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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

21. Les fils de l’Obscurité

Faire de l’histoire des Angiras, Indra et Sarama, la caverne des Panis et la conquête de l’Aurore, du Soleil et des Vaches, le récit d’une lutte politique et militaire entre des envahisseurs aryens et des troglodytes dravidiens est impossible, cela nous l’avons constaté non pas une fois mais à maintes reprises. Cette lutte, c’est celle qui oppose les chercheurs de la Lumière et les pouvoirs de l’Obscurité; les vaches figurent les illuminations du Soleil et de l’Aurore, il ne peut s’agir de bovins ordinaires; le champ des Vaches,-ce vaste espace exempt de peur et conquis par Indra pour les Aryens, représente le vaste monde de Svar, le monde de l’Illumination solaire, les trois régions lumineuses du Ciel. Une démarche similaire nous autorise donc à voir dans les Panis les pouvoirs de la caverne de l’Obscurité. Les Panis sont, c’est juste, des Dasyus ou Dàsas, c’est ainsi qu’on les appelle constamment. Ils constituent le Dàsa-Varna, par opposition à l’Arya-Varna, le terme varṇa, couleur, servant à désigner la caste ou l’appartenance sociale dans les Brahmanas et les écrits plus tardifs, ce qui n’implique pas qu’il ait nécessairement ce sens-là dans le Rig-Véda. Les Dasyus sont ceux qui détestent le Verbe sacré; ce sont ceux qui n’offrent rien aux dieux, ni dons ni vin consacré, qui accaparent leur richesse – vaches, chevaux et autres trésors, et les refusent aux voyants; ce sont ceux qui n’accomplissent pas le sacrifice. Libre à nous de supposer l’existence en Inde d’un antagonisme entre deux cultes différents. Les Rishis, puisant leurs images dans ce conflit historique entre les représentants humains de ces cultes, les auraient alors appliquées au conflit spirituel, tout comme ils ont utilisé les autres détails de leur vie matérielle pour symboliser le sacrifice spirituel, la richesse spirituelle, la bataille et le voyage spirituels. Il n’en reste pas moins que, dans le Rig-Véda en tout cas, c’est du conflit et de la victoire spirituels qu’il s’agit, et non de conflit et de pillage matériels.

Choisir des passages isolés et en faire une lecture spéciale, justifiée en l’occurrence, tout en ignorant les nombreux autres passages où cette interprétation ne conviendrait visiblement pas, serait une démarche dénuée de tout sens critique, voire malhonnête. Nous devons considérer dans leur ensemble les références du Véda faites aux Panis, à leur richesse, à leurs caractéristiques, à la victoire que remportent sur eux les dieux, les voyants et les Aryens, et adopter partout le sens auquel conduira l’étude de tous les passages examinés collectivement. Si nous adoptons cette méthode, nous découvrons que: – dans plusieurs de ces passages, concevoir les Panis comme des êtres humains et des pouvoirs de l’obscurité matérielle ou spirituelle est absolument impossible; – ailleurs les Panis ne peuvent en aucun cas être des pouvoirs de l’obscurité matérielle, mais pourraient bien être, soit des êtres humains hostiles à ceux qui cherchent les dieux et accomplissent le sacrifice, soit des ennemis de la Lumière spirituelle; – ailleurs encore ils ne peuvent être, ni des êtres humains hostiles ni des ennemis de la lumière matérielle, mais sont indéniablement des ennemis de la Lumière spirituelle, de la Vérité et de la Pensée. Une seule conclusion s’impose, c’est qu’ils sont toujours et uniquement des ennemis de la Lumière spirituelle.

