Mère
Entretiens
Le 2 octobre 1957
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«Le caractère essentiel du Supramental est une Conscience-de-Vérité qui a la connaissance de par sa nature même et de plein droit, par sa propre lumière: il n’a pas à atteindre la connaissance, il la possède. Certes, surtout dans son action évolutive, il peut garder sa connaissance derrière sa conscience apparente et l’amener au premier plan comme de derrière un voile, mais même alors, ce voile n’est qu’une apparence et n’existe pas réellement: la connaissance était toujours là, dans la conscience qui la possédait et qui maintenant la révèle [...] Dans le Mental de Lumière, quand il est complet, ce caractère de Vérité se révèle aussi, bien qu’à travers un vêtement transparent, même quand il semble couvrir, car c’est encore une conscience-de-vérité et un pouvoir de connaissance. Il procède aussi du Supramental et dépend de lui, bien qu’il soit limité et subordonné. Ce que nous avons appelé spécifiquement le Mental de Lumière est en fait le dernier d’une série de plans de conscience descendants où le Supramental se voile en se limitant volontairement ou en modifiant les activités par lesquelles il se manifeste, mais son caractère essentiel reste le même: c’est une action de lumière, de vérité, de connaissance, dans laquelle l’inconscience, l’ignorance et l’erreur ne peuvent prétendre à aucune place. Il procède de connaissance en connaissance; nous n’avons pas encore traversé la frontière de la vérité consciente pour entrer dans l’ignorance.» (La Manifestation Supramentale, chap. VII)
Douce Mère, je n’ai pas compris ce passage: «Dans le Mental de Lumière, quand il est complet, ce caractère de Vérité se révèle aussi, bien qu’à travers un vêtement transparent, même quand il semble couvrir...»
Et alors?... Qu’est-ce que tu n’as pas compris?
Ce vêtement qui est transparent et...
C’est une image.
C’est à peu près comme ceci. Dans la vision supramentale, on a une connaissance directe et totale et immédiate des choses, dans le sens que l’on voit tout en même temps, complet en soi-même, total. La vérité d’une chose sous tous ses aspects en même temps et... simultanés, complets. Et dès que l’on veut expliquer cela, ou le décrire, on est obligé pour ainsi dire de descendre à un plan, qu’il appelle ici le «Mental de Lumière», où les choses doivent être dites, ou même pensées, ou exprimées, l’une après l’autre, dans un certain ordre et dans une certaine relation les unes avec les autres; la simultanéité disparaît parce que, dans la condition actuelle de notre mode d’expression, dire tout en même temps, d’un seul coup, est impossible, et nous sommes obligés de voiler une partie de ce que nous voyons ou nous savons pour le faire sortir l’un après l’autre; et c’est cela qu’il appelle le «voile», qui est transparent puisqu’on voit tout, on sait tout en même temps, on a la connaissance totale d’une chose, mais on ne peut pas l’exprimer toute entière d’un seul coup. Il n’y a pas de mots ni de possibilités d’expression tant que nous sommes tels que nous sommes. Il faut nécessairement que nous nous servions d’un procédé inférieur pour nous exprimer, et cependant, en même temps, nous avons la connaissance totale; c’est seulement la nécessité de transmettre cette connaissance dans des mots, qui nous oblige à voiler, pour ainsi dire, une partie de ce que nous savons et à ne le laisser sortir que successivement. Mais c’est un voile transparent puisque nous connaissons la chose — nous la savons, nous la voyons, nous la connaissons dans sa totalité —, mais nous ne pouvons pas l’exprimer toute d’un seul coup. Il faut la dire l’une après l’autre, successivement. C’est le voile de l’expression appropriée à nos besoins, à la fois d’énonciation et de compréhension. La connaissance est là, elle est là effectivement — non pas que l’on soit en train de la chercher et que c’est à mesure qu’on la trouve qu’on l’exprime —, elle est là dans sa totalité, mais le besoin de l’expression fait qu’on doit la dire l’une après l’autre; et alors cela diminue naturellement cette omnipotence dont il parle, parce que c’est la vision totale de la chose s’exprimant dans sa totalité, qui est l’omnipotence. L’omniscience est là, en principe, elle est là, perceptible, mais le pouvoir total de cette omniscience ne peut pas agir puisqu’elle a besoin de descendre d’un plan pour pouvoir s’exprimer.
