Mère
l'Agenda
Volume 7
J'ai vu Purani la nuit dernière. C'était la première fois que je le voyais depuis qu'il est sorti de son corps.1 Il y avait d'autres gens aussi. Je l'ai vu dans un monde physique subtil et il était tout bleu clair et rose, et tout était rose autour de lui et lumineux (Mère fait un geste dansant). Il était content, oh! il était content, il disait: «Maintenant, je suis heureux!»
(silence)
Beaucoup de préoccupations?
Non! j'ai vécu ce matin pendant deux heures une sorte d'état béatifique dans lequel, oh! il y avait une conscience si claire que toutes les formes de la vie, dans tous les mondes et à tous les moments, est l'expression d'un choix: on choisit d'être comme cela.
C'est très difficile à mettre en mots... L'espèce d'obligation dans laquelle on croit vivre et à laquelle on se croit soumis avait com-plè-te-ment disparu et c'était une perception tout à fait spontanée et naturelle que la vie sur terre, la vie dans les autres mondes, et tous les genres de vie sur terre, et tous les genres de vie dans les autres mondes, c'est simplement une question de choix: on a choisi d'être comme cela, et on choisit constamment d'être comme ceci ou d'être comme cela, ou qu'il arrive ceci ou qu'il arrive cela; et on choisit aussi de se croire soumis à une Fatalité ou à une Nécessité ou à une Loi qui vous oblige – tout est une question de choix. Et il y avait un sentiment de légèreté, de liberté (même geste dansant), et alors un de ces sourires à toutes choses! Et en même temps, cela donne un pouvoir formidable. Tout sentiment d'obligation, de nécessité (et de fatalité encore plus) avait com-plè-te-ment disparu. Toutes les maladies, tous les événements, tous les drames, tout cela: disparu. Et cette réalité concrète et si brutale de la vie physique: complètement partie.
Et ce qui est intéressant, c'est que cette expérience a pris naissance à l'occasion de ma rencontre avec Purani cette nuit. J'ai rencontré Purani dans un certain monde et il était dans un certain état, comme celui que je viens de dire, et alors la différence entre le Purani tel qu'il était ici et le Purani tel qu'il est maintenant-tout d'un coup, ça a été comme une clef. Je lui ai parlé, il m'a parlé, il m'a dit: «Oh! maintenant je suis si content, si content!» Et c'était cet état que j'ai vécu pendant plus d'une heure et demie ce matin. Après, je suis obligée de revenir... à un état qui me paraît artificiel, mais qui est obligatoire à cause des autres, par le contact des autres et des choses et l'innombrable quantité de choses à faire. Mais tout de même, à l'arrière-plan, l'expérience reste. Et il vous reste une espèce de sourire amusé pour toutes les complications de la vie – l'état où l'on se trouve a été le fait d'un choix, et individuellement la liberté de choix est là, et les gens l'ont oublié. C'est cela qui est si intéressant!
Et j'ai vu, en même temps, tout le tableau des connaissances humaines (parce que quand ces états sont là, toutes les réalisations humaines, toutes les connaissances humaines viennent comme un panorama en face de l'état nouveau et sont remises en place – toujours-toujours quand une expérience vient, elle est comme rétrospective), et je voyais toutes les théories, toutes les croyances, toutes les idées philosophiques, comment elles se rattachaient au nouvel état... oh! c'était amusant.
Et cela ne nécessite pas un repos; ces expériences-là sont tellement concrètes et spontanées et réelles (elles ne sont pas l'effet d'une volonté et encore moins d'un effort) qu'elles ne nécessitent pas un repos: j'étais en train de faire ma toilette. J'ai pris tout mon petit déjeuner dans cet état, c'était charmant; c'est seulement quand ces gens sont venus (et même, j'ai fait la «distribution d'œufs» – je ne sais pas si tu le sais, c'est moi qui mets ton œuf dans ta boîte tous les jours –, j'ai fait ma distribution d'œufs dans cet état-là, j'ai donné les fleurs dans cet état-là), c'est seulement après, quand sont venues les lettres qu'il a fallu écouter et auxquelles il a fallu répondre et toutes sortes de choses (geste comme un tombereau qui se déverse), alors ça s'estompe, ça s'efface. Cela me laisse encore dans un demi-rêve, mais l'expérience est partie: ce n'est plus ça.
