Mère
l'Agenda
Vol. 1
Avant de descendre, j’avais envie d’écrire un mot. Ce mot... c’est le résultat de tout ce qui est en train de se faire. C’était presque l’expression d’une protestation: a protest. J’ai dit: être un saint ou un sage, après tout ce n’est pas très difficile! (Mère rit) mais la transformation supramentale, c’est une autre affaire, oh!...
Et c’est devenu aigu depuis1... Non, ces jours-ci je ne lis plus parce que j’ai eu une hémorragie dans cet œil à la suite de trop de lettres – les écritures sont difficiles pour moi, et le résultat c’est cela. Alors j’ai fait grève, j’ai dit: «C’est bon, pendant huit jours je ne lis plus de lettres; on peut m’écrire autant que l’on veut, ça m’est égal, je ne lis plus.» Mais juste avant d’arrêter (j’ai arrêté de lire pendant trois jours, c’est tout), j’avais lu quelque chose où Sri Aurobindo explique très pleinement ce qu’il entend par la «transformation supramentale» et où il parle de sa propre expérience et de son propre travail. Et alors, cela a confirmé, cela m’a fait comprendre beaucoup d’expériences que j’ai eues, tu sais, après cette expérience de l’ascension du corps2 (l’ascension de la conscience du corps, puis la descente de la force supramentale dans le corps). C’est immédiatement après que tout (comment dire?)... Extérieurement, selon la conscience ordinaire, je suis tombée malade; mais je ne suis pas tombée malade! c’est une façon idiote de dire les choses: toutes les difficultés possibles dans le subconscient du corps se sont levées en masse – comme cela devait arriver, et comme c’est sûrement arrivé pour Sri Aurobindo aussi, ça, j’ai compris! J’ai compris. Eh bien, tu sais, ce n’est pas une blague! Je me demandais pourquoi tout cela s’était acharné sur lui – maintenant je comprends! parce que c’est identiquement le même acharnement sur moi.
Au fond, c’est tout ce qui est encore susceptible d’être touché par les forces adverses dans la conscience matérielle, c’est-à-dire la conscience, pas positivement du corps, mais on pourrait dire la substance telle qu’elle est organisée par le mental: les premiers mouvements du mental dans la vie, n’est-ce pas, ce qui a fait le passage de l’animal à l’homme (et probablement les mêmes complications existeraient dans l’animal, mais l’animal n’est pas en question: il n’y a pas de tentative de le supramentaliser, alors tout va bien), mais c’est la première mentalisation de la matière. Eh bien, il y a là-dedans quelque chose qui proteste et qui, en protestant, naturellement crée des désordres. Et alors ces jours-ci je voyais... Ce chemin-là n’a jamais été suivi par personne! Sri Aurobindo a été le premier et il est parti avant de nous dire ce qu’il faisait. Je suis absolument en train de frayer une route dans une forêt vierge – pire qu’une forêt vierge.
Et alors, depuis deux jours (je l’ai su depuis très longtemps mais c’est devenu extrêmement aigu, juste comme cela devient au moment des crises, au moment où les choses sont sur le point de changer – ou de s’éclairer ou d’éclater ou...), le sentiment de ne rien savoir tout – du tout. Au point de vue purement matériel, chimiquement, biologiquement, médicalement, thérapeutiquement, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de gens qui sachent (il y en a peut-être?) mais cela ne me paraît pas encore très net – en tout cas, moi, je ne sais pas. Et alors yoguiquement (je ne veux pas dire spirituellement parce que ça, c’est la première partie de ma sâdhanâ3), c’est très facile d’être un saint, oh! c’est même très facile d’être un sage: j’ai l’impression que je suis née avec ça; c’est spontané et naturel, et si simple! On sait tout ce qu’il faut faire et on le fait aussi facilement qu’on le sait, ce n’est rien. Mais ça, cette transformation de la Matière!... Qu’est-ce qu’il faut faire, comment il faut faire? Quel est le chemin?
Est-ce qu’il y a un chemin? Est-ce qu’il y a un procédé? – Probablement pas.
(silence)
N’est-ce pas, être dans cette condition où tout est le Suprême, tout est admirable, tout est merveilleux, tout est Amour merveilleux, tout est... tout est Joie profonde (et c’est une condition qui ne change pas, qui est comme cela, immuable: à n’importe quel moment c’est là), et puis alors, cette Matière dans le corps qui contredit Ça par toutes les imbécillités possibles: la vue qui se perd, la force qui se perd, des douleurs ici, des douleurs là, des désordres, des faiblesses – des inepties de tous genres. Et en même temps, dans ce corps, quoi qu’il lui arrive, il répond: «Ô Seigneur, Ta Grâce est infinie.» Alors c’est une contradiction qui est très déconcertante.
