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Sri Aurobindo

Savitri

A Legend and a Symbol

Note

L’introduction et la traduction que nous publions ici avaient tout d’abord été conçues comme une conclusion et une annexe de notre dernier livre La Tragédie de la Terre – de Sophocle à Sri Aurobindo, où Savitri revient sans cesse accompagner les chœurs de Sophocle et les hymnes des Rishis védiques. Notre “introduction” est donc simplement une continuation.

Ce que nous ne pouvons pas traduire ici en français, hélas, c’est le rythme de ces Chants, le mot inévitable qui fait voir”.1

Et pourtant, c’est pour la joie non la douleur que cette terre fut faite2.

– Sri Aurobindo, Savitri

SAVITRI

Le testament de Sri Aurobindo

Toujours il y eut ce cri de l’amour défait devant la mort, ce Non de feu devant ce Non de pierre. Ce quelque chose dans l’Homme qui n’accepte pas – et c’est toujours l’amour qui a fait face à cette inexorable Négation. C’est devant cela que la brûlure est la plus intense, et la vieille blessure devient comme la Blessure même de la Terre. Les pleurs n’ont jamais servi, mais quelquefois une sublime volonté saisit un cœur. Ce sont nos plus beaux mythes et ils datent d’avant les ruines de Thèbes lorsque, Isis, indomptablement, descendait chez les “seigneurs de la nécropole” rapiécer le corps démembré de celui qu’elle aimait, Osiris. Toujours il y a eu cette volonté de vaincre la mort, cet amour plus fort que la mort – nous disons des “mythes”, et pourtant, dans ces rêves “inexistants” se cachent les plus puissants ressorts de la race humaine et sa prescience d’un pouvoir à venir. De l’union posthume d’Isis et d’Osiris est né celui que l’on appelait “l’Enfant”, Horus, l’ancêtre des Pharaons, le Faucon d’or... Quel est ce mystérieux enfant né d’outre-tombe, de la mort vaincue?

Plus tard, il y eut Déméter, la “Grande-Déesse” de la Terre, épouse de Zeus, dont la fille, Korê, fut enlevée par Pluton, le “Seigneur infernal”. Ce fut la naissance des Mystères d’Éleusis qui répétaient l’union du Ciel et de cette Terre mortelle, donnant naissance à l’“Enfant divin” – cet enfant d’outreterre, plus fort que la mort: notre âme... qui n’a pas encore conquis son pouvoir sur la mort. Déjà le mythe s’élargit. Mais l’Enfant, notre enfant, reste toujours outre-terre.

Puis il y eut l’émouvante légende d’Orphée, le chantre “mythique”, qui descendit aux Enfers pour arracher son Eurydice bien-aimée à la vieille mort – et ses chants, son amour, conquirent même le cœur de pierre de l’Hadès infernal. Il retrouva son Eurydice... un bref moment. Désolé de cette deuxième mort, Orphée se retire seul en compagnie des animaux sauvages, qui le comprenaient mieux, peut-être. Mais l’Homme essaye toujours, c’est ce qui le fait sublime parmi toutes les espèces sauvages.

Avant même Eleusis, avant même Ménès, le premier Pharaon d’Égypte près d’Abydos, ou son contemporain, vers l’an trois mille avant notre ère des morts consentants, il y avait la légende de Savitri dont l’amour arrache à la mort son époux bien-aimé, Satyavane. C’est dans le Mahabharata que l’on retrouve cette légende, et c’est de là que Sri Aurobindo a tiré son épopée prodigieuse de quelque vingt-trois mille huit cent treize vers, mais en lui donnant un sens plus vaste, cosmique: la Terre arrachée à la mort. Car cette mort, elle est toujours chez nous, mais peut-être pas pour toujours.

Je ne grimpe pas à ton Jour perpétuel

De même que j’ai rejeté ta Nuit éternelle...

La Terre est le lieu choisi des âmes puissantes

La Terre est l’héroïque champ de bataille de l’esprit...

Tes servitudes sur la terre, ô roi,

Sont plus grandes que toutes les glorieuses libertés du ciel...

En moi, l’esprit de l’amour immortel

Ouvre ses bras pour embrasser la race humaine.

Trop lointains sont tes cieux pour les hommes qui souffrent,

Imparfaite est la joie que tous ne partagent pas.

Oh! se répandre, oh! encercler et saisir

Plus de cœurs jusqu’à ce que l’amour en nous

Emplisse ton monde!...

N’y a-t-il pas encore un million de batailles à livrer...

N’y a-t-il pas encore un million de chants à tisser...

Je sais que je peux soulever l’âme de l’homme jusqu’à Dieu,

Je sais qu’il PEUT faire descendre l’Immortel ici...

Je ne sacrifie pas la terre à des mondes plus heureux3.

Ce “il”, c’est Satyavane. Il peut.

C’est l’âme de la Terre tombée (ou entombée) dans l’Ignorance et dans le règne de la Mort. C’est cette âme de la Terre que Savitri, fille du Soleil, vient délivrer – Savitri, la Mère des mondes dans un corps humain, épouse de Satyavane.

