Mère
Entretiens
Le 31 juillet 1957
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Douce Mère, vendredi, tu as donné comme sujet de méditation: «Comment éveiller dans le corps l’aspiration au Divin.»
Oui.
Comment le faire, Douce Mère?
Il y a naturellement beaucoup de manières de le faire, et en fait, chacun doit trouver la sienne. Mais le point de départ peut être très différent, presque opposé dans son apparence.
Dans le temps, quand le yoga était une fuite hors de la vie, il était d’usage courant qu’à part quelques prédestinés, les gens ne pensaient au yoga que quand ils étaient vieux, qu’ils avaient beaucoup vécu, qu’ils avaient connu toutes les péripéties de la vie, ses plaisirs, ses chagrins, ses joies, ses misères, ses responsabilités, ses désillusions, enfin tout ce que la vie apporte généralement aux êtres humains, et naturellement cela les avait un peu désabusés de l’illusion des joies de l’existence; alors il étaient mûrs pour songer à autre chose, et leur corps, s’il n’était pas plein d’un enthousiasme juvénile (!), en tout cas n’était pas encombrant, parce que, ayant connu la satiété, il n’exigeait plus grand-chose... Prendre les choses par ce bout est très bien quand on veut quitter la vie spirituellement et que l’on n’attend d’elle aucune collaboration à la transformation. C’est évidemment le moyen le plus facile. Mais il est évident aussi que, si l’on veut que cette existence matérielle participe à la vie divine, qu’elle soit le champ d’action et de réalisation, il est préférable de ne pas attendre que l’usure permette au corps d’être suffisamment... tranquille pour ne pas gêner le yoga. Il vaut mieux, au contraire, le prendre tout jeune quand il est plein de toutes ses énergies et qu’il peut mettre une ardeur et une intensité suffisantes dans son aspiration. Dans ce cas-là, au lieu de s’appuyer sur une fatigue qui ne demande plus rien, il faut s’appuyer sur une sorte d’enthousiasme intérieur vers l’inconnu, le nouveau, la perfection. Et si l’on a la bonne fortune d’être dans des conditions où l’on peut recevoir une aide et une direction dès l’enfance, essayer, tout petit, de discerner entre les joies fugitives et les plaisirs superficiels que peut donner la vie, et cette chose merveilleuse que serait la vie, l’action, la croissance dans un monde de perfection et de vérité où toutes les limites ordinaires, toutes les incapacités ordinaires seraient abolies.
Quand on est petit et qu’on est ce que j’appelle «bien né», c’est-à-dire né avec un être psychique conscient en soi, il y a toujours, dans les rêves de l’enfant, cette sorte d’aspiration, qui pour sa conscience enfantine est une sorte d’ambition, de quelque chose qui serait une beauté sans laideur, une justice sans injustice, une bonté sans limite, et alors une réussite consciente, constante, le miracle perpétuel. On rêve de miracle quand on est petit, on veut que toute la méchanceté disparaisse, que tout soit toujours lumineux, beau, heureux, on aime les histoires qui finissent bien. C’est là-dessus qu’il faut s’appuyer. Quand le corps sent ses misères, ses limites, il faut y établir ce rêve d’une force qui n’aurait pas de limites, d’une beauté qui n’aurait pas de laideur, et de capacités merveilleuses: on rêve de pouvoir s’élever dans l’air, d’être là partout où c’est nécessaire, de rétablir l’ordre quand les choses vont mal, guérir les malades; enfin, on a toutes sortes de rêves quand on est tout petit... Généralement, les parents ou les éducateurs passent leur temps à jeter de l’eau froide là-dessus, en vous disant: «Oh! ça, c’est un rêve, ce n’est pas une réalité.» C’est juste le contraire qu’il faudrait faire! Il faudrait apprendre aux enfants: «Oui, c’est ça qu’il faut que tu essayes de réaliser, et non seulement c’est possible, mais c’est sûr si tu entres en rapport avec ce qui, en toi, est capable de cette chose. Il faut que ce soit ça qui dirige ta vie, qui l’organise, qui te fasse te développer dans le sens du vrai réel, que le monde ordinaire appelle illusion.»
Il faudrait, au lieu de rendre les enfants ordinaires, avec ce bon sens plat, vulgaire, qui devient une habitude invétérée et qui fait que quand quelque chose va bien, immédiatement, dans l’être, il y a l’idée: «Oh! ça ne va pas durer!», quand quelqu’un est gentil, l’impression: «Oh! ça va changer!», quand on est capable de faire quelque chose: «Oh! demain, je ne pourrai pas le faire si bien»... C’est cela qui est comme un acide, un acide destructif dans l’être, qui enlève l’espoir, la certitude, la confiance dans la possibilité future.
Quand un enfant est plein d’enthousiasme, jamais ne jetez de l’eau froide là-dessus, jamais ne lui dites: «Tu sais, ce n’est pas comme ça, la vie!» Il faudrait toujours l’encourager, lui dire: «Oui, maintenant les choses ne sont pas toujours comme cela, elles paraissent vilaines, mais derrière cela, il y a une beauté qui essaye de se réaliser. C’est cela qu’il faut que tu aimes, que tu attires; c’est cela dont il faut faire le sujet de tes rêves, de tes ambitions.»
