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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

11. Les Ribhus, artisans de l’immortalité (1.20)

1.20.1

अ॒यं दे॒वाय॒ जन्म॑ने॒ स्तोमो॒ विप्रे॑भिरास॒या ।

अका॑रि रत्न॒धात॑मः ॥१॥

ayam devāya janmane stomaḥ viprebhiḥ āsayā

akāri ratna-dhātamaḥ

Voici pour la Naissance divine l’hymne d’affirmation, créé du souffle de leur bouche par les sages illuminés, qui transmet parfaitement l’extase.

1.20.2

य इन्द्रा॑य वचो॒युजा॑ तत॒क्षुर्मन॑सा॒ हरी॑ ।

शमी॑भिर्य॒ज्ञमा॑शत ॥२॥

ye indrāya vacaḥ-yujā tatakṣuḥ manasā harī iti

śamībhiḥ yajñam āśata

Eux qui pour Indra ont conçu avec le mental ses deux brillants Coursiers attelés par la Parole, goûtent la joie du sacrifice en accomplissant l’œuvre.

1.20.3

तक्ष॒न्नास॑त्याभ्यां॒ परि॑ज्मानं सु॒खं रथ॑म् ।

तक्ष॑न्धे॒नुं स॑ब॒र्दुघा॑म् ॥३॥

takṣan nāsatyābhyām pari-jmānam su-kham ratham

takṣan dhenum sabaḥ-dughām

Ils ont confectionné pour les Jumeaux, seigneurs du voyage, le char faste qui pénètre partout. Ils ont créé la Vache nourricière donnant le doux lait.

1.20.4

युवा॑ना पि॒तरा॒ पुनः॑ स॒त्यम॑न्त्रा ऋजू॒यवः॑ ।

ऋ॒भवो॑ वि॒ष्ट्य॑क्रत ॥४॥

yuvānā pitarā punariti satya-mantrāḥ ṛjū-yavaḥ

ṛbhavaḥ viṣṭī akrata

Vous avez rendu leur jeunesse aux Parents, vous qui cherchez le Juste [ou: le Droit] et pensez le Vrai, ô Ribhus, en vous propageant partout.

1.20.5

सं वो॒ मदा॑सो अग्म॒तेन्द्रे॑ण च म॒रुत्व॑ता ।

आ॒दि॒त्येभि॑श्च॒ राज॑भिः ॥५॥

sam vaḥ madāsaḥ agmata indreṇa ca marutvatā

ādityebhiḥ ca rājabhiḥ

Les ivresses du vin vous arrivent complètement [ou: toutes ensemble], avec Indra suivi des Maruts et avec les Rois, les fils d’Aditi.

1.20.6

उ॒त त्यं च॑म॒सं नवं॒ त्वष्टु॑र्दे॒वस्य॒ निष्कृ॑तम् ।

अक॑र्त च॒तुर॒: पुनः॑ ॥६॥

uta tyam camasam navam tvaṣṭuḥ devasya niḥ-kṛtam

akarta caturaḥ punariti

Et de cette Coupe du dieu Tvashtri, rénovée, améliorée, vous en avez refait quatre.

1.20.7

ते नो॒ रत्ना॑नि धत्तन॒ त्रिरा साप्ता॑नि सुन्व॒ते ।

एक॑मेकं सुश॒स्तिभि॑: ॥७॥

te naḥ ratnāni dhattana triḥ ā sāptāni sunvate

ekam-ekam suśastibhiḥ

Ainsi, fondez en nous qui offrons le Soma, les trois fois sept extases, en exprimant chacune d’elle parfaitement.

1.20.8

अधा॑रयन्त॒ वह्न॒योऽभ॑जन्त सुकृ॒त्यया॑ ।

भा॒गं दे॒वेषु॑ य॒ज्ञिय॑म् ॥८॥

adhārayanta vahnayaḥ abhajanta su-kṛtyayā

bhāgam deveṣu yajñiyam

Cette part de joie venue du sacrifice, en elles préservée et maintenue, accomplissant parfaitement leur tâche aux Dieux ils l’ont distribuée.

