Mère
l'Agenda
Volume 10
Quoi de neuf?
Rien, douce Mère.
Tu sais, c'est comme un bâton qui remue un étang: tout remonte... une chose après l'autre, partout, dans tout le pays – une pourriture. C'est comme si tout-tout-tout était exposé.1
(silence)
On m'écrit... Avant, toutes sortes de choses se passaient en bas (dans les bureaux de l'Ashram); on parlait à Amrita, on s'«arrangeait»; maintenant, ils m'écrivent à moi!... Je viens d'en entendre, tu sais... (geste comme un tombereau qui se déverse). J'avais bien une espèce de sensation que ça n'allait pas, mais jamais je n'aurais pensé comme cela.
Comment tu vas, toi?
Bien, douce Mère.
Tu n'as rien à dire?... Moi, je crois que j'avais quelque chose; je ne me souviens plus au milieu de tout cela.
Oh! mais il y a vraiment une Grâce qui agit ici constamment pour garder... au moins une harmonie d'apparence, autrement il y a des choses... Et alors, cette Conscience, il y a deux choses qui semblent la tirer: c'est l'argent et le... (Mère passe sa main sur son front comme si elle avait oublié)... Ah! c'est parti – elle ne veut pas que je le dise.
La politique?
Non.
Ça, la politique, elle m'a fourrée dedans, en plein! On m'a demandé de choisir le Président pour remplacer celui qui vient de mourir!2 Et le plus beau de l'affaire, c'est qu'elle suggère immédiatement ce qu'il faut faire... On verra.
Mais vis-à-vis de l'argent, elle ne me dit pas comment elle le remplace. N'est-ce pas, elle veut que l'argent soit une force qui circule. C'est tout à fait vrai, mais3...
(silence)
J'avais une quantité de choses que je voulais te dire, mais... (geste au front) ça vient d'être sorti de ma tête, remplacé par tout le bourbier dans l'Ashram!4 (Mère rit)
Mais toi, tu n'as rien?
Rien de très intéressant, non.
Qu'est-ce que c'est?
Quelqu'un a envoyé une photo de l'endroit où. Léonard de Vinci est mort. Est-ce que cela t'intéresse de voir cela?
Je connais cet endroit, j'y suis allée (Mère regarde la photo).
C'est l'endroit où il est mort.
Mais c'est en France.
Oui, il est parti en France.5
Il a été dit que Sri Aurobindo avait été Léonard de Vinci... mais Sri Aurobindo ne me l'a jamais dit.6 Je ne sais pas. C'est comme on a beaucoup dit que j'étais Mona Lisa, mais je n'en sais rien (!)
(Mère regarde la photo) C'est cela. C'est à quel château?
À Amboise.
C'est cela, oui. Il y a une plaque. J'ai vu une plaque. Mais qui t'a envoyé cela?... Enfin c'est quelqu'un qui pense que c'était Sri Aurobindo.
(Mère regarde) Oui, j'ai vu ça.
C'est encore une... (Mère hoche la tête) une façon enfantine de dire. Tu sais, on met une poupée dans l'autre, et puis on l'enlève, et puis on la met dans une autre... Ce n'est pas comme cela (!)
(silence)
Tu sais, c'est jour après jour et chaque jour, quelque chose de nouveau; et toujours, la conclusion immédiate: je ne sais rien, comprends rien, connais rien, suis rien... La négation de TOUT – tous les échafaudages du mental et de la conscience humaine... tombés. Et pour les petites choses, pour les grandes choses, pour tout. Et ça, cette question de la mort: «Qu'est-ce que la mort, qu'est-ce qui arrive?...» Pour cette Conscience, c'est... c'est évidemment ce que l'on pourrait appeler un «accident», mais un accident qui... qui s'est prolongé. Et elle est en train de montrer comment on meurt, c'est-à-dire comment, tout d'un coup, le corps se disloque – et puis il aurait très bien pu ne pas se disloquer.
