SRI AUROBINDO
Lettres sur le Yoga
Volume 1. Section 1
1. L'évolution supramentale
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En d'autres temps, la recherche de l'accomplissement spirituel était, au moins dans certaines civilisations, plus intense et plus répandue qu'à notre époque, ou plutôt qu'elle ne l'a été dans le monde en général durant les quelques derniers siècles. Car maintenant la courbe de la recherche semble amorcer un nouveau tournant qui part de ce qui a été accompli dans le passé et se projette vers un avenir plus grand. Mais toujours, même au temps des Véda ou en Égypte, l'accomplissement spirituel ou la connaissance occulte était le fait de quelques-uns, et n'était pas répandu dans la masse entière de l'humanité. La masse de l'humanité évolue lentement, elle contient en elle-même tous les stades de l'évolution, depuis l'homme matériel et vital jusqu'à l'homme mental. Une petite minorité s'est poussée au-delà des barrières, ouvrant les portes de la connaissance occulte et spirituelle et préparant la montée de l'évolution, au-delà de l'homme mental, jusqu'à l'être spirituel et supramental. Quelquefois cette minorité a exercé une énorme influence, comme dans l'Inde védique, en Égypte, ou, selon la tradition, en Atlantide, et a décidé de la civilisation de l'espèce, la marquant d'un puissant sceau spirituel ou occulte; quelquefois elle est restée à l'écart dans des écoles ou des ordres secrets, n'influençant pas directement une civilisation qui était plongée dans l'ignorance matérielle ou dans le chaos et l'obscurité, ou encore dans la froide clarté extérieure qui rejette la connaissance spirituelle.
Les cycles de l'évolution tendent toujours vers le haut, mais ce sont des cycles et ils ne montent pas en ligne droite. Le processus donne en conséquence l'impression d'une série de montées et de descentes, mais l'essentiel de ce que l'évolution a gagné est préservé, ou, s'il est éclipsé pour un temps, réapparaît sous des formes nouvelles adaptées aux âges nouveaux. La création a descendu tous les degrés depuis le Supramental jusqu'à la Matière et à chaque degré elle a créé un monde, un règne, un plan ou un ordre propre à ce degré. Dans la création du monde matériel s'est produit une plongée de la Conscience descendante dans une Inconscience apparente, et une émergence de cette Conscience hors de cette Inconscience, degré par degré, jusqu'à ce qu'elle retrouve ses sommets spirituels et supramentaux les plus hauts et qu'elle manifeste leurs pouvoirs ici, dans la Matière. Mais même dans l'Inconscience il y a une Conscience secrète qui travaille, pourrait-on dire, par une Intuition involuée et cachée qui lui est propre. À chaque niveau de Matière, à chaque niveau de Vie, cette intuition adopte une méthode propre à ce niveau et agit de derrière le voile, soutenant et mettant en œuvre les nécessités immédiates de la Force créatrice. Il y a une Intuition dans la Matière qui soutient l'action du monde matériel depuis l'électron jusqu'au soleil, aux planètes et à leur contenu. Il y a une Intuition dans la Vie qui, de même, soutient et guide le jeu et le développement de la Vie dans la Matière jusqu'à ce qu'elle soit prête pour l'évolution dont l'homme est le véhicule. Dans l'homme aussi la création suit le même processus ascendant — l'Intuition au-dedans se développe selon le niveau qu'il a atteint dans son progrès. Même l'intellect précis du scientifique, qui est enclin à nier l'existence séparée de l'Intuition ou sa supériorité, ne peut cependant avancer véritablement sans avoir derrière lui une Intuition mentale qui lui permet de progresser ou de deviner ce qui doit être fait. L'Intuition est donc présente au commencement et au milieu des choses autant qu'à leur consommation.
Mais l'Intuition ne prend sa forme juste que quand, au-delà du domaine mental, on entre dans le domaine spirituel, car là seulement elle émerge tout à fait de derrière le voile et révèle sa nature véritable et complète. En même temps que l'évolution mentale de l'homme, s'est déclenchée très tôt une autre évolution qui prépare l'être spirituel et supramental. Cette évolution s'est poursuivie sur deux voies: l'une est la découverte des forces occultes dans la Nature, des plans cachés et des mondes dissimulés à notre vue par le monde de la Matière; l'autre est la découverte de l'âme de l'homme et du moi spirituel. Si la tradition de l'Atlantide est exacte, il s'agissait d'une progression qui a atteint les confins de la connaissance occulte, mais ne pouvait aller au-delà. L'Inde des temps védiques nous a relaté l'autre voie d'accomplissement, celle de la découverte spirituelle de soi; la connaissance occulte était là, mais elle restait subordonnée. Nous pouvons dire qu'ici, en Inde, le règne de l'intuition est venu en premier, le Mental intellectuel se développant ultérieurement dans la philosophie et la science plus récentes. Mais en fait la masse des hommes de l'époque, c'est bien évident, vivait entièrement sur le plan matériel, adorait les Divinités de la Nature matérielle, cherchait à en obtenir des biens entièrement matériels. Les mystiques védiques par leurs efforts eurent la révélation des choses cachées grâce à un pouvoir de vision, d'audition et d'expérience intérieures, qui était réservé à un nombre limité de saints et de sages, et gardé soigneusement secret pour la masse de l'humanité — le mystique préconisait toujours le secret. Nous pouvons très bien attribuer cette floraison de l'Intuition sur le plan spirituel à une rapide réémergence de biens essentiels amenés ici-bas par un cycle précédent. Si nous analysons l'histoire spirituelle de l'Inde, nous voyons que ce sommet une fois atteint, une descente s'est produite qui a tenté de reprendre chacun des degrés inférieurs de la conscience déjà évoluée et de la relier, en haut, à la conscience spirituelle. L'âge védique fut suivi d'une grande explosion de l'intellect et de la philosophie qui, tout en prenant pour base la vérité spirituelle, essayait de la rejoindre, non par une Intuition directe ou des procédés occultes comme le faisaient les voyants védiques, mais par le pouvoir de la pensée réflexive, spéculative, logique du mental; au même moment se sont élaborés des procédés de yoga qui utilisaient le mental pensant comme moyen d'atteindre la réalisation spirituelle, spiritualisant en même temps le mental lui-même. Puis vint une ère de développement des philosophies et des procédés de yoga qui employaient de plus en plus l'être émotionnel et esthétique comme instrument de réalisation spirituelle et spiritualisaient le niveau émotionnel de l'homme au moyen du cœur et des sentiments. Cela s'accompagna des procédés tântriques et autres qui prenaient la volonté mentale, la volonté de vie et la volonté des sensations pour en faire à la fois les instruments et le domaine de la spiritualisation. Le Hatha-yoga et les diverses tentatives de divinisation du corps suivaient aussi une voie d'effort qui tentait d'aboutir au même accomplissement dans la Matière vivante; mais la vraie méthode spécifique, le vrai pouvoir spécifique de l'Esprit dans le corps n'ont pas encore été découverts. Nous pouvons dire par conséquent que la Conscience universelle, après sa descente dans la Matière, y a conduit l'évolution sur deux chemins, l'un d'ascension vers la découverte du Moi et de l'Esprit, l'autre de descente à travers les niveaux déjà évolués du mental, de la vie et du corps, afin de faire descendre aussi dans ces niveaux la conscience spirituelle et d'accomplir ainsi quelque intention secrète dans la création de l'univers matériel. Notre yoga est dans ses principes une reprise, un condensé et un complément de ce processus, un effort pour monter au niveau supramental le plus élevé possible et pour faire descendre sa conscience et son pouvoir dans le mental, la vie et le corps.
Les conditions matérialistes de la civilisation actuelle avec son intellect et son effort vital extrovertis, que vous trouvez si pénibles, ne sont qu'un épisode, mais un épisode qui était peut-être inévitable. Car si le but à atteindre est la spiritualisation du mental, de la vie et du corps, et la présence consciente de l'Esprit jusque dans la conscience physique et dans le corps matériel, une époque devait peut-être venir qui mette la Matière et la vie physique au premier rang et se consacre à l'effort de l'intellect pour découvrir la vérité de l'existence matérielle. D'une part, en matérialisant tout, y compris l'intellect, cette époque a suscité pour le chercheur spirituel l'extrême difficulté dont vous parlez, mais d'autre part, elle a donné à la vie dans la Matière une importance que la spiritualité du passé était encline à lui refuser. D'une certaine façon, elle a fait de la spiritualisation de la Matière une nécessité de la recherche spirituelle et ainsi a aidé au mouvement de descente de la conscience spirituelle évolutive dans la Nature terrestre. Davantage, nous ne pouvons lui concéder; son effet conscient a été plutôt d'étouffer et presque d'éteindre l'élément spirituel dans l'humanité; c'est seulement par une utilisation divine de la pression des contraires et par une intervention d'en haut que viendra l'issue spirituelle.
