Mère
Entretiens
Le 30 juillet 1958
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Douce Mère, quelles sortes de forces peut-on appeler par la planchette, et comment fait-on?
Oh! oh!... Tu veux dire l’écriture automatique?
Oui, Mère.
Cela dépend des gens qui le font. Quelquefois, il n’y a pas de forces du tout! Ce sont les vibrations mentales et vitales des gens qui font marcher la planchette, et ce sont leurs idées subconscientes qu’ils font venir, quatre-vingt-dix-huit fois sur cent1. S’ils sont en rapport avec des entités invisibles, ce peut être toutes sortes de choses, mais rien de très recommandable!
D’une façon presque absolue, on peut dire que ce n’est pas ce que les gens pensent, en ce sens que le plus souvent ils essayent d’évoquer ce qu’ils appellent «l’esprit» d’un mort, un membre de leur famille ou un ami, ou enfin quelqu’un qu’ils aimaient et avec qui ils veulent rester en rapport; et ils leur posent d’ailleurs les questions les plus imbéciles — heureusement qu’ils ne réussissent pas à les déranger...
De ce point de vue, on peut dire que si vous aviez une relation d’amour profond et sincère avec quelqu’un qui est parti, qui a quitté son corps, et que vous soyez vous-même dans un état de calme et de force suffisant, cette personne peut choisir de prendre refuge vitalement, pour un temps plus ou moins long, dans votre atmosphère (l’atmosphère de la personne qu’il aime). Dans ce cas, cela implique que la relation était très proche, très intime, et si vous n’êtes pas tout à fait matériel au point de n’avoir aucune perception mentale directe, vous pouvez rester en rapport mental avec cette personne, en communication avec elle. C’est un cas assez rare parce que, généralement, si votre atmosphère est suffisamment calme et forte pour qu’elle puisse vraiment servir de protection, la personne qui a quitté son corps y entre dans un repos profond, qu’il est tout à fait mauvais de troubler; et la meilleure chose que vous puissiez faire, c’est d’envelopper cette personne de votre amour et de la laisser tranquille.
Par conséquent, même s’il était possible d’entrer en communication avec elle par ce moyen, que je peux appeler très grossier, il serait malséant de le faire. Mais généralement, les gens qui ont en eux les capacités, les facultés nécessaires pour pouvoir servir d’abri pendant un temps, un abri de transition, à ceux qui sont partis, n’ont pas l’idée saugrenue de déranger le repos de celui qu’ils aiment en faisant tapoter une planchette... heureusement!
Mais ceux qui se livrent à cet exercice, qui est un exercice de curiosité malséante, ils ont ce qu’ils méritent, c’est-à-dire que l’atmosphère dans laquelle nous vivons est remplie d’une quantité de petites entités vitales qui sont le produit de désirs inassouvis, de mouvements vitaux d’un ordre tout à fait inférieur, aussi de décompositions d’êtres du vital plus importants — enfin cela grouille, n’est-ce pas, c’est certainement une protection qui fait que la majorité des gens ne voit pas ce qui se passe dans cette atmosphère vitale parce que ce n’est pas extrêmement plaisant —, mais s’ils ont l’outrecuidance de vouloir entrer en rapport avec elle et qu’ils se mettent à vouloir faire de l’écriture automatique ou tourner des tables ou... enfin n’importe quoi de ce genre, par une curiosité malsaine, eh bien, ce qui arrive, c’est qu’une ou plusieurs de ces petites entités s’amusent à leurs dépens et ramassent dans leur subconscient mental toutes les indications nécessaires, puis leur fournissent ça comme des preuves évidentes qu’elles sont la personne qu’ils ont appelée!
Ça, je pourrais vous écrire un livre avec tous les exemples que j’ai eus de ces histoires, parce que les gens sont très fiers quand ils font des choses comme cela et ils écrivent tout de suite en donnant des «preuves» de la véracité de l’expérience, qui sont tellement saugrenues qu’elles devraient suffire à leur montrer que quelqu’un s’est moqué d’eux! J’ai eu encore un exemple tout dernièrement, de quelqu’un, une personne, qui s’était imaginée être entrée en rapport avec Sri Aurobindo qui lui avait fait des révélations sensationnelles — c’était d’un comique achevé.
Mais en tout cas, d’une façon générale, ce sont (oh! le plus souvent), ce sont vos propres forces, vos forces mentales, vos forces vitales, subconscientes, que vous mettez dans la planchette, et vous vous faites à vous-même des révélations sensationnelles! On peut faire beaucoup de choses comme cela... Il y avait un temps où, justement, je voulais prouver aux gens que ce qu’ils évoquaient n’était pas autre chose qu’eux-mêmes; alors je me suis amusée, simplement par une concentration de volonté, à donner des coups dans les meubles, à faire marcher des tables et enfin... Quant à l’écriture automatique, vous n’avez qu’à reculer votre volonté consciente au-dedans de vous, laisser votre main, n’est-ce pas, comme cela, (geste) et puis laisser faire, et alors la main se mettra à faire des mouvements; puis il y a un petit coin qui est intéressé et qui voudrait que ces mouvements aient un sens, et ce petit coin fait appel à un subconscient mental, qui se met à faire des révélations sensationnelles. Enfin, c’est un attrape-nigaud, toute cette affaire. À moins qu’on ne le fasse scientifiquement, mais alors, scientifiquement, on s’aperçoit que ça ne mène à rien, rien du tout, qu’à passer votre temps d’une façon que vous croyez intéressante.