Pour mieux cerner le caractère général de ces Dasyus, nous pouvons choisir comme indice principal le Rik V-14-4: “À sa naissance, Agni, resplendissant, détruisit les Dasyus, supprima l’obscurité avec la Lumière; il découvrit les vaches, les eaux, Svar, agnir jāto arocata, ghnan dasyūñ jyotiṣā tamaḥ; avindad gā apaḥ svaḥ”. Il existe deux grandes familles de Dasyus: les Panis, qui interceptent aussi bien les vaches que les eaux, mais se spécialisent dans la confiscation des vaches, et les Vritras, qui interceptent les eaux et la lumière, mais se spécialisent dans la rétention des eaux; tous les Dasyus sans exception entravent l’ascension vers Svar et empêchent les voyants aryens d’acquérir la richesse. En refusant la lumière, ils s’opposent à la vision de Svar, svardṛś, et à la vision du soleil, à la vision suprême de la connaissance, upamā ketuḥ (5.34.9); en refusant les eaux, ils font obstacle au mouvement abondant de Svar, svarvatīr apaḥ (5.2.11), le mouvement ou l’affluence de la Vérité, ṛtasya preṣā, ṛtasya dhārāḥ (1-68-1 à 3); en nous déniant la richesse, ils nous privent de la substance abondante de Svar, vasu, dhana, vāja, hiraṇya, cette grande richesse qui loge dans le soleil et dans les eaux, apsu sūrye mahad dhanam (8.68.9). Mais comme il s’agit uniquement d’une lutte entre la Lumière et l’Obscurité, la Vérité et la Fausseté, la Maya divine et la non-divine, tous les Dasyus sans exception deviennent ici synonymes d’Obscurité; et c’est la naissance et la splendeur éclatante d’Agni qui crée la Lumière permettant de supprimer les Dasyus et l’Obscurité. L’exégèse historique est dans ce cas tout à fait irrecevable, l’interprétation naturaliste, elle, peut tenir, si nous isolons le passage et supposons qu’allumer le feu sacrificiel provoque le lever quotidien du soleil; mais notre jugement doit s’appuyer sur une étude comparée du Véda et non sur l’autorité de passages isoles.

L’hymne 34 du cinquième Mandala illustre lui aussi cet antagonisme entre Aryens et Panis ou Dasyus, et en III-34 nous rencontrons l’expression āryaṃ varṇam. Il faut se rappeler que les Dasyus et l’Obscurité sont désormais identiques; il doit donc y avoir un lien entre les Aryens et la Lumière; or la lumière du Soleil est effectivement appelée dans le Véda la Lumière aryenne, pour souligner, c’est évident, l’opposition avec l’Obscurité Dàsa. Vasishtha dit aussi des trois peuples aryens qu’ils sont jyotiragrāḥ,conduits, précédés par la lumière (7.33.7). On ne peut traiter convenablement cette question Aryen-Dasyu que par une discussion exhaustive, qui examine minutieusement tous les passages concernés et ne néglige aucune difficulté; en ce qui me concerne, ce point de départ suffira. N’oublions pas non plus que le Véda nous offre une clef supplémentaire, les expressions, ṛtaṃ jyotiḥ, hiraṇyaṃ jyotiḥ, la Vraie Lumière, la Lumière dorée. Or, d’après moi, ces trois qualificatifs de la lumière solaire, ārya, ṛta, hiraṇya s’éclairent mutuellement et sont quasiment synonymes. Le Soleil étant le seigneur de la Vérité, sa lumière est le ṛtaṃ jyotiḥ; cette lumière de la Vérité est celle que l’Aryen, dieu ou mortel, possède et qui constitue son aryénité; du reste l’épithète “doré” définit constamment le Soleil, et l’or symbolise probablement dans le Véda la substance de la Vérité; car sa substance est la lumière qui est “la richesse dorée trouvée dans Surya et dans les eaux de Svar” apsu sūrye, – d’où la formule hiraṇyaṃ jyotiḥ. Cette Lumière dorée ou brillante est la couleur, varṇa, de la Vérité; c’est aussi la couleur des pensées pleines de cette illumination conquise par l’Aryen, les vaches aux couleurs vives, śukra, śveta, la couleur de la Lumière; le Dasyu, quant à lui, étant un pouvoir de l’ombre, a le teint noir. Selon moi l’éclat de la lumière de la Vérité, jyotiḥ āryam (10.43.4), est l’Arya varṇa, la couleur de ces Aryens qui sont jyotiragrāḥ; l’obscurité de la nuit de l’ignorance est la couleur des Panis, le dāsá varṇa. Ainsi varṇa finirait presque par désigner une nature spécifique, symbolisée par une couleur, ou bien tous ceux qui la possèdent, notion courante chez les anciens Aryens comme le confirme, me semble-t-il, l’adoption plus tard de couleurs différentes – blanc, rouge, jaune et noir – pour différencier les quatre castes.

