Mère
Entretiens
Le 27 août 1958
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Douce Mère, quand tu nous dis de méditer sur un sujet quelconque, on choisit par exemple de méditer que l’on s’ouvre à la lumière; on imagine toutes sortes de choses drôles, on imagine une porte qui s’ouvre, etc., mais cela prend toujours des formes mentales.
Cela dépend des individus. Chacun a son procédé spécial. Cela dépend tout à fait de chacun. Les uns peuvent avoir une imagerie qui les aide; les autres, au contraire, ont un esprit plus abstrait et voient seulement les idées; les autres, qui vivent davantage par la sensation ou le sentiment, ont plutôt des mouvements psychologiques, des mouvements de sentiments internes ou de sensations — cela dépend de chacun. Ceux qui ont un mental physique actif et particulièrement formateur, ceux-là voient des images, mais tout le monde n’éprouve pas la même chose. Si tu demandes par exemple à ta voisine... (S’adressant à la voisine) Quand je donne un sujet, est-ce que tu vois des images comme cela?
Quelquefois.
Quelquefois?
Le plus souvent, on sent quelque chose.
Le plus souvent, c’est quoi?
C’est une sensation.
Une sensation, oui. C’est plus fréquemment une sensation (je veux dire généralement), plus fréquemment une sensation ou un sentiment qu’une image. L’image vient toujours pour ceux qui ont un pouvoir mental formateur, un mental physique qui est actif. C’est un signe que l’on est actif dans sa conscience mentale.
(L’enfant qui avait posé la première question) Mais est-ce correct comme cela?
Mais tout est correct, si cela a un résultat! Quel que soit le moyen, il est bon. Pourquoi ne serait-ce pas correct?... Des images comme cela ne sont pas forcément ridicules. Elles ne sont pas ridicules, n’est-ce pas, ce sont des images mentales. Si elles vous produisent un effet, elles sont tout à fait appropriées. Si cela vous donne une expérience, c’est approprié.
Par exemple, quand je vous demande de descendre audedans de vous-même, il y en a qui se concentreront dans une sensation, mais il y en a très bien qui auront l’impression de descendre dans un puits profond, et ils ont tout à fait l’image, n’est-ce pas, de pas qui descendent dans un puits obscur et profond et ils descendent de plus en plus, de plus en plus, et quelquefois ils aboutissent à une porte justement, ils s’installent devant la porte avec la volonté d’entrer, et parfois la porte s’ouvre, et alors on entre et on voit comme une salle, ou une chambre, ou une grotte, ou quelque chose, et puis de là, si l’on continue, on peut arriver à une autre porte et encore s’arrêter, et avec un effort la porte s’ouvre et on va plus loin, et si on le fait avec assez de persistance et que l’on puisse continuer l’expérience, il y a un moment où l’on se trouve devant une porte qui a... un caractère spécial de solidité ou de solennité, et avec un grand effort de concentration, la porte s’ouvre, et on pénètre soudain dans une salle de clarté, de lumière; et alors, on a l’expérience, n’est-ce pas, du contact avec son âme... Mais je ne vois pas ce qu’il y a de mauvais à avoir des images!
Non, mais c’est seulement une imagination, n’est-ce pas, Mère?
Imagination? Qu’est-ce que c’est qu’une imagination? Tu ne peux rien imaginer qui n’existe dans l’univers! Il est impossible d’imaginer quelque chose qui n’existe pas quelque part. La seule chose possible, c’est que l’on ne mette pas son imagination à sa place: ou on lui donne des vertus et des qualités qu’elle n’a pas, ou on l’explique autrement qu’avec la bonne explication. Mais quoi que ce soit que l’on imagine, existe quelque part; le tout est de savoir où et de le mettre à sa bonne place.
Naturellement, si après avoir imaginé que tu es devant une porte qui s’ouvre, tu pensais que c’était vraiment une porte physique qui est dans ton corps, ce serait une erreur! Mais si tu te rends compte que c’est la forme mentale que prend ton effort de concentration, c’est tout à fait exact. Si tu vas te promener dans le monde mental, tu verras plein de formes comme cela, toutes sortes de formes, qui n’ont pas de réalité matérielle mais qui existent parfaitement bien dans le monde mental.
