Mère
Entretiens
Le 8 août 1956
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Douce Mère, Sri Aurobindo écrit: «Un feu psychique doit être allumé au-dedans, dans lequel tout est jeté revêtu du Nom Divin.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 184)
Le feu psychique n’est-il pas toujours allumé?
Il n’est pas toujours allumé.
Alors comment l’allume-t-on?
Par l’aspiration.
Par la volonté de progrès, par l’élan vers la perfection.
C’est surtout la volonté de progresser et de se purifier qui allume le feu. La volonté de progresser. Les gens qui ont une forte volonté, s’ils la tournent vers le progrès spirituel et la purification, ils allument automatiquement le feu au-dedans d’eux.
Et chaque défaut que l’on veut guérir, ou chaque progrès que l’on veut faire, si l’on jette tout cela dans le feu, il brûle avec une intensité nouvelle. Et ce n’est pas une image, c’est un fait dans le physique subtil. On peut sentir la chaleur de la flamme, on peut voir, dans le physique subtil, la lumière de la flamme. Et quand il y a quelque chose dans la nature qui empêche d’avancer et qu’on le jette dans ce feu, cela se met à brûler et la flamme devient plus intense.
«... en s’incarnant dans l’acte, la dévotion rend non seulement le chemin large et plein et dynamique, mais elle apporte tout de suite sur le dur chemin des oeuvres dans le monde, un élément divinement passionné, un élément de joie et d’amour qui fait souvent défaut au début quand l’austère volonté spirituelle poursuit seule l’ascension escarpée dans la tension et la lutte pour monter, tandis que le coeur reste encore endormi ou contraint au silence. Si l’esprit de l’amour divin peut entrer, la sécheresse du chemin diminue, la tension s’allège; il y a une douceur et une joie au coeur même de la difficulté et de la lutte.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 183)
Comment sentir la douceur et la joie quand on se trouve dans une difficulté?
Justement, si la difficulté est d’ordre égoïste ou personnel, si l’on en fait l’offrande et qu’on la précipite dans le feu de purification, immédiatement on sent la joie du progrès. Si on le fait sincèrement, tout de suite il y a un élan de joie.
C’est évidemment ce qu’il faut faire au lieu de se désespérer ou de se lamenter. Si on en fait l’offrande, et sincèrement que l’on aspire à la transformation et à la purification, alors on sent tout de suite la joie naître au fond du coeur. Même quand la difficulté est un gros chagrin, on peut faire cela avec beaucoup de succès. On s’aperçoit que derrière le chagrin, si intense qu’il soit, il y a une joie divine.
(silence)
C’est tout?
(Mère montre un paquet de questions écrites) Mon portefeuille grossit! Il me vient plus de questions que je ne peux en résoudre... L’une, d’ordre très pratique, et à laquelle je répondrai d’abord parce que ce sera vite fait. C’est une question d’ailleurs que l’on m’a posée très souvent, et peut-être ai-je déjà répondu plusieurs fois. Mais enfin, c’est toujours bon à dire.
Est-il possible, sans pouvoirs occultes conscients, d’aider ou de protéger à distance quelqu’un qui est en difficulté ou en danger? Si oui, quelle est la façon pratique de procéder?
Puis une sous-question:
Que peut la pensée?
Nous ne parlerons pas du tout des procédés occultes; quoique, pour dire la vérité, tout ce qui se passe dans l’invisible soit occulte, par définition. Mais enfin pratiquement, il y a deux procédés, qui ne s’excluent pas et qui se complètent, mais que l’on peut employer séparément si l’on est plus enclin à l’un qu’à l’autre.