Tu saisis ce que je veux dire, oui?
Il faut, pour pouvoir vivre totalement dans la connaissance supramentale, avoir d’autres moyens d’expression que ceux que nous avons maintenant. Il faut que de nouveaux moyens d’expression s’élaborent pour pouvoir exprimer d’une façon supramentale la connaissance supramentale... Maintenant, nous sommes obligés d’élever notre capacité mentale à son maximum de façon qu’il n’y ait, pour ainsi dire, qu’une sorte de frontière à peine perceptible, mais qui existe parce que nos moyens d’expression appartiennent encore à ce monde mental, n’ont pas la capacité supramentale. Nous n’avons pas les organes nécessaires pour cela. Il faudrait devenir des êtres du Supramental, avec une substance supramentale, une organisation intérieure supramentale, pour pouvoir exprimer d’une façon supramentale la connaissance supramentale. Jusqu’à présent, nous sommes... à moitié; nous pouvons, quelque part dans notre conscience, émerger entièrement dans la vision et la connaissance supramentales, mais nous ne pouvons pas l’exprimer. Nous sommes obligés de redescendre d’un plan pour nous exprimer.
Alors, ce voile, qui est transparent même quand il semble couvrir, est transparent pour la conscience, n’est-ce pas, puisque la conscience voit et sait les choses d’une façon supramentale, mais une partie est voilée et ça ne sort que progressivement, parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Mais pour la conscience, c’est transparent, quoique dans l’apparence cela semble caché. C’est cela.
(silence)
On m’a posé des questions à propos du film que nous avons vu hier1... La première est tout au moins bizarre! Je la donne telle qu’elle est là. On me demande:
«Le vrai Bouddha que vous connaissez, dont vous parlez dans les “Prières et Méditations2”, est-il le même que celui dont on adore les statues?»
Les statues... Il y a des milliers de statues du Bouddha. Il y a le Bouddha tel qu’on le connaît dans l’Inde, il y a le Bouddha tel qu’on le connaît à Ceylan, il y a le Bouddha tel qu’on le connaît au Tibet, il y a le Bouddha tel qu’on le connaît en Chine, au Cambodge, en Thaïlande, au Japon et ailleurs. Si vous parlez de la question historique, je pense que tous vous diraient que c’est le Bouddha Gautama de l’Inde qu’ils prient, mais en fait, chacune de ces branches du bouddhisme, et beaucoup d’autres, ont chacune leur conception du Bouddha, et c’est la conception d’une divinité que l’on adore dans les statues, beaucoup plus qu’un être divin, alors... Si vous me montrez une statue et si vous me dites: «Dans cette statue, est-ce qu’il y a l’influence ou la présence du Bouddha tel que vous le connaissez?», je pourrai vous répondre oui ou non; mais quand vous me dites «dont on adore les statues», je ne peux pas vous répondre, parce que cela dépend de ce qu’ils ont attiré dans la statue qu’ils adorent. Historiquement, c’est toujours le même nom, mais en fait je ne sais pas si c’est toujours la même personne spirituelle! Alors je ne peux pas vous répondre.
Si vous me demandez «les statues que nous avons vues hier»... Vous avez vu combien il y en avait, et il y en avait qui étaient très, très différentes, c’était un Bouddha très différent. Il y en avait une que l’on nous a répétée très souvent et qui est tout à fait authentique, mais il y en a eu beaucoup d’autres qui représentaient au moins d’autres personnalités du Bouddha. Cela dépend de ce que vous voulez dire; si vous voulez dire historiquement, oui, ils disent toujours que c’est le Bouddha, mais chaque statue est différente.
Alors, voilà pour une question. Puis on passe à tout autre chose:
«De quelle manière l’enseignement du Bouddha peutil être maintenant un obstacle ou une aide pour l’humanité sur le chemin de la supramentalisation?»
Tout ce qui aide l’humanité à faire un progrès est une aide, et tout ce qui l’empêche de faire un progrès est un obstacle!
En fait, vous demandez cela parce que nous étudions et méditons sur le Dhammapada3... Naturellement, j’ai pris ce texte parce que je considère qu’à un certain moment du développement il peut être très utile. C’est une discipline qui a été cristallisée dans certaines formules, et si l’on met à profit ces formules, cela peut être très utile, autrement je ne l’aurais pas pris. La mesure, cela dépend de chacun. Cela dépend s’il sait en tirer profit ou non.