Mais ceux qui ont attrapé cette expérience pour une raison quelconque et qui n'avaient pas toute la préparation philosophique et mentale que j'ai eue (les «saints», ou enfin tous les gens qui menaient une vie spirituelle) ont eu alors une impression très aiguë de l'irréalité de la vie et de l'illusion de la vie. Mais c'est seulement une façon étroite de voir. Ce n'est pas ça – ce n'est pas ça, c'est tout qui est un choix! tout-tout. Le choix du Seigneur, mais en nous; pas là (geste là-haut): ici. Et nous ne le savons pas, c'est tout au fond de nous-mêmes. Et quand nous le savons, nous pouvons choisir – nous pouvons choisir notre choix, c'est admirable!
Et justement, quand cet état était là, je disais à mon corps: «Mais tu vois, espèce d'imbécile, pourquoi choisis-tu d'être dramatique? d'avoir mal, d'être ceci, cela?...» Et cette espèce de fatalité et de lien et de dureté de l'existence: tout avait disparu. Tout disparu. C'était bleu clair, rose clair, tout lumineux et clair et... (même geste dansant)... léger.
Je conçois très bien que ce n'est pas une chose absolue; c'était seulement une manière d'être, mais c'est une manière d'être charmante!... D'habitude, ceux qui n'ont pas une préparation intellectuelle suffisante, quand ils ont une expérience comme celle-là, ils croient avoir attrapé «l'unique» vérité. Et alors avec cela, ils dogmatisent. Mais j'ai bien vu que ce n'est pas ça: c'est une manière d'être, mais c'est une manière d'être admirable, n'est-ce pas! infiniment supérieure à celle que nous avons ici. Et nous pouvons l'avoir ici: je l'ai eue. Je l'ai eue d'une façon tout à fait concrète. Et il y a toujours quelque chose qui ne va pas (mal ici ou mal là, ou ça ou ça, et puis des circonstances qui ne vont pas aussi, il y a toujours des difficultés), tout cela... ça change de couleur. Et ça devient léger, n'est-ce pas, léger – léger, souple. Toute la dureté et la rigidité: parties.
Et le sentiment aussi que si vous choisissez d'être comme cela, vous pouvez continuer à être comme cela. Et c'est vrai. Ce sont toutes les mauvaises habitudes – évidemment des habitudes millénaires sur la terre –, toutes les mauvaises habitudes qui vous empêchent; mais il n'y a aucune raison que ça ne puisse pas être un état permanent. Parce que ça change tout! tout change!... N'est-ce pas, je me lavais les dents, je me lavais les yeux, je faisais les choses les plus matérielles: elles changeaient de nature! Et il y avait une vibration, une vibration consciente dans l'œil qui se lavait, dans la brosse à dents, dans... Tout cela, tout cela était différent. Et il est évident que si l'on devient le maître de cet état-là, on peut changer toutes les circonstances autour de soi.
Ces temps derniers (depuis assez longtemps), il y avait cette même difficulté du corps, qui n'est pas limité et enfermé dans une coque comme c'est le cas généralement et qui reçoit librement... pas même avec le sentiment de «recevoir»: qui A les vibrations de tout ce qui l'entoure; et alors, quand tout ce qui l'entoure est, au point de vue mental ou moral, fermé, incompréhensif, c'est un peu difficile, c'est-à-dire que ce sont des éléments qui viennent et qu'il faut transformer. C'est une espèce d'ensemble – d'ensemble très multiple et très instable – qui représente votre champ de conscience et d'action et sur lequel il faut travailler tout le temps pour rétablir une harmonie (un minimum d'harmonie), et quand quelque chose va «mal» selon l'idée ordinaire, autour de vous, ça rend le travail un peu difficile. C'est à la fois ténu et persistant et obstiné. Je me souviens que la nuit dernière quand je me suis étendue sur le lit, il y avait dans le corps une aspiration à l'Harmonie, à la Lumière, à une sorte de paix souriante; le corps aspirait surtout à une harmonie à cause de toutes ces choses qui grincent et grattent. Et probablement l'expérience a été le résultat de cette aspiration: je suis allée là et j'ai rencontré un Purani rose et bleu clair (!) – un bleu! le joli, très joli bleu clair de Sri Aurobindo.