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Toutes les phases de l'histoire humaine peuvent être considérées comme un développement de la conscience terrestre, où chaque phase a sa place et sa signification; ainsi, cette phase matérialiste intellectuelle devait venir et a eu, sans aucun doute, sa raison d'être et sa signification. On peut soutenir aussi que l'un de ses buts était d'expérimenter pour voir jusqu'où irait la conscience humaine par la seule maîtrise extérieure et intellectuelle de la Nature et par les seuls moyens physiques et intellectuels, sans intervention d'aucune connaissance supérieure; on peut soutenir que, par sa résistance, elle peut aider à attirer la conscience spirituelle qui grandit derrière toutes les vicissitudes et l'amener à tenter de maîtriser la Matière afin de la tourner vers le Divin, comme les tantriques et les vishnouïtes l'ont tenté dans la nature vitale inférieure et émotive, sans se contenter, comme les védântin, de tourner le mental vers le Suprême. Mais il est difficile d'aller plus loin ou de soutenir que le matérialisme est lui-même une chose spirituelle, ou que la condition obscure, confuse et violente de l'Europe contemporaine était une préparation indispensable à la descente de l'Esprit. Cette obscurité et cette violence, qui semblent décidées à détruire cette lumière d'idéalisme mental et ce désir d'harmonie qui avaient réussi à s'établir dans le mental de l'humanité, sont évidemment dues à la descente de Pouvoirs féroces et obscurs qui cherchent à posséder le monde humain à leurs propres fins et non à des fins spirituelles. Il est vrai que certains occultistes ont prédit que cette ruée des forces asouriques des mondes vitaux les plus sombres serait le premier résultat de la pression de la Descente divine dans le domaine vital, mais ceci était considéré comme une circonstance de la bataille, non comme quelque chose qui aiderait à la Victoire divine. Le malaxage de la Matière par les efforts de l'intellect humain pour conquérir la Nature matérielle et l'utiliser à ses fins peut briser un peu la passivité et l'inertie, peut-être, mais il le fait à des fins matérielles et dans un esprit radjasique, en niant avoir la spiritualité pour base mentale. Ces efforts pourraient finir, et semblent finir, en vérité, dans le chaos et la désintégration, tandis que les nouvelles tentatives de création et de réintégration semblent combiner l'obscure rigidité de la Nature matérielle et un retour à la brutalité et à la violence barbare d'une Nature vitale à demi animale. Comment les forces spirituelles vont-elles manier tout cela ou utiliser ce malaxage des énergies de l'univers matériel? Les voies de l'Esprit sont des voies de paix, de lumière et d'harmonie; s'il doit combattre, c'est précisément à cause de la présence de ces forces qui essaient d'éteindre la lumière spirituelle ou de s'y opposer. Avec le changement spirituel, l'inertie doit faire place à la paix et au calme divins; la trouble énergie radjasique, à un dynamisme tranquille et puissant, pur, libéré, tandis que le mental doit se faire plastique à l'action d'une Lumière de Connaissance plus haute. Comment les activités du matérialisme se prêteront-elles à ce changement?
Le matérialisme ne peut guère être spirituel à la base, parce que sa méthode de base est juste à l'opposé de la manière spirituelle de faire les choses. L'Esprit œuvre du dedans au dehors; la manière matérialiste travaille du dehors au dedans. Le matérialisme considère le dedans comme un résultat du dehors, comme un phénomène de la Matière, fondamentalement, et il fonde son action sur cette conception des choses. Il cherche à “perfectionner” l'humanité par des moyens extérieurs, et l'un de ses principaux efforts est de construire une machine sociale parfaite qui dressera et contraindra les hommes à être ce qu'ils doivent être. L'annulation de l'ego dans le Divin, tel est l'idéal spirituel; mais là, il est remplacé par l'immolation de l'individu à l'État militaire et industriel. Où est la spiritualité dans tout cela? La spiritualité ne peut venir que d'une ouverture du mental, du vital et du physique à l'âme profonde, au Moi supérieur, au Divin, et de leur subordination aux forces spirituelles, de leur utilisation comme des canaux de la Lumière intérieure, de la Connaissance et du Pouvoir supérieurs. Les autres activités — mentales, esthétiques, vitales — sont souvent appelées “spiritualité”, à tort, car il leur manque le caractère essentiel sans lequel ce mot perd sa vraie signification.
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Quand il y a une pression sur le monde vital due à la Descente d'en haut qui se prépare, ce monde précipite habituellement quelque chose de lui-même dans le monde humain. Le monde vital est très vaste et dépasse de beaucoup le monde humain en étendue. Mais habituellement il domine par une influence, non par une descente. Évidemment cette partie du monde vital s'efforce toujours de maintenir l'humanité sous son empire et de faire obstacle à la Lumière plus haute.
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La descente vitale ne peut empêcher la descente supramentale — encore moins les nations nanties peuvent-elles le faire par leur pouvoir matériel, puisque la descente supramentale est fondamentalement un fait spirituel qui portera inéluctablement ses conséquences extérieures. Ce qu'ont fait les descentes vitales antérieures consistait à falsifier la lumière qui descendait, comme dans l'histoire du christianisme où elle a pris possession de l'enseignement et l'a dilué et dépourvu de tout accomplissement étendu. Mais le supramental est par définition une Lumière qui ne peut être déformée s'il descend de son propre gré et par sa propre présence. Ce n'est que lorsqu'il s'abstient d'agir et permet aux Pouvoirs inférieurs de conscience d'utiliser une Vérité diminuée et déjà gauchie que les Forces vitales peuvent s'emparer de la connaissance et l'employer à servir leurs desseins.
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Tout ce que vous dites se ramène, d'un point de vue général, au fait qu'en ce monde à évolution lente l'homme a émergé de la bête et n'en est pas encore sorti, la lumière a émergé de l'obscurité, et une conscience supérieure d'une inconscience d'abord sans vie, puis en lutte et confuse. Une conscience spirituelle est en train d'émerger, et c'est à travers cette conscience spirituelle qu'on peut rencontrer le Divin. Les religions, pleines d'éléments vitaux et mentaux mélangés, confus et ignorants, ne peuvent recevoir que des étincelles du Divin; la raison positiviste, avec ses interrogations fondées sur les choses telles qu'elles sont et refusant de croire en quoi que ce soit de possible ou de futur, ne peut avoir aucune vision. La conscience spirituelle est une conscience nouvelle qui doit évoluer et a déjà évolué. Il est tout à fait naturel qu'en premier lieu et pendant longtemps quelques-uns seulement reçoivent la pleine lumière, alors qu'un plus grand nombre — faible encore par rapport à la masse de l'humanité — en reçoit une partie. Mais ce qui a été gagné par la minorité peut, à un stade de l'évolution, être complété et plus largement généralisé et c'est ce que nous essayons de faire. Si, cependant, cette plus grande conscience de lumière, de paix et de joie doit être atteinte, ce ne peut être par le doute et le scepticisme qui ne peuvent qu'en revenir à ce qui existe déjà et dire: “C'est impossible, ce qui n'a pas été fait dans le passé ne peut pas exister dans l'avenir, ce qui est si imparfaitement réalisé maintenant ne peut être mieux réalisé dans l'avenir. ” Une foi, une volonté, ou au moins une exigence et une aspiration persévérantes sont nécessaires — un sentiment que cela et cela seul peut me satisfaire, et un élan vers cela qui ne cessera que quand ce sera fait. C'est pourquoi un esprit sceptique et négatif constitue un obstacle; car il empêche que se créent les conditions dans lesquelles l'expérience spirituelle peut se dérouler.
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La descente du supramental est un long processus, ou du moins un processus dont la préparation est longue; tout ce qu'on peut dire est que le travail se poursuit parfois avec une forte pression vers l'accomplissement, alors que d'autres fois il est retardé par ce qui vient d'en bas et qu'il faut traiter avant qu'un progrès nouveau puisse être fait. C'est un processus d'évolution spirituelle, concentré en une brève période; il ne pourrait en être autrement (à travers ce que les hommes considéreraient comme une intervention miraculeuse) que si le mental humain était plus souple qu'il n'est et moins attaché à son ignorance. Tel que nous l'envisageons, il doit se manifester d'abord en quelques-uns et ensuite s'étendre, mais il est improbable qu'il envahisse la terre en un moment. Il n'est pas recommandé de trop débattre de ce qu'il fera et de la manière dont il le fera, parce que le supramental en décidera lui-même, agissant selon la divine Vérité en lui, et le mental ne doit pas tracer pour lui des sillons à parcourir. Naturellement, la délivrance de l'ignorance subconsciente et de la maladie, la vie prolongée à volonté, et un changement du fonctionnement du corps sont parmi les éléments ultimes du changement supramental; mais les détails doivent être laissés à l'Énergie supramentale pour qu'elle les règle selon la Vérité de sa propre nature.
La descente du supramental est une inévitable nécessité dans la logique des choses et est par conséquent certaine. C'est parce que les gens ne comprennent pas ce qu'est le supramental et ne réalisent pas la signification de l'émergence de la conscience dans un monde de Matière inconsciente qu'ils sont incapables d'en comprendre le caractère inévitable. Je suppose qu'un observateur objectif, s'il y en avait eu un au temps du règne permanent de la Matière inanimée aux commencements de la terre, aurait stigmatisé toute promesse d'émergence de la vie dans un monde de terre, de rochers et de minéraux inertes comme une absurdité et une chimère; de même, plus tard, il aurait répété son erreur et considéré l'émergence de la pensée et de la raison dans un monde animal comme une absurdité et une chimère. Il en est de même maintenant de l'apparition du supramental dans la mentalité trébuchante de ce monde de conscience humaine et d'ignorance raisonnante.