Il y a des cas où ce sont vraiment des entités vitales qui s’emparent de vous, et là, c’est dangereux. Mais heureusement, ces cas ne sont pas très fréquents. Alors, cela devient très dangereux.
Il y a fort longtemps, quand j’étais en France, j’ai eu l’exemple d’un homme qui, par des pratiques de ce genre, s’était mis en rapport avec une entité vitale. Il se trouve que cet homme était un joueur et qu’il passait son temps à faire des spéculations et à jouer à la roulette. Il passait une partie de l’année à Monte-Carlo, il y jouait à la roulette, et l’autre partie, il habitait dans le sud de la France et il faisait des spéculations à la Bourse. Et alors, il y avait véritablement quelqu’un qui se servait (c’était de l’écriture automatique), qui se servait de lui et qui pendant des années lui donnait des indications absolument précises, exactes. Quand il jouait à la roulette, il lui disait: «Mettez sur ce chiffre ou mettez sur cet endroit», et il gagnait. Naturellement, il était en adoration devant cet «esprit» qui lui faisait des révélations si sensationnelles. Et à la Bourse, il lui disait aussi: «Jouez là-dessus ou jouez làdessus», et il lui donnait toutes les indications. Cet homme était devenu colossalement riche. Il se vantait à tous ses amis de la méthode par laquelle il s’était enrichi.
Quelqu’un l’a mis en garde, lui a dit: «Faites attention, ça n’a pas l’air très honnête, vous devriez vous méfier de cet esprit.» Il s’est brouillé avec cette personne. Quelques jours après, il était à Monte-Carlo et... Il jouait toujours gros jeu, n’est-ce pas, puisque, forcément, il gagnait toujours, il faisait sauter la banque, on le craignait beaucoup. Alors l’esprit lui a dit: «Mets tout, tout ce que tu as là-dessus.» Il l’a fait, et d’un seul coup il a tout perdu! Et puis, il lui restait encore l’argent de ses spéculations boursières. Il s’est dit: «C’est une malchance.» Il a reçu aussi une indication très précise: «Faites comme ça», comme d’habitude. Et il l’a fait — tout nettoyé! Et pour finir, l’esprit lui a dit (il faut bien s’amuser): «Maintenant, tu vas te suicider. Tire-toi un coup de feu dans la tête», et il était tellement soumis qu’il l’a fait... Voilà la fin de l’histoire. Et ça, c’est une histoire authentique. Alors, le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est dangereux, il vaut beaucoup mieux ne pas se livrer à des occupations de ce genre.
Non! ou bien ce sont des amusements qui n’ont pas beaucoup de sens, ou bien ce sont des occupations malsaines.
Mère, Sri Aurobindo a écrit le livre «Yogic Sadhan» de cette façon...
Non, non! Ce n’est pas du tout cela. Il ne faut pas confondre les choses. Ça, c’est autre chose. Sri Aurobindo savait avec qui il était en rapport, il l’a fait volontairement et il a choisi la personne avec laquelle il était en rapport, et cela n’avait rien à voir avec les petites entités dont je parle en ce moment, pas du tout, du tout. C’était quelque chose qui se passait dans le monde mental directement, il ne faut pas faire de confusions. Cela n’a aucun rapport, rien du tout.
(silence)
On peut, si on a la connaissance, le contrôle, le pouvoir, et que l’on ait la capacité de se mettre dans certains états de passivité, on peut très bien prêter sa main à quelqu’un volontairement, sachant qui c’est et dans un plan supérieur, mais cela exige déjà une grande conscience et une grande maîtrise de soi, ce qui n’est pas à la portée de n’importe qui. Il faut avoir un développement intérieur assez considérable pour pouvoir voir à qui l’on a affaire sur un plan spécial, et se prêter volontairement à l’expérience en toute connaissance de cause et sans perdre son contrôle. N’importe qui ne peut pas s’amuser à cela. Tandis que pour faire marcher la planchette, il suffit seulement de se tromper soi-même suffisamment pour que ça marche!
Ce que vous dites maintenant, Mère, est-ce que cela fait partie des sciences occultes?
C’était simplement pour faire l’expérience, c’est tout.
