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Mère

Entretiens

 

Le 13 mars 1957

L'enregistrement   

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Ce soir encore, pas de lecture. Mais on m’a posé une question sur quelque chose que j’ai écrit — Pavitra, vous l’avez, lisez-la:

(Pavitra lit) «Notre meilleur ami, c’est celui qui nous aime dans le meilleur de nous-même, et cependant ne nous demande pas d’être autre que nous ne sommes.» (La Mère, Entretiens 1930-31, Aphorismes et Paradoxes)

On me demande d’expliquer ce que cela veut dire. J’ai fort envie de vous dire toutes sortes de choses paradoxales! Mais enfin...

En tout cas, j’ai écrit cela en pensant à une chose que généralement on oublie: on demande à ses amis et à ceux qui nous entourent d’être non pas ce qu’ils sont, mais ce que l’on voudrait qu’ils soient — on peut se former un idéal et vouloir l’appliquer à tout le monde, mais... Cela me fait souvenir du fils de Tolstoï que j’ai rencontré au Japon et qui voyageait à travers le monde dans l’espoir de créer une unité parmi les hommes. Ses intentions étaient excellentes, mais sa manière de faire paraissait moins bonne! Il disait, avec un sérieux imperturbable, que si tout le monde parlait la même langue, si tout le monde s’habillait de la même manière, mangeait de la même manière et agissait de la même manière, forcément cela créerait une unité! Et quand on lui demandait comment il pensait pouvoir réaliser cela, il disait qu’il suffisait d’aller de pays en pays et de prêcher aux gens une langue nouvelle, mais universelle, un costume nouveau, mais universel, et des habitudes nouvelles, mais universelles. C’était tout... Et c’était ce qu’il avait l’intention de faire!

(Riant) Eh bien, chacun dans son petit domaine est comme cela. Il a un idéal, il a une conception de ce qui est vrai et beau et noble, et même divin, et c’est sa conception qu’il veut imposer aux autres. Il y a beaucoup de gens aussi qui ont une conception du Divin et qui essayent de toutes leurs forces d’imposer leur conception au Divin... et généralement ne se découragent que quand ils ont perdu la vie!

C’est cette attitude spontanée que j’avais en vue, et presque inconsciente, parce que si je disais à l’un d’entre vous: «Voilà ce que vous voulez faire», il protesterait très violemment en disant: «Quoi! Jamais de la vie!» Mais quand on a des opinions sur les gens, et des réactions surtout, sur leur manière d’être, c’est parce qu’on leur reproche de ne pas être comme nous pensons qu’ils doivent être. Si l’on n’oubliait jamais qu’il ne peut pas, qu’il ne doit pas y avoir deux choses pareilles dans l’univers, parce que la seconde serait inutile puisqu’il y en aurait eu une avant, et que l’univers est constitué pour l’harmonie d’une multiplicité infinie où deux mouvements — et encore beaucoup plus, deux consciences — ne sont jamais semblables, alors de quel droit peut-on intervenir pour vouloir que quelqu’un soit conforme à sa propre pensée?... Parce que, si vous pensez d’une certaine manière, il est certain que l’autre ne pourra pas penser de la même manière. Et si vous êtes d’une certaine façon, il est tout à fait certain que l’autre ne pourra pas être de la même façon. Et ce que vous devez apprendre, c’est à harmoniser, synthétiser, combiner toutes les choses disparates qui sont dans l’univers en mettant chacune à sa place. L’harmonie totale n’est pas du tout dans une identité, mais dans une harmonisation qui ne peut venir qu’en mettant chaque chose à sa place.

Et c’est cela qui doit être à la base de la réaction que l’on est en droit d’attendre d’un ami véritable, qui doit vouloir non pas que son ami lui ressemble, mais qu’il soit tel qu’il est.

