l’autre librement.
Alors, comment la pensée se forme-t-elle dans le Mental universel?
Dans le Mental universel?
Tu dis que cela vient du dehors, n’est-ce pas?
Les idées sont d’une origine supérieure au mental. Il y a une région du mental, plus élevée que le mental ordinaire, dans laquelle il y a des idées qui sont des idées types, des prototypes vraiment; et ces idées descendent et se revêtent de substance mentale. Alors suivant... comment dire... la qualité de ce qui reçoit, ou bien cela garde toute sa vertu propre et sa nature originelle, ou bien cela se déforme, cela se colore, cela se transforme dans la conscience individuelle. Mais l’idée dépasse de beaucoup le mental; l’idée est d’une origine très supérieure au mental. Par conséquent, le fonctionnement est le même au point de vue universel ou au point de vue individuel; le mouvement individuel est seulement représentatif du mouvement universel. L’échelle est différente, mais le phénomène est le même. Bien sûr, ce ne sont plus des «pensées» comme nous concevons les pensées; ce sont des principes universels (mais c’est la même chose), des principes universels sur lesquels les univers sont bâtis.
L’univers, après tout, est seulement une personne, seulement une individualité au milieu de la Création éternelle. Chaque univers est une personne qui se forme, qui vit, qui se dissout, et une autre se forme — c’est la même chose. Pour nous, la personne est l’individu humain; et au point de vue universel, la personne est l’individu universel; c’est un univers au milieu de tous les univers.