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Il est tout à fait possible qu'il y ait eu des périodes d'harmonie à divers niveaux, non supramentaux, qui ont ensuite été troublées — mais ce ne pouvait être qu'une étape ou un lieu de repos dans une courbe d'évolution spirituelle hors de l'Inconscience.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
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Il est question ici du Divin dans sa manifestation essentielle, qui se révèle à nous comme Lumière et Conscience, Pouvoir, Amour et Beauté. Mais dans sa manifestation cosmique même, le Suprême, étant Infini et n'étant lié par aucune limitation, peut manifester en Lui-même, dans sa conscience faite de possibilités sans nombre, quelque chose qui semble être l'opposé de lui-même, quelque chose où il peut y avoir de l'Obscurité, de l'Inconscience, de l'Inertie, de l'Insensibilité, de la Désharmonie et de la Désintégration. C'est ce que nous voyons à la base du monde matériel et que nous appelons actuellement l'Inconscient — l'Océan inconscient du Rigvéda dans lequel l'Un était caché et d'où il s'élevait sous la forme de notre Univers — ou, comme il est parfois appelé, le non-être, Asat. L'Ignorance qui caractérise notre mental et notre vie découle de cette origine dans l'Inconscience. De plus, dans l'évolution hors de l'existence inconsciente, surgissent naturellement des pouvoirs et des êtres qui ont intérêt à ce que se perpétuent toutes les négations du Divin, erreur et inconscience, chagrin, souffrance, obscurité, mort, faiblesse, maladie, manque d'harmonie, le Mal. D'où la perversion de la manifestation ici-bas, son incapacité à révéler la véritable essence du Divin. Pourtant, à la base même de cette évolution, tout ce qui est divin est là, involué, et pressé d'évoluer. Lumière, Conscience, Pouvoir, Perfection, Beauté, Amour. Car dans l'Inconscience même et derrière les perversions de l'Ignorance, la Conscience divine demeure cachée et travaille, et doit apparaître de plus en plus, rejetant finalement ses déguisements. C'est pourquoi on dit que le monde est appelé à exprimer le Divin.
Ce que vous dites de l'évolution supramentale est correct, sauf qu'il ne s'ensuit pas que l'humanité dans son ensemble deviendra supramentale. Plus vraisemblablement, la descente établira le principe supramental dans l'évolution, tout comme le principe mental s'est établi par l'apparition du Mental et de l'Homme pensant dans la vie terrestre. Il y aura une espèce supramentale sur la terre tout comme il y a maintenant une espèce mentale. L'homme lui-même trouvera une plus grande possibilité de s'élever jusqu'aux plans intermédiaires entre son mental et le supramental, et de rendre efficaces les pouvoirs de ces plans dans sa vie, ce qui amènera un grand changement dans l'humanité sur terre, mais il n'est pas probable que le stade mental disparaîtra de l'échelle ascendante; si tel est le cas, la persistance d'une espèce mentale sera nécessaire pour former une étape entre le vital et le supramental dans le mouvement évolutif de l'Esprit.
On peut envisager une descente d'êtres supérieurs telle que celle que vous suggérez comme une partie du processus de changement. Mais la partie principale du changement sera l'apparition de l'être supramental et l'organisation d'une nature supramentale ici-bas, de même que l'être mental est apparu et que la nature mentale s'est organisée durant le dernier stade de l'évolution. Actuellement, je préfère ne pas parler de la descente d'êtres supérieurs parce que l'expérience m'a prouvé que cela conduisait à un romantisme vain et souvent égoïste qui détourne l'attention du vrai travail: la réalisation du Divin et la transformation de la nature.
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Ce que nous faisons, si nous réussissons et quand nous réussirons, ne sera qu'un commencement, non un aboutissement. C'est la fondation d'une nouvelle conscience sur terre — une conscience qui a des possibilités infinies de manifestation. Le progrès éternel est dans la manifestation; au-delà d'elle il n'y a pas de progrès.
Si le but est de racheter l'âme de son enveloppe physique, alors la supramentalisation n'est pas nécessaire. La moukti spirituelle et le Nirvana y suffisent. Si le but consiste à s'élever aux plans supra-physiques, alors la supramentalisation n'est pas nécessaire non plus. On peut entrer dans quelque paradis supérieur par la dévotion au Seigneur de ce paradis. Mais ce n'est pas un progrès. Les autres mondes sont des mondes typiques, chacun est fixé dans son propre genre, son propre type, sa propre loi. L'évolution a lieu sur la terre et par conséquent la terre est le milieu approprié au progrès. Les êtres des autres mondes ne progressent pas d'un monde à un autre. Ils restent fixés dans leur propre type.
Les védântistes purement monistes disent: tout est Brahman, la vie est un rêve, une irréalité; seul Brahman existe. On a le Nirvana ou la moukti, ensuite on vit jusqu'à ce que le corps tombe — après cela il n'y a plus de vie.
Ils ne croient pas à la transformation, parce que le mental, la vie et le corps sont une ignorance, une illusion — la seule réalité est le Moi sans forme et sans relation, Brahman. La vie est une chose de relations; dans le Moi pur, toute vie, toutes relations disparaissent. Quelle serait l'utilité ou la possibilité de transformer une illusion qui ne pourra jamais être autre chose (quelle que soit la transformation) qu'une illusion? Pour eux il ne peut exister de “vie nirvânique”.
Seuls certains yoga ont pour but une transformation autre que celle de l'ignorance en connaissance. L'idée varie — parfois une connaissance divine ou un pouvoir divin, ou encore une divine pureté, ou une perfection éthique, ou un amour divin.
Ce qu'il faut surmonter, c'est l'opposition de l'Ignorance qui ne veut pas de la transformation de la nature. Si cela peut être surmonté, alors les idées spirituelles anciennes ne constitueront plus un obstacle.
L'intention n'est pas de supramentaliser l'humanité en général, mais d'établir le principe de la conscience supramentale dans l'évolution terrestre. Si cela est fait, tout ce qui est nécessaire sera évolué par le Pouvoir supramental lui-même Il n'est donc pas important que la mission soit étendue. L'important est que cela soit fait en quelques-uns, si peu nombreux soient-ils; c'est la seule difficulté.
Si la transformation du corps est complète, cela signifie qu'il ne sera plus soumis à la mort — cela ne signifie pas qu'on sera obligé de garder le même corps pour toujours. On se créera un nouveau corps quand on voudra changer, mais comment cela se fera, il est impossible de le dire maintenant. La méthode actuelle est la naissance physique — quelques occultistes supposent qu'un temps viendra où ce ne sera pas nécessaire — mais c'est à l'évolution supramentale d'en décider.
Il n'est pas possible de répondre maintenant de manière profitable aux questions concernant le supramental. Le supramental ne peut être décrit en des termes que le mental puisse comprendre, parce que ces termes seraient intellectuels et que le mental les comprendrait d'une manière intellectuelle et dans un sens mental et passerait à côté de leur véritable portée. Ce serait donc perdre un temps et une énergie qui devraient être voués au travail préliminaire — psychicisation et spiritualisation de l'être et de la nature sans lesquelles aucune supramentalisation n'est possible. Que toute la nature dynamique conduite par le psychique s'emplisse de la lumière, de la paix, de la pureté, de la connaissance, de la force dynamiques et spirituelles; qu'elle reçoive ensuite l'expérience des plans spirituels intermédiaires; qu'elle connaisse, sente et agisse dans leur sens; puis il sera possible de parler en dernier lieu de la transformation supramentale.
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Qu'est-ce qu'une parfaite technique de yoga ou plutôt d'un yoga qui changerait le monde ou changerait la Nature? Pas une technique qui prend un homme par un petit bout de lui-même quelque part, l'attache à un crochet et le hisse à l'aide d'une poulie jusqu'au Nirvana ou au Paradis. La technique d'un yoga qui change le monde doit être aussi multiforme, sinueuse, patiente, globale que le monde lui-même S'il ne s'attaque pas à toutes les difficultés ou à toutes les possibilités et ne traite pas soigneusement chaque élément nécessaire, a-t-il aucune chance de succès? Et une technique parfaite que tout le monde peut comprendre en est-elle capable? Il ne s'agit pas d'écrire un petit poème dans un mètre fixe avec un nombre limité de variantes. Si vous comparez à un poème, c'est le Mahâbhârata d'un Mahâbhârata qu'il faut faire. Et comparée à la perfection limitée des Grecs, quelle est la technique du Mahâbhârata?
Ensuite, à quoi sert la vicārabuddhi dans un tel cas? Si l'on doit acquérir une nouvelle conscience qui surpasse l'intellect raisonnant, peut-on le faire en suivant des voies qui doivent être jugées et comprises par l'intellect raisonneur, contrôlées par lui à chaque pas, commandées par l'intellect en tout ce qu'il doit faire, quelle est la mesure de son accomplissement, quelle doit être sa démarche et quelle sera sa valeur? Si l'on fait cela, sortira-t-on jamais du domaine de l'intelligence raisonneuse pour entrer dans ce qui est au-delà d'elle? Et si on y parvient, comment les autres pourront-ils juger ce que l'on fait par des mesures intellectuelles? Comment peut-on juger ce qui est au-delà de la conscience ordinaire quand on est soi-même dans la conscience ordinaire? N'est-ce pas uniquement en vous dépassant que vous pouvez sentir, expérimenter, juger ce qui vous dépasse? Quelle est la valeur d'un jugement sans le sentiment et l'expérience?