Et avec des démonstrations sur les gens, figure-toi. Il y en a un qui vient, qui me supplie de mourir; et alors, la seule chose que je fais et que je puisse faire, c'est d'établir le contact d'une façon constante et sans mélange entre... (comment dire?) la destinée de ce corps et la Conscience Suprême, comme cela. Alors il est arrivé toutes sortes de choses: en une heure, parti – mourant absolument bien portant, tu comprends? Mais j'ai eu encore tout dernièrement un exemple extraordinaire: quelqu'un qui vient et qui me supplie de s'en aller; et alors, je mets la pleine Force dessus – maintenant il est tout guéri! On me l'avait amené sur une chaise, il ne pouvait plus marcher... et il trotte, il vient tout seul! Et vieux: très près de quatre-vingt-dix ans7... Un autre qui s'obstinait; alors sa fille m'a dit: «Il est malheureux, il est misérable, est-ce que vous ne pouvez pas le faire partir?» Je regarde: je vois, serré comme cela (Mère pince deux doigts ensemble, de toutes ses forces), un nœud noir, là. Je dis à la fille: «Oui, je veux bien, mais moi, je ne peux pas lui couper la tête! (riant) Ça tient comme cela (même geste).» Deux jours après, parti!
Mon procédé est toujours le même, n'est-ce pas: pleine concentration de la Conscience Suprême sur la personne, en enlevant tous les obstacles. Et ça fait comme cela, comme cela, comme cela... (geste qui se promène ici et là). Et c'est comme si c'était une démonstration par le fait que TOUTES les règles que nous avons établies dans notre conscience, tout cela est absolument idiot. Ça ne correspond pas à la vérité. Il y a... quelque chose. Il y a quelque chose.
Hier (riant), elle m'a fait voir toutes les volontés, ou les vibrations (parce qu'au fond, ça se réduit à des qualités de vibration), toutes les vibrations qui amènent, depuis les petits embêtements jusqu'aux plus grandes catastrophes – c'est tout la même qualité. Et comment les cellules physiques répondent. Et de temps en temps – de temps en temps –, comme une récompense de l'effort: ce qu'il faut faire, la vraie chose. Mais ça passe – c'est comme un éblouis-sement, mais ça ne dure pas. Nous sommes... Et elle semble devoir aller très vite parce que, au point de vue conscience, nous sommes encore vraiment dans un bourbier, et ça va comme ça (geste de marche en avant irrésistible), oh! elle s'affirme.
Et ce pauvre corps... il ne se plaint pas. Il ne se plaint pas; il est là, il a tout le temps mal quelque part – il est dans un état béatifique. Et ça, dans la conscience des cellules. Il y a quelque chose... Tout le temps mal quelque part, mais il sait que c'est son incapacité à tenir le coup, voilà – mais il faut, il faudra.
C'est incroyable. C'est incroyable, c'est une histoire... Une histoire plus extraordinaire que tout ce que l'on peut imaginer.
Pourquoi? Pourquoi cette habitude de dislocation tout d'un coup, pourquoi?... Évidemment, ce n'est pas nouveau avec la venue de l'homme parce que c'était la même chose avec tout ce qui précédait: ça se formait, se dissolvait, se formait – formait, existait, croissait et se dissolvait –, tout-tout: les plantes, les... Le règne minéral, à force d'inconscience (!) était plus stable, mais tout le reste était comme cela, tout le temps à se former, se déformer, se former, se déformer... Alors l'homme en a fait une histoire, n'est-ce pas, et un drame. Il en a fait un drame, et c'est parce qu'il en a fait un drame qu'il fait un effort... pas pour en sortir mais pour s'ajuster – pour comprendre et pour s'ajuster. Et quand on est dans une certaine conscience, ça a tout simplement l'air d'une stupidité, pas autre chose que cela. Mais pourquoi?... Est-ce le corps humain qui est incapable de... Ce n'est même pas cela, je ne peux même pas dire cela. Il y a des minutes (des minutes, ça ne dure pas), des minutes où le corps a l'impression d'avoir échappé à cette loi. Mais ça ne dure pas; c'est une minute, ça passe comme cela et puis ça recommence comme c'était. Mais la conscience du corps commence à se demander pourquoi c'est comme cela? Pourquoi, pourquoi ce n'est pas... une croissance en lumière et en conscience, indéfinie? Pourquoi? Le corps lui-même se demande: pourquoi? Et puis alors, il est tout le temps assailli par toute... n'est-ce pas, la corruption générale; et de temps en temps – de temps en temps –, un éclair, pendant... quelques secondes: tout d'un coup, autre chose. Autre chose et... une conscience merveilleuse, et puis la vieille routine continue.