Commentaire

Les Ribhus, selon certaines hypothèses, représenteraient les rayons du Soleil. Il s’agit, il est vrai, comme pour Varuna, Mitra, Bhaga et Aryaman, de pouvoirs de la Lumière solaire, de la Vérité. Mais dans le Véda ce sont avant tout les artisans de l’Immortalité. On en fait des êtres humains, auxquels leur pouvoir de connaissance et la perfection de leurs travaux confèrent le statut de divinités. Ils ont pour mission d’aider Indra à élever l’homme vers ce même état de lumière et de béatitude divines qu’eux-mêmes doivent à leur divin privilège. Les hymnes que le Véda leur consacre sont rares et à première vue excessivement énigmatiques, car ils abondent en métaphores et symboles convenus sans cesse réitérés. Mais une fois en notre possession les clefs principales du Véda, ces textes deviennent au contraire remarquablement limpides et simples, et présentent une idée cohérente et intéressante qui éclaire distinctement l’évangile védique de l’Immortalité.

Les Ribhus sont des pouvoirs de la Lumière qui, descendus dans la Matière, se transmuent en facultés humaines aspirant à devenir divines et immortelles. Cette particularité leur vaut le surnom d’enfants de Sudhanvan,1 patronyme qui se contente de rappeler, sous forme de parabole, qu’ils sont issus du plein potentiel de la Matière touchée par l’Énergie lumineuse. Mais leur nature réelle indique qu’ils proviennent de cette Énergie lumineuse, c’est pourquoi il arrive qu’on les appelle “Descendants d’Indra, petits-fils de la Force lumineuse” (4.37.4). Car Indra, le Mental divin chez l’homme, naît de la Force lumineuse, comme Agni de la Force pure, et d’Indra, Mental divin, jaillissent les aspirations humaines à l’Immortalité.

Les noms des trois Ribhus sont, par ordre de naissance, Ribhu ou Ribhukshan, l’Expert ou le savant Concepteur, Vibhva ou Vibhu, le Diffus ou Pénétrant, celui qui se répand, et Vaja, la Plénitude. Si leurs noms dénotent leurs natures et fonctions spécifiques, tous trois forment en réalité une trinité et de ce fait, bien que désignés d’habitude par le terme Ribhus, sont appelés également Vibhus et Vajas. Ribhu, l’aîné, est celui qui, chez l’homme, commence le premier par ses pensées et ses actes à donner forme à l’immortalité; Vibhva étend et propage cette opération; Vaja, le plus jeune, contribue la plénitude de la lumière et de la substance divines, qui permettent d’achever l’ouvrage. Cette construction de l’immortalité, ils l’effectuent, ne cesse-t-on de répéter, par la force de la Pensée, avec le mental pour champ d’action et pour matériau; elle s’accomplit avec puissance; elle s’accompagne d’une maîtrise dans l’acte créateur et efficient, svapasyayā (3.3.11), sukṛtyayā (1-20-8), qui conditionne la réalisation de l’immortalité. Ce que conçoivent les Artisans de l’Immortalité, d’après le bref résumé qu’en donne l’hymne en question, ce sont les Chevaux d’Indra, le Char des Ashvins, la Vache qui fournit le doux lait, le rajeunissement des Parents universels, le quadruplement de la Coupe unique où viennent boire les dieux, fabriquée à l’origine par Tvashtri, Celui qui confectionne toute chose.

