Mère
Entretiens
Le 10 septembre 1958
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«Dans les temps modernes, à mesure que la science physique élargissait ses découvertes, qu’elle libérait et mettait en oeuvre les forces matérielles secrètes de la Nature sous la direction de la connaissance humaine et pour l’usage humain, l’occultisme passait à l’arrièreplan et il fut finalement écarté sous le prétexte que le physique seul est réel, et que le mental et la vie ne sont que des activités secondaires de la matière. Partant de cette base et convaincue que l’énergie matérielle est la clef de toutes choses, la science a essayé de s’acheminer vers la maîtrise des opérations mentales et vitales, par la connaissance des instruments matériels et des processus matériels du fonctionnement de notre mental et de notre vie et de leurs activités normales et anormales; le spirituel restait ignoré comme n’étant qu’une forme de la mentalité. On peut observer en passant, que si cette tentative réussissait, elle pourrait mettre en danger l’existence de l’espèce humaine, comme peuvent le faire certaines autres découvertes scientifiques, maintenant mal employées ou employées maladroitement par une humanité qui n’est ni mentalement ni moralement prête à manier des pouvoirs si considérables et si périlleux. Car ce serait là une maîtrise artificielle appliquée sans aucune connaissance des forces secrètes qui sont à la base de notre existence et la soutiennent. En Occident, l’occultisme a pu donc être facilement mis de côté parce qu’il n’y a jamais atteint sa majorité; il n’a jamais acquis ni maturité ni fondement philosophique, systématique et solide. Ou bien il se complaisait trop librement dans le roman du surnaturel, ou bien il commettait l’erreur de concentrer son effort principal sur la découverte de formules et de méthodes efficaces pour utiliser les pouvoirs supranormaux. Il dégénéra en magie blanche ou noire, ou s’affubla de l’attirail romanesque ou thaumaturgique d’un mysticisme occulte, et il exagéra l’importance de ce qui, après tout, n’était qu’une connaissance maigre et limitée. Ces tendances et la fragilité de son fondement intellectuel, firent de l’occultisme une science difficile à défendre et qu’il est aisé de discréditer, une cible facile et vulnérable. En Égypte et en Orient, cette ligne de connaissance aboutit à un effort plus vaste et plus compréhensif. On peut trouver encore intacte cette maturité plus ample dans le remarquable système des Tantras; c’était non seulement une science très complète du supranormal, mais il fournissait aussi la base de tous les éléments occultes de la religion, et il a même donné naissance à un grand et puissant système de discipline et de réalisation spirituelles. Car l’occultisme le plus élevé est celui qui découvre les mouvements secrets et les possibilités dynamiques et supranormales du mental, de la vie et de l’Esprit et qui les utilise, avec leur force naturelle ou en appliquant certains procédés, pour donner une efficacité plus grande à notre être mental, vital et spirituel.
«Dans la pensée populaire, on associe l’occultisme à la magie et aux formules magiques et ce serait soi-disant une technique du supranaturel. Mais ceci n’est qu’un aspect des choses, et par ailleurs ce n’est pas tout à fait une superstition comme l’imaginent prétentieusement ceux qui n’ont pas étudié profondément, ou n’ont pas étudié du tout, les aspects cachés de la Force secrète de la Nature, ou ceux qui n’ont pas expérimenté ses possibilités. Les formules et leur application, l’utilisation mécanique des forces latentes, peuvent être étonnamment efficaces dans l’usage occulte du pouvoir mental et du pouvoir vital, de même qu’il en est dans la science physique; mais ceci n’est qu’une méthode subordonnée et une orientation limitée. Car les forces mentales et vitales sont plastiques, subtiles et variables dans leur action; elles n’ont pas la rigidité de la matière; une intuition plastique et subtile est nécessaire pour les connaître, pour interpréter leur action et leurs processus, et en faire l’application, et même pour interpréter ou utiliser leurs formules établies. Insister trop sur la mécanisation et sur des formules rigides, risque d’amener la stérilité ou une limitation formaliste de la connaissance, et, sur le plan pratique, d’entraîner beaucoup d’erreurs, de conventions ignorantes, d’abus et d’échecs. Maintenant que nous sommes en train de dépasser cette superstition d’après laquelle la matière est la seule vérité, il devient possible de revenir au vieil occultisme et de s’acheminer vers de nouvelles formulations et vers une investigation scientifique des secrets du mental et de ses pouvoirs encore cachés, d’entreprendre une étude attentive des phénomènes psychiques et des phénomènes psychologiques, anormaux ou supranormaux; déjà cette orientation nouvelle est en partie visible. Mais si elle doit trouver son accomplissement, il faut redécouvrir le vrai fondement, le vrai but et la vraie direction de cette ligne de recherche ainsi que ses limites et les précautions nécessaires. Son but le plus important doit être la découverte des vérités et des pouvoirs cachés de la force mentale et du pouvoir vital, et la découverte des pouvoirs plus grands de l’Esprit caché. La science de l’occulte est essentiellement la science du subliminal — du subliminal en nous-mêmes et du subliminal dans la Nature universelle —, et de tout ce qui est en rapport avec le subliminal, y compris le subconscient et le supraconscient, et elle doit être utilisée comme un élément de la connaissance de soi et de la connaissance du monde, servir à la dynamisation correcte de cette connaissance.» (L’Évolution spirituelle, p. 64-66)
Douce Mère, qu’est-ce que la magie blanche?