Je sais parfaitement bien (parce que j’en ai eu l’expérience); quand on se contente d’être un saint ou un sage, tout le temps que l’on garde la bonne attitude, tout va bien: le corps n’est pas malade, même s’il y a des attaques il se rétablit très facilement, tout va très bien... tant qu’il n’y a pas cette volonté de transformation. C’est la protestation contre la volonté de transformation. Tandis que si on dit: «Bien, c’est bon, que les choses soient comme elles sont, ça m’est tout à fait égal, je suis parfaitement heureux et dans un état béatifique», le corps se met à être content!
C’est cela: c’est l’introduction de quelque chose de tout à fait nouveau dans cette Matière, et alors il [le corps] proteste.
N’est-ce pas, quand j’avais «interviewé» la Nature et qu’elle m’avait dit qu’elle collaborerait,4 j’avais pensé que c’était cela qui cesserait (il y a beaucoup de choses qui se sont améliorées considérablement: c’est toute une partie de la Nature qui collabore), mais pas là. Nettement, clairement, ça vient du subconscient et de l’inconscient (dès qu’il y a conscience, ça va bien), mais c’est quelque chose qui monte d’en bas, comme ça, tout le temps. Tout le temps ça monte d’en bas. Et ça monte avec, oh! une persistance répugnante.
Alors, naturellement, cela s’accompagne de toutes les suggestions habituelles (mais ça, ce n’est rien, cela vient d’un domaine qu’on peut maîtriser facilement). Des suggestions de ce genre: «Eh bien, mais Sri Aurobindo, lui, il ne l’a pas fail!» (je sais pourquoi, mais les gens ne savent pas, la masse générale ne sait pas), et tout ce qui peut être adverse dans les vibrations se sert de cela naturellement: «Alors comment espères-tu réussir là où il n’a pas réussi!» Mais... ça, j’ai toujours ma même réponse: «Quand le Seigneur dira: «Tout est fini», je saurai que c’est fini, et puis c’est fini, et puis voilà, ça m’est égal!» Alors ça s’arrête avec cela.
Mais ce n’est pas qu’ils ne recommencent pas! Spécialement après avoir lu ce passage où Sri Aurobindo affirme, il dit: «C’est celte fois-ci, je suis venu pour ça – et je le ferai.» Un jour que je lisais cela, je ne lui ai pas posé la question mais je me suis tournée vers lui, alors il m’a dit: «Lis le livre jusqu’au bout.» Et je le sais, je le sais moi-même que c’est vrai: quand j’aurai lu le livre jusqu’au bout, je comprendrai ce qu’il a fait, et j’aurai même le pouvoir de répondre à ces suggestions. Mais en attendant, tout ce qui veut m’empêcher de le faire, c’est-à-dire toute celte mauvaise volonté obscure et subconsciente, essaye de son mieux de m’empêcher de lire, y compris de me donner cette hémorragie dans l’œil.
Alors comme je pense (je ne sais pas si c’est à tort ou à raison) que le docteur a plus d’expérience que moi, qu’il en sait un peu plus que moi au point de vue thérapeutique et biologique, etc., je lui ai montré mon œil et je lui ai demandé: «Est-ce que je lis?» Il m’a dit: Better not read until it’s finished [mieux vaut ne pas lire jusqu’à ce que ce soit fini], et il m’a dit de me laver les yeux avec du glucose (je le donne comme renseignement pour ceux qui ont les yeux fatigués: mélanger le glucose avec, par exemple, notre «eau bleue», moitié-moitié – le glucose que l’on donne en ampoules pour injection, celui-là. On scie son ampoule, on en met 1/3 de l’œillère, et on remplit avec de l’eau bleue. Je l’ai fait déjà une fois et j’ai trouvé que ça donne beaucoup de force aux yeux). Alors je vais le faire maintenant. Je vais commencer à partir de demain. Voilà.
Qu’est-ce qui a arrêté Sri Aurobindo?
Il n’a pas arrêté.
Arrêté physiquement, tu veux dire?
Oui, qu’est-ce qui l’a arrêté?
