Mère
Entretiens
Le 12 novembre 1958
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«Si en faisant apparaître et en développant l’homme spirituel dans l’évolution, la Nature a pour seule intention d’éveiller celui-ci à la suprême Réalité et de le libérer de sa propre emprise — ou de l’Ignorance derrière laquelle elle s’est masquée en tant que Pouvoir de l’Éternel — par un départ vers un plus haut état d’être, ailleurs, et si ce stade de l’évolution s’achève par une fin et une sortie, alors, dans l’essentiel, son travail est déjà accompli et il ne reste plus rien à faire. Les voies ont été tracées et les facultés nécessaires pour les suivre sont apparues, le but ou le dernier sommet de la création est manifeste; tout ce qui reste à faire, pour chaque âme, c’est d’atteindre individuellement la vraie étape et le vrai tournant de son développement, d’entrer sur les voies spirituelles, et, par le chemin qu’elle a choisi, de sortir de cette existence inférieure. Mais nous avons supposé qu’il y avait une intention plus lointaine; non seulement une révélation de l’Esprit, mais une transformation radicale et intégrale de la Nature. Il y a en elle la volonté d’effectuer une vraie manifestation de la vie de l’Esprit dans un corps, d’achever ce qu’elle a commencé, en opérant un passage de l’Ignorance à la Connaissance, de rejeter son masque et de se révéler comme la Conscience-Force lumineuse qui porte en soi l’existence éternelle et sa joie d’être universelle. Il devient alors évident que quelque chose n’a pas encore été accompli; tout ce qui reste à faire apparaît clairement, bhûri aspashta kartvam. Un sommet reste à atteindre, une étendue que doit encore embrasser l’oeil de la vision, l’aile de la volonté — il reste que l’Esprit doit s’affirmer dans l’univers matériel. Ce qu’à fait le Pouvoir évolutif, jusqu’à présent, c’est de permettre à quelques individus de percevoir leur âme, de les rendre conscients de leur moi, de l’être éternel qu’ils sont, de les mettre en communion avec la Divinité ou la Réalité qui se dissimule sous les apparences. Un certain changement de nature prépare, accompagne ou suit cette illumination, mais ce n’est pas le changement complet et radical qui établit un nouveau principe sûr et invariable, une nouvelle création, un nouvel ordre d’existence permanent dans le domaine de la Nature terrestre. L’homme spirituel est apparu dans l’évolution, mais non l’être supramental qui sera dorénavant le maître de cette Nature.» (L’Évolution spirituelle, p. 81-82)
Mère, comment trouver la vraie étape et le vrai tournant de son développement?
Comment la trouver!... Il faut la chercher. Il faut la vouloir, avec persistance. Il faut que ce soit la chose importante.
(silence)
Ce qui arrive le plus souvent lorsqu’on fait l’effort intérieur nécessaire pour découvrir son âme, s’unir à elle et lui permettre de gouverner la vie, c’est une sorte d’enchantement merveilleux de cette découverte, qui fait que le premier instinct est de se dire: «Maintenant, j’ai ce qu’il me faut, j’ai trouvé la joie infinie!» et de ne plus s’occuper d’autre chose.
C’est en fait ce qui est arrivé à presque tous ceux qui ont fait la découverte, et il y en a même qui ont érigé cette expérience en principe de réalisation et qui ont dit: «Quand vous avez fait ça, tout est fait, il n’y a plus rien d’autre à faire; vous êtes arrivés au but et au bout du chemin.»
Au fond, il faut un grand courage pour aller plus loin, il faut que cette âme que l’on découvre, soit une âme de guerrier intrépide, qui ne se satisfasse point de sa propre joie intérieure en se consolant du malheur des autres par cette idée que tôt ou tard tout le monde y arrivera, et que l’effort que l’on a fait, il est bon que les autres le fassent, ou, au mieux, que de cet état de sagesse intérieure, on peut, avec une «grande bienveillance» et une «profonde compassion», aider les autres à y parvenir, et que lorsque tout le monde en sera là, eh bien, ce sera la fin du monde et c’est tant mieux pour ceux qui n’aiment pas souffrir!
Mais... il y a un «mais». Est-on bien sûr que tel a été le but et l’intention du Suprême lorsqu’il s’est manifesté?
(silence)
Toute la création, toute cette manifestation universelle apparaît comme, au mieux, une très mauvaise plaisanterie si c’est pour en arriver là. Pourquoi commencer si c’est pour en sortir! À quoi sert d’avoir tant lutté, tant souffert, d’avoir créé quelque chose qui, au moins dans son apparence extérieure, est si tragique et dramatique, si c’est simplement pour vous apprendre à en sortir — il aurait mieux valu ne pas commencer.
Mais si l’on va tout au fond des choses, si, dépouillé non seulement de tout égoïsme mais aussi de l’ego, on se donne totalement, sans réserve, de cette façon si complète et si désintéressée qui vous rend capable de connaître le dessein du Seigneur, alors on sait que ce n’est pas une mauvaise plaisanterie, que ce n’est pas un chemin tortueux pour en revenir, un peu meurtri, au point de départ. C’est tout au contraire pour apprendre à la création totale la joie d’être, la beauté d’être, la grandeur d’être, la majesté d’une vie sublime, et le développement perpétuel, perpétuellement progressif, de cette joie, de cette beauté, de cette grandeur. Alors, tout a un sens, alors on n’a plus de regret d’avoir lutté, d’avoir souffert, on n’a plus que cet enthousiasme de réaliser le but divin, et on se précipite dans la réalisation avec la certitude du but et de la victoire.
Mais pour savoir cela, il faut cesser d’être égoïste, d’être un être séparé qui se replie sur lui-même et qui se coupe de l’Origine suprême. C’est cela qu’il faut faire: se dépouiller de son ego. Alors on peut connaître le but véritable — et c’est le seul moyen!
Se dépouiller de son ego, le laisser tomber là comme un vêtement inutile.
Le résultat vaut les efforts qu’il faut faire. Et puis, on n’est pas tout seul sur le chemin. On est aidé, si on a confiance.
Si on a eu seulement une seconde de contact avec la Grâce — cette Grâce merveilleuse qui vous emporte, qui vous fait courir, qui vous fait même oublier que vous avez à courir —, si on a eu seulement une seconde le contact avec ça, alors on peut faire effort pour ne pas oublier. Et avec la candeur d’un enfant, la simplicité de l’enfant pour lequel il n’y a pas de complications, se donner à cette Grâce, et La laisser faire.
Ce qu’il faut, c’est ne pas écouter ce qui résiste, ne pas croire à ce qui contredit — avoir confiance, une vraie confiance, une confiance qui fait qu’on s’abandonne sans calcul, sans marchandage. Confiance! Enfin confiance, dire: «Fais, fais ça pour moi, je Te laisse faire.»
Ça, c’est le meilleur moyen.