Et alors, les gens viennent avec toutes leurs pensées... Il y en a qui viennent et qui s'asseoient en face de moi et qui se mettent à penser: «C'est peut-être la dernière fois que je la vois!» Des histoires comme cela, tu comprends. Alors tout cela vient (geste comme un tombereau qui se déverse), et à cause de cela, c'est... un peu difficile.
Il n'y a pas, dedans, l'affirmation de oui ou de non: rien du tout, il n'y a rien, c'est comme cela (geste neutre, immobile). Il y a seulement une Présence constante. Une Présence constante, et c'est dans cette Présence que le corps se réfugie. Mais tu sais... Il y a les autres choses qui viennent aussi (les bonnes), mais les autres choses... il n'y en a pour ainsi dire... oh! ça arrive peut-être une fois, deux fois dans vingt-quatre heures: tout d'un coup, une lumière qui est pure. Comme cela, quelque chose qui est pur... qui fait ce que l'on pourrait appeler une minute d'éternité. Ça, c'est bien. Mais c'est rare.
Le corps sait beaucoup-beaucoup-beaucoup de choses sur ce qui se passe (je crois, en fait, sur tout ce qui se passe dans le rayon de son activité), mais avec une interdiction de le dire. Et c'est mis de telle façon que ça ne peut pas être dit, parce que tel que c'est mis, ce serait incompréhensible pour les autres. Pas parler, pas parler.
Mais la quantité de formations que l'on pourrait qualifier de «défaitistes» qui sont dans l'atmosphère terrestre, c'est for-mi-da-ble! On s'étonne que tout ne soit pas écrabouillé tellement c'est... Tous les gens, tout le temps, tout le temps forment des catastrophes: s'attendent au pire, voient le pire, n'observent que le pire... Les réactions... Oh! tu sais, c'est jusque dans les plus petites choses: le corps observe tout. Alors, quand la réaction est en harmonie, tout va bien; quand il y a cette réaction que j'appelle maintenant défaitiste: quelqu'un prend un objet, il le laisse tomber. Ça arrive tout le temps. Il n'y a aucune espèce de raison pour que ça arrive: c'est la présence de la conscience défaitiste. Quelqu'un prend un objet, le fait tomber; il veut faire quelque chose, ça fait faire quelque chose d'autre... Et si (le corps s'est aperçu de cela), s'il a le malheur de dire à quelqu'un la chose telle qu'elle est, cette personne est complètement bouleversée!... C'est arrivé encore il y a deux jours – une chose toute simple, n'est-ce pas, c'est-à-dire telle qu'elle est: [et la personne est] complètement bouleversée!
Mais tu sais, elle est amusante, cette Conscience, elle a mis ce corps en rapport avec (si ce n'est pas tout) mais un nombre considérable de désirs qu'il meure! Partout! il y en a partout! Il voit ça, il voit ça comme ça – ça ne l'affecte plus du tout, ça lui est tout à fait égal. Il semble être complètement protégé de toutes les choses qui viennent. Ça lui est tout à fait égal. Même, la plupart du temps, ça le fait rire. Mais c'est formidable!... Et alors, de temps en temps, une petite flamme, et c'est si joli! Et puis cette Présence... Cette Présence, cette Présence... Et ces cellules sont comme des enfants; quand elles sentent, tout-tout disparaît, excepté cette Présence; alors, c'est comme... comme un soupir de soulagement. Mais extérieurement, c'est invisible: s'il souffrait, ça reviendrait à la même chose. Généralement, il ne se plaint pas quand il souffre: il appelle... Il appelle, il appelle, il appelle... Et il sait très bien que c'est tout à fait inutile, que si seulement il savait... rentrer dans l'immobilité, rentrer dans le silence, ça suffirait. Dès qu'il le fait...
