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Mère

Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo

Traduction et commentaires. Tape recordings (1958)

Jnâna

 

1 — Il y a dans l’homme deux pouvoirs alliés: la Connaissance et la Sagesse. La Connaissance est ce qu’en tâtonnant le mental peut saisir de la vérité vue dans un milieu déformé; la Sagesse, ce que l’oeil de la vision divine voit dans l’Esprit.

Quelqu’un a demandé: «Pourquoi les pouvoirs sont-ils alliés?»

Je suppose que l’on est habitué à voir dans l’homme toutes les choses qui se querellent, si bien que d’être allié suscite l’étonnement! Mais les querelles ne sont qu’apparentes. En fait, nécessairement, tous les pouvoirs qui viennent des régions supérieures sont alliés. Et Sri Aurobindo dit de façon suffisamment claire, pour celui qui comprend, que l’un de ces pouvoirs appartient au mental et que l’autre appartient à l’Esprit. C’est justement cela la vérité profonde que Sri Aurobindo veut révéler dans son aphorisme, c’est que si le mental essaye d’avoir le second pouvoir, il ne le peut pas, puisque c’est un pouvoir qui appartient à l’Esprit et qui naît dans l’être humain avec la conscience spirituelle.

La connaissance est quelque chose que le mental peut obtenir avec beaucoup d’efforts, bien que ce ne soit pas la Connaissance véritable mais un aspect mental de la Connaissance; tandis que la Sagesse n’appartient pas du tout au mental, qui est tout à fait incapable de l’avoir parce que, en vérité, il ne sait même pas ce que c’est. Je le répète: la Sagesse est essentiellement un pouvoir de l’Esprit et elle ne naît qu’avec la conscience spirituelle.

Une question qu’il aurait été intéressant de poser, c’est ce que Sri Aurobindo veut dire quand il parle de «la vérité vue dans un milieu déformé». Quel est d’abord ce milieu déformé et que devient la Vérité dans un milieu déformé?

Comme toujours, ce que dit Sri Aurobindo peut avoir plusieurs sens superposés — l’un plus particulier, l’autre plus général.

Au sens le plus particulier, le milieu déformé est le milieu mental qui fonctionne dans l’ignorance et qui, par conséquent, est incapable d’exprimer la vérité dans sa pureté. Mais comme la vie tout entière est vécue dans l’ignorance, le milieu déformé est aussi l’atmosphère terrestre qui, tout entière, déforme la vérité qui essaye de s’exprimer à travers elle.

Et ici se trouve le point le plus subtil de cette phrase. Qu’est-ce que le mental peut saisir en tâtonnant? Nous savons qu’il tâtonne toujours, qu’il essaye de savoir, qu’il se trompe et qu’il revient à ses vieux essais, et qu’il en essaye d’autres, enfin... c’est une marche très, très trébuchante, mais qu’est-ce qu’il peut saisir de la Vérité? Est-ce un fragment, un morceau, quelque chose qui tout de même reste la Vérité, mais partielle, incomplète, ou est-ce quelque chose qui n’est plus la Vérité? C’est là le point intéressant.

Nous avons été habitués à entendre, peut-être avons-nous répété aussi bien des fois, que l’on ne peut avoir que des connaissances partielles, incomplètes, fragmentaires, et qui, par conséquent, ne peuvent pas être des connaissances vraies. Ce point de vue est assez banal et il suffit d’avoir étudié un peu dans sa vie pour s’en être rendu compte, mais ce que Sri Aurobindo veut dire par «la vérité vue dans un milieu déformé», est beaucoup plus intéressant que cela.

C’est la Vérité elle-même qui change d’aspect, c’est elle qui dans ce milieu-là n’est plus la Vérité, mais une déformation de la Vérité; et par conséquent, ce que l’on peut en saisir, ce n’est pas un morceau qui serait vrai, mais un aspect, l’apparence fausse d’une vérité qui elle-même s’est évanouie.

Je vais vous donner une image pour essayer de me faire comprendre. Ce n’est qu’une image et rien de plus, ne la prenez pas au pied de la lettre.

Si nous comparons la Vérité essentielle à une sphère de lumière blanche, éblouissante et sans tache, nous pouvons dire que dans le milieu mental, dans l’atmosphère mentale, cette lumière blanche, totale, se transforme en des milliers et des milliers de nuances qui ont chacune leur couleur distincte, parce qu’elles sont séparées l’une de l’autre — le milieu a déformé la lumière blanche et la fait percevoir comme d’innombrables couleurs différentes, rouge, vert, jaune, bleu, etc., qui sont parfois très discordantes, et le mental se saisit, non d’un petit morceau de lumière blanche de la sphère blanche, mais d’un certain nombre, plus ou moins grand, de petites lumières de couleurs différentes, avec lesquelles il ne peut même pas reconstituer la lumière blanche; par conséquent il ne peut pas atteindre la Vérité. Ce ne sont pas des fragments de vérité qu’il possède, mais une vérité décomposée. C’est un état de décomposition.

La Vérité est un tout, et tout est nécessaire. Le milieu déformé dans lequel vous voyez, l’atmosphère mentale, est impropre à manifester, ou à exprimer, ou même à percevoir tous les éléments — et on peut dire que c’est le meilleur qui échappe. On ne peut donc plus appeler cela la Vérité, mais quelque chose qui essentiellement est vrai et qui, là, dans l’atmosphère mentale, ne l’est plus du tout — une ignorance.

Ainsi, pour résumer, je dirai que la Connaissance telle que le mental humain peut la saisir est forcément une connaissance dans l’ignorance, on pourrait presque dire une connaissance ignorante.

La Sagesse, c’est la vision de la Vérité dans son essence, et de son application dans la manifestation.

12 septembre 1958