Mère
l'Agenda
Volume 5
(La conversation suivante a eu lieu à propos de la méditation collective de la veille, 24 novembre, jour de Darshan.)
So, what about you? What's new? Nothing new? – and what's old?! (laughter)
(silence)
Hier, à la méditation, je ne sais pas ce qui est arrivé, mais quand on a sonné la fin, j'ai eu absolument l'impression que ça venait de commencer!
Dès que la méditation a commencé, quelque chose est descendu: une immobilité, mais une immobilité très confortable, extraordi-nairement confortable, et puis... c'est fini, plus rien, blank – complètement «blank» [vide]. J'étais comme cela tout le temps à la table,1 puis tout d'un coup (le gong a sonné), bang! bang! c'était fini.
Le temps a passé hors du temps.
C'est la première fois, parce que même quand j'ai une expérience, même la première fois, je me souviens, quand on a recommencé à faire des méditations collectives et que Sri Aurobindo est descendu et s'est littéralement assis sur le «compound» [enclos de l'Ashram], c'était très intéressant, n'est-ce pas, et très prenant,2 mais j'étais consciente du temps. Et cette fois-ci... Il y a eu des hauts, des bas, du bon, du mauvais, toutes sortes de choses, mais toujours j'étais consciente du temps, et hier... J'en étais ahurie moi-même. J'ai entendu le gong et j'avais l'impression que ça venait juste de commencer. Il y avait même quelque chose dans le corps qui jubilait comme un enfant: «Ça va durer une demi-heure, on va être comme cela pendant une demi-heure (c'était drôle, tu sais)... ah! enfin la vraie vie!» Voilà l'impression que le corps avait, et ça va durer une demi-heure... Bang! bang!... Comme si on l'avait volé de sa joie!
C'est curieux.
Ça a commencé d'une étrange façon: j'ai une bougie en cire de miel qui sent le miel quand elle brûle, une grosse bougie que l'on m'avait envoyée de Suisse. J'en ai déjà brûlé la moitié: je l'allume pour les méditations. Mais il y avait un défaut dans la mèche, elle s'est carbonisée, et hier elle a refusé de brûler. On Ta allumée – allumée deux fois juste avant –, et elle s'est éteinte juste au commencement de la méditation quand on a sonné. Alors la conscience du corps a dit: «Ô Seigneur, nous sommes si impurs que nous ne pouvons même pas brûler devant Toi!» C'était plein de simplicité spontanée: «Ô Seigneur, nous sommes si impurs...» Et immédiatement, la réponse (geste de descente massive): tout s'est arrêté.
C'était peut-être ce mouvement très enfantin mais très spontané et très simple, du corps, conscient de l'imperfection de la Matière: «Nous sommes si impurs que nous ne pouvons même pas brûler devant Toi!», c'est peut-être cela qui a provoqué cette réponse.
C'était une merveille – une courte merveille!
Tu médites chez toi?
Non, dans la chambre de Sri Aurobindo – dans son couloir.
C'est bien, là...
(silence)
Après, le reste de la journée, c'était comme si le corps demandait, ou était encouragé à demander (d'habitude, il ne demande pas, il ne demande même pas la santé ni rien), et pour la première fois hier dans l'après-midi, c'était comme s'il disait dans une sorte d'aspiration, presque pas formulée en mots mais avec le sentiment et l'impression: «Est-ce que je ne vais pas être prêt pour que ce soit Toi qui vives dans ces cellules? que ces cellules soient Toi...» Les mots abîment parce qu'ils donnent une précision un peu brutale et dure, mais c'était comme si les cellules disaient: «Jamais nous n'aurons cette Paix merveilleuse...» C'était une paix, mais une paix pleine de pouvoir créateur, et tellement riche, contenant une puissance infinie et une richesse de joie; et ça lui avait donné le courage de dire: «Nous ne serons ça que si c'est Toi qui es ici, et seulement Toi.»
Sri Aurobindo a écrit: «Chaque événement (comme chaque mouvement de la vie) sera une merveille quand ce sera le Tout merveilleux qui vivra» – qui vivra dans le corps. Et c'était vraiment comme l'expression de ce que le corps avait senti. Et c'est la SEULE raison d'être – il n'y en a pas d'autres, tout le reste... Il a passé par tous les dégoûts, tous les dédains, toutes les indifférences, au point de se demander: «Mais enfin, comment peut-on vivre? Pourquoi faire? Pourquoi-pourquoi existons-nous, pourquoi sommes-nous créés? Pourquoi?... Tout ça, ce n'est rien!» Et c'était étrange, c'était comme le souvenir des éons de temps qui ont été vécus dans cette ignorance du pourquoi et dans une sorte d'ahurissement... Que tant de temps ait pu être passé pour trouver la seule chose... la seule chose qui existe! Et tout ça, pourquoi tout ça? tout ça, des siècles de sensations absurdes... C'était curieux: comme un lent souvenir d'une vie futile et inutile – absurde – et si douloureuse! «Pourquoi tout ça pour trouver Ça?»
C'est curieux.
Je ne sais pas si c'est une réponse à cette question, mais aujourd'hui est venu comme un cinéma: un long défilé de toutes les histoires qui racontent comment les hommes détruisent ce qui leur est supérieur, ne peuvent pas tolérer ce qui leur est supérieur: les martyrs, les assassinats, les fins tragiques de tous ceux qui représentaient un pouvoir ou une vérité supérieure à l'humanité. Comme si c'était l'explication – l'explication symbolique – de la raison de ce temps presque infini qu'il a fallu pour que la Matière s'éveille – s'éveille au besoin impérieux de la Vérité.
C'était comme si l'on me disait: «Tu vois, il y avait un temps où l'on vous mettait sur le bûcher, on vous torturait...», des souvenirs de vies antérieures. Et ces souvenirs étaient associés à l'histoire récente d'un missionnaire protestant disant, en des mots moins clairs mais qui signifiaient ceci: «On n'adore le Christ que parce qu'il est MORT pour les hommes, parce qu'il a été crucifié pour les hommes.»
Tout cela semble avoir été nécessaire pour triturer la Matière.
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1 Mère reste assise devant sa table de travail pendant les méditations.
2 Voir Agenda III, du 18 août 1962.