Ce que fera le supramental, le mental ne peut ni le prévoir ni en décider. Le mental est une ignorance qui cherche la Vérité, le supramental, par définition, est la Conscience-de-Vérité, la Vérité en possession d'elle-même et s'accomplissant elle-même par son propre pouvoir. Dans un monde supramental l'imperfection et le manque d'harmonie sont destinés à disparaître. Mais ce que nous nous proposons pour le moment n'est pas de faire de la terre un monde supramental, mais d'y faire descendre le supramental en tant que pouvoir et conscience stable au sein du reste — de le laisser travailler et s'accomplir, comme le Mental est descendu dans la Vie et la Matière et y a travaillé en tant que Pouvoir pour s'accomplir au milieu du reste. Cela suffira à changer le monde et à changer la Nature en brisant ses limites actuelles. Mais ce qu'il fera, comment et par quelles étapes, est une chose qui ne doit pas encore être dite — quand la Lumière sera là, la Lumière fera elle-même son travail — quand la Volonté supramentale se tiendra sur terre, cette Volonté décidera. Elle établira une perfection, une harmonie, une création de Vérité — pour le reste, ce sera le reste — c'est tout.
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L'humanité tout entière ne peut être changée d'un seul coup. Ce qu'il faut, c'est faire descendre la Conscience supérieure dans la conscience terrestre et l'y établir en tant que force permanente réalisée. Tout comme le mental et la vie sont établis et incarnés dans la Matière, ainsi faut-il établir et incarner la Force supramentale.
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Il ne serait pas possible de changer tout cela en un moment — nous avons toujours dit que l'humanité tout entière ne changera pas dès l'instant où aura lieu la Descente. Mais ce qui peut être fait, c'est établir le principe supérieur dans la conscience terrestre de telle sorte qu'elle demeure et continue à se renforcer et à s'étendre dans la vie terrestre. C'est ainsi qu'un nouveau principe d'évolution doit nécessairement travailler.
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Le monde veut et refuse quelque chose qu'il n'a pas. Tout ce que le supramental pourrait donner, le mental supérieur du monde aimerait l'avoir, mais le mental extérieur vital et physique ne veut pas en payer le prix. Mais, après tout, je n'essaie pas de changer le monde d'un seul coup, mais seulement de faire descendre en un point central quelque chose qu'il n'a pas encore, une nouvelle conscience et un nouveau pouvoir.
31.07.1935
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Cette transformation ne peut être faite individuellement ni d'une manière uniquement solitaire. Aucune transformation individuelle et solitaire, sans souci pour le travail terrestre (qui a plus de signification que n'importe quelle transformation individuelle) ne serait ni possible, ni utile. De plus, aucun individu humain ne peut par son seul pouvoir opérer la transformation; le yoga n'a d'ailleurs pas pour objet de créer un surhomme individuel ici ou là. L'objet du yoga est de faire descendre la conscience supramentale sur la terre, de l'y fixer, de créer une espèce nouvelle où le principe de la conscience supramentale régira la vie intérieure et extérieure, individuelle et collective.
Cette force acceptée par un individu après l'autre selon la préparation de chacun établirait la conscience supramentale dans le monde physique et créerait ainsi un noyau pour sa propre expansion.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
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C'est d'abord à travers les individus que la conscience supramentale s'incorpore à la conscience terrestre; ensuite elle se répand depuis les premiers centres et s'empare de plus en plus de la conscience globale jusqu'à ce qu'elle devienne une force établie ici.
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Tout cela est absurde. La descente du supramental signifie seulement que le Pouvoir sera là, dans la conscience terrestre, comme une force vivante, tout comme le mental pensant et le mental supérieur sont déjà là. Mais un animal ne peut pas profiter de la présence du Pouvoir du mental pensant, ni un homme peu évolué de la présence du Pouvoir du mental supérieur — de même n'importe qui ne sera pas capable de profiter de la présence du Pouvoir supramental. J'ai dit aussi, assez souvent, que ce sera d'abord pour quelques-uns, non pour la terre entière — mais cela aura une influence croissante sur la vie terrestre.
15.12.1934
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La descente du supramental dans la conscience terrestre ne serait pas nécessairement connue de tous. D'ailleurs, même si la descente était là il faudrait être prêt avant d'obtenir le changement définitif.
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Non dans leur totalité — car la transformation du Mental, de la Vie et de la Matière cosmiques n'est pas notre affaire. C'est nous-mêmes que nous devons transformer et c'est la conscience terrestre qu'il faut changer en apportant ici le principe supramental dans l'évolution. Quand il y sera il aura nécessairement une influence puissante sur toute la vie terrestre — semblable à celle que le mental a eue à travers l'évolution de l'homme, mais bien plus grande.
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Il n'est pas possible qu'une force comme le supramental descende sans produire un grand changement dans les circonstances terrestres. Il ne s'ensuit pas que tout deviendra supramentalisé et ce n'est pas nécessaire — mais le mental lui-même sera influencé, comme la vie a été influencée par le développement du mental sur la terre.
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Rien de permanent ne peut être fait sans la vraie Force supramentale. Mais sa descente aurait pour résultat que dans la vie humaine, l'intuition deviendrait une force plus grande et plus développée qu'elle ne l'est maintenant, et que les autres pouvoirs intermédiaires entre le mental et le supramental deviendraient aussi plus habituels et étendraient leur action de façon organisée.
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21
Comment savez-vous que notre yoga n'aura aucun effet sur les gens ordinaires? Il accroîtra inévitablement leurs possibilités et même si tous ne peuvent pas atteindre les plus hauts sommets, l'effet en sera un grand changement pour la terre.
29.04.1934
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22
Il serait au contraire impossible que les gens ordinaires ne sentent pas qu'une Lumière et un Pouvoir plus grands sont venus sur la terre.
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23
Ce n'est pas pour des considérations de profits ou de pertes que la Conscience divine agit — c'est là un point de vue humain, nécessaire au développement humain. Le Divin, comme dit la Guîtâ, n'a rien à gagner ni rien qu'il n'ait pas, et pourtant il projette son pouvoir d'action dans la manifestation. C'est la conscience terrestre, non le monde supramental, qui a quelque chose à gagner dans la descente du principe supramental — et c'est là une raison suffisante pour qu'il descende. Les mondes supramentaux restent tels qu'ils sont et ne sont en aucune manière affectés par la descente.
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24
“S'ouvrant le passage d'en bas”1 signifie ceci, que la force supramentale, en descendant, éveille une réponse d'en bas dans la conscience terrestre, de sorte qu'il est possible qu'une activité supramentale prenne forme dans l'activité matérielle elle-même. Tout est potentialité involuée dans la conscience terrestre — vie, mental, supramental — , mais ce n'est que lorsque la force de vie est descendue que le mental latent dans la Matière s'est éveillé et a pu être organisé. La descente supramentale doit créer la même sorte d'ouverture d'en bas afin que la conscience supramentale puisse être organisée dans la conscience matérielle.
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25
La terre contient toutes les potentialités qui apparaissent dans les êtres terrestres et aussi beaucoup d'autres qui sont inexprimées.
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Oui. la terre est le lieu de l'évolution dans lequel toutes ces forces se rencontrent et essaient de se manifester; quelque chose doit se développer à travers leur travail. Sur les autres plans (le mental, le vital, etc.) il n'y a pas d'évolution — là chaque force agit séparément selon sa propre loi.
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(La conscience terrestre:) C'est la conscience de notre Terre seulement. Il y a une conscience terrestre globale et séparée (comme pour les autres mondes) qui évolue avec l'évolution de la vie sur la planète.
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Oui, tout cela est la conscience terrestre minéral = matière, végétal = création physico-vitale, animal = création vitale, homme = création mentale. Dans la conscience terrestre ainsi limitée au mental, au vital et à la matière, doit venir la création supramentale. Nécessairement, cela ne peut pas affecter en premier lieu un grand nombre d'individus — mais même s'il ne s'agit d'abord que d'un petit nombre, il ne s'ensuit pas que cela n'aura aucun effet sur le reste ou ne changera pas tout l'équilibre de la nature terrestre.
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29
Rien ne s'oppose à ce que la vie végétale, animale et humaine évolue dans la Vérité plutôt que dans l'Ignorance — si la connaissance apparaît sur le plan terrestre.
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30
Le supramental peut agir directement sur tout s'il est amené dans la conscience matérielle — dans l'organisation actuelle des choses il est latent par-derrière et agit par d'autres moyens.
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(Action directe du supramental sur les plantes dès maintenant:) Non, on ne peut pas dire cela. C'est la force vitale qui travaille, mais il y a une sorte d'intuition sous-jacente dans cette Force de Vie qui est derrière toute l'action et c'est ce qu'on peut appeler un reflet ou un Pouvoir délégué derrière lequel se tient le supramental latent.
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32
Si spirituel et supramental étaient la même chose, comme, selon vous, l'imaginent mes lecteurs, alors tous les sages, dévots, yogi, sâdhak à travers les âges auraient été des êtres supramentaux et tout ce que j'ai écrit sur le supramental ne serait qu'un fatras superflu, oiseux et sans objet. Quiconque ayant eu des expériences spirituelles serait un être supramental; l'Ashram serait bondé d'êtres supramentaux et tous les autres Ashram de l'Inde aussi. Les expériences spirituelles peuvent se fixer dans la conscience intérieure et la changer, la transformer si vous voulez: on peut réaliser le Divin partout, le Moi en tous et tous en le Moi, la Shakti universelle faisant toutes choses; on peut se sentir fondu dans le Moi cosmique, ou plein de bhakti extatique ou d'Ânanda. Mais on peut, et habituellement c'est ce que l'on fait, continuer dans les autres parties de la nature à penser avec l'intellect ou, au mieux, avec le mental intuitif, à vouloir avec une volonté mentale, à ressentir la joie et la peine à la surface du vital, à subir des atteintes physiques et à souffrir du combat de la vie dans le corps contre la mort et la maladie. Le seul changement alors sera que le moi intérieur regardera tout cela sans être troublé ni déconcerté, avec une parfaite égalité, l'acceptant comme une partie inévitable de la Nature, inévitable tant que l'on ne se retire pas dans le Moi hors de la Nature. Ce n'est pas cette transformation que j'ai en vue. C'est un tout autre pouvoir de connaissance, une autre sorte de volonté, une autre nature lumineuse d'émotion et d'esthétique, une autre organisation de la conscience physique qui doit apparaître par le changement supramental.