Et puis la dernière question.
«Sri Aurobindo a dit que le Bouddha était un Avatâr...»
Nous avons dit cela plusieurs fois déjà.
Et alors là, cela devient très mystérieux:
«En dehors de l’enseignement du Bouddha, que reste-il de sa personnalité dans le monde?»
(S’adressant au disciple qui a posé la question) Pourquoi faites vous cette distinction?
Quand il est entré dans le Nirvâna, on a dit que son enseignement resterait dans les reliques maintenant.
Dans les reliques! Eh bien, alors, cela veut dire que les deux choses sont ensemble. Je ne vois pas pourquoi vous les séparez. Il y a quelque chose de son influence dans son enseignement naturellement! C’est l’enseignement qui transmet son influence dans le domaine mental.
Son action directe, en dehors de son enseignement, est limité à très peu de gens, qui sont des croyants très fervents et qui ont le pouvoir d’évocation. Autrement, la partie la plus importante de son action, la presque totalité de son action, est associée, unie, fondue à son enseignement. Il paraît difficile de faire une distinction.
(Après un silence) Les formes de la Puissance divine qui se sont incarnées en des êtres différents se sont incarnées dans un but spécial, pour une action spéciale, à un moment spécial du développement universel, mais essentiellement, ce sont seulement des aspects différenciés de l’Être unique; par conséquent, c’est dans la spécialisation de l’action qu’est la différence. Autrement, c’est toujours la même Vérité, la même Puissance, la même Vie éternelle qui se manifeste sous ces formes, et qui produit ces formes à un moment donné pour une raison spéciale et dans un but spécial; cela se perpétue dans l’Histoire, mais éternellement ce sont de nouvelles formes qui sont utilisées pour un progrès nouveau. Les anciennes formes peuvent se perpétuer comme une vibration se perpétue, mais leur raison d’être, on pourrait dire historiquement, était momentanée, et une forme est remplacée par une autre pour faire un pas nouveau. L’erreur de l’humanité, c’est de s’accrocher toujours à ce qui est en arrière et de vouloir perpétuer le passé indéfiniment. Il faut utiliser ces choses au moment où elles sont utiles. Car il y a une histoire de chaque développement individuel: vous pouvez passer par des étapes où ces disciplines ont leur utilité momentanée, mais quand vous avez dépassé ce moment-là, vous devez entrer dans autre chose et voir que cela, historiquement, a été utile, et maintenant ne l’est plus. Certainement, à ceux qui sont, par exemple, arrivés à un certain état de développement et de maîtrise mentale, je ne dirai pas: «Lisez le Dhammapada et méditez là-dessus», ce serait perdre du temps. Je le donne à ceux qui n’ont pas dépassé l’étape où c’est nécessaire.
Mais toujours, on se charge les épaules d’un fardeau interminable. On ne veut rien laisser tomber du passé et on est de plus en plus courbé sous le poids d’une accumulation inutile.
Vous avez un guide sur un morceau de chemin, mais quand vous avez passé ce morceau de chemin, laissez le chemin, et le guide, et allez plus loin! C’est une chose que l’humanité fait avec difficulté. Quand les hommes attrapent quelque chose qui les aide, ils s’accrochent, et puis ils ne veulent plus bouger. Ceux qui ont fait un progrès avec le christianisme ne veulent pas le laisser et ils le portent sur leurs épaules; ceux qui ont fait un progrès avec le bouddhisme ne veulent pas le laisser et le portent sur leurs épaules; et alors, cela alourdit la marche et cela vous retarde indéfiniment.
Une fois que vous avez passé l’étape, laissez-la tomber, qu’elle s’en aille! Allez plus loin.
Mère, le présent mouvement politico-religieux pour revivifier le bouddhisme...
Quoi? Oh! je ne fais pas de politique. C’est tout à fait inutile. On se sert des choses pour des besoins justement politiques, mais cela n’a aucun intérêt.
1 Il s’agit d’un documentaire anglais sur le Bouddha: Gautama Buddha.
2 Voir Prières et Méditations des 20 et 21 décembre 1916.
3 Depuis quelque temps, tous les vendredis avant la méditation, Mère lit quelques versets du Dhammapada, le texte le plus sacré de l’enseignement bouddhique.