Et cela, si on le fait tout petit, on a beaucoup moins de difficultés que si, après, il faut défaire, défaire tout le mauvais travail qu’a fait une mauvaise éducation, défaire cette espèce de bon sens plat et vulgaire qui fait que l’on n’attend rien de bon de la vie, qu’elle est insipide, ennuyeuse, que tous les espoirs, toutes les soi-disant illusions de beauté se trouvent contredites. Il faut, au contraire, dire à l’enfant (ou à soi-même si l’on n’est plus tout à fait un bébé): «C’est tout ce qui en moi semble irréel, impossible, illusoire, c’est ça qui est vrai, c’est ça qu’il faut que je cultive. Quand j’ai ces aspirations, oh! ne pas être tout le temps limité par une incapacité, tout le temps arrêté par une mauvaise volonté!»
Il faut cultiver en soi cette certitude que c’est ça qui est essentiellement vrai et que c’est ça qui doit se réaliser. Alors, la foi s’éveille dans les cellules du corps. Et vous verrez que vous trouverez une réponse dans votre corps lui-même. Lui-même, il sentira que si la volonté intérieure aide, fortifie, dirige, conduit, eh bien, toutes ses limitations petit à petit disparaîtront.
Et alors, quand vient la première expérience, qui quelquefois commence très jeune, le premier contact avec la joie intérieure, avec la beauté intérieure, avec la lumière intérieure, le premier contact avec ça qui vous fait tout d’un coup sentir: «Oh! c’est ça que je veux», il faut le cultiver, ne jamais l’oublier, le remettre devant soi, se dire: «Je l’ai senti une fois, par conséquent je peux le sentir encore. Ça a été vrai pour moi, même pendant l’espace d’une seconde, mais c’est ça que je vais ramener à moi.» Et encourager le corps à le chercher — à le chercher en ayant confiance qu’il porte en lui-même cette possibilité, et que s’il l’appelle elle reviendra, elle se réalisera encore.
C’est cela qu’il faut faire quand on est jeune. C’est cela qu’il faut faire chaque fois qu’on a l’occasion de se rassembler, de se recueillir, de se chercher soi-même.
Et alors, vous verrez. Quand on est normal, c’est-à-dire pas gâté par de mauvais enseignements et de mauvais exemples, quand on naît, quand on vit dans un milieu sain et relativement équilibré et normal, le corps, spontanément, sans que vous ayez besoin d’intervenir mentalement ni même vitalement, a la certitude que si quelque chose ne va pas, cela guérira. Le corps porte en lui la certitude de la guérison, que la maladie ou le dérangement sont sûrs de disparaître. C’est seulement par la fausseté de l’éducation, du milieu, que petit à petit on enseigne au corps qu’il y a des maladies irréparables, des accidents irréparables, et qu’il y a un vieillissement qui se produit, et toutes ces histoires qui lui enlèvent sa foi et sa confiance. Mais normalement, un corps d’enfant normal (le corps, je ne parle pas de la pensée), le corps lui-même sent, quand il y a quelque chose qui ne va pas, que c’est sûr que ça ira bien. Et s’il n’est pas comme cela, ça veut dire qu’il a déjà été faussé. Il lui paraît normal d’être en bonne santé, il lui paraît tout à fait anormal que quelque chose se dérange et qu’il soit malade; et dans son instinct, son instinct spontané, il est sûr que tout s’arrangera. Ce n’est que la fausseté de la pensée qui enlève cela; à mesure qu’on grandit, la pensée se fausse de plus en plus, il y a toute la suggestion collective, et alors, petit à petit, le corps perd sa confiance en lui-même, et naturellement, perdant sa confiance en lui-même, il perd aussi cette capacité spontanée de rétablir l’équilibre quand l’équilibre a été faussé.
Mais si, tout petit, dès la plus jeune enfance, on a commencé à vous enseigner toutes sortes de choses décevantes, déprimantes — décomposantes, je pourrais dire, désagrégeantes —, alors ce pauvre corps, il fait de son mieux, mais on l’a perverti, on l’a faussé et il n’a plus le sens de sa puissance intérieure, de sa force intérieure, de son pouvoir de réagir.
Si l’on prend soin de ne pas le fausser, le corps porte en lui la certitude de la Victoire. C’est seulement le mauvais usage que l’on fait de la pensée et de son influence sur le corps, qui lui enlève cette certitude de la Victoire. Alors, la première chose à faire, c’est de cultiver cette certitude au lieu de la détruire; et avec elle, ce n’est plus un effort qui est nécessaire pour aspirer, c’est tout simplement un épanouissement, un déploiement de cette certitude intérieure de la Victoire.
Le corps porte en lui-même le sens de sa divinité.
Voilà. C’est cela qu’il faut essayer de retrouver en soi si on l’a perdu.
Quand un enfant vous raconte un beau rêve où il avait beaucoup de pouvoirs et où les choses étaient très belles, gardez-vous bien de lui dire jamais: «Oh! la vie, ce n’est pas comme ça», parce que vous faites une mauvaise action. Il faut au contraire lui dire: «La vie doit être comme ça, et elle le sera!»