Parce qu’il avait décidé qu’il fallait qu’il s’en aille.
Nous avons essayé, oh! – moi particulièrement, n’est-ce pas, j’ai mis tout mon pouvoir à l’empêcher de partir, et ça le faisait souffrir beaucoup, parce que... il voulait s’en aller, il avait décidé – «il», le Seigneur suprême a décidé qu’il s’en allait.
Oui, mais justement pourquoi cet arrêt? Il était venu pour ça.
Mais rien n’est arrêté! C’est là, c’est là qu’il refuse de reconnaître qu’il y a arrêt. Rien n’est arrêté. Il est venu pour ça, et il a arrangé les choses pour que... pour donner un maximum de chances («chance», c’est une façon de parler), de possibilités. Pour mettre tous les atouts de notre côté.
(long silence)
Évidemment si, moi, je m’en allais maintenant, je peux dire, là, que ce serait arrêté, parce que je ne vois personne pour le moment qui puisse continuer. Mais il y a beaucoup de chances... Nous allons voir, n’est-ce pas...
On verra bien.
Tout dépend de la balance (pas l’équilibre: la proportion) entre justement la somme de résistances dans la substance, et le Pouvoir.
Mais ce sont des résistances purement matérielles, ou bien est-ce que ce sont des forces hostiles?
Non, les forces hostiles, dès qu’on est hors de la Matière, elles n’ont pas ça de pouvoir – RIEN.
C’est dans la Matière?
La Matière. Presque la Matière inconsciente.
Elles sont dans la Matière inconsciente?
Ce sont elles qui représentent l’inconscience de la Matière, pour être plus vrai! Hostiles, nous disons «hostiles», naturellement c’est une façon de parler.
N’est-ce pas... (Mère va dire quelque chose, puis Elle se ravise). Ce n’est pas le moment de dire ces choses.
On verra bien.
(silence)
Par exemple, comme je le disais en commençant, pour un saint oui pour un sage, la formation du corps a une importance très minime, tout à fait secondaire. Mais pour ça, pour ce travail supramental, la formation du corps a une importance presque capitale, et pas du tout au point de vue des éléments spirituels ni même d’une puissance mentale: cela n’a pas d’importance DU tout. La chose importante, c’est la capacité d’endurer et de durer.
Eh bien, pour cela, il est absolument indéniable que mon corps en a infiniment plus que le corps de Sri Aurobindo.
El au fond c’était cela, le problème. Parce que l’identification des deux [de Sri Aurobindo et de Mère], c’était presque un jeu d’enfant, ce n’était rien – que je me fonde en lui ou qu’il se fonde en moi, ce n’était pas un problème, ce n’était pas difficile. Et justement, cela a été le sujet de conversations, parce que nous avons vu... (il y avait aussi beaucoup d’autres choses qu’il n’est pas temps de dire), mais il y avait certaines conditions et je lui ai dit que ce serait pour moi absolument sans regret et sans difficulté que je quitterai ce corps pour me joindre à lui (ça, c’est une chose que je lui ai dite, pas en pensée: avec des mots prononcés). Et il m’a répondu aussi comme cela, avec des mots prononcés, il m’a dit: Your body is indispensable for the Work. Without your body the Work cannot be done [Votre corps est indispensable pour le Travail. Sans votre corps, le Travail ne peut pas se faire]. Alors je n’ai plus rien dit, ce n’était pas mon affaire, c’était fini.
C’est quelque chose qui a été dit en... 1949, c’est-à-dire un peu plus d’un an avant qu’il ne s’en aille.
(silence)
Et c’est vraiment cela.
Mais alors, je suis mise en présence maintenant du fait... N’est-ce pas, l’immensité ou le... quelque chose... Ce travail est si formidable!
Évidemment, en dernière analyse, tout dépend de la Volonté du Suprême, parce que si on regarde assez profondément dans la question, même les lois et les résistances physiques ne sont rien pour Lui. Mais cela, c’est justement l’extrême limite, c’est-à-dire que pour que Sa Volonté s’exprime pour ainsi dire en contradiction avec l’ensemble des lois de la Manifestation, eh bien, cela ne vient que... juste à la dernière seconde. C’est ce que Sri Aurobindo a exprimé dans Savitri, si bien, si bien! Au moins trois fois dans le livre, il l’a exprimé. Cette Volonté qui abolit toutes-toutes les lois établies et toutes les conséquences de ces lois et tout l’ensemble formidable de la Manifestation, pour que Ça s’exprime en contradiction avec tout cela, c’est juste à la dernière... ce qu’on pourrait appeler seconde, à l’extrême limite de la possibilité.