Seulement, j'ai remarqué que dans la vie de ce corps, je n'ai jamais eu deux fois la même expérience – je peux avoir le même genre d'expérience à un degré supérieur ou à un degré beaucoup plus vaste, mais jamais identiquement le même. Et je ne garde pas l'expérience: je suis tout le temps, tout le temps (geste en avant), tout le temps en route; n'est-ce pas, le travail de transformation de la conscience est tellement rapide, doit se faire tellement vite, que l'on n'a pas le temps de jouir ou de s'appesantir sur une expérience ou d'en avoir une satisfaction de longue durée, c'est impossible. Ça vient fort, très fort, ça change tout, et puis il y a quelque chose d'autre qui vient. C'est la même chose pour la transformation des cellules: il y a toutes sortes de petits désordres qui viennent, mais qui sont visiblement, pour la conscience, des désordres de transformation, et alors on se préoccupe de ce point-là, on veut rétablir l'ordre; en même temps, il y a quelque chose qui sait pertinemment que le désordre est venu pour faire le passage du fonctionnement automatique ordinaire au fonctionnement conscient sous la Direction directe et l'Influence directe du Suprême. Et le corps le sait lui-même (tout de même, ce n'est pas amusant d'avoir mal ici ou d'avoir mal là, ou ceci, cela qui se désorganise, mais il SAIT). Et quand ce point-là est arrivé à un certain degré de transformation, on passe à un autre point, puis on passe à un autre, puis à un autre; alors rien n'est fait, aucun travail n'est fait définitivement jusqu'à ce que... tout soit prêt. Alors il faut recommencer le même travail, mais à un échelon supérieur, ou plus vaste, ou avec plus d'intensité ou plus de détail (cela dépend des cas) jusqu'à ce que TOUT soit amené à un point homogène et prêt d'une façon analogue.
Selon ce que je vois, cela va aussi vite que ça peut aller. Mais cela prend beaucoup de temps. Et tout est une question de changer l'habitude. Toute l'habitude automatique des millénaires doit être changée en une action consciente et directement guidée par la Conscience suprême.
On a tendance à dire que c'est beaucoup plus long et beaucoup plus difficile parce que l'on est entouré de gens et que l'on agit dans le monde, mais si l'on n'était pas dans ces conditions-là, beaucoup de choses seraient oubliées, beaucoup. Beaucoup de choses ne seraient pas faites. Il y a toutes sortes de vibrations qui ne sont pas en affinité avec cet agrégat-là (l'agrégat cellulaire de Mère) et qui n'auraient jamais eu l'occasion de toucher la Force transformatrice si je n'étais pas en rapport avec tous les gens.
Il est de toute évidence – il est de toute évidence – que l'on est mis dans les conditions les meilleures et avec le maximum de possibilités pour l'action... quand sincèrement on le veut.
*
* *
Puis Mère passe à la traduction de Savitri:
Each in its hour eternal claimed went by
Ideals, systems, sciences, poems, crafts
Tireless there perished and again recurred,
Sought restlessly by some creative Power.
But all were dreams crossing an empty vast.2
(X.IV.642)
Tout cela, c'est la même chose!
C'est amusant. Sûrement, il a eu des expériences analogues (à celles de Mère) quand il écrivait ces lignes.
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1 Purani, un charmant vieux disciple, décédé le 11 décembre 1965. Voir Agenda VI, conversation du 28 décembre 1965, p. 356.
2 Chacun à son heure prétendue éternelle, s'évanouissait:
Idéaux, systèmes, sciences, poèmes, œuvres d'art,
Infatigables, ils périssaient et revenaient encore
Poursuivis sans trêve par quelque Pouvoir créateur.
Mais tous étaient des rêves traversant l'immensité vide.