(rik 1 ) – L’hymne précise d’emblée son propos. Il s’agit d’affirmer le pouvoir des Ribhus pour permettre la Naissance divine, affirmation faite par des hommes dont le mental a atteint l’illumination et possède cette énergie de la Lumière d’où naquirent les Ribhus, accomplie par le souffle de la bouche, la force de vie dans le monde, le but étant de confirmer dans l’âme humaine le délice complet de la Béatitude, les trois fois sept extases de la Vie divine.2

(rik 2) – Cette Naissance divine est symbolisée par les Ribhus qui, jadis hommes, sont désormais devenus immortels. En réalisant l’oeuvre – la grande œuvre de l’évolution humaine ascendante, couronnement du sacrifice du monde –, ils ont. gagné dans ce sacrifice leur lot et privilège divins en même temps que leurs pouvoirs divins. Ce sont les énergies humaines de conception et de dépassement de soi, qui, sublimées, aident les dieux à diviniser l’homme. Et le pivot de tous leurs exploits, c’est la réalisation des deux brillants Coursiers d’Indra, les chevaux attelés à leurs mouvements par la parole, attelés par le Verbe et conçus par le Mental. Car le libre mouvement du mental lumineux, le mental divin en l’homme, est ce qui conditionne toute autre entreprise d’immortalisation.3

(rik 3) – La seconde tâche des Ribhus consiste à préparer le Char des Ashvins, seigneurs du périple humain – le mouvement heureux de l’Ananda en l’homme, dont l’action envahit tous les mondes ou plans de son être, apportant santé, jeunesse, vigueur, plénitude à l’homme physique, pouvoir de se réjouir et d’agir au vital, joyeuse énergie de la lumière à l’être mental – en un mot, la force du pur délice de l’être en chacune de ses parties.4

Créer la Vache au doux lait est leur troisième mission. Les Ribhus, dit-on ailleurs, ont libéré cette vache de son enveloppe cutanée – le voile tissé par le mouvement et l’action extérieurs de la Nature. La vache nourricière elle-même est celle en qui résident les formes universelles et l’élan universel du mouvement, viśvajuvaṃ viśvarūpām; autrement dit, elle est la Radiance primitive, Aditi, la Conscience infinie de l’Être conscient infini, qui est la Mère des mondes. Les Ribhus dégagent cette conscience du masque de la Nature et en forgent ici, chez nous, une image. L’action des pouvoirs de la dualité l’a séparée de son enfant, l’âme dans le monde inférieur; ils rendent à celle-ci la compagnie constante de sa mère infinie.5

(rik 4) – Forts de leurs succès précédents, grâce à la lumière d’Indra, au dynamisme des Ashvins, au don complet de la Vache nourricière, les Ribhus ont maintenant une autre importante mission: régénérer les Parents du monde, le Ciel et la Terre. Le Ciel figure la conscience mentale, la Terre la conscience physique. On les représente gisant vieux et prostrés comme des poteaux sacrificiels abattus, couple épuisé et souffrant. Montant à la demeure du Soleil, où l’astre vit dans la franche splendeur de sa Vérité, les Ribhus, après douze jours de repos, traversent, nous dit-on, le ciel et la terre, y précipitant la pluie généreuse des flots de la Vérité, les nourrissant et leur redonnant jeunesse et vigueur (4.33.2,3,7; 4.36.1,3; 1.161.7). Ils propagent dans le ciel leur action, font s’épanouir divinement la mentalité (4.33.1,2); ils communiquent, à celle-ci comme à l’être physique, un élan nouveau, jeune et immortel (5.36.3). Car, venus du séjour de la Vérité, ils apportent avec eux la perfection de ce qui conditionne leur travail, le mouvement allant droit à la Vérité et cette Vérité elle-même, absolument efficace dans toutes les pensées et les paroles de la mentalité. Munis de ce pouvoir quand leur marée aborde le monde inférieur, ils répandent en lui l’immortelle essence.6

(rik 5) – C’est le vin de cette essence immortelle et ses extases que leur intervention obtient, c’est lui qu’ils remettent à l’homme lors de son sacrifice. Et prennent place à leurs côtés Indra et les Maruts, le Mental divin et ses Forces de Pensée, et les quatre grands Rois, fils d’Aditi, enfants de l’Infini, Varuna, Mitra, Aryaman, Bhaga, la pureté et le vaste de la conscience-de-Vérité, sa loi d’amour, de lumière et d’harmonie, son pouvoir et son aspiration, sa jouissance heureuse et pure des choses.7

