Mère
Entretiens
Le 16 juillet 1958
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«... la vraie raison d’être de la religion est de préparer l’existence mentale, vitale et corporelle de l’homme pour que la conscience spirituelle en prenne la charge; elle doit le conduire jusqu’à ce stade où la lumière spirituelle intérieure commence à pleinement émerger. C’est alors que la religion doit apprendre à se subordonner, à ne pas insister sur les caractères extérieurs, mais à laisser le champ libre à l’esprit intérieur pour qu’il développe lui-meme sa propre vérité et sa propre réalité. En attendant, elle doit autant qu’elle le peut, prendre en main le mental, le vital et le physique de l’homme, et donner à toutes leurs activités une orientation spirituelle, leur révéler leur propre signification spirituelle, leur apporter l’empreinte d’un raffinement spirituel, un premier caractère spirituel. C’est avec cette tentative que les erreurs s’introduisent dans la religion, car elles sont causées par la nature même de la matière dont celle-ci s’occupe — cette matière inférieure envahit les formes mêmes qui doivent servir d’intermédiaire entre la conscience spirituelle et la conscience mentale, vitale ou physique, et souvent les amoindrit, les dégrade et les corrompt. C’est pourtant dans cette tentative que se trouve la plus grande utilité de la religion en tant que médiatrice entre l’Esprit et la nature humaine. La vérité et l’erreur vivent toujours côte à côte dans l’évolution humaine et la vérité ne doit pas être rejetée à cause des erreurs qui l’accompagnent, quoique celles-ci doivent être éliminées. C’est souvent une tâche difficile, et si elle est brutalement accomplie, il en résulte un dommage chirurgical pour le corps de la religion — car ce que nous considérons comme une erreur est très fréquemment le symbole ou le masque d’une vérité, sa corruption ou sa déformation, et cette vérité est perdue dans la brutalité radicale de l’opération —, elle est amputée en même temps que l’erreur. La Nature elle-même permet très communément à l’ivraie et autres mauvaises herbes de pousser en même temps que le bon grain, et pendant longtemps, car c’est ainsi seulement que sa propre croissance, sa libre évolution est possible.» (L’Évolution spirituelle, p. 50-51)
Douce Mère, dans la vie de l’homme ordinaire, la religion est-elle une nécessité?
Dans la vie des sociétés, c’est une nécessité, parce qu’elle sert de correctif à l’égoïsme collectif qui, sans ce contrôle, pourrait prendre des proportions excessives.
Le niveau de conscience collectif est toujours plus bas que le niveau individuel. Il est très remarquable que, par exemple, quand des hommes se réunissent en groupe ou qu’ils sont assemblés en grand nombre, le niveau de conscience descend beaucoup. La conscience des foules est très inférieure à la conscience individuelle, et la conscience collective de la société est certainement inférieure à la conscience des individus qui la composent.
Là, c’est une nécessité. Dans la vie ordinaire, qu’il le sache ou ne le sache pas, un individu a toujours une religion, mais l’objet de sa religion est quelquefois d’un ordre tout à fait inférieur... Le dieu qu’il adore peut être le dieu du succès ou le dieu de l’argent ou le dieu du pouvoir, ou simplement un dieu familial: le dieu des enfants, le dieu de la famille, le dieu des ancêtres. Il y a toujours une religion. La qualité de la religion est très différente suivant les individus, mais il est difficile pour un être humain de vivre et de continuer à vivre, de persister dans la vie, sans avoir quelque chose comme un rudiment d’idéal qui serve de centre à son existence. La plupart du temps il ne le sait pas, et si on lui demandait quel est son idéal, il serait dans l’incapacité de le formuler, mais il en a un vaguement, quelque chose qui lui paraît la chose la plus précieuse dans l’existence.
Pour la majorité des gens, c’est la sécurité, par exemple: vivre en sécurité, être dans des conditions où l’on est assuré de pouvoir continuer à exister. C’est l’un des grands «buts», si l’on peut dire, un des grands mobiles de l’effort humain. Il y a des gens pour qui le confort est la chose importante; pour d’autres, c’est le plaisir, l’amusement.
Tout cela est très bas et on ne serait pas tenté d’y donner le nom d’idéal, mais c’est vraiment une forme de religion, quelque chose qui peut paraître mériter que l’on y consacre sa vie... Il y a beaucoup d’influences qui cherchent à s’imposer aux individus humains en se servant de cela pour base. Ce sentiment d’insécurité, d’incertitude, est une sorte d’outil, de moyen qui est employé par les groupes politiques ou religieux pour influencer les individus. On joue sur ces idées.
Chaque idée politique humaine ou chaque idée sociale est une sorte d’expression inférieure d’un idéal qui est une religion rudimentaire. Dès qu’il y a faculté de penser, il y a nécessairement aspiration à quelque chose de supérieur à l’existence quotidienne la plus brutale, de chaque minute, et c’est cela qui donne l’énergie et la possibilité de vivre.
Naturellement, on pourrait dire qu’il en est des individus comme des collectivités, que leur valeur est justement proportionnelle à la valeur de leur idéal, de leur religion, c’est-à-dire de la chose qu’ils mettent au sommet de leur existence.
Naturellement, si, en parlant de religion, on veut dire les religions reconnues, à dire vrai, qu’on le sache ou qu’on ne le sache pas, chacun a sa propre religion, même quand il appartient à ces grandes religions qui ont un nom et une histoire. Il est certain que même si l’on apprend par coeur des dogmes et que l’on se soumette à un rituel prescrit, chacun comprend à sa manière et agit à sa manière, et c’est seulement le nom de la religion qui est le même, mais cette même religion n’est pas la même chez tous les individus qui croient la pratiquer.
On peut dire que sans quelque expression de cette aspiration vers l’inconnu et le supérieur, l’existence humaine serait très difficile. S’il n’y avait pas au fond de chaque être l’espoir de quelque chose de meilleur (de quelque ordre que ce soit), il aurait difficilement l’énergie nécessaire pour continuer à vivre.
(silence)
Mais comme il y a fort peu d’individus qui soient capables de penser librement, il est beaucoup plus facile de se rallier à une religion, de l’accepter, de l’adopter et de faire partie de cette collectivité religieuse, que de se formuler à soi-même son propre culte. Alors, apparemment, on est ceci ou cela, mais au fond ce n’est qu’une apparence.