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33
La réalisation spirituelle peut être obtenue sur n'importe quel plan par le contact avec le Divin (qui est partout) ou par la perception du Moi au-dedans, qui est pur et non touché par les mouvements extérieurs. Le supramental est quelque chose de transcendant — une Conscience-de-Vérité dynamique qui n'est pas encore là, quelque chose qu'il faut faire descendre d'en haut.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
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34
Seul le supramental est toute-connaissance. Au-dessous, tout, du surmental à la Matière, est Ignorance — une Ignorance qui s'élève de niveau en niveau vers la pleine connaissance. Au-dessous du supramental il peut y avoir une connaissance mais ce n'est pas la toute-connaissance.
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Je n'ai pas dit que tout est mensonge sauf la Vérité supramentale. J'ai dit qu'il n'y a pas de Vérité complète en-dessous de la Vérité supramentale. Dans le surmental la Vérité du supramental, qui est totale et harmonieuse, se fragmente en parties, de nombreuses vérités s'affrontent, et chacune est poussée à s'accomplir, à fabriquer un monde à elle ou encore à prédominer ou à s'approprier sa part dans des mondes faits d'une combinaison de Vérités et de forces de Vérité diverses et séparées. Plus bas dans l'échelle, la fragmentation devient de plus en plus prononcée, jusqu'à permettre une erreur positive, un mensonge, une ignorance, et finalement une inconscience comme celle de la Matière. Ce monde-ci est donc sorti de l'Inconscience et a élaboré le Mental qui est un instrument de l'Ignorance s'efforçant d'atteindre la Vérité à travers toutes sortes de limitations, de conflits, de confusions et d'erreurs. Retourner au surmental, si on peut le faire complètement, ce qui n'est pas facile pour des êtres physiques, revient à se tenir aux frontières de la Vérité supramentale avec l'espoir d'y entrer.
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Il ne peut y avoir ni règle ni définition mentale. Il faut d'abord vivre dans le Divin et atteindre la Vérité. La volonté et la conscience de la Vérité organiseront la vie.
C'est dans le Brahman inactif qu'on se fond, si on cherche laya ou môksha. On peut demeurer dans le Divin personnel, mais on ne se fond pas en lui. Quant au Divin suprême, il contient en lui l'existence du monde et c'est dans sa conscience qu'elle se meut; en entrant dans le Suprême on s'élève donc au-dessus de la sujétion à la Nature, mais on ne disparaît pas hors de toute conscience d'existence terrestre.
La Volonté divine générale dans l'univers tend vers la manifestation progressive dans l'univers. Mais c'est la volonté générale — elle admet le retrait des âmes individuelles qui ne sont pas prêtes à persévérer dans le monde.
Ce n'est pas l'immortalité du corps, mais la conscience de l'immortalité dans le corps qui peut venir avec la descente du surmental dans la Matière ou même dans le mental physique ou avec le contact de la Lumière supramentale modifiée sur la conscience du mental physique. Ce sont des ouvertures préliminaires, mais ce n'est pas l'accomplissement supramental dans la Matière.
Si le supramental est décrété, rien ne peut l'empêcher; mais les choses se font ici par un jeu de forces, et une atmosphère ou des conditions défavorables peuvent le retarder même si elles ne peuvent l'empêcher. Même quand une chose est déterminée, elle ne se présente pas comme une certitude à la conscience d'ici (surmentale — mentale — vitale — physique) avant que le jeu des forces ait agi jusqu'à un certain point où la descente, non seulement est, mais paraît inévitable.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
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37
Le changement supramental est l'étape ultime de la siddhi et il ne viendra vraisemblablement pas si tôt; mais il y a beaucoup de niveaux entre le mental normal et le supramental et il est facile de prendre pour un changement supramental une montée à l'un de ces niveaux ou une descente de leur conscience ou de leur influence.
Il est tout à fait impossible de monter jusqu'au plan réel de l'Ânanda (sauf dans une transe profonde) avant d'être entré dans la conscience supramentale, de l'avoir réalisée et possédée; mais il est tout à fait possible et normal de ressentir quelque forme de la conscience de l'Ânanda à n'importe quel niveau. Cette conscience, où qu'elle soit ressentie, est une dérivation du plan de l'Ânanda, mais elle est très diminuée en pouvoir et modifiée pour s'adapter au pouvoir moindre de réceptivité des niveaux inférieurs.
Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 1.
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38
Je présume que c'est le développement du Pouvoir de Vérité et du Pouvoir d'Ânanda dans la conscience surmentale qui se prépare. L'Ânanda transcendant en lui-même ne pourrait descendre qu'après la supramentalisation complète de l'être et signifierait un changement stupéfiant dans la conscience terrestre. C'est la Vérité divine dans le surmental et l'Ânanda divin dans le surmental qui peuvent maintenant préparer leur manifestation et c'est ce qu'indiquent ces expériences.
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39
C'est le supramental que nous devons faire descendre, manifester, réaliser — quoi que ce soit de plus haut est impossible à ce stade de l'évolution, sinon comme un reflet dans la conscience ou un pouvoir délégué et modifié par sa descente.
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40
Je ne sais pas ce que le Mahatma Gandhi veut dire par complète réalisation.2 S'il entend par là une réalisation telle qu'il ne reste rien à réaliser, plus de développement possible, alors je suis d'accord — j'ai parlé moi-même de progression divine ultérieure, d'un développement infini. Mais la question n'est pas là: la question est de savoir si l'ignorance peut être transcendée, si une réalisation complète et essentielle est possible ou non, une réalisation par laquelle la conscience, d'obscure, devient lumineuse, par laquelle un instrument de l'Ignorance cherchant la connaissance devient un instrument ou plutôt une manifestation de la Connaissance marchant vers une Connaissance plus grande, une manifestation de la Lumière s'élargissant, se haussant jusqu'à une plus grande Lumière. Mon opinion est que cette conversion est non seulement possible, mais inévitable dans l'évolution spirituelle de l'être ici-bas. L'incarnation n'a rien à voir avec cela. Ce n'est pas la vie qui s'incarne, mais la conscience et son énergie dont la vie n'est qu'une phase ou une force. De même que la vie a élaboré le mental, et que l'incarnation s'est modifiée pour se conformer à cette élaboration (le mental est précisément l'instrument principal de l'ignorance cherchant la connaissance), de même le mental peut élaborer le supramental qui dans sa nature même est une connaissance qui ne cherche pas pour elle-même mais se manifeste automatiquement par son propre pouvoir, et l'incarnation peut de nouveau se modifier ou être modifiée d'en haut pour se conformer à ce développement. La foi est un moyen nécessaire pour arriver à la réalisation, parce que nous sommes ignorants et ne savons pas encore ce que nous cherchons à réaliser; la foi est en vérité une connaissance qui donne à l'ignorance une révélation d'elle-même avant de se manifester, c'est le rayon qu'envoie le Soleil avant son lever. Quand le Soleil se lèvera, le rayon ne sera plus nécessaire. La connaissance supramentale se soutient d'elle-même. Elle n'a pas besoin d'être soutenue par la foi; elle vit de sa propre certitude. Vous direz peut-être qu'une progression ultérieure, un développement ultérieur auront besoin de la foi. Non, car le développement ultérieur se fera sur une base de Connaissance, non d'Ignorance. Nous marcherons dans la lumière de la Connaissance vers les perspectives plus vastes qu'elle ouvre à son propre accomplissement en nous.
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41
Une évolution hors de l'Inconscient ne sera pas nécessairement douloureuse s'il n'y a pas de résistance; elle peut être une éclosion du Divin délibérément lente et belle. Il faudrait être capable de voir combien la Nature extérieure peut être belle, et l'est habituellement, bien qu'elle soit elle-même apparemment “inconsciente”. Pourquoi la croissance de la Conscience dans la Nature intérieure devrait-elle être accompagnée de tant de laideur et de mal, qui gâtent la beauté de la création extérieure? À cause d'une perversité née de l'Ignorance, qui est venue avec la vie et a crû par le Mental — c'est le Mensonge, le Mal né de la rigidité du sommeil de l'Inconscience, qui sépare son action de la luminosité du Conscient secret toujours présent en nous. Mais il n'était pas nécessaire qu'il en soit ainsi, sinon à cause de la Volonté toute-puissante du Suprême dont l'intention était que les possibilités de perversion par l'inconscience et l'ignorance soient manifestées afin d'être éliminées par le fait même d'avoir eu leur chance, puisque toute possibilité doit se manifester quelque part; ces possibilités éliminées, la Manifestation divine dans la Matière sera plus grande qu'elle n'aurait pu être, parce qu'elle combinera toutes les possibilités impliquées dans cette création difficile et pas seulement quelques-unes, comme cela se serait naturellement produit dans une création plus facile et moins ardue.
