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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

7. Varuna-Mitra et la Vérité

Si la notion de Vérité, que nous avons découverte dans le tout premier hymne du Véda, contient réellement ce que nous avons supposé et équivaut, d’un point de vue conceptuel, à l’idée d’une conscience supramentale, qui conditionne l’état d’immortalité ou de béatitude, et si celle-ci est bien l’idée fondamentale des Rishis védiques, nous la verrons nécessaire ment se répéter d’hymne en hymne, et servir de pivot aux autres réalisations psychologiques qui en dépendent. Dans le Sukta suivant, le deuxième hymne de Madhucchandaś, adressé à Indra et Vayu, nous trouvons un autre passage plein d’allusions psychologiques claires et cette fois tout à fait indéniables, qui insiste sur l’idée de ṛtam avec une force encore plus grande que dans l’hymne précédent à Agni. Le passage comprend les trois derniers Riks du Sukta.

mitraṁ huve pūtadakṣaṁ varuṇaṁ ca riśādasam

dhiyaṁ ghṛtācīṁ sādhantā (1.2.7)

ṛtena mitrāvaruṇāv ṛtāvṛdhāv ṛtaspṛśā

kratum bṛhantam āśāthe (1.2.8)

kavī no mitrāvaruṇā tuvijātā urukṣayā

dakṣaṁ dadhāte apasam (1.2.9)

Dans le premier Rik de ce passage, nous avons le mot dakṣa, que Sayana d’habitude traduit par force, mais susceptible d’une signification psychologique, le mot important ghṛta à la forme adjective, ghṛtācī, et l’expression étonnante dhiyaṁ ghṛtācīṁ. La traduction littérale de ce vers serait: “J’invoque Mitra, à la force purifiée (CM, au discernement purifié), et Varuna, destructeur de nos ennemis, perfectionnant (ou, accomplissant) tous deux une brillante compréhension”.

Dans le deuxième Rik, nous avons la triple répétition de ṛtam, et les mots bṛhat et kratu, auxquels nous avons attaché une importance considérable dans l’interprétation psychologique du Véda. Ici, kratu peut signifier soit la tâche du sacrifice, soit le pouvoir de réalisation. Un passage similaire dans le Véda, où il est dit que Varuna et Mitra atteignent ou goûtent par la Vérité un puissant sacrifice, yajñaṃ bṛhantam āśāthe, semble accréditer le premier sens. Mais ce rapprochement n’est pas concluant; car si dans une expression il est question du sacrifice lui-même, dans l’autre il peut s’agir du pouvoir ou de la force qui effectue le sacrifice. Traduit mot à mot, le vers donnerait: “Par la Vérité, Mitra et Varuna, grandissant dans la Vérité, touchant la Vérité, goûtent (ou, atteignent) une action puissante”, ou “un vaste (effectif) pouvoir”.

Dans le troisième Rik enfin, nous retrouvons dakṣa; nous avons le mot kavi, voyant, déjà associé par Madhucchandaś à kratu, action ou volonté; nous avons l’idée de la Vérité; et nous avons l’expression urukṣayā, uru, large ou vaste, étant un synonyme possible de bṛhat, le vaste, qui sert à désigner le monde ou plan de la conscience-de-Vérité, la propre demeure d’Agni. Je traduis le vers littéralement: “Pour nous, Mitra et Varuna, voyants, aux multiples naissances, en leur vaste demeure, garantissent la force (ou, discernement) qui accomplit l’action”.

On note aussitôt que ce passage du second hymne présent un enchaînement d’idées et plusieurs formules absolument identiques à celles sur lesquelles nous nous sommes appuyés dans le premier Sukta. Mais elles sont employées autrement, et les notions de discernement purifié, d’intelligence richement brillante, dhiyaṁ ghṛtācīṁ, et d’action de la Vérité dans la tâche du sacrifice, apas, introduisent certaines précisions nouvelles, qui nous renseignent davantage sur les idées centrales des Rishis.

Say,ana traduit généralement car “force” le mot dakṣa, le seul dans ce passage dont le sens soit réellement suspect. Il vient d’une racine qui, comme la plupart de ses congénères, par exemple daś, diś, dah, évoquait au départ, entre autres acceptions typiques, une pression hostile et par suite toute forme de lésion, mais en particulier le fait de diviser, couper, écraser ou parfois brûler. La plupart des mots signifiant “force” partageaient au départ cette notion de force néfaste, la force brutale du combattant et du tueur, le genre de force éminemment appréciée par l’homme primitif, se taillant violemment une place sur cette terre dont il avait hérité. Nous constatons cette relation dans le mot sanskrit ordinaire pour force, balam, qui est de la même famille que le grec ballō, je frappe, et belos, arme. Dakṣa, au sens de force, a la même provenance.

