Mère
Commentaires sur Le Dhammapada
Tape records
Le méritant
Il n’existe point de douleur pour celui qui a terminé son voyage, qui a abandonné tout souci, qui s’est libéré de toutes parts, qui a rejeté tous liens.
Ceux qui réfléchissent luttent toujours et abandonnent leur foyer, comme les cygnes qui abandonnent leur lac.
Ceux qui n’amassent rien, qui sont mesurés en mangeant, qui ont perçu la vacuité de toute chose et qui ont atteint la délivrance sans condition, leur trace est aussi difficile à suivre que celle d’un oiseau dans l’air.
Celui qui a détruit tout désir en lui et qui a perçu la vacuité de toute chose, qui se soucie peu de la nourriture, qui a atteint la délivrance sans condition, sa trace est aussi difficile à suivre que celle d’un oiseau dans l’air.
Les dieux eux-mêmes estiment celui dont les sens ont été domptés, comme les chevaux par le charretier, et qui s’est purgé de tout orgueil et libéré de toute corruption.
Celui qui fait son devoir est inébranlable comme la terre elle-même. Il est ferme comme un pilier, pur comme un lac sans limon; et pour lui le cycle des renaissances est terminé.
Tranquilles sont les pensées, les paroles et les actes de celui qui par la vraie connaissance s’est libéré et est parvenu au calme parfait.
Il est le plus grand parmi les hommes celui qui n’est pas crédule mais a le sens de l’incréé, qui a rompu toutes ses chaînes, qui a détruit tout élément de naissance nouvelle.
Que ce soit dans un hameau, dans une forêt, dans la plaine ou sur la montagne que vivent les hommes méritants, il est toujours agréable d’habiter avec eux.
Délicieuses sont les forêts que la foule dédaigne. Là, l’homme méritant et sans passion trouvera son bonheur, parce qu’il ne recherche pas les plaisirs sensuels.
Il y a ici une phrase très intéressante: «... celui qui n’est pas crédule, mais a le sens de l’incréé...»
Celui qui n’est pas crédule — on peut mettre dans ce mot toutes sortes de choses. La première impression est qu’il s’agit de celui qui ne croit pas aux choses invisibles à moins d’en avoir l’expérience, à la différence des gens qui suivent une religion, par exemple, et qui croient aux dogmes simplement parce qu’on le leur a appris. «Mais il a le sens de l’incréé...», c’est-à-dire qu’il est en rapport avec les choses invisibles et qu’il les connaît telles qu’elles sont, par identité. Le Dhammapada nous a dit pour commencer que c’est le plus grand parmi les hommes, celui qui, sans croire à ce qui est enseigné, a l’expérience personnelle des choses qui ne sont pas visibles, celui qui, libéré de toute croyance, a fait lui-même l’expérience des choses invisibles.
On peut donner une autre explication aussi: celui qui n’est pas crédule, c’est celui qui ne croit pas à la réalité des apparences, des choses telles que nous les voyons, qui ne les prend pas pour la vérité, qui sait que ce sont seulement des apparences trompeuses et que, derrière elles, il y a une vérité à trouver et à connaître par expérience personnelle et par identité.
Et ceci fait réfléchir au nombre de choses — au nombre incalculable de choses — que nous croyons sans aucune connaissance personnelle, simplement parce qu’on nous a enseigné qu’elles étaient comme cela, ou parce qu’on a l’habitude de penser qu’elles sont comme cela, ou parce qu’on est entouré de gens qui croient qu’elles sont comme cela. Si nous regardons toutes les choses que nous croyons, et non seulement que nous croyons mais que nous affirmons avec une autorité indiscutable: «Ça, c’est comme ça», «Ça! mais c’est comme ça», «Et telle chose, c’est cela»... au fond, nous n’en savons rien; c’est tout simplement parce que nous avons l’habitude de penser qu’elles sont comme cela. Quelles sont les choses dont vous avez une expérience personnelle, avec lesquelles vous avez un contact direct, et dont vous pouvez dire, au moins avec sincérité: «Je suis convaincu que c’est comme cela, parce que j’en ai l’expérience»? Il n’y en a pas beaucoup.
Et au fond, si l’on veut vraiment avoir une connaissance, on devrait commencer par faire une étude assez importante: vérifier les choses qui nous sont enseignées, même les plus usuelles, les plus insignifiantes. Alors on comprend pourquoi ce texte nous dit «le plus grand parmi les hommes», parce que je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens qui aient fait cette expérience.
Rien que de constater le nombre de choses que nous croyons et que nous affirmons, simplement parce que c’est l’habitude de les croire et de les affirmer, voilà une découverte assez intéressante.
Maintenant, vous allez regarder dans votre pensée et dans votre conscience toutes les choses que vous affirmez, sans preuves. Vous verrez!
28 mars 1958