Mère
Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo
Traduction et commentaires. Tape recordings (1958)
2 — L’inspiration est un courant ténu de brillante clarté qui jaillit d’une Connaissance vaste et éternelle. Elle dépasse la raison plus parfaitement que la raison ne dépasse la connaissance des sens.
Un certain nombre de questions posées sont: «Pourquoi Sri Aurobindo a-t-il dit comme cela?»... une chose ou l’autre.
Je pourrais répondre: «Il a dit comme cela, parce qu’il a vu comme cela.» Mais il faut comprendre une chose pour commencer; ce sont des définitions que donne Sri Aurobindo, des définitions qu’il donne le plus souvent sous une forme paradoxale, pour nous obliger à réfléchir.
Il y a les définitions du dictionnaire qui sont les explications ordinaires des mots, la compréhension ordinaire, et qui ne vous font pas réfléchir. Ce que dit Sri Aurobindo est dit dans le but de briser la conception habituelle, afin de vous faire toucher une vérité plus profonde. Alors une quantité de questions sont ainsi éliminées.
L’effort qu’il faut faire, c’est de tâcher de trouver la connaissance plus profonde, la vérité plus profonde que Sri Aurobindo a exprimée de cette façon, qui n’est pas la façon courante de définir un mot.
Je retiendrai quelques questions, et une toute première qui m’a intéressée parce qu’elle vient d’un esprit réfléchi. La question porte sur le mot «connaissance» et compare l’emploi du mot tel que Sri Aurobindo le fait dans cet aphorisme et tel qu’il l’a fait dans l’aphorisme que nous avons lu la semaine dernière.
Quand, la semaine dernière, Sri Aurobindo opposait, si l’on peut dire, la connaissance à la Sagesse, il parlait de la connaissance telle qu’elle est pratiquée par la conscience humaine générale, la connaissance que l’on obtient par l’effort et le développement mental, tandis qu’ici, au contraire, la connaissance dont il parle est la Connaissance essentielle, la Connaissance supramentale divine, la Connaissance par identité. C’est d’ailleurs pour cela, qu’ici, il la définit comme «vaste et éternelle», ce qui indique évidemment que ce n’est pas la connaissance humaine telle que nous la comprenons d’habitude.
Beaucoup de gens ont demandé pourquoi Sri Aurobindo a dit que le courant était «ténu». C’était pour faire une image expressive, une opposition frappante entre cette immensité de Connaissance divine, supramentale — l’origine de cette inspiration qui est infinie — et ce qu’un esprit humain peut en percevoir et en recevoir. Même lorsqu’on est en contact avec ces domaines, la quantité de ce que l’on en perçoit est minime, ténue; c’est comme un tout petit ruisseau, ou quelques gouttes qui tomberaient, et ces gouttes sont si pures, si brillantes, si complètes en elles-mêmes, qu’elles vous donnent la perception d’une inspiration merveilleuse, l’impression que vous avez touché à des domaines infinis et que vous vous êtes élevé très haut au-dessus de la condition humaine ordinaire — et pourtant ce n’est rien en comparaison de ce qui est à percevoir.
On a demandé aussi si l’être psychique1, ou la conscience psychique, est le milieu à travers lequel se perçoit l’inspiration.
Généralement, oui. Le premier contact que l’on a avec les régions supérieures est un contact psychique. Certainement, avant d’avoir obtenu une ouverture psychique intérieure, il est difficile d’avoir des inspirations. Cela peut se produire d’une façon exceptionnelle et dans des conditions exceptionnelles, comme une grâce, mais le vrai contact se produit à travers le psychique, parce que la conscience psychique est le milieu le plus en rapport avec la Vérité divine.
Plus tard, quand on a émergé de la conscience mentale dans une conscience supérieure au-delà du mental, même du mental supérieur, et que l’on s’ouvre aux régions du Surmental, et à travers le Surmental au Supramental, on peut recevoir directement les inspirations; et naturellement, à ce moment-là, elles deviennent plus fréquentes, plus fournies si l’on peut dire, plus complètes. Vient un moment où l’on peut obtenir l’inspiration à volonté; mais évidemment cela exige un développement intérieur considérable.