On appelle «magie blanche» la magie bienfaisante et «magie noire» la magie malfaisante. Mais enfin ce sont des mots, cela n’a pas de sens.
Magie?... C’est une connaissance qui est réduite à des formules purement matérielles. Ce sont comme des mots, ou des chiffres, ou des combinaisons de mots et de chiffres qui, simplement s’ils sont prononcés ou s’ils sont écrits, même par quelqu’un qui n’a pas de pouvoir intérieur, doivent agir. C’est en occultisme le correspondant des formules chimiques en science. N’est-ce pas, en science, vous avez des formules chimiques pour combiner certains éléments et en produire d’autres; même si vous n’avez pas de pouvoir mental ni de pouvoir vital, ni même de pouvoir physique, et que vous suiviez à la lettre la formule que vous avez, vous arrivez au résultat voulu — il suffit simplement d’avoir de la mémoire. Eh bien, on a essayé en occultisme la même chose, de faire des combinaisons de sons, de lettres, de chiffres, de mots, qui ont, par leurs propres qualités, le pouvoir d’obtenir un résultat. Ainsi, le premier imbécile venu, s’il apprend cela et qu’il fasse exactement ce qu’on lui dit, obtient (ou croit obtenir) le résultat qu’il veut obtenir. Tandis que... Prenons par exemple le mantra, qui est un occultisme; à moins que le mantra ne soit donné par un guru et que le guru ne vous passe son pouvoir occulte ou spirituel avec le mantra, vous pouvez répéter votre mantra des milliers de fois, il n’aura aucun effet.
C’est-à-dire que dans le vrai occultisme, il faut avoir la qualité, la capacité, le don intérieur pour l’utiliser, et c’est cela la sauvegarde. Le vrai occultisme, le premier imbécile venu ne peut pas le faire. Et ce n’est plus de la magie — ni de la magie blanche, ni de la magie noire, ni de la magie dorée —, ce n’est plus de la magie du tout, c’est un pouvoir spirituel qu’il faut acquérir par une longue discipline; et finalement, qui ne vous est donné que par une grâce divine.
C’est-à-dire que dès que l’on approche de la Vérité, on est à l’abri de tout charlatanisme, de toute prétention et de tout mensonge. De cela, j’ai eu des preuves nombreuses et extrêmement concluantes. Et alors, celui qui a le pouvoir occulte véritable possède en même temps, par la puissance de cette vérité intérieure, le pouvoir de défaire toutes les magies blanches ou noires, ou de quelque couleur qu’elles soient, simplement par l’application d’une goutte de cette vérité, pourrait-on dire. Il n’y a rien qui puisse résister à ce pouvoir-là. Et ceci est fort connu de tous ceux qui pratiquent la magie, parce qu’ils ont toujours très grand soin, dans tous les pays mais plus particulièrement dans l’Inde, de ne jamais essayer aucune de leurs formules contre des yogis ou des saints, parce qu’ils savent que ces formules, qu’ils envoient avec leur petit pouvoir mécanique très superficiel, viendront frapper, comme une balle sur un mur, le vrai pouvoir qui protège celui qui a une vie spirituelle, et tout naturellement leur formule rebondira et retombera sur eux.