Maintenant, au commencement de la phrase, j’ai dit: il vous aime dans ce que vous avez de meilleur. Pour le mettre d’une façon un peu plus positive: votre ami n’est pas celui qui vous encourage à descendre au niveau le plus bas de vous-même, qui vous encourage à faire des bêtises avec lui ou à devenir vicieux avec lui, ou qui vous approuve dans tout ce que vous avez de vilain, c’est entendu. Et pourtant, généralement, très, très souvent, beaucoup trop souvent, on fait son ami de celui avec lequel on n’est pas gêné quand on est au-dessous de soimême. On considère comme son meilleur camarade celui qui nous encourage dans nos bêtises: on s’associe avec les autres pour courir au lieu d’aller à l’école, pour aller voler des fruits dans les jardins, pour se moquer de ses professeurs et toutes sortes de choses comme cela. Je ne fais pas de personnalités, mais enfin je pourrais vous citer des exemples, malheureusement trop nombreux. Et c’est peut-être pour cela que j’ai dit: ceux-là ne sont pas vos bons amis. Mais enfin, ce sont les amis les plus confortables, parce qu’ils ne vous donnent pas l’impression que vous êtes en faute. Tandis que celui qui viendrait vous dire: «Dis-donc, au lieu d’aller courir à ne rien faire, ou à faire des bêtises, si tu venais en classe, tu ne crois pas que ce serait mieux!», à celui-là, généralement on répond: «Tu m’embêtes. Tu n’es pas mon ami.» C’est peut-être à cause de cela que j’ai écrit cette phrase. Voilà. Je répète que je ne fais pas de personnalités, mais enfin c’est une occasion de vous dire quelque chose qui malheureusement se produit beaucoup trop souvent.

Il y a ici des enfants qui étaient pleins de promesses, qui étaient à la tête de leur classe, qui travaillaient sérieusement, dont j’espérais beaucoup, et qui ont été tout à fait perdus par ce genre d’amitié. Puisque l’on parle de cela, je leur dirai aujourd’hui que j’en suis bien désolée, et que ceux-là je ne les appelle pas des amis, mais des ennemis mortels dont on devrait se garder comme on se garde des maladies contagieuses.

On n’aime pas, on évite soigneusement la compagnie de celui qui a une maladie contagieuse; généralement on l’enferme pour que cela ne se répande pas. Mais la contagion du vice et de la mauvaise conduite, la contagion de l’avilissement, du mensonge et de ce qui est bas est infiniment plus dangereuse que la contagion d’une maladie quelconque, et c’est cela qu’il faut éviter très soigneusement. Il faut considérer comme son meilleur ami celui qui vous fait savoir qu’il ne faut pas participer à une action mauvaise ou laide, celui qui vous encourage à résister aux tentations inférieures, celui-là est l’ami. C’est avec celui-là qu’il faut s’associer, et non avec celui qui rigole avec vous et fortifie vos mauvais penchants. Voilà.

Maintenant, nous n’insisterons pas et j’espère que ceux à qui je pense comprendront ce que j’ai dit.

Au fond, on ne devrait prendre pour amis que des gens plus sages que soi-même, quelqu’un dont la compagnie vous ennoblit et vous aide à vous surmonter, à progresser, à agir mieux et à voir plus clair. Et au fond, le meilleur ami que l’on puisse avoir, n’est-ce point le Divin, à qui l’on peut tout dire, tout révéler? Parce que c’est là qu’est la source de toute miséricorde, de tout pouvoir d’effacer l’erreur quand elle ne se reproduit plus1, d’ouvrir la route vers la réalisation véritable; celui qui peut tout comprendre, tout guérir, et aider toujours sur le chemin à ne pas faillir, à ne pas broncher, à ne pas tomber, à marcher tout droit vers le but. C’est Lui, l’ami vrai, l’ami des bons et des mauvais jours, celui qui sait comprendre, qui sait guérir et qui est toujours là quand on a besoin de Lui. Quand on L’appelle sincèrement, Il est toujours là pour vous guider, pour vous soutenir — et pour vous aimer de la façon vraie.

 

1 En 1961, au moment de la première publication de cet Entretien, Mère a commenté ainsi cette phrase: «Tant que l’on reproduit ses fautes, rien ne peut être aboli, parce qu’on les recrée à chaque minute. Quand un être fait une erreur, grave ou non, cette erreur a des conséquences dans la vie, un “Karma” qu’il faut épuiser, mais la Grâce divine, si l’on s’adresse à Elle, a le pouvoir de couper les conséquences; mais pour cela, il faut que la faute ne se reproduise pas. Il ne faudrait pas croire que l’on puisse continuer à faire les mêmes bêtises indéfiniment et qu’indéfiniment la Grâce annulera toutes les conséquences, ce n’est pas comme cela! Le passé peut être complètement purifié, nettoyé, au point de n’avoir aucun effet sur l’avenir, mais à condition qu’on n’en refasse pas un présent perpétuel; il faut que, vous-même, vous arrêtiez la vibration mauvaise en vous-même, que vous ne reproduisiez pas indéfiniment la même vibration.»

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