Le passage en V-34 dit ceci: “Il (Indra) ne désire pas s’élever (ou, entreprendre) avec les cinq et avec les dix; il ne s’attache pas à celui qui ne donne pas le Soma, même s’il grandit et s’accroît; il le terrasse ou bien le tue dans un mouvement impétueux; à celui qui cherche le dieu, il octroie pour son régal l’enclos plein de vaches. Pourfendeur de l’ennemi dans le choc des combats, brandissant le disque (ou, la roue), hostile à qui refuse de donner le Soma, mais bienveillant envers celui qui l’offre, terrible est Indra et dompteur de tous; Aryen, il asservit complètement le Dāsa. Il arrive conduisant les biens du Pani, les lui ayant dérobés, et il accorde au généreux donateur la jouissance d’une richesse pleine des pouvoirs du héros (littéralement, une richesse pleine d’hommes, sūnaraṃ vasu, vīra et nṛ étant souvent employés l’un pour l’autre); celui qui aliène la force d’Indra est retenu de multiples façons sur un parcours difficile (durge1 cana dhriyate ā puru). Quand Indra Maghavan, seigneur des plénitudes, eut reconnu dans les vaches brillantes les Deux pleins de richesse et détenteurs de toutes les forces, grandissant en connaissance, il se concilia un Troisième (un Autre), et se ruant avec fougue, aidé de ses combattants, fit surgir la multitude des vaches, gavyam”. Et le dernier Rik du Sukta évoque l’Aryen (dieu ou homme) parvenant à la plus haute vision de connaissance, upamāṃ ketum aryaḥ, nourri par la confluence des eaux, et qui héberge une puissante et brillante force de bataille, kṣatram amavat tveṣam (riks 5 à 9).

Partant de ce que nous savons déjà de ces symboles, nous pouvons saisir facilement le sens occulte de cet hymne. Indra, le divin Pouvoir du Mental, enlève leur richesse secrète aux pouvoirs de l’Ignorance avec qui il refuse de pactiser, même quand ceux-ci sont riches et prospères; il donne les troupeaux emprisonnés de l’Aurore illuminée à l’homme qui, dans son sacrifice, désire les divinités (rik 5). Il est lui-même l’Aryen, qui assujettit complètement la vie de l’ignorance à la vie supérieure, si bien que la première cède à la seconde toute la richesse qu’elle détient (riks 6 et 7). L’emploi des mots ārya et arya pour désigner les dieux, dans ce passage comme ailleurs, tend lui-même à prouver que l’opposition entre Arya et Dasyu ne relève nullement d’une distinction nationale ou tribale ou simplement humaine, mais cache une signification plus profonde. Les combattants sont certainement les sept Angiras; car ce sont eux et non les Maruts (lecture de Sayana pour satvabhiḥ) qui s’allient à Indra pour délivrer les vaches. Toutefois l’identité des trois personnes que découvre Indra, ou dont il prend connaissance quand il se mêle aux vaches brillantes et conquiert le troupeau des illuminations de la Pensée, est plus difficile à établir. Il s’agit très vraisemblablement du fameux trio qui porte le nombre des rayons de la connaissance Angiras de sept à dix, leur permettant de traverser avec succès les dix mois, et de libérer le soleil et les vaches; car c’est après avoir trouvé ou connu les Deux et obtenu le secours du Troisième qu’Indra délivre les vaches des Panis. Il se peut qu’il y ait aussi un lien avec le symbolisme des trois peuples aryens “conduits par la Lumière” et des trois mondes lumineux de Svar; car l’accès à la suprême vision de connaissance, upamā ketuḥ, est l’aboutissement de leur action, et cette connaissance suprême est celle qui, contemplant Svar, existe dans ses trois mondes lumineux, rocanāni, comme l’indique III-2-14, “La vision de connaissance (ou, rayon d’intuition) du ciel, qui voit Svar, se tient dans les mondes lumineux et s’éveille avec l’Aurore, svardṛśaṃ ketuṃ divo rocanasthām uṣarbudham”.