“De la beauté à une beauté plus grande, de la joie à une joie plus intense, par une adaptation spéciale des sens” — oui, tel serait le déroulement normal d'une manifestation divine, quelque graduelle qu'elle soit, dans la Matière. “Sonorité discordante et odeur répugnante” sont créées par une désharmonie entre la conscience et la Nature et n'existent pas en elles-mêmes; elles n'existeraient pas pour une conscience libérée et harmonisée, car elles seraient étrangères à son être et n'affligeraient pas une âme et une Nature se développant dans une juste harmonie. Même “le volcan vomissant, la tempête rugissante et le typhon tourbillonnant” sont en eux-mêmes des choses grandioses et belles et ne sont néfastes ou terrifiants que pour une conscience incapable de leur faire face, d'en venir à bout ou de conclure un pacte avec les esprits du Vent et du Feu. Vous considérez que la manifestation de l'Inconscient doit être ce qu'elle est ici et maintenant, et qu'aucun autre monde de Matière n'était possible, mais l'harmonie de la Nature matérielle elle-même montre que la création peut ne pas être nécessairement discordante, mauvaise, furieusement perturbée et pénible — s'il avait été permis à l'être psychique de se manifester le premier dans la Vie et le Mental et de guider l'évolution au lieu d'être relégué derrière le voile, il aurait été le principe d'une harmonie toujours jaillissante: tous ceux qui ont senti le psychique travailler en eux, libre de l'intervention vitale, voient immédiatement que tel en serait l'effet, à cause de sa perception sans erreur, de son choix vrai, de son action harmonisante. S'il n'en a pas été ainsi, c'est parce que les Sombres Pouvoirs ont fait de la Vie une revendicatrice et non un instrument. La réalité des Pouvoirs Hostiles, la nature de leur rôle et la direction de leur effort ne peuvent être mises en doute par celui qui a reçu la vision intérieure et fait leur déplaisante connaissance.
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On ne peut nier — en fait aucune expérience spirituelle ne nie — que ce monde ne soit ni idéal ni satisfaisant et qu'il soit fortement marqué du sceau de l'imperfection, de la souffrance et du mal. En vérité, cette perception est en quelque sorte le point de départ de l'impulsion spirituelle, excepté chez le petit nombre à qui l'expérience supérieure vient spontanément sans qu'ils soient contraints au détachement par le sentiment puissant ou accablant, affligeant, de l'Ombre qui surplombe tout le champ de l'existence manifestée. Cependant, la question reste: est-ce là vraiment, comme on le prétend, le caractère essentiel de toute manifestation, ou du moins, tant qu'il y aura un monde physique, celui-ci devra-t-il être nécessairement de cette nature, si bien que le désir de naître, la volonté de se manifester ou de créer, doive être considéré comme le péché originel, et le retrait de la naissance ou de la manifestation comme le seul chemin possible de salut? Pour ceux qui perçoivent le monde ainsi ou d'une façon plus ou moins analogue — et ils ont été la majorité — , il y a des chemins de sortie bien connus, des raccourcis de la délivrance spirituelle. Mais il se peut aussi que le monde ne soit pas ainsi et qu'il semble seulement ainsi à notre ignorance ou à une connaissance partielle: il se peut que l'imperfection, le mal, la souffrance soient une circonstance affligeante ou un passage douloureux, mais non la condition même de la manifestation, non l'essence même de la naissance dans la Nature terrestre. Et s'il en est ainsi, la plus haute sagesse ne sera pas dans la fuite, mais dans l'élan vers la victoire ici-même, dans une collaboration consentante avec la Volonté qui est derrière le monde, dans une découverte de la porte spirituelle de la perfection, qui sera en même temps l'ouverture de la descente totale de la Lumière, la Connaissance, la Puissance et la Béatitude divines.
Toute l'expérience spirituelle affirme qu'il y a un Permanent au-dessus du transitoire de ce monde manifesté où nous vivons et de cette conscience limitée où nous tâtonnons et luttons en d'étroites frontières, et que ses caractéristiques sont l'infini, l'existence en soi, la liberté, la Lumière et la Béatitude absolues. Y a-t-il donc un gouffre infranchissable entre ce qui est au-delà et ce qui est ici, est-ce que ce sont deux perpétuels opposés, et l'homme ne peut-il atteindre l'Éternel qu'en quittant cette aventure temporelle et en sautant par-dessus le gouffre? Tel semble l'aboutissement d'une ligne d'expérience qui a été poussée jusqu'à ses plus rigoureuses conclusions par le bouddhisme, et un peu moins rigoureusement par un certain type de spiritualité moniste qui admet quelque rapport entre le monde et le Divin, mais en dernier ressort, les oppose encore l'un à l'autre comme vérité et illusion. Mais il y a aussi une autre expérience, indiscutable, à savoir que le Divin est ici en toute chose, autant qu'il est au-dessus et derrière toute chose; que tout est en Cela, tout est Cela, quand nous nous retirons des apparences vers leur Réalité. C'est un fait, et il est significatif et illuminateur, que celui qui connaît le Brahman, même quand il se meut et agit dans ce monde, même quand il supporte tous ses chocs, peut vivre dans une paix absolue, dans la lumière et la béatitude absolues du Divin. Il y a donc ici quelque chose d'autre que cette tranchante opposition; il y a un mystère, un problème qui semble devoir admettre une solution moins désespérée. Cette possibilité spirituelle indique un autre chemin par-delà, et amène un rayon d'espérance dans l'obscurité de notre existence déchue.
Une question se pose aussitôt: ce monde est-il une immuable suite de phénomènes toujours semblables, ou recèle-t-il un élan évolutif, un fait évolutif, quelque échelle ascendante qui conduise d'une apparente Inconscience originelle à une conscience de plus en plus développée, et qui de développement en développement monte toujours, pour émerger sur des sommets de plus en plus hauts encore hors de notre atteinte normale? S'il en est ainsi, quel est le sens, le principe fondamental, l'aboutissement logique de cette progression? Tout semble indiquer que cette progression est un fait: que l'évolution n'est pas seulement physique, mais spirituelle. Ici aussi, il existe une ligne d'expérience spirituelle justificatrice par laquelle nous découvrons que l'Inconscient d'où tout part, est seulement une apparence, car en lui se trouve “involuée”, enfermée, une Conscience qui a des possibilités sans fin, une Conscience qui n'est pas limitée, mais cosmique et infinie, un Divin caché et emprisonné en soi, dans la Matière, mais qui contient toutes les potentialités en ses profondeurs secrètes. De cette Inconscience apparente, chaque potentialité se révèle tour à tour: d'abord la Matière organisée qui cache l'Esprit immanent, puis la Vie qui surgit dans la plante et s'associe à une mentalité croissante dans l'animal, puis le Mental lui-même qui se développe et s'organise dans l'homme. Cette évolution, cette progression spirituelle, s'arrête-t-elle court ici, à cet être mental imparfait qu'on appelle l'Homme? Ou bien son secret est-il simplement une succession de renaissances dont l'unique but ou l'unique fin est de peiner jusqu'au moment où elle peut apprendre sa propre futilité, renoncer à elle-même et faire le saut en quelque Existence originelle hors des naissances, ou en quelque Non-existence? En tout cas, la possibilité existe et passé un certain point, c'est une certitude — qu'il y a une conscience bien plus grande que ce que nous appelons le Mental, et qu'en gravissant l'échelle un peu plus haut, nous pouvons trouver un point où cesse l'emprise de l'Inconscience matérielle, de l'Ignorance vitale et mentale; dès lors, un principe de conscience peut se manifester, qui libère, non pas partiellement ou imparfaitement seulement, mais radicalement et totalement le Divin emprisonné. Dans cette vision, chaque étape de l'évolution apparaît comme le résultat de la descente d'un Pouvoir de conscience chaque fois plus haut, qui élève tout le niveau terrestre et crée une nouvelle strate. Mais les plus hauts Pouvoirs ne sont pas encore descendus, et c'est par leur descente que l'énigme de l'existence terrestre trouvera sa solution et que, non seulement l'âme, mais la Nature elle-même, touchera sa délivrance. Telle est la Vérité qui a été vue par éclairs et d'une façon de plus en plus complète par la lignée des voyants que les Tantra appelaient les héros-chercheurs et les divins chercheurs; cette Vérité est peut-être proche maintenant du point où elle pourra être pleinement révélée et pleinement expérimentée. Alors, quel que puisse être le lourd poids de lutte, de souffrance et d'obscurité dans le monde, si tel est le haut résultat qui nous attend, tout ce qui s'est passé avant peut être considéré par les forts et les aventureux comme un prix point trop élevé pour la gloire qui doit venir. En tout cas, l'Ombre se soulève; une Lumière divine se penche sur le monde, et ce n'est pas seulement un vague Éclat incommunicable et hors d'atteinte.