Mais ce même concept de division conduisait aussi, conformément à la psychologie d’un langage en cours d’élaboration, à un ordre d’idées complètement différent; quand l’homme en effet désirait mettre un mot sur ses conceptions intellectuelles, le plus simple pour lui était d’appliquer au mouvement mental les images de l’action physique. On utilisa donc l’idée de division ou de séparation matérielle pour communiquer celle de distinction. Elle a d’abord servi, semble-t-il, à caractériser la perception visuelle, puis le fait de séparer mentalement – le discernement, le jugement. C’est ainsi que la racine vid, qui veut dire en sanskrit trouver ou connaître, signifie voir en grec et en latin. Dṛś voir, voulait dire au départ déchirer, fendre en deux, séparer; paś, voir, a une origine similaire. Nous avons trois racines presque identiques qui sont très instructives à cet égard: – pis, blesser, nuire, être fort; piṣ, blesser, nuire, être fort, écraser, broyer; et enfin piś, former, façonner, organiser, être réduit à l’état d’éléments – tous ces sens trahissant l’idée originelle de séparation, division, coupure en deux, avec leurs dérivés, piśāca, diable, et piśuna, qui signifie d’une part dur, cruel, méchant, fourbe, insultant, venant tous de l’idée de faire du tort, et d’autre part “ce qui indique, révèle, exhibe, clarifie”, provenant de l’autre sens de distinction. Ainsi kṝ, blesser, diviser, éparpiller, apparaît dans le grec krinō, je passe au crible, choisis, juge, détermine. Dakṣa a une histoire similaire. Il est à rapprocher de la racine daś, qui en latin nous donne doceo, j’enseigne, et en grec dokeō, je pense, juge, suppute et dokazō, j’observe, suis d’avis. Il en va de même pour la racine voisine diś, signifiant désigner ou enseigner, en grec deiknumi. Dakṣa lui-même se retrouve quasiment lettre pour lettre dans le grec doxa, opinion, jugement et dexios, adroit, habile, dextre ou dextérité. En sanskrit la racine dakṣ veut dire blesser, tuer mais aussi être compétent, capable; l’adjectif dakṣa veut dire adroit, habile, compétent, adéquat, soigneux, attentif; dakṣiṇa signifie adroit, habile, dextre, comme dexios; et le nom dakṣa signifie, outre force et aussi perfidie qui viennent du sens de blesser, capacité ou aptitude mentale, comme les autres mots de la même famille. Nous pouvons faire aussi un rapprochement avec le mot daśā, au sens de mental, compréhension. Toutes ces preuves cumulées semblent indiquer assez clairement que dakṣa doit avoir signifié jadis discernement, jugement, pouvoir de discrimination de la pensée, et que son sens de capacité intellectuelle provient de ce sens de division mentale et non d’un transfert de l’idée de force physique au pouvoir du mental.

Nous avons par conséquent dans le Véda trois sens possibles pour dakṣa, la force en général, le pouvoir mental et plus précisément la capacité de juger, de discerner. Dakṣa est constamment associé à kratu; les Rishis aspirent aux deux ensemble, dakṣāya kratve, qui peut signifier simplement capacité et pouvoir effectif ou volonté et discernement. Nous retrouvons perpétuellement le terme dans des passages où tout le contexte traite des activités mentales. Il y a enfin cette déesse Dakshina, vraisemblablement un aspect féminin de Daksha, dieu lui-même et, par la suite dans les Puranas, l’un des Prajapatis, ou pères fondateurs; – nous avons Dakshina associée à la manifestation de la connaissance et se confondant parfois presque avec Usha, l’Aurore divine, qui confère l’illumination. Dakshina, selon moi, comme les plus célèbres lia, Saraśvati et Sarama, serait une des quatre déesses symbolisant les quatre facultés de ṛtam, la conscience-de-Vérité, lia représentant la vision du vrai ou révélation, Saraśvati l’écoute du vrai ou inspiration, le verbe divin, Sarama l’intuition, et Dakshina la discrimination intuitive séparatrice. dakṣa désignerait alors cette discrimination, étant soit le jugement mental sur le plan de l’intellect, soit le discernement intuitif sur le plan de ṛtam.