Le premier chant de l’épopée de Sri Aurobindo s’achève sur ce vers: “C’était le jour où Satyavane devait mourir.” Le Destin le voulait ainsi – notre Terre va-t-elle mourir encore une fois? Sri Aurobindo avait commencé Savitri dès son retour en Inde, avant le début du siècle, et en 1950, quelques mois avant son départ, il révisait encore le “Livre du Destin”. Cette épopée, c’est le testament de Sri Aurobindo – son exploration, sa question devant cette race humaine inguérissable (semble-t-il).

Et pourtant l’Homme peut. Mais il ne sait pas qu’il peut, c’est sa colossale Ignorance. Il ne connaît pas son propre Moyen, lui, le fils de l’Immortel – et s’il est le fils de l’Immortel, il doit avoir, il a tous les Moyens de l’Immortel. Il s’est laissé enchaîner par de faux savoirs et de faux saluts, et la Mort règne, naturellement, parce que nous vivons d’elle et de ses faux moyens.

Savitri vient pour “briser la loi de fer4”.

Je ne m’incline pas devant toi, énorme masque de Mort,

Mensonge noir de la nuit devant l’âme intimidée des hommes...

Je suis immortelle dans ma mortalité...

Je foule cette loi avec des pieds vivants5.

Et c’est le thème constant de Savitri: tu es, tu es... – et qui es-tu? qui choisis-tu? et tu peux.

Un Esprit qui est personne et innombrable

La seule Personne mystique infinie de son propre monde,

Il multiplie sa myriade de personnalité,

Pose sur tous ses corps son sceau de divinité

Et en chacun, siège immortel et unique6.

Et encore:

Une dette mutuelle lie l’homme au Suprême,

Nous devons revêtir sa nature, de même qu’il vêt la nôtre

Nous sommes les fils de Dieu et tel que lui nous devons être...

Notre vie est un paradoxe avec Dieu pour clef7.

Mais comment “briser cette loi de fer”?... C’est la fabuleuse exploration du “Roi”, père de Savitri, le pionnier de l’espèce – aucune épopée au monde n’a dit tant de secrets avec tant de beauté. C’est l’expérience même de Sri Aurobindo sous un couvert “poétique”: “Ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas de la poésie! s’exclamait Mère, c’est une description exacte, pas à pas, paragraphe par paragraphe, page par page8.”

Les Védas revenus à l’heure de l’“obscurité finale”.

Et sa découverte centrale, son exploration centrale et pas à pas, peut se ramasser en un seul vers de Savitri, que l’on peut lire avec étonnement parce que nous sommes toujours allés à l’autre bout des choses:

Faire de l’abîme une route pour la descente du Ciel9

C’est notre paradoxe. C’est le Paradoxe Divin sous notre manteau de Ténèbres. Si nous étions issus des Ténèbres, il n’y aurait que des ténèbres pour nous, à jamais. Mais nous ne sommes jamais allés regarder .

Le remède est au centre du mal10”, disait Mère.

Seulement, c’est plus difficile.

C’est notre Défi humain.

La vie que vous menez cache la lumière que vous êtes...

Vous étiez faits de la substance de l’Immortel

Vos actes peuvent être de rapides foulées révélatrices

Votre vie, un moule changeable pour les dieux qui grandissent

Un Voyant, un puissant Créateur est dedans...

Auteurs des grandes métamorphoses terrestres c’est à vous qu’il est donné

De traverser les dangereux espaces de l’âme...

Et d’affronter l’infini dans sa demeure de chair

Et que cette vie devienne les millions de corps de l’UN11.

Cette route à travers l’abîme, Sri Aurobindo et Mère l’ont taillée dans leur propre corps. En Savitri, on peut reconnaître Mère.

Alors, par un tunnel creusé dans le dernier roc

Elle est sortie, là où brillait un soleil immortel12.

Ce sont nos racines mêmes, ténébreuses, inconscientes, endormies, qui contiennent l’arbre plein de notre Évolution nouvelle – l’autre bout de cette “noire enveloppe” entourée de toutes parts, en bas comme en haut, d’un Soleil immortel.

Il tirait les énergies qui transmueront un âge13, dit le Roi dans Savitri.

Et tous ces millions d’années qui nous semblent si longues:

Seuls, des commencements ont eu lieu ici14...

Ce que, maintenant, nous voyons est une ombre de ce qui doit venir15.

 

1 The Future Poetry, 9.24

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2 Savitri, X.3.629

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3 Savitri, XI.1.686 sqq

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4 Savitri, III.4.346

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5 Savitri, IX.2.588 sqq

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6 Savitri, X.4.662

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7 Savitri, I.4.67

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8 L’Agenda de Mère, 4 juillet 1961, vol. II, p. 275

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9 Savitri, II.5.172

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10 Entretiens, 27 mai 1953

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11 Savitri, IV.3.370

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12 Savitri, VII.5.525

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13 Savitri, I.3.44

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14 Savitri, I.5.77

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15 Savitri, I.4.46

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