Il est vrai que le problème demeure: pourquoi tout cela a-t-il été nécessaire, ces commencements grossiers, ce long passage orageux? Pourquoi un prix si lourd et si pénible a-t-il été demandé? Pourquoi y a-t-il jamais eu le mal et la souffrance? Car, si l'on regarde le comment, la cause effective de la chute dans l'Ignorance, et non le pourquoi, toutes les expériences spirituelles s'accordent en substance. C'est la division, la séparation, le principe d'isolement hors du Permanent et de l'Un qui l'a produite; c'est parce que l'ego a pris position pour lui-même dans le monde, affirmant son propre désir et sa propre importance, au lieu d'affirmer son union avec le Divin et son unité avec le tout; c'est parce que, au lieu de laisser la suprême et unique Force-Sagesse-Lumière déterminer l'harmonie de toutes les forces, il fut permis à chaque idée, chaque force, chaque forme des choses, de s'accomplir autant qu'elle le pouvait dans la masse des possibilités infinies, par sa propre volonté séparée, et donc inévitablement, finalement, par son conflit avec les autres. La division, l'ego, la conscience imparfaite, les tâtonnements et les luttes d'une affirmation de soi indépendante, sont la cause effective de la souffrance et de l'ignorance de ce monde. Dès que les consciences se séparèrent de l'unique conscience, elles tombèrent inévitablement dans l'Ignorance, et le dernier résultat de l'Ignorance fut l'Inconscience. D'un immense et sombre Inconscient le monde matériel a émergé, et en lui s'élève une âme qui, par l'évolution, se fraye un passage vers la conscience, est attirée vers la Lumière cachée, et monte, bien qu'aveuglément encore, vers la Divinité perdue d'où elle était venue.
Mais pourquoi vraiment tout cela est-il arrivé? Il est une manière ordinaire de poser la question, et d'y répondre, qui doit être tout de suite éliminée: la manière humaine et sa révolte, ses reproches éthiques, sa clameur émotive. Car, contrairement à ce que certaines religions supposent, ce n'est pas une Déité personnelle, supracosmique et arbitraire, elle-même nullement affectée par la chute, qui a imposé le mal et la souffrance à des créatures produites par le caprice de son “fiât”. Le Divin que nous connaissons est un Être infini, et c'est dans son infinie manifestation que ces choses ont pris place; c'est le Divin lui-même qui est ici, derrière nous, imprégnant la manifestation, soutenant le monde par son unité; c'est le Divin qui est en nous, soulevant lui-même le fardeau de la chute et ses sombres conséquences. Si, en haut, Il se tient à jamais dans sa Lumière, sa Béatitude et sa Paix parfaites, il est ici-bas aussi: sa Lumière, sa Béatitude et sa Paix sont secrètement ici, supportant tout; en nous-mêmes, il existe un esprit, une présence centrale plus grande que la série des personnalités de surface, et qui, tel le suprême Divin lui-même, n'est pas écrasée par le sort qu'elle subit. Si nous découvrons ce Divin en nous, si nous reconnaissons que nous sommes cet esprit qui est un avec le Divin en essence et dans l'être, c'est le portail de notre délivrance, et en lui nous pouvons, même au milieu de ce monde de discordes, demeurer lumineux, béatifiques et libres. Tel est le témoignage de l'expérience spirituelle, et il est aussi vieux que le monde.
Mais encore, quel est le but et l'origine de la discorde? Pourquoi cette division et cet ego sont-ils nés, ce monde d'évolution douloureuse? Pourquoi le mal et la souffrance doivent-ils s'immiscer dans la Paix, la Béatitude et le Bien divins? Il est difficile de répondre à l'intelligence humaine en restant à son propre niveau, car la conscience qui est à l'origine de ce phénomène et pour laquelle il est en quelque sorte automatiquement justifié dans une connaissance supra-intellectuelle, est une intelligence cosmique, et non une intelligence humaine individualisée; elle voit des espaces plus larges, elle a une autre vision, un autre savoir, d'autres états de conscience que la raison et le sentiment humains. On pourrait répondre au mental humain que l'Infini peut en lui-même être libre de ces perturbations, mais qu'une fois la manifestation commencée, ont commencé aussi d'infinies possibilités, et parmi les possibilités infinies que la manifestation universelle a pour fonction de réaliser, l'une d'elles était évidemment la négation — l'apparente négation effective — du Pouvoir, de la Lumière, de la Paix et de la Béatitude, avec toutes ses conséquences. Si l'on demande pourquoi cela a été accepté, même si c'était possible, la réponse la plus proche de la Vérité cosmique que l'intelligence humaine puisse donner, c'est que dans les relations ou dans la transition du Divin dans l'Unité au Divin dans la Multiplicité, ce possible funeste est devenu inévitable à un certain moment. Car dès qu'il apparaît, il acquiert, pour l'Âme descendant dans la manifestation évolutive, une attraction irrésistible qui crée l'inévitable — une attraction qui en termes humains, sur le plan terrestre, peut se traduire par l'attrait de l'inconnu, la joie du danger, de la difficulté et de l'aventure, la volonté de tenter l'impossible, de réaliser l'incalculable, de créer le nouveau et l'incréé avec son propre être et sa vie comme matériaux, la fascination des contraires et de leur difficile harmonisation — c'est cela, traduit en une autre conscience, supraphysique et surhumaine plus haute et plus vaste que le mental, qui fut la tentation conduisant à la chute. Car, pour l'être originel de lumière sur le point de descendre, la seule chose inconnue était les profondeurs de l'abîme, les possibilités du Divin dans l'Ignorance et l'Inconscience. De l'autre côté, dans la divine Unité, c'était un vaste acquiescement plein de compassion, d'aide, d'acceptation, une connaissance suprême que cette possibilité devait être; qu'étant apparue, elle devait être menée jusqu'au bout; que son apparition faisait en quelque sorte partie d'une infinie sagesse incalculable; que si le plongeon dans la Nuit était inévitable, l'émergence dans un Jour sans précédent était aussi une certitude; et que c'est seulement ainsi qu'une certaine manifestation de la suprême Vérité pouvait avoir lieu, par une mise en œuvre des contraires phénoménaux comme point de départ de l'évolution et comme condition de l'émergence transformatrice. Cet acquiescement comprenait aussi la volonté du grand Sacrifice, la descente du Divin lui-même dans l'Inconscience pour prendre le fardeau de l'Ignorance et de ses conséquences, pour intervenir comme l'Avatar et la Vibhoûti, et marcher entre les deux signes de la Croix et de la Victoire, vers l'accomplissement et la délivrance. Est-ce là une expression trop imagée de la Vérité inexprimable? Mais sans images, comment présenter à l'intelligence un mystère si loin d'elle? C'est seulement quand on a traversé la barrière de l'intelligence limitée et participé à l'expérience et à la connaissance cosmiques qui voient les choses par identité, que les suprêmes réalités derrière ces images — des images qui correspondent au fait terrestre — , revêtent leurs formes divines et apparaissent comme simples, naturelles, inhérentes à l'essence des choses. C'est seulement en entrant dans cette conscience plus grande que l'on peut saisir l'inévitable de la création et de son but.
Certes, telle est la Vérité de la manifestation comme elle se présente à la conscience quand elle se tient à la frontière de l'Éternité et de la descente dans le temps, là où la relation entre l'Un et la Multiplicité dans l'évolution est déterminée: une zone où tout ce qui doit être, est en puissance, mais pas encore en action. Mais la conscience libérée peut s'élever plus haut, là où le problème n'existe plus, et de là, voir le problème à la lumière d'une suprême identité où tout se trouve prédéterminé dans la vérité automatique et spontanée des choses, où tout est justifié pour une conscience et une sagesse absolues, une Félicité absolue derrière toute la création et la non-création, et où l'affirmation et la négation sont vues toutes deux avec les yeux de l'ineffable Réalité qui les délivre et les réconcilie. Mais cette connaissance est inexprimable pour le mental humain; son langage de lumière est trop indéchiffrable, la lumière elle-même trop brillante pour une conscience accoutumée à l'effort et à l'obscurité de l'énigme cosmique et trop enchevêtrée dans l'énigme pour pouvoir suivre le fil et saisir le secret. En tout cas, c'est seulement en nous élevant dans l'esprit au-dessus de la zone d'obscurité et de conflit, que nous entrons dans le plein sens et que l'âme est délivrée de son énigme. S'élever à ce sommet de libération, est la vraie porte de sortie et le seul moyen de connaissance indubitable.
Mais cette libération et cette transcendance n'entraînent pas forcément une disparition de la manifestation, une pure coupure dissolvante hors du monde; elles peuvent préparer une mise en action de la Connaissance suprême, une intensité de Pouvoir capable de transformer le monde et de mener l'impulsion évolutrice à son accomplissement. C'est une ascension d'ou l'on ne retombe plus, mais d'où l'on peut prendre son vol pour une descente ailée de lumière, de force et d'Ânanda.