Les trois Riks qui nous occupent forment la conclusion d’un hymne, dont les trois premiers vers sont adressés à Vayu seul et les trois suivants à Indra et Vayu. Indra, dans une lecture psycho logique des hymnes, représente comme nous le verrons le Pouvoir du Mental. Le terme désignant les facultés sensorielles, indriya, est tiré de son nom. Son royaume attitré est Svar, mot qui signifie soleil ou lumineux, apparenté à sūra et sūrya, le soleil, et qui est utilisé pour désigner le troisième des vyāhṛti védiques et le troisième des mondes védiques, correspondant au principe du Mental pur ou inobscurci. Surya représente l’illumination de ṛtam se levant sur le mental; Svar est ce plan de la conscience mentale qui reçoit directement l’illumination. Vayu, pour sa part, est toujours associé au Prana ou Énergie de Vie, qui fournit à l’organisme toute la panoplie des activités nerveuses soutenant chez l’homme les énergies mentales gouvernées par Indra. Leur combinaison constitue la mentalité humaine ordinaire. Ces deux dieux dans l’hymne sont conviés à venir partager ensemble le vin de Soma. Ce vin de Soma représente, comme en témoigne ample ment le Véda – et notamment le neuvième livre, recueil de plus de cent hymnes dédiés à la divinité Soma –, l’ivresse de l’Ananda, le délice divin de l’être, affluant sur le mental depuis la conscience supramentale, par l’entremise de ṛtam, la Vérité. Si nous acceptons cette lecture, nous pouvons aisément restituer la signification psychologique de l’hymne.

Indra et Vayu prennent conscience, cetathaḥ, de cette coulée du vin de Soma; autrement dit, le pouvoir mental et le pouvoir vital, collaborant dans la mentalité humaine, doivent percevoir l’afflux de cet Ananda, cet Amrita, ce délice et cette immortalité venant d’en haut. Ils le reçoivent dans toute la plénitude des énergies mentales et nerveuses, cetathaḥ sutānāṁ vājinīvasū, (1.2.5). L’irruption de cet Ananda marque le commencement d’une nouvelle action, préparant dans le mortel la conscience immortelle, et Indra et Vayu sont priés de venir parfaire rapidement ces nouvelles opérations en y conviant la pensée, ā yātam upa niṣkṛtam, makṣv itthā dhiyā (1.2.6). Car dhī est le pouvoir de la pensée, l’intellect ou compréhension. Il sert d’intermédiaire entre la mentalité ordinaire, représentée par le couple Indra-Vayu, et le ṛtam ou conscience-de-Vérité.

C’est là qu’interviennent Varuna et Mitra, et que commence notre passage (rik 7). Sans clef psychologique, le lien entre la première partie de l’hymne et sa conclusion, tout comme la relation entre le couple Varuna-Mitra et le couple Indra-Vayu, restent assez obscurs. Avec cette clef, les deux rapports deviennent évidents; ils dépendent même en fait l’un de l’autre. Car le début de l’hymne a pour sujet la préparation – d’abord des forces vitales représentées par Vayu qui est seul invoqué dans les trois premiers Riks, puis de la mentalité représentée par le couple Indra-Vayu – aux opérations de la conscience-de-Vérité dans l’être humain; la conclusion concerne le travail de la Vérité sur la mentalité, de façon à parfaire l’intellect et développer l’action. Varuna et Mitra sont deux des quatre dieux qui incarnent ce travail de la Vérité dans le mental et le tempérament humains,

Quand s’opère une telle transition d’un mouvement de pensée à un autre qui en découle, le Véda a pour habitude de souligner le rapport de dépendance en répétant dans le second mouvement un mot important qui figure déjà à la fin du mouvement précèdent. Ce principe d’itération suggestive, un peu à la manière d’un écho, imprègne tous les hymnes et constitue un procédé de style typique chez tous les Rishis. Le mot de liaison est ici dhī, pensée ou intellect. Dhī diffère du mot plus courant mati, qui signifie mentalité ou action mentale en général et qui désigne tantôt la pensée, tantôt le sentiment, tantôt l’état mental dans son ensemble. Dhī est le mental idéatif ou intellect; dans sa fonction de compréhension, il retient tout ce qui vient à lui, le définit et le met à sa juste place (la racine dhī signifie en effet tenir ou placer); Dhī désigne souvent en outre l’activité intellectuelle, une pensée ou des pensées particulières. C’est ainsi qu’Indra et Vayu ont été conviés à parfaire par la pensée la mentalité nerveuse, niṣkṛtaṃ dhiyā. Mais cet instrument, la pensée, doit lui-même être perfectionné, enrichi, clarifié, avant que le mental puisse devenir capable d’une libre communication avec la conscience-de-Vérité. C’est pourquoi on s’adresse à Varuna et Mitra, Pouvoirs de la Vérité, comme à ceux qui “réalisent (ou, rendent parfait) une pensée richement lumineuse”, dhiyaṃ ghṛtācīṃ sādhantā (1.2.7).