Je dois dire qu’il y avait un temps où, comme Sri Aurobindo m’avait légué son travail à faire, il y avait une sorte de tension (on ne peut pas appeler cela une anxiété), mais une tension pour le faire; il y avait une tension dans la volonté. Maintenant, cela aussi, c’est fini (Mère étend ses bras dans l’Infini). Cela aussi, c’est fini. Mais il y a peut-être quelque part dans le subconscient ou dans l’inconscient quelque chose qui est encore tendu – c’est possible, je n’en sais rien. Pourquoi? – Je ne sais pas. C’est-à-dire qu’il ne m’a pas été dit, à aucun moment, ni directement ni à travers Sri Aurobindo, que j’irai jusqu’au bout. Il ne m’a jamais été dit cela – il ne m’a jamais été dit le contraire. On ne m’a rien dit du tout. Et si, quelquefois, il y a, pas une question, mais que je suis tournée comme cela, vers Ça, pour savoir, la réponse est toujours la même: «Ça ne te regarde pas, continue; t’occupe pas de ça.» Alors maintenant j’ai appris à ne pas m’en occuper; consciemment je ne m’en occupe pas.
(silence)
Et c’est dosé! avec une sagesse! oh!... Je veux dire que la conscience (ce que l’on appelle en anglais awareness: ce n’est pas exactement la conscience, c’est entre conscience et perception), la conscience de l’énormité de difficulté de la «chose» m’est donnée comme goutte à goutte... pour qu’on ne soit pas écrasé.
Mais il doit y avoir un progrès assez considérable parce que, ces jours-ci, l’énormité de la chose m’est présentée beaucoup plus... concrètement, oh!... Je te dis, c’est au point que toute-toute la vie spirituelle, tous ces gens et toutes ces races qui ont essayé depuis le commencement de la terre et qui ont fait tant d’efforts pour réaliser – tout cela, ça paraît rien du tout, un jeu d’enfant. C’est rien: on sourit et puis... on est joyeux. C’est rien du tout, rien du tout, oh!...
Et puis (pour dire les choses dans un langage ordinaire), c’est un travail sans gloire, mon petit! On n’a pas de résultats, on n’a pas d’expériences qui vous remplissent d’extase ou de joie ou d’admiration – rien de tout cela, c’est un labeur... hideux.
Si on n’avait pas, en soi, la vision claire et cette aspiration constante, c’est monotone, c’est embêtant, c’est... c’est terne, c’est gris, c’est... ouh!
(silence)
Il y a quelques mois (plusieurs mois maintenant), quand le corps avait été encore une fois le champ d’une bataille et de tous les obstacles et qu’il était comme ça, suspendu, à se demander si... de quel côté (pas demander intellectuellement, ce n’est pas cela, mais avoir une sorte de perception, de toucher), comment ça va basculer, n’est-ce pas? De quel côté ça va basculer? Et alors, tout d’un coup, dans toutes ces cellules est venue (et ça, je sais d’où c’est venu), tout d’un coup l’impression: «Si nous sommes dissoutes de cet amalgame, si cette combinaison est dissoute, qu’elle ne peut pas persister, nous irons toutes, tout droit, tout droit comme ça – et c’était comme une flamme merveilleuse –, tout droit rejoindre Sri Aurobindo dans son monde supramental: c’est là notre port.» Et alors, une telle joie! Un tel enthousiasme, une telle joie est entrée dans toutes ces cellules! Ça leur était devenu absolument indifférent d’être dissociées et de... oh! qu’est-ce que ça peut nous faire!
Ça a été vraiment une étape décisive dans le travail d’illumination du corps.
Toutes ces cellules se sentaient beaucoup plus puissantes que cette force imbécile qui les dissoudrait; tout ce qu’on appelle «la mort», ça leur était tout à fait indifférent: «Qu’est-ce que ça peut nous faire, nous irons là, et nous participerons consciemment au travail de Sri Aurobindo, à la transformation du monde, des deux façons – ici, là, comme ça, comme ça, qu’est-ce que ça peut faire!»
C’était il y a plus d’un an, je crois. Ce n’est jamais parti. Jamais. Tout ce qui est anxiété et, justement toute tension consciente est partie.