Ce qui est inhérent en la force de l'être, se manifeste comme devenir; mais ce que sera cette manifestation, ses conditions, l'équilibre de ses énergies et l'organisation des ses principes, dépend de la conscience qui agit dans la force créatrice, du pouvoir de conscience que l'être libère de lui-même pour la manifestation. Il est de la nature de l'Être de graduer et de varier ses pouvoirs de conscience, et suivant la gradation et les variations de déterminer son mode et le degré ou l'étendue de sa révélation. La création manifestée est limitée par le pouvoir auquel elle appartient: elle voit et vit suivant ce pouvoir, et ne peut voir davantage et vivre plus puissamment; elle ne peut changer son monde qu'en s'ouvrant à un pouvoir de conscience plus grand au-dessus d'elle, ou en s'élevant à lui ou en le faisant descendre. C'est ce qui se produit dans l'évolution de la conscience en notre monde — un monde de matière inanimée qui sous la pression de la nécessité, produit un pouvoir de vie, puis un pouvoir mental apportant de nouvelles formes de création, et qui peine encore pour produire ou pour faire descendre quelque pouvoir supramental. C'est aussi une opération de la force créatrice se mouvant entre deux pôles de conscience: d'un côté, une conscience secrète au-dedans et au-dessus, qui contient en elle-même toutes les potentialités de lumière, de paix, de pouvoir et de béatitude — là, éternellement manifestées, ici attendant leur réalisation; et de l'autre côté, une conscience extérieure, à la surface et au-dessous, qui part du contraire apparent d'inconscience, d'inertie, d'effort aveugle, de capacité de souffrir, et qui grandit en recevant en elle-même des pouvoirs de plus en plus hauts l'obligeant à toujours recréer sa manifestation en des conditions plus larges, chacune des créations nouvelles mettant au jour quelque potentialité interne et rendant de plus en plus possible la descente de la Perfection qui attend au-dessus. Tant que la personnalité extérieure que nous appelons nous-même, est centrée dans les pouvoirs inférieurs de la conscience, l'énigme de notre existence, son but et sa nécessité, sont pour nous un problème insoluble; si par hasard quelque lueur de vérité est transmise à cet homme mental extérieur, il la saisit imparfaitement et, peut-être, l'interprète mal, s'en sert mal et la vit mal. Le vrai soutien de sa marche, est plus dans le feu de la foi que dans les connaissances vérifiées et indubitables. C'est seulement en s'élevant à une conscience plus haute, au-delà de la ligne mentale, et donc supraconsciente pour lui maintenant, qu'il peut émerger de son incapacité et de son ignorance. Sa pleine libération, sa complète illumination, viendront quand il aura traversé la ligne et sera entré dans la lumière d'une existence supraconsciente nouvelle. Telle est la transcendance qui était le but de l'aspiration des mystiques et des chercheurs spirituels.
Mais ceci, en soi, ne changerait rien à la création ici-bas; l'évasion d'une âme libérée du monde ne fait aucune différence pour ce monde. Cependant, cette traversée de la ligne, si elle était utilisée à des fins, non seulement ascendantes mais descendantes aussi, amènerait la transformation de la ligne elle-même, et changerait la barrière, le couvercle qu'elle est maintenant, en un passage pour les hauts pouvoirs de conscience de l'Être qui sont à présent au-dessus d'elle. Ce serait une nouvelle création sur la terre, l'intervention des puissances ultimes qui renverseraient les conditions de ce monde; car ce serait une création fondée sur le plein flot de la lumière spirituelle et supramentale, au lieu d'une création sortie de l'inconscience matérielle et qui émerge dans la pénombre du mental. C'est seulement dans le plein flot de l'esprit réalisé que l'être incarné peut savoir, avec tout ce que cela comporte, la signification et la nécessité temporaire de sa descente dans les conditions de l'obscurité, et qu'il peut, en même temps, les dissoudre par une transmutation lumineuse qui les changera en une manifestation ici-bas du Divin révélé et non plus voilé et déguisé, ni même apparemment déformé.
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Je suppose que vous n'avez pas lu mon “Énigme de ce Monde”,3 mais c'est une solution similaire que j'y expose. La manière dont X l'exprime est un rien trop “théiste-védântiste” — à mon avis c'est un compromis entre l'Un et le Multiple. Au commencement c'est vous (non pas le vous humain qui se plaint maintenant, mais l'être central) qui avez accepté ou même appelé l'aventure de l'Ignorance; le chagrin et la lutte sont une conséquence nécessaire de la plongée dans l'Inconscience et de l'émergence évolutive hors de cette Inconscience. L'explication est que cela avait un but, le jeu ultérieur de la Conscience divine et de l'Ânanda, non dans sa transcendance originelle, mais dans des conditions pour lesquelles la plongée dans l'Inconscience était nécessaire. C'est fondamentalement un problème cosmique et cela ne peut être compris qu'à partir de la conscience cosmique. Si vous voulez une solution qui soit agréable au mental et aux sentiments humains, je crains bien qu'il n'y en ait pas. Sans aucun doute, si les êtres humains avaient fait l'univers, ils auraient fait beaucoup mieux; mais n'étant pas là ils n'ont pu être consultés quand ils ont été créés. Seul votre être central était là, et il était beaucoup plus proche, dans son imprudence téméraire, de Vivékânanda ou de X que de la prudence chagrine de votre mentalité humaine marmonnante et tremblante du moment présent — autrement il ne serait jamais descendu dans cette aventure. Ou peut-être ne réalisait-il pas où il s'engageait? Il en est de même de ceux qui se vautrent sous leur croix. Même maintenant ils se vautrent parce que quelque chose en eux aime à se vautrer; ils portent la croix parce que quelque chose en eux choisit de souffrir. Alors?...
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Le monisme de type européen est habituellement panthéiste et entrelace si intimement l'univers et le Divin qu'ils peuvent à peine être séparés. Mais quelle explication du mal et de la misère peut-il y avoir là-dedans? La vision indienne est que le Divin est la substance fondamentale de l'Univers, mais il est aussi en-dehors, transcendant; le bien et le mal, le bonheur et la misère sont seulement des phénomènes d'expérience cosmique dus à une division et une diminution de conscience dans la manifestation, mais ne font pas partie de l'essence ou de la conscience totale indivise, ni du Divin, ni de notre propre être spirituel.
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L'involution est celle du Divin dans l'Inconscience et elle se fait par l'interposition de plans intermédiaires (surmental, etc., mental, vital — puis la plongée dans l'Inconscient qui est à l'origine de la matière). Mais tout cela n'est pas un processus qui correspond à l'évolution dans le sens inverse — car ce n'est pas cela qui est nécessaire, mais une gradation de conscience dont l'objet est de rendre possible l'évolution vers le haut.
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Il existe trois pouvoirs cosmiques, auxquels toutes choses sont soumises: la création, la conservation et la destruction; tout ce qui est créé dure un temps, puis commence à crouler. Supprimer la force de destruction implique une création qui ne sera pas détruite, mais qui durera et se développera toujours. Dans le monde de l'Ignorance, la destruction est nécessaire au progrès; mais dans la Connaissance, la création de Vérité, la loi est celle d'un déploiement constant sans aucun Pralaya.
Lumières sur le Yoga, chapitre 1; traduction de la Mère.
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(Grands bouleversements catastrophiques quand le supramental descendra:) Ce n'est pas nécessaire. Il y aura nécessairement de grands changements irais ils ne seront pas forcément catastrophiques. Quand une forte pression des forces surmentales s'exerce en vue du changement, alors il est vraisemblable que des catastrophes se produisent à cause de la résistance et du choc des forces. Le supramental a une plus grande maîtrise — dans sa plénitude une complète maîtrise des choses et un pouvoir d'harmonisation qui peut surmonter la résistance par d'autres moyens que la violence et la lutte dramatiques.
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Oui, il y a eu quelques progrès à cet égard (le changement psychique) et tout progrès dans le psychique ou la conscience spirituelle des sâdhak rend la descente plus facile. Mais la cause principale est que le principe surmental qui est le soutien secret immédiat de la nature terrestre actuelle avec toutes ses limitations subit de plus en plus la pression du supramental et laisse filtrer une Lumière et un Pouvoir plus grands. Car tant que le surmental intervient (le principe du surmental étant un jeu de forces, chacune essayant de se réaliser comme seule Vérité), la loi de la lutte demeure et avec elle l'occasion offerte aux Forces adverses.
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Autant que je peux voir, une fois le supramental établi dans la Matière, la transformation sera possible dans des conditions beaucoup moins désagréables que maintenant. Ces mauvaises conditions sont dues au fait que l'Ignorance étant prépondérante et les Pouvoirs hostiles ayant établi leur autorité, ils ne se soucient pour ainsi dire pas de lâcher leur emprise et il n'y a aucune force de Lumière pleinement établie dans la conscience terrestre qui soit capable, non seulement de leur faire front, mais même de contrebalancer leur plein pouvoir d'obscurité.
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La fausseté de l'argument réside dans la prémisse exposée au début que même après la supramentalisation les difficultés et les attaques continueront. Dans la conscience supramentale de telles attaques sont impossibles la coexistence du supramental et de l'obscurité inférieure dans le même être et le même corps n'est pas possible. C'est précisément pour cette raison que la supramentalisation de la conscience du corps est posée comme la condition du succès de la transformation. Si les attaques continuent et peuvent intervenir avec succès, cela signifie que la conscience du corps n'est pas encore supramentalisée.
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La descente du supramental peut hâter les choses, mais elle n'agira pas comme un petit médicament et ne changera pas tout en un clin d'œil.
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Ce sont les nuits les plus sombres qui préparent les plus grandes aurores — il en est ainsi parce que c'est dans l'inconscience la plus profonde de la vie matérielle que nous devons apporter, non une lueur intermédiaire, mais la pleine action de la Lumière divine.
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1.2.34 est toujours censé être une année de manifestation. 2.3.45 est l'année du pouvoir — quand la chose manifestée prend sa pleine force. 4.5.67 est l'année de la réalisation complète.
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1 “...c'est seulement la plus haute force supramentale descendant d'en haut et s'ouvrant le passage d'en bas qui pourra manier victorieusement la nature physique et annihiler ses difficultés.” (Sri Aurobindo, La Mère, chapitre I.)
2 Ces observations portent sur la déclaration suivante du Mahatma Gandhi, qu'un sâdhak avait soumise à Sri Aurobindo en lui demandant son opinion:
“Je soutiens qu'une réalisation complète est impossible dans notre vie incarnée. Elle n'est pas non plus nécessaire. Une foi vivante et immuable est tout ce qui est exigé pour que l'être humain atteigne la pleine stature spirituelle dont il est capable.”
3 Titre donné à la longue lettre précédente, lors de sa publication en novembre 1933, avec quelques autres lettres, sous forme d'un livre portant le même titre.