C’est la première fois dans le Véda que le mot ghṛta apparaît, sous une forme adjective modifiée, et ce n’est pas un hasard s’il sert d’épithète au terme védique désignant l’intellect, dhī. Ailleurs également, nous le trouvons constamment associé aux mots manas, manīṣā ou dans un contexte où il est question d’activité de la pensée. La racine ghṛ suggère l’idée d’une brillance ou chaleur forte, comme celle du feu ou du soleil d’été. Elle signifie aussi asperger ou oindre, comme en grec chriō. Elle peut servir à désigner un liquide quelconque, mais surtout un liquide brillant et épais. Les Rishis védiques ont su mettre à profit l’ambiguïté créée par cette double signification en désignant par ce mot, concrètement le beurre clarifié du sacrifice, secrètement un état ou une activité, riches et brillants, du pouvoir intellectuel, medhā, servant de base et substance à la pensée illuminée. Dhiyaṃ ghṛtācīṃ signifie, par conséquent, l’intellect rempli d’une activité mentale riche et brillante.

Varuna et Mitra, qui réalisent ou rendent parfait cet état de l’intellect, sont distingués par deux épithètes séparées. Mitra est pūtadakṣa, doté d’un jugement purifié; Varuna est riśādas, il détruit tous ceux qui sont malveillants ou hostiles. Il n’existe pas dans le Véda d’épithètes purement décoratives. Chaque mot est destiné à dire, à ajouter quelque chose au sens en relation étroite avec l’idée contenue dans la phrase où il figure. Deux obstacles empêchent l’intellect d’être un miroir parfait et lumineux de la conscience-de-Vérité; d’abord, l’impureté du discernement ou faculté discriminante, qui entraîne une confusion de la Vérité; deuxièmement, les causes ou influences multiples, qui interfèrent avec l’expansion de la Vérité, en réduisant sa pleine application ou en brisant le lien et l’harmonie des pensées qui l’expriment, ce qui appauvrit et falsifie son contenu. De même que les dieux incarnent dans le Véda des pouvoirs universels descendus de la conscience-de-Vérité, qui édifient l’harmonie des mondes et dans l’homme sa perfection progressive, de même des agents hostiles, Dasyus et Vritras, cherchant à stopper, restreindre, accaparer ou nier, représentent les influences qui travaillent à faire échouer cette entreprise. Varuna dans le Véda se caractérise toujours par un pouvoir d’Étendue et de Pureté; quand par conséquent il est présent dans l’homme en tant que force consciente de la Vérité, tout ce qui limite et souille la nature en y faisant entrer faute, péché et mal est détruit à son contact. Il est riśādas, destructeur de l’ennemi, de tout ce qui cherche à nuire au progrès, Mitra, pouvoir comme Varuna de la Lumière et de la Vérité, représente surtout Amour, Joie et Harmonie, les fondements de mayas, la béatitude védique. Opérant avec la pureté de Varuna et communiquant cette pureté au discernement, il lui permet de se débarrasser de tous les désaccords et désordres et d’établir le fonctionnement correct d’un intellect fort et lumineux.

Un tel progrès rend possible l’action de la conscience-de-Vérité, le ṛtam, dans la mentalité humaine (rik 8). Avec le ṛtam pour instrument, ṛtena, étendant l’action de la Vérité en l’homme, ṛtāvṛdhā, touchant ou atteignant la Vérité, c’est-à-dire réussissant à mettre la conscience mentale en contact avec et en possession de la conscience-de-Vérité, ṛtaspṛśā – Mitra et Varuna disposent alors d’un vaste pouvoir de volonté efficient, kratum bṛhantam āśāthe. Car c’est la Volonté avant tout qui rend le sacrifice intérieur efficace, mais une Volonté en harmonie avec la Vérité, et donc guidée par un discernement purifié. La Volonté, à mesure qu’elle pénètre l’étendue de la conscience-de-Vérité, devient elle-même large et vaste, acquiert une vision illimitée et une efficacité que rien ne gêne ou entrave. Elle agit urāv anibādhe dans le Vaste, où n’existent ni obstacle, ni cloisonnement.