L’inspiration, comme nous venons de le dire, provenant de régions très au-dessus du mental, dépasse en valeur et en qualité tout ce que le mental peut produire de plus haut, comme la raison. La raison est certainement au sommet de l’activité mentale humaine; elle peut critiquer et contrôler la connaissance telle qu’on l’acquiert à l’aide des sens. Bien des fois, il a été dit que les sens sont des moyens de connaissance tout à fait défectueux, qu’ils ne peuvent pas percevoir les choses telles qu’elles sont, que leurs renseignements sont superficiels et très souvent erronés. La raison dans l’homme, quand elle est pleinement développée, sait cela, et elle ne se fie pas à la connaissance des sens; c’est seulement quand on est infraraisonnable, si je puis dire, que l’on croit que tout ce qu’on voit, tout ce qu’on entend, tout ce qu’on touche, est absolument vrai. Dès que l’on s’est développé dans la région de la raison supérieure, on sait que toutes ces notions sont presque essentiellement fausses et que l’on ne peut d’aucune façon se baser sur elles. Mais la connaissance que l’on reçoit de cette région supramentale ou divine dépasse tout ce que la raison peut concevoir et comprendre, au moins autant que la raison dépasse la connaissance des sens.
Un certain nombre de questions portent sur un point pratique: «Comment développer la capacité d’inspiration? Quelles sont les conditions pour recevoir l’inspiration et est-il possible de l’avoir d’une façon constante?»
J’ai déjà répondu à cela. Quand on s’ouvre aux régions supramentales, on se met dans les conditions qu’il faut pour avoir des inspirations constantes. Jusque-là, la meilleure méthode est de faire taire son mental autant qu’on le peut, de le tourner vers le haut et d’être dans un état de réceptivité silencieuse et attentive. Plus on peut établir un calme silencieux, parfait, dans le mental, plus on se rend capable de recevoir des inspirations.
On a demandé aussi si les inspirations sont de qualités différentes.
Dans leur origine, non. C’est toujours quelque chose qui descend des régions de la Connaissance pure et qui pénètre dans la partie la plus réceptive de l’être humain, la plus appropriée à la recevoir, mais ces inspirations peuvent s’appliquer à des domaines d’action différents; ce peut être des inspirations de connaissance pure, ce peut être aussi des inspirations pour aider à l’effort de progrès, et cela peut être aussi des inspirations pour des actions à accomplir, pour aider dans la réalisation pratique et extérieure. Mais il s’agit ici de l’emploi que l’on fait de l’inspiration, plutôt que de la qualité de l’inspiration — l’inspiration est toujours comme une goutte de lumière et de vérité qui réussit à pénétrer dans la conscience humaine.
Ce que la conscience humaine fera de cette goutte dépend de l’attitude, du besoin, de l’occasion, des circonstances; cela ne change pas la nature essentielle de l’inspiration, mais cela change l’emploi qu’on en fait, l’emploi pratique.
Quelques questions concernent la différence entre l’inspiration et l’intuition. Ce n’est pas la même chose; mais je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet au cours de notre lecture, et quand Sri Aurobindo nous dira ce qu’il considère comme l’intuition, nous en reparlerons.
D’une façon générale et presque absolue, si l’on veut vraiment profiter de cette lecture, comme de celle de tous les écrits de Sri Aurobindo, la meilleure méthode est celle-ci: après avoir rassemblé sa conscience, fixé son attention sur ce qu’on lit, il faut établir un minimum de tranquillité mentale — si l’on peut obtenir le silence parfait, c’est la meilleure chose — et arriver à un état d’immobilité cérébrale tel que l’attention devient semblable à la surface d’une eau absolument paisible. Alors la chose lue traverse cette surface et pénètre profondément dans l’être où elle est reçue avec le minimum de déformation; et après, quelquefois longtemps après, cela resurgit des profondeurs et se manifeste dans le cerveau avec sa pleine puissance de compréhension, non comme une connaissance acquise du dehors, mais comme une lumière que l’on portait au-dedans de soi.
De cette façon, la faculté de comprendre est à son maximum, tandis que si, en lisant, votre mental reste agité et qu’il essaye de raisonner et de comprendre immédiatement ce qu’il lit, vous perdez plus des trois quarts de la force, de la connaissance et de la vérité contenues dans les mots. Et si vous pouvez ne poser des questions que lorsque ce processus d’absorption et de réveil intérieur est accompli, eh bien, vous vous apercevrez qu’il y a beaucoup moins de choses à demander, parce que vous aurez mieux compris ce que vous avez lu.
19 septembre 1958
1 Dans chaque forme évolutive, il y a la présence psychique qui suit le mouvement de l’évolution, prend forme progressivement autour de l’étincelle de la Conscience divine au centre de l’être, s’individualise de vie en vie, et devient l’être psychique.