Mère
Entretiens
Le 28 août 1957
This text will be replaced |
Mère, Sri Aurobindo a dit ici: «Que l’humanité tout entière soit touchée [par l’influence supramentale] ou seulement la partie prête pour le changement, dépend de ce qui est voulu ou possible dans l’ordre continu de l’univers.» (La Manifestation Supramentale, chap. IV)
Que veut dire «ce qui est voulu ou possible»? Les deux choses sont différentes. Jusqu’ici, vous avez dit que si l’humanité change, si elle veut faire partie de la nouvelle naissance...
C’est la même chose. Mais quand vous regardez un objet sur un certain plan, vous le voyez horizontalement, et quand vous regardez le même objet d’un autre plan, vous le voyez verticalement (Mère présente la couverture et le dos de son livre). Alors, si on regarde d’en haut, on dit «voulu»; si on regarde d’en bas, on dit «possible»... Mais c’est absolument la même chose, c’est seulement le point de vue qui est différent.
Mais dans ce cas, ce n’est pas notre incapacité ou le manque de volonté de changement qui peut faire quelque chose.
Nous avons déjà dit cela bien des fois. Si vous restez dans une conscience dont le fonctionnement est mental, même si c’est le mental le plus élevé, vous avez la notion d’un déterminisme absolu des causes et des effets, et que les choses sont ce qu’elles sont parce qu’elles sont ce qu’elles sont et qu’elles ne peuvent pas être autrement.
Ce n’est que lorsque vous sortez complètement de la conscience mentale et que vous entrez dans un sens supérieur — que vous pouvez appeler spirituel ou divin — des choses, que vous vous trouvez tout d’un coup dans un état de parfaite liberté où tout est possible.
(silence)
Ceux qui ont touché à cet état-là ou qui y ont vécu, ne serait-ce qu’un instant, essayent de le décrire par cette impression d’une Volonté absolue qui s’exerce et qui, pour la mentalité humaine, donne immédiatement le sens de l’arbitraire. Et c’est à cause de cette déformation-là qu’est née cette idée, que je pourrais appeler traditionnelle, d’un Dieu suprême arbitraire, qui est l’une des choses les plus inacceptables pour tout esprit éclairé. J’imagine que c’est cela, cette expérience mal exprimée, qui est à l’origine de cette notion. Et en fait, il est inexact d’exprimer cela comme une Volonté absolue: c’est très, très, très différent. C’est tout autre chose. Parce que ce que l’homme comprend par «volonté», c’est une décision qui est prise et qui est exécutée. Nous sommes obligés d’employer le mot volonté, mais dans sa vérité, la Volonté qui s’exerce dans l’univers n’est pas un choix ni une décision prise. Ce qui me semble l’expression la plus proche, c’est une vision. Les choses sont, parce qu’elles sont vues. Mais naturellement «vues», pas vues comme nous voyons avec ça (Mère touche ses yeux)... et tout de même, c’est ce qui est le plus proche. C’est une vision — une vision qui se déroule.
L’univers s’objective à mesure qu’il est vu.
Et c’est pour cela que Sri Aurobindo a dit «ou voulu ou possible». Ce n’est ni l’un ni l’autre. Tout ce que l’on peut dire déforme.
(silence)
L’objectivation — l’objectivation universelle — est quelque chose comme une projection dans l’espace et dans le temps, comme une image vivante de ce qui est de toute éternité. Et c’est à mesure que l’image est projetée dans l’écran du temps et de l’espace qu’elle s’objective.
Le Suprême qui contemple Son Image.