Seulement – il y a un seulement dans tout cela. Si la proportion était plus libre entre une liberté de solitude, que je pourrais appeler «réconfortante», et la nécessité d’un travail collectif, probablement il y aurait moins de difficultés... Je me souviens, à peu près vers la fin de la première année après être remontée là-haut5 (peut-être avant même), mais enfin quelque temps après avoir pris l’habitude du japa en marchant, j’ai eu de ces périodes de marche!... N’est-ce pas, s’il y avait eu un but personnel, il est évident que le but était atteint – ça, c’est indescriptible, c’est absolument au-delà de toute splendeur imaginable et expressible.
Et c’est à ce moment-là que j’ai reçu l’Ordre du Suprême, qui était là, n’est-ce pas, comme ça (Mère presse son visage), Il m’a dit:
«Ca, c’est une promesse pour plus tard. Maintenant il faut faire le Travail.»
Et ce n’est pas le travail individuel: c’était le travail collectif. Et naturellement, comme c’était dit, ça a été accepté avec joie et fait immédiatement.
Mais quand je me souviens de ce qu’était cette expérience et de ce que j’ai maintenant...
(silence)
Eh bien, c’est une chose équivalente, mais beaucoup plus totale et complète et absolue que Sri Aurobindo a faite en quittant son corps – parce qu’il avait l’expérience, il avait ça, il l’avait, je l’ai vu, je l’ai vu supramental sur son lit, assis sur son lit.
(silence)
Ça, il l’a écrit: ce n’est pas pour moi que je le fais, individuellement, c’est pour la terre tout entière. Et c’était exactement la même chose – oh! cette expérience!... Mais alors, n’est-ce pas, rien ne comptait plus: les gens, la terre, même la terre, n’est-ce pas, ça n’avait absolument aucune importance.
(La pendule sonne)
Voilà.
*
* *
Plus tard, au moment de partir:
Mais tu sais, cet état maintenant, cela vous donne l’impression que, au fond, on ne sait rien du tout, du tout, du tout – du tout. Tout le reste, n’est-ce pas, tout ce qui conduit à la vie spirituelle, à la libération, à tout ça, eh bien, oui, c’est très bien – c’est très bien. Mais ce qu’il faudrait savoir pour faire ce travail-là...
Peut-être est-ce mieux de ne pas savoir.
Parce que, évidemment, je ne peux pas dire que mes expériences sont le résultat d’une aspiration ou d’une volonté ou d’une connaissance mentales – je ne sais rien du tout. Je ne sais rien. Je ne sais pas comment ce devrait être, ni ce qui devrait être ni rien du tout. Ni ce qu’il faut faire ni ce qu’il ne faut pas faire – rien du tout. Ça, c’est vraiment de la marche aveugle, sans... rien (geste à tâtons), dans un désert encombré de tous les pièges et de toutes les difficultés et de tous les obstacles possibles – tout cela, comme ça, accumulé, là. On a les yeux bandés, on ne sait rien (même geste à tâtons), on marche.
Alors, n’est-ce pas, il n’y a qu’une chose à faire, c’est d’être comme cela (Mère tourne ses mains vers le Haut, dans un geste d’abandon), mais encore ne faut-il pas s’endormir! Il ne faut pas entrer dans un état béatifique où on est... Non, il faut marcher.
Sais pas quoi faire. C’est pas commode.
(Mère se lève)
Ah! j’ai quelque chose pour toi, j’ai oublié de te l’apporter7 (Mère rit)!
Ça fait partie d’une expérience... On m’a dit qu’il ne fallait RIEN rejeter de tout ce qui est joie – «joie» tout à fait différente, ça n’a rien de ce que l’on appelle joie quand on vit dans le vital, ce n’est rien de cela! (Riant) C’est une drôle de joie!
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1 Depuis que Mère lit On Himself, ces lettres où Sri Aurobindo parle de lui-même, comme si ces lettres l’avaient mise en contact avec toutes les difficultés de la tâche.
2 Expérience du 24 janvier 1961.
3 Sâdhanâ: discipline ou développement spirituel.
4 Expérience du 8 novembre 1957. Mère a commenté cette expérience dans l’Entretien du 1er janvier 1958. Voir Agenda, tome I, p. 135.
5 Fin 1958.
6 Il éxiste un enregistrement de cette conversation, sauf le paragraphe suivant qui manque.
7 Si nos souvenirs sont justes, il s’agit d’une boîte de foie gras!