(silence)
Ce n’est pas une bonne voie d’approche, d’une façon générale, parce que, dans le domaine intérieur, du développement intérieur, cela correspond au besoin qu’ont les gens de lire des romans. Ceux qui n’ont pas un mental suffisamment développé, un mental qui est encore dans un état tâmasique et à moitié inerte, ont besoin de lire des romans pour se réveiller. Ce n’est pas la preuve d’un état très recommandable, ou en tout cas très élevé. Eh bien, dans le domaine du développement intérieur, cela correspond à la même chose. Quand on est dans un état très rudimentaire, que l’on n’a pas de vie intérieure intense, on a besoin de lire des romans, ou de se fabriquer à soi-même des romans, et alors on se livre à des expériences de ce genre et on croit que l’on fait des choses très intéressantes... C’est du même intérêt que les romans — pas même les romans littéraires, mais les romans-feuilletons, ceux qui se publient à la dernière page des journaux.
Sri Aurobindo m’a dit que certaines gens avaient besoin de cela parce que leur mental était tellement inerte que ça leur donnait des secousses comme cela, et ça les réveillait un peu!
Eh bien, c’est la même chose. Il y a des gens qui peuvent avoir besoin de faire des exercices de ce genre pour réveiller un peu leur vital qui est somnolent et inerte et... ça leur donne un petit intérêt dans la vie. Mais enfin, on ne peut pas dire que ce soient des occupations de grande valeur. Ce sont des passe-temps, des amusements.
Et cela n’a jamais servi à prouver quoi que ce soit à personne. On pourrait dire: «Oh! c’est pour vous faire comprendre qu’il y a une vie intérieure, une vie invisible, et que cela vous met en rapport avec des choses que vous ne voyez pas et cela vous donne la preuve que ça existe» — ce n’est pas vrai.
À moins que vous n’ayez au-dedans de vous un être spirituel capable de s’éveiller et de vivre sa vie propre, toutes ces choses ne vous apprennent rien du tout. J’ai connu des gens... j’en ai connu un spécialement, qui était un homme scientifique, intelligent, de valeur, qui avait fait des études supérieures au point de vue scientifique, qui était devenu un ingénieur et qui avait une position importante; cet homme faisait partie d’une société que l’on appelle «spirite», laquelle avait découvert un médium qui vraiment avait des capacités tout à fait exceptionnelles. Et il assistait à toutes les séances avec l’intention d’apprendre, pour se convaincre et avoir des preuves tangibles de l’existence d’un monde invisible, de l’existence concrète et réelle d’un monde invisible. Il avait vu tout ce que l’on peut voir, sous le contrôle le plus sévère, de la façon la plus scientifique possible — tous les contrôles étaient prévus, jusque dans le moindre détail. Il m’a raconté les choses les plus extraordinaires qu’il avait vues; j’ai eu dans ma main un morceau de quelque chose qui ressemblait à ce que l’on fait maintenant, ces étoffes en plastique, qui ne sont pas tissées, un morceau de plastique (mais de ce temps-là on ne faisait pas de plastique, ça n’avait pas encore été découvert, il y a très longtemps), je l’ai eu dans ma main, un morceau comme cela, déchiré, avec un petit dessin qui était très joli. Il m’a raconté comment cela s’était passé. Quand le médium avait été mis en transe, une personne était apparue, vêtue d’une robe de cette substance (c’était une matérialisation), cette personne avait passé devant lui, et, comme une petite brute qu’il était, il a arraché un morceau pour avoir une preuve, et il a gardé le morceau. Le médium a hurlé — et tout, tout a disparu immédiatement... Mais le morceau était dans sa main et il me l’a donné. Je le lui ai rendu. Il me l’a montré simplement, je l’ai eu dans la main.
C’était donc une chose tout à fait concrète, n’est-ce pas, puisque le morceau, il l’avait encore; il ne pouvait pas se dire que c’était une hallucination. Eh bien, malgré tout cela, malgré les histoires les plus extraordinaires dont on pourrait faire un livre, il ne croyait à rien! Il ne pouvait rien expliquer. Et il se demandait qui était fou, si c’était lui ou si c’étaient les autres ou si c’était... Cela n’avait pas fait avancer sa connaissance de la moitié d’un pas.
On ne peut croire à ces choses que quand on les porte en soi.
Toutes les preuves extérieures que vous aurez ne vous donneront jamais une connaissance. Quand vous êtes vous-même développé intérieurement, que vous êtes capable d’avoir un rapport direct et interne avec ces choses, alors vous savez ce qu’elles sont, mais aucune preuve matérielle ne peut — matérielle et de ce genre — ne peut vous donner la connaissance si vous n’avez pas l’être au-dedans de vous, capable d’avoir cette connaissance.
Par conséquent, la conclusion, c’est que ce genre d’expérience est tout à fait inutile. Parce que ceux qui ont un être intérieur, un jour où l’autre la vie se chargera de les éveiller et de les mettre en rapport avec ce qu’il faut pour qu’ils sachent.
Je considère cela comme une curiosité malsaine, c’est tout.
1 Plus tard, Mère a ajouté la remarque suivante: «Je dis quatre-vingt-dix pour cent, parce qu’il y a des exceptions — j’en connais —, mais elles sont si rares qu’il vaut mieux ne pas en parler.»