Mais je ne suis pas tout à fait sûre (parce qu'il n'a pas cherché à savoir), pas tout à fait sûre que toutes ces douleurs qu'il sent partout, tout le temps, ça ne vient pas de... ce n'est pas l'effet de toutes les mauvaises volontés. N'est-ce pas, c'est partout sur la terre. Et la plupart du temps, c'est à peine conscient...
Pourquoi est-ce comme cela?... Pourquoi-pourquoi?... Veux-tu me dire pourquoi cette extériorisation a commencé (pas commencé: c'est ici sur la terre), par cet Inconscient presque total – l'Inconscient, cette inertie presque totale? Pourquoi ça a dû commencer par ça?... Pourquoi?
Le mental a imaginé toutes sortes de magnifiques raisons, il fait des constructions – ça paraît des enfantillages... Pourquoi?
Il y a tout le côté bouddhique, nihiliste, etc.: c'est que (on peut traduire cela à l'usage des enfants) le Seigneur Suprême s'est trompé! (Mère rit) Il a fait une bêtise, alors... Et alors nous allons l'aider à sortir de sa bêtise!
Il y a l'autre extrême: c'est TA bêtise à toi qui fait que tu le sens comme cela – mais pourquoi ai-je de la bêtise en moi, d'où cela vient?
Il n'y a aucun doute que tout est voulu, et tout a un sens.
Oui, c'est sûr. C'est sûr.
Ça, c'est sûr.
Et c'est... L'impression que l'on a: c'est parce qu'on est trop petit que l'on ne comprend pas.
Mais pourquoi est-ce que ça se traduit comme cela, par... souffrance-souffrance...?
(long silence)
On verra.8
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1 Le passage suivant a été omis de l'enregistrement.
2 Zakir Hussain, décédé le 3 mai.
3 L'enregistrement reprend ci-après.
4 Pavitra est en train de mourir. Peut-être faudrait-il dire: «est en train d'en mourir.»
5 Léonard de Vinci était parti pour la France en 1515 et il y est mort en 1519.
6 Un disciple, autrefois, avait posé la question suivante à Sri Aurobindo: «Est-il vrai que la conscience qui a pris la forme de Léonard de Vinci, s'était manifestée avant dans Auguste César, le premier empereur de Rome? Si c'est vrai, voulez-vous m'expliquer ce que représente exactement César dans l'histoire de l'Europe et comment l'œuvre de Léonard de Vinci se relie à celle de César?» Sri Aurobindo répondit: «Auguste César a organisé la vie de l'empire romain et c'est cette organisation qui a servi de cadre à la première transmission en Europe de la civilisation gréco-romaine – il est venu pour ce travail et les œuvres de Virgile, Horace et autres ont largement aidé au succès de sa mission. Après l'interlude du Moyen àge, la civilisation est née une deuxième fois dans un nouveau moule qui s'appelait la Renaissance, cette fois sous un aspect intellectuel et non sous un aspect vital. Ce fut donc un suprême intellectuel, Léonard de Vinci, qui a repris le travail et a résumé en lui-même ce qui devait être la semence de l'Europe moderne.» 29.7.1937 (Life, Literature and Yoga, p. 6)
7 Il s'agit d'un médecin. Il y a quelque temps, il avait eu une péritonite et il avait refusé de se faire opérer, sachant parfaitement que c'était la mort certaine – et la mort n'est pas venue. Aucun des médecins de l'hôpital où il avait été transporté n'a pu s'expliquer le miracle.
8 Il existe un enregistrement de cette conversation.