Le yogi ou le saint n’a rien à faire, il n’a même pas à vouloir se protéger: c’est une chose automatique. Il est dans un état de conscience et de pouvoir intérieur qui le protège automatiquement de tout ce qui est inférieur. Naturellement, il peut aussi volontairement utiliser son pouvoir pour en protéger d’autres. Ce rebondissement de la mauvaise formation contre son atmosphère le protège, lui, automatiquement, mais si cette mauvaise formation est faite contre quelqu’un qu’il protège ou qui simplement demande son aide, alors il peut, par un mouvement de sa propre atmosphère, de sa propre aura, entourer la personne qui est en butte aux maléfices magiques, et le procédé de rebondissement agit de la même manière et fait que la formation mauvaise retombe tout naturellement sur celui qui l’a faite. Mais dans ce cas, la volonté consciente du yogi ou du saint ou du sage est nécessaire. Il faut qu’il soit mis au courant de l’événement et qu’il décide d’intervenir.
Voilà la différence entre la vraie connaissance et la magie.
Autre chose?... C’est tout?
Mère, est-ce que la science physique, par son progrès, peut s’ouvrir à l’occultisme?
Elle ne l’appelle pas «occultisme», c’est tout. C’est seulement une question de mots... Ils sont en train de faire des découvertes sensationnelles que ceux qui avaient la connaissance occulte savaient déjà il y a des milliers d’années! Ils ont fait un long circuit et ils arrivent à la même chose.
Avec les découvertes tout à fait récentes de la médecine, de la science appliquée, par exemple, ils sont en train de toucher comme cela, avec un intérêt émerveillé, des choses qui ont été connues par certains sages il y a extrêmement longtemps. Et alors, ils vous donnent cela comme des merveilles nouvelles — mais enfin elles sont un peu vieilles, leurs merveilles!
Ils finiront par faire de l’occultisme sans savoir qu’ils en font! Parce que, au fond, dès que l’on s’approche tant soit peu de la vérité des choses, et quand on est sincère dans sa recherche, que l’on ne se contente pas seulement des apparences, que l’on veut vraiment trouver quelque chose, on s’enfonce, on s’enfonce derrière les apparences, alors on commence à avancer vers la vérité des choses; et à mesure que l’on s’approche de ça, eh bien, on retrouve la même connaissance que d’autres, qui ont commencé par entrer au-dedans, ont rapporté de leurs découvertes intérieures.
C’est seulement la méthode et le chemin qui sont différents, mais la chose découverte sera la même, parce qu’il n’y en a pas deux à découvrir, il n’y en a qu’une. Forcément ce sera la même. Tout dépend du chemin que l’on suit; les uns vont vite, les autres vont lentement, les uns vont direct, les autres font (comme je dis) un grand circuit, et combien de travail! Comme ils ont travaillé!... C’est très respectable, d’ailleurs.
(silence)
Maintenant, ils sont en train de découvrir qu’avec l’hypnotisme, ils peuvent remplacer les anesthésiques avec des résultats infiniment meilleurs. Eh bien, l’hypnotisme est une forme — une forme rendue moderne par l’expression — de l’occultisme; une forme très limitée, très petite, d’un pouvoir tout à fait exigu en comparaison du pouvoir occulte, mais enfin c’est une forme d’occultisme sur laquelle on a mis des mots modernes pour rendre la chose moderne. Et je ne sais pas si vous êtes au courant de cela, mais c’est très intéressant à un certain point de vue: par exemple, on a essayé ce procédé d’hypnotisme pour quelqu’un à qui l’on voulait faire une greffe de la peau sur une blessure. Je ne me souviens plus des détails, mais il fallait que le bras reste pendant quinze jours attaché à la jambe... Si l’on procède en vous immobilisant par du plâtre et des bandages et toutes sortes de choses, lorsque les quinze jours sont passés, vous ne pouvez plus bouger — tout est ankylosé et il vous faut des semaines et des traitements pour pouvoir recouvrer le libre usage de votre bras. Dans ce cas-là, on n’avait rien lié, rien immobilisé matériellement — pas de plâtre, pas de bandages, rien —, on avait simplement hypnotisé la personne et on lui avait dit de tenir son bras comme cela. Elle l’a tenu pendant les quinze jours, sans effort, sans difficulté, sans que sa volonté ait besoin d’intervenir: c’était la volonté de celui qui l’avait hypnotisée qui intervenait. Ça a parfaitement réussi, le bras est resté dans la position voulue, et, quand les quinze jours ont été passés et que l’on a défait l’hypnotisme, qu’on a dit à la personne: «Maintenant, vous pouvez bouger», elle s’est mise à bouger! Eh bien, c’est un progrès.