(rik 6) – Et là, au sacrifice, les dieux boivent à la Coupe quadruple, camasaṃ caturvayam (4.36.4), les coulées de nectar. Car initialement Tvashtri, le grand Artisan, n’avait donné à l’homme, pour offrir aux dieux le délice de l’existence, qu’une seule coupe, la conscience physique, le corps matériel. Tvashtri l’ayant par la suite retravaillée et améliorée, les Ribhus, pouvoirs de connaissance lumineuse, s’en emparent et préparent chez l’homme, à partir des matériaux des quatre plans, trois autres corps, vital, mental et causal ou idéal.8

(rik 7) – Ayant créé cette quadruple coupe de béatitude et permis ainsi à l’homme de vivre sur le plan de la conscience-de-Vérité, il leur devient possible d’établir dans l’être humain rendu parfait “les trois fois sept extases” de l’existence suprême, précipitées dans le mental, la vitalité et le corps. Ils peuvent toutes les procurer parfaitement en manifestant pleinement, même au sein de l’ensemble, le ravissement unique et absolu de chacune d’entre elles.9

(rik 8) – Les Ribhus sont capables de soutenir et maîtriser dans la conscience humaine tous ces flots du délice de l’être pour ensuite les distribuer, expertement, aux dieux manifestés, chacun obtenant sa part du sacrifice. Car de cette répartition parfaite dépend entièrement l’efficacité du sacrifice, la perfection de l’œuvre.10

Voilà donc ce que sont ces Ribhus conviés au sacrifice humain, appelés à préparer pour l’homme les choses de l’immortalité, comme ils l’ont fait jadis pour eux-mêmes. “Il devient riche de plénitude et de force à la tâche, il devient un Rishi en vertu du pouvoir qu’il a de s’exprimer, il devient un héros et un combattant invincible dans les batailles, il établit en soi-même regain de félicité et parfaite énergie, celui que Vaja et Vibhva, les Ribhus, favorisent... Car vous êtes les penseurs et les voyants au clair discernement; c’est pourquoi, avec cette pensée de notre âme, nous vous déclarons notre connaissance. Vous qui, habitant nos pensées, possédez la connaissance, confectionnez pour nous tous les bonheurs humains, plénitude lumineuse, force fertilisante et félicité suprême. Dans votre délice, confectionnez pour nous ici et la fécondité et la félicité et une inspiration pleine d’énergie héroïque. Accordez-nous, ô Ribhus, cette plénitude richement diversifiée qui fera que notre conscience s’éveille à ce qui dépasse les hommes ordinaires” (4.36.6 à 9).

 

1 “Dhanvan” ici ne signifie pas “arc” mais désigne l’état solide ou aride de la Matière, ailleurs représenté par la montagne ou le roc d’où s’affranchissent les eaux et les rayons.

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2 ayaṃ devāya janmane stomo viprebhir āsayā

   akāri ratnadhātamaḥ

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3 ya indrāya vacoyujā tatakṣur manasā harī

   śamībhir yajñam āśata

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4 takṣan nāsatyābhyāṃ parijmānaṃ sukhaṃ ratham

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5 takṣan dhenuṃ sabardughām (Pour plus de détails, voir Rig-Véda IV-33-4,8; IV-36-4; etc.)

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6 yuvānā pitarā punaḥ satyamantrā ṛjūyavaḥ

   ṛbhavo viṣṭy akrata

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7 saṃ vo madāso agmatendreṇa ca marutvatā

   ādityebhiś ca rājabhiḥ

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8 uta tyaṃ camasaṃ navaṃ tvaṣṭur devasya niṣkṛtam

   akarta caturaḥ punaḥ

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9 te no ratnāni dhattana trir ā sāptāni sunvate

   ekam-ekaṃ suśastibhiḥ

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10 adhārayanta vahnayo ‘bhajanta sukṛtyayā

   bhāgaṃ deveṣu yajñiyam

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