Il est évident que la pensée fait partie de l’un des moyens, une partie assez importante. Je vous ai déjà dit plusieurs fois que, si l’on pense clairement et fortement, on fait une formation mentale, et que toute formation mentale est une entité indépendante de son formateur, qui a sa vie propre et qui tend à se réaliser dans le monde mental (je ne veux pas dire que vous voyez votre formation avec vos yeux physiques, mais elle existe dans le monde mental, elle a une existence qui lui est propre et qui est indépendante). Si vous avez fait une formation dans un but précis, toute sa vie tendra à la réalisation de ce but. Par conséquent, si vous voulez aider quelqu’un à distance, vous n’avez qu’à former très clairement, d’une façon très précise et très forte, le genre d’aide que vous voulez donner et le résultat que vous voulez obtenir. Cela aura de l’effet. Je ne peux pas dire que ce soit tout-puissant, parce que le monde mental est plein d’innombrables formations de ce genre et que, naturellement, elles s’entrechoquent et se contredisent; par conséquent, c’est la plus forte et la plus persistante qui aura le dessus.
Alors, qu’est-ce qui donne de la force et de la persistance aux formations mentales? C’est une émotion et une volonté. Si vous savez ajouter à votre formation mentale une émotion, une affection, une tendresse, un amour, et une intensité de volonté, un dynamisme, elle aura beaucoup plus de chances de succès. C’est la première méthode. Elle est à la portée de tous ceux qui savent penser, et encore plus de ceux qui savent aimer. Mais comme je l’ai dit, le pouvoir est limité et il y a une grande compétition dans ce monde.
Par conséquent, même si l’on n’a aucune connaissance, mais que l’on ait confiance en la Grâce divine, si on a la foi qu’il y a quelque chose dans le monde, qui est la Grâce divine, et que ce Quelque chose peut répondre à une prière, à une aspiration, à une invocation, alors, lorsqu’on a fait sa formation mentale, si on l’offre à la Grâce et qu’on lui fasse confiance, qu’on lui demande d’intervenir et qu’on ait la foi qu’Elle interviendra, alors vraiment vous avez une chance de succès.
Essayez, et puis vous verrez bien le résultat.
Mais, Mère, quand on prie sincèrement pour l’intervention de la Grâce, on s’attend à un résultat particulier, n’est-ce pas?
Pardon, cela dépend de la teneur de la prière. Si simplement on invoque la Grâce, ou le Divin, et que l’on s’en remette à Lui, on ne s’attend pas à un résultat particulier. Pour s’attendre à un résultat particulier, il faut formuler sa prière, il faut demander quelque chose. Si tu as seulement une grande aspiration vers la Grâce divine, et que tu L’évoques, que tu L’implores, sans rien Lui demander de précis, c’est la Grâce qui choisira ce qu’Elle fera pour toi, ce n’est pas toi.
C’est mieux, non?
Ah! ça, c’est une autre question.
Évidemment, c’est peut-être d’une qualité supérieure! Mais enfin, si l’on veut une chose précise, il vaut mieux la formuler. Si on a une raison spéciale d’invoquer la Grâce, il vaut mieux le formuler d’une façon exacte et claire.
Naturellement, si l’on est dans un état de complète soumission et que l’on se donne tout entier, que simplement on s’offre à la Grâce et qu’on La laisse faire ce qu’Elle veut, c’est très bien. Mais après cela, il ne faut pas discuter ce qu’Elle fait! Il ne faut pas Lui dire: «Oh! j’avais fait cela avec l’idée d’avoir ceci», parce que, si l’on a vraiment l’idée d’obtenir quelque chose, il vaut mieux le formuler en toute sincérité, simplement, tel qu’on le voit. Après, c’est à la Grâce de choisir si Elle le fait ou si Elle ne le fait pas; mais en tout cas, on aura formulé clairement ce que l’on désirait. Et il n’y a pas de mal à cela.
Où cela devient mauvais, c’est quand la demande ne vous est pas accordée et que l’on se révolte. Alors naturellement, cela devient mauvais. C’est à ce moment-là qu’il faut comprendre que le désir que l’on a, ou l’aspiration, peut ne pas être très éclairé et que l’on a peut-être demandé quelque chose qui n’était pas exactement ce qui était bon pour soi-même. Alors à ce moment-là, il faut être sage et dire simplement: «Eh bien, que Ta Volonté soit faite.» Mais tant que l’on a une perception intérieure et une préférence intérieure, il n’y a aucun mal à la formuler. C’est un mouvement très naturel.