Les deux conditions requises sur lesquelles ne cessent d’insister les Rishis védiques sont ainsi satisfaites. Lumière et Pouvoir, Lumière de la Vérité agissant dans la connaissance, dhiyaṃ ghṛtācīm, Pouvoir de la Vérité agissant dans la Volonté effective et illuminée, kratuṃ bṛhantam (1.2.8). Dès lors, Varuna et Mitra nous apparaissent dans le dernier vers (rik 9) de l’hymne, agissant en pleine possession de leur Vérité, kavī tuvijātā urukṣayā (1.2.9). Kavī, nous l’avons vu, désigne celui qui possède la conscience-de-Vérité et use de ses facultés de vision, d’inspiration, d’intuition, de discrimination. Tuvijātā, c’est “nés multiplement”, car tuvi, signifiant au départ force ou énergie, est employé ici comme le mot français “force” au sens de beaucoup. Mais la naissance des dieux implique toujours dans le Véda leur manifestation; tuvijātā signifie donc “aux manifestations multiples”, aux nombreuses formes et activités. Urukṣayā veut dire résidant dans l’étendue, idée reprise souvent dans les hymnes; uru est synonyme de bṛhat, le Vaste, et désigne cette liberté infinie de la conscience-de-Vérité. Les activités croissantes de ṛtam entraînent donc la manifestation dans l’être humain des Pouvoirs d’expansion et de pureté, de joie et d’harmonie, manifestation riche d’aspects, établie dans le vaste de ṛtam et utilisant les facultés de la conscience supramentale.

Cette manifestation des Pouvoirs de la Vérité soutient ou assure le discernement, pendant qu’il accomplit la tâche, dakṣaṃ dadhāte apasam (1.2.9). Le discernement, désormais purifié et soutenu, agit en ayant la perception de la Vérité comme pouvoir de la Vérité et réalise la perfection des activités d’Indra et Vayu, en libérant les pensées et la volonté de toute imperfection et confusion dans leur fonctionnement et leurs résultats.

Pour appuyer l’interprétation donnée aux termes de ce passage, nous pouvons citer un Rik tiré du dixième Sukta dans le quatrième Mandala: “Alors, ô Agni, c’est toi qui es devenu l’aurige de la Volonté heureuse, du Discernement qui rend parfait, de Vérité qui est le Vaste”,

adhā hy agne krator bhadrasya dakṣasya sādhoḥ

rathīr ṛtasya bṛhato babhūtha (4.10.2)

Nous retrouvons ici la même idée que dans le premier hymne du premier Mandata, la volonté effective qui est la nature de la conscience-de-Vérité, kavikratuḥ, et qui engendre par conséquent le bien, bhadram, dans un état de béatitude. L’expression dakṣasya sādhoḥ apporte à la fois une variante et une explication de la dernière formule du second hymne, dakṣam apasam, le discernement permettant à l’homme de parfaire et mener à bien son travail intérieur. Nous avons la vaste Vérité, but ultime de ces deux activités de pouvoir et de connaissance. Volonté et Discernement, kratu et dakṣa. Les hymnes du Véda se corroborent toujours l’un l’autre en reproduisant les mêmes termes et idées, et le même rapport des idées entre elles. Ceci serait impossible s’ils n’étaient basés sur une doc trine cohérente, attribuant une signification précise à des termes aussi fréquents que kavi, kratu, dakṣa, bhadram, ṛtam etc. Les Riks fournissent eux-mêmes la preuve que cette signification est psychologique, car autrement les termes employés perdent leur connotation fixe, leur sens exact, leur corrélations nécessaire, et la constante récurrence de leurs associations doit être considéré comme fortuite, sans motif ni intention.

Nous constatons alors que dans le second hymne se retrouvent les mêmes idées maîtresses que dans le premier. Tout est basé sur la conception védique centrale du supramental ou conscience-de-Vérité, qui représente le but et le suprême accomplissement que s’efforce d’atteindre la mentalité de plus en plus parfaite de l’être humain. Dans le premier hymne, ceci est simplement déclaré comme étant l’objet du sacrifice et la mission spécifique d’Agni. Le second hymne indique le travail préliminaire qu’accomplissent Indra et Vayu, Mitra et Varuna, pour préparer la mentalité ordinaire de l’homme grâce à la force de l’Ananda et au progrès croissant de la Vérité.

Nous verrons que le Rig-Véda tout entier module en fait constamment ce double thème, à savoir la préparation mentale et corporelle de l’être humain, et la réalisation en lui d’un état divin ou immortel, une fois atteintes et développées la Vérité et la Béatitude.

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