En III-34, Vishvamitra utilise l’expression ārya varṇa et fournir en même temps la clef de sa signification psychologique. Les vers 8 à 10 déclarent: “(Ils célèbrent) le toujours victorieux, le suprêmement désirable, le donneur de force, le conquérant de Svar et des eaux divines; les penseurs se réjouissent juste après qu’Indra a pris possession de la terre et du ciel. Indra s’empare des Coursiers, du Soleil, de la Vache aux multiples bienfaits, et il conquiert le régal tout en or; ayant abattu les Dasyus il encourage (ou, protège) le varṇa aryen. Indra a conquis les herbes et les jours, il s’est rendu maître de la forêt et du délice et aussi du monde intermédiaire; il a transpercé Vala et stimulé celui qui prononce la parole; c’est ainsi qu’il parvient à dompter ceux qui lui opposent leur volonté dans l’action, abhikratūnām.” On trouve ici tout ce qui symboliquement constitue la richesse conquise par Indra pour l’Aryen, à savoir le Soleil, les jours, la terre, le ciel, le monde du milieu, les chevaux, ce qui pousse sur terre, herbes et arbres (vanaspatīn, signifiant à la fois seigneurs de la forêt et seigneurs du plaisir) et nous avons, opposé à Vala et à ses Dasyus, le varṇa aryen.

Mais le mot varṇa figure déjà dans les vers précédents où il désigne la couleur des pensées aryennes, les pensées qui sont vraies et pleines de lumière: “Indra, conquérant de Svar, qui a donné naissance aux jours, a vaincu à l’aide des aspirants (les Angiras) les armées (des Dasyus); il a fait resplendir pour l’homme la vision de connaissance des jours, ketum ahnām, il a découvert la Lumière pour le vaste Délice... Pour celui qui l’adore il a rendu conscientes dans la connaissance (ou, il a éveillé à la connaissance) ces pensées, et il a fait avancer (déjouant l’obstruction des Dasyus) le brillant varṇa de celles-ci (les pensées), acetayad dhiya imā jaritre, pra imaṃ varṇam atirac chukram āsām. Ils (ou, Elles) déclenchent (ou, glorifient) les nombreux exploits, superbes et parfaits, du grand Indra; avec sa force, son énergie débordante, ses formations de connaissance, māyābhiḥ, il écrase les pervers Dasyus” (riks 4 à 6).

Nous trouvons ici la formule védique ketum ahnām, la vision de connaissance des jours, désignant la lumière du Soleil de la Vérité qui conduit à la vaste béatitude; car “les jours” sont ceux que fait naître Indra lorsque, pour l’homme, il conquiert Svar après avoir détruit, nous le savons, les armées des Panis à l’aide des Angiras, après l’ascension du Soleil et des Vaches radieuses. Les dieux, ces pouvoirs de l’homme, accomplissent tout ceci pour l’homme, et non pour leur propre compte puisqu’ils en jouissent déjà; c’est pour l’homme qu’Indra, étant lui-même le Nṛ, l’Homme divin ou Purusha, abrite en soi les multiples pouvoirs de cette virilité, nṛvad... naryā purūṇi (rik 5); c’est lui, l’homme, qu’il éveille à la connaissance de ces pensées (que symbolisent les vaches lumineuses reprises aux Panis); et la couleur brillante de ces pensées, śukraṃ varṇam āsām est évidemment la même que cette couleur aryenne, śukra ou śvetá, mentionnée au vers 9: Indra fait progresser ou croître la “couleur” de ces pensées de sorte que les Panis ne puissent plus s’y opposer, pra varṇam atirac śukram; il fait ainsi périr les Dasyus et protège ou favorise et accroît la “couleur” aryenne, hatvī dasyūn pra āryaṃ varṇam āvat. Ces Dasyus sont en outre les retors ou pervers, vṛjinān, vaincus par les actions d’Indra ou ses formes de connaissance, ses “māyā”-s, qui, comme il est dit ailleurs, lui servent à déjouer les actions ou formes opposées, les “māyā”-s des Dasyus, Vritra ou Vala. Le droit et le courbe sont dans le Véda constamment synonymes de vérité et de fausseté. Ces Dasyus-Panis sont donc clairement les pouvoirs pervers du mensonge et de l’ignorance, qui opposent leur fausse connaissance, leur fausse force, volonté et action à la vraie connaissance, la vraie force, volonté et action des dieux et des Aryens. Le triomphe de la Lumière signifie le triomphe de la divine connaissance de la Vérité sur l’obscurité de cette fausse ou démoniaque connaissance; cette victoire, c’est l’ascension du Soleil, la naissance des Jours, la venue de l’Aurore, la délivrance des troupeaux de Rayons brillants et leur essor vers le monde de la Lumière.