On va se rencontrer bientôt, ce ne sera plus du tout qu’une question de mots — alors, si l’on n’est pas trop obstiné, on peut s’entendre sur la valeur des mots!
Douce Mère, on dit que l’hypnotisme a un mauvais effet, après, sur la personne hypnotisée?
Non, non! Si quelqu’un fait de l’hypnotisme pour imposer sa volonté à un autre, évidemment cela peut faire beaucoup de mal à l’autre, mais nous parlons d’un hypnotisme qui est fait d’une façon «humanitaire», pourrait-on dire, et pour des raisons précises.
On peut éviter tout mauvais effet si celui qui le fait n’a pas de mauvaises intentions.
Si vous employez des formules chimiques d’une façon ignorante, vous pouvez produire une explosion, (rires) et ça c’est très dangereux! Eh bien, si vous employez des formules occultes avec ignorance — ou avec égoïsme, ce qui est encore pire que l’ignorance —, vous pouvez aussi avoir des effets maléfiques. Mais ce n’est pas que l’occultisme soit mauvais, ni que l’hypnotisme soit mauvais, ni que la chimie soit mauvaise. Vous n’allez pas bannir la chimie parce qu’il y a des gens qui font des explosions! (rires)
Pour apprendre l’occultisme, il faut avoir des qualités spéciales, n’est-ce pas, tandis que pour apprendre la science...
Mais pour toute chose, il faut avoir des qualités spéciales!
La connaissance scientifique est à la portée générale.
Écoutez, si vous n’êtes pas artiste, vous pouvez travailler pendant des années avec des brosses, des pinceaux, des couleurs, des toiles, et dépenser beaucoup d’argent et beaucoup d’efforts — et faire des choses horribles. Si vous n’êtes pas musicien, vous pouvez vous atteler pendant des heures à jouer du piano et vous ne ferez jamais rien de convenable. Il faut toujours des qualités spéciales... Mais même un athlète; si vous n’êtes pas né athlète, vous pouvez bien essayer tant que vous voulez, vous ne réussirez qu’à une chose tout à fait moyenne et ordinaire. Ce sera mieux que celui qui n’essaye pas, mais cela ne veut pas dire qu’automatiquement vous allez réussir. D’ailleurs, si l’on va un pas plus loin, tout le monde possède au-dedans de soi des possibilités innombrables, que l’on ignore et qui ne se développent que si l’on fait ce qu’il faut, de la manière qu’il faut... Mais il y a deux genres de progrès, il n’y en a pas un seul; il y a le progrès qui consiste à rendre plus parfaites les possibilités, les capacités, les facultés et les qualités que l’on a — c’est généralement ce que l’on obtient par l’éducation; mais si vous faites un développement un peu plus approfondi, en vous approchant d’une vérité plus profonde, vous pouvez ajouter aux qualités que vous avez des qualités nouvelles qui sont comme endormies dans votre être.
Vous pouvez multiplier vos possibilités, les agrandir, les augmenter; vous pouvez faire surgir tout d’un coup quelque chose que vous ne pensiez pas avoir. Je vous ai expliqué cela déjà plusieurs fois. Quand on découvre son être psychique au-dedans de soi, en même temps, il y a des choses que l’on ne pouvait pas du tout faire et que l’on croyait ne pas avoir dans sa nature, qui se développent et qui se manifestent d’une façon tout à fait inattendue. De cela aussi, j’ai eu des exemples multiples. Je vous en ai donné un, que je vous répète encore une fois pour me faire comprendre.
Je connaissais une jeune fille qui était née dans un milieu très ordinaire, qui n’avait pas reçu beaucoup d’éducation et qui écrivait un français plutôt maladroit, qui n’avait pas cultivé son imagination et qui n’avait absolument aucun sens littéraire: ça paraissait être parmi les possibilités qu’elle n’avait pas. Eh bien, quand elle a eu cette expérience intérieure du contact avec son être psychique, et tant que le contact était vivant et très présent, elle écrivait des choses admirables. Quand elle retombait de cet état dans un état ordinaire, elle ne savait même pas mettre deux phrases ensemble d’une façon correcte! Et j’ai eu les deux choses dans les mains.
On a un génie au-dedans de soi — on ne le sait pas.
Il faut trouver le moyen de le faire sortir... Mais il est là qui dort — il ne demande pas mieux que de se manifester, il faut lui ouvrir la porte.