Par exemple, si l’on a fait une bêtise, ou que l’on ait commis une faute et que vraiment, sincèrement, on désire ne plus recommencer, eh bien, je ne vois aucun mal à le demander. Et en fait, si on le demande avec sincérité, une vraie sincérité intérieure, il y a beaucoup de chances pour que ce soit accordé.
Il ne faut pas croire que le Divin aime à vous contredire. Il n’y tient pas du tout! Il peut percevoir mieux que vous quel est votre propre bien; mais c’est seulement quand c’est tout à fait indispensable qu’Il contredit votre aspiration. Autrement, Il est toujours prêt à donner ce qu’on demande.
C’est tout?
(silence)
Il y a ici trois textes pour lesquels on m’a demandé des commentaires, ou des explications. Le dernier est comme une continuation de ce que nous venons de dire; je vais commencer par celui-là:
«Si l’on était en union avec la Grâce, si on La voyait partout, on commencerait à vivre une vie d’exultation, de toute-puissance, de bonheur infini.
«Et ce serait la meilleure collaboration possible à l’OEuvre divine.» (Entretien du 1er août 1956)
La première condition n’est pas si facile à réaliser. C’est le résultat d’un accroissement conscient, d’une observation constante et d’une expérience perpétuelle dans la vie.
Je vous ai déjà dit cela plusieurs fois. Quand vous êtes dans un ensemble de circonstances et que certains événements se produisent, souvent ces événements contredisent votre désir ou ce qui vous semble être le meilleur, et il vous arrive souvent de le regretter et de vous dire: «Ah! comme ç’aurait été bien autrement, comme ceci ou comme cela», pour des petites choses, pour de grandes choses... Puis les années passent, les événements se déroulent; vous progressez, vous devenez plus conscient, vous comprenez mieux, et quand vous regardez en arrière, vous vous apercevez — d’abord avec étonnement, puis plus tard avec un sourire — que ces fameuses circonstances qui vous paraissaient tout à fait néfastes ou défavorables étaient justement la meilleure chose qui pouvait vous arriver pour vous faire faire le progrès que vous deviez faire. Et si vous êtes tant soit peu sage, vous vous dites: «Vraiment, la Grâce divine est infinie.»
Alors, quand ce phénomène vous sera arrivé un certain nombre de fois, vous commencerez à comprendre que, malgré l’aveuglement des hommes et les apparences trompeuses, c’est la Grâce qui est à l’oeuvre partout, et qui fait qu’à chaque minute c’est le mieux possible qui se produit, dans l’état où se trouve le monde à cette minute-là. C’est parce que notre vision est limitée, ou même que nous sommes aveuglés par nos propres préférences, que nous ne pouvons pas discerner que les choses sont ainsi.
Mais quand on commence à le voir, alors on entre dans un de ces émerveillements que rien ne peut décrire. Parce que, derrière les apparences, on perçoit cette Grâce — infinie, merveilleuse, toute-puissante — qui sait tout, organise tout, arrange tout, et nous mène, que nous le voulions ou ne le voulions pas, que nous le sachions ou ne le sachions pas, vers le but suprême, c’est-à-dire l’union avec le Divin, la prise de conscience de la Divinité et l’union avec Elle.
Alors on vit, dans l’Action et la Présence de la Grâce, une vie pleine de joie, d’émerveillement, du sens d’une puissance merveilleuse, et en même temps d’une confiance si paisible, si totale, que rien ne peut plus l’ébranler.
Et quand on est dans cet état de parfaite réceptivité et de parfaite adhésion, on diminue d’autant la résistance du monde à l’Action divine; par conséquent, c’est la collaboration la meilleure que l’on puisse apporter à l’Action du Divin. On comprend ce qu’Il veut, et avec toute sa conscience, on adhère à Sa Volonté.