Les vaches représentent les pensées de la Vérité, comme nous le confie un hymne à Soma, IX-111: “Ainsi, se purifiant par ce brillant éclat, il fend tous les pouvoirs hostiles avec ses coursiers qui se sont eux-mêmes attelés, comme si c’étaient les chevaux spontanément attelés du Soleil. Le flot de Soma resplendit lumineux, se purifiant, le Radieux, quand il coule et embrasse toutes les formes (des choses) avec les interprètes du Rik, avec les interprètes du Rik aux sept bouches (ou, voix, les pouvoirs des Angiras). Toi (ô Soma), tu as trouvé cette richesse des Panis; avec les Mères (les vaches des Panis, comme d’autres hymnes les appellent fréquemment), tu t’es embelli dans ta propre maison (Svar), par les pensées de la Vérité dans ta propre maison, saṃ mātṛbhir marjayasi sva ā dama ṛtasya dhītibhir dame.

Comme le Sāma (la réalisation uniforme, samāne ūrve, dans l’immensité plane) de l’Au-delà, parāvataḥ, est celui-là (Svar), où se réjouissent les pensées (de la Vérité). Par ces brillantes du triple monde (ou, de la triple nature élémentaire), il tient la vaste manifestation (de la connaissance), lumineux, il tient la vaste manifestation.” Ces vaches des Panis qui éclairent et font briller Soma dans sa propre demeure, la demeure d’Agni et des autres dieux, qui est, comme nous le savons, la Vaste Vérité de Svar, ṛtaṃ bṛhat, vaches lumineuses qui portent en elles la triple nature du monde suprême, tridhātubhir aruṣībhir, et permettent à Soma de maintenir la naissance ou vaste manifestation de cette Vérité2, sont, nous le voyons, les pensées qui réalisent la Vérité. Ce Svar – avec ses trois mondes radieux, dans l’étendue desquels se réalise uniment le tridhātu (1-154-4), expression fréquente servant à désigner le triple principe suprême formant le monde supérieur tri-un, – tisraḥ parāvataḥ est décrit ailleurs comme un pâturage immense, qui ignore la peur, où les Vaches vagabondent librement et se délectent, raṇayanti; ici aussi, c’est dans cette région que les pensées de la Vérité puisent leur délice, yatra raṇanti dhītayaḥ. Et le vers suivant nous apprend que le char divin du Soma, conscient dans la connaissance, suit la direction ancienne et suprême et, ayant la vision, s’efforce d’avancer avec les rayons, pūrvām anu pradiśaṃ yāti cekitat, saṃ raśmibhir yatate darśato ratho daivyo darśato rathaḥ. Cette direction suprême est évidemment celle qui mène à la divine ou vaste Vérité, et ces rayons ne sont autres que les rayons de l’Aurore ou du Soleil de la Vérité; ce sont les vaches dissimulées par les Panis, les pensées illuminées, dhiyaḥ, possédant cette couleur éclatante, ṛtasya dhītayaḥ.

Toute l’argumentation interne du Véda, partout où figure cette image des Panis, des Vaches, des Angiras, conduit invariablement à la même conclusion. Les Panis sont ceux qui accaparent les pensées de la Vérité, les habitants de l’obscurité vide de connaissance, tamo avayunam (6.21.3), qu’Indra et les Angiras, grâce au Verbe, grâce au Soleil, changent en Lumière pour manifester à sa place l’étendue de la Vérité. Pour combattre les Panis, Indra ne se sert pas d’armes réelles mais de mots, paṇīm̐r vacobhir abhi yodhad indraḥ (6.39.2). Il suffira de traduire sans le commenter l’hymne où figure la formule pour révéler une fois pour toutes la nature de ce symbolisme: “Du voyant extatique (Soma), support divin du sacrifice, à la pensée illuminée et au discours de miel, accorde, ô dieu, à l’interprète du mot les impulsions conduites par les vaches de lumière, iṣo goagrāḥ. C’est lui, Indra, qui désirant les brillantes (les vaches, usrāḥ) dispersées autour de la montagne, attelé à la Vérité et s’attelant aux pensées de la Vérité, ṛtadhītibhir ṛtayug yujānaḥ, fit voler en éclats les sommets inviolés de Vala et avec ses Mots combattit les Panis. C’est lui (le Soma), Pouvoir de la Lune (ou, du Délice), qui jour et nuit au fil des ans fit resplendir les nuits sans lumière, ô Indra, et elles ont gardé cette vision de connaissance des jours; et il a créé les aurores pures dès la naissance. C’est lui, le lumineux illuminant les sans-lumière, c’est lui qui par la Vérité a fait luire les nombreuses (aurores), c’est lui qui est allé avec ses montures attelées par la Vérité et avec la Roue découvreuse de Svar, combler (de richesse) l’accomplisseur des œuvres” (6.39.1 à 4). C’est toujours la Pensée, la Vérité, le Mot qui sont associés aux Vaches des Panis; les paroles d’Indra, le divin Pouvoir du Mental, triomphent de ceux qui retenaient les vaches captives; ce qui était obscurité devient lumière; le char tiré par les chevaux attelés à la Vérité découvre (par la connaissance, svarvidā nābhinā) les s lumineuses et vastes étendues d’être, de conscience et de délice, encore cachées à notre vision. “Avec le e brahma, il fait monter les rayons de lumière, transperce Vala, voile l’obscurité, révèle Svar, ud gā ājad abhinad brahmaṇā valam agūhat tamo vi acakṣayat svaḥ” (11-24-3).

Le Rig-Véda tout entier est un chant de triomphe à la gloire des pouvoirs de la Lumière et de leur ascension, par la force et la vision de la Vérité, jusqu’à ce qu’ils la possèdent là où elle prend sa source et siège, là où nulle attaque du mensonge ne peut l’atteindre. “Par la Vérité, les vaches (pensées illuminées) entrent dans la Vérité S’efforçant vers la Vérité, on conquiert la Vérité; la force agressive de la Vérité recherche les vaches de Lumière et franchit tout (obstacle et ennemi); pour la Vérité les deux Vastes (Ciel et Terre) sont devenus innombrables et profonds; pour la Vérité les deux Meres suprêmes ont cède leur lait”, ṛtena gāva ṛtam ā viveśuḥ (4.23.9). ṛtaṃ yemāna ṛtam id vanoty, ṛtasya śuṣmas turayā u gavyuḥ; ṛtāya pṛthvī bahule gabhīre, ṛtāya dhenū parame duhāte (4.23.10)

 

1 Les Rishis supplient toujours les dieux de rendre leur chemin vers la béatitude suprême facile et sans encombres, suga; durga est l’opposé du parcours facile, c’est la voie dangereuse, semée de multiples (puru) souffrances et embûches.

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2 Vayaḥ, cf. VI-21-2, 3, où on dit qu’Indra, “qui a la connaissance et qui soutient nos paroles et par elles s’accroît dans le sacrifice”, indraṃ yo vidāno girvāhasaṃ gīrbhir yajñavṛddham, transforme, grâce au Soleil, en manifestation de connaissance l’obscurité privée de connaissance qui s’était répandue, sa it tamo avayunaṃ tatanvat sūryeṇa vayunavac cakāra

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