Tu ne peux pas penser fortement à quelque chose sans que ta pensée prenne une forme. Mais cette forme, si tu croyais qu’elle était physique, évidemment ce serait une erreur, mais elle existe parfaitement dans le monde mental.
L’imagination est un pouvoir de formation. En fait, ceux qui n’ont pas d’imagination sont des gens qui ne sont pas formateurs au point de vue mental, qui ne peuvent pas donner une puissance concrète à leur pensée. L’imagination est un moyen d’action très puissant. Par exemple, si tu as une douleur quelque part et que tu puisses t’imaginer que tu fais disparaître la douleur ou que tu l’enlèves ou que tu la détruis — toutes sortes d’images comme cela —, eh bien, tu réussis parfaitement bien.
On raconte l’histoire d’une personne qui perdait ses cheveux d’une façon fantastique, à devenir chauve en quelques semaines, et alors, quelqu’un lui a dit: «Imaginez donc, quand vous vous coiffez, que vos cheveux sont en train de pousser et qu’ils vont pousser très vite.» Et toujours, en se coiffant, elle disait: «Oh! mes cheveux sont en train de pousser, oh! ils vont pousser très vite...» C’est arrivé! Tandis que généralement ce que les gens font, c’est de se dire: «Ah! voilà encore tous mes cheveux qui tombent et je vais devenir chauve, c’est sûr, ça va arriver!»
Évidemment ça arrive!
Mère, dans les classes du vendredi, souvent tu nous lis une phrase1 et tu demandes de méditer sur cette phrase. Mais comment méditer sur une phrase? C’est-à-dire faut-il penser, méditer sur cette idée ou... Qu’est-ce qu’il faut faire?
Méditer sur une phrase?
Oui.
Évidemment sur ce qu’elle veut dire.
C’est-à-dire qu’il faut penser...
Oui. Et alors?
Parce que, Mère, cela devient une fonction mentale, ou quoi?
Ça, c’est déjà une formation mentale; la formation mentale est faite. La phrase, c’est la formation mentale exprimée. Alors, quand on médite sur une phrase, il y a deux moyens. Il y a un moyen extérieur, actif, ordinaire, qui est de réfléchir et de tâcher de comprendre ce que ces mots veulent dire, comprendre intellectuellement ce que veut dire exactement cette phrase — ça, c’est une méditation active. On se concentre sur ces quelques mots et on prend la pensée qu’ils expriment et on essaye, par le raisonnement, par la déduction, par l’analyse, de comprendre ce que cela veut dire.
Il y a un autre moyen, qui est plus direct et plus profond, c’est de prendre cette formation mentale, cet ensemble de mots avec la pensée qu’ils représentent, et de rassembler toutes ses énergies d’attention là-dessus en s’obligeant à concentrer toute sa force sur cette formation. Au lieu, par exemple, de concentrer toutes ses énergies sur quelque chose que l’on voit physiquement, on prend cette pensée et on concentre toutes ses énergies sur cette pensée, dans le mental naturellement.
Et alors, si l’on arrive à concentrer la pensée suffisamment et à l’empêcher de vaciller, tout naturellement on passe de la pensée exprimée par les mots à l’idée qui est derrière, et qui pourrait s’exprimer dans d’autres mots, d’autres formes. Le propre de l’idée, c’est de pouvoir se revêtir de beaucoup de pensées différentes. Et quand on est arrivé là, on est déjà arrivé beaucoup plus profondément que par la simple compréhension des mots. Naturellement, si l’on continue à se concentrer et que l’on sache le faire, on peut passer de l’idée à la force lumineuse qui est derrière. Alors là, vous entrez dans un domaine beaucoup plus profond et plus vaste. Mais cela demande une éducation. Mais enfin, c’est le principe même de la méditation.
Si l’on arrive à aller assez profondément, on trouve le Principe et la Force qui sont derrière l’idée, et cela vous donne le pouvoir de la réalisation. C’est comme cela que ceux qui prennent la méditation comme moyen de développement spirituel arrivent à joindre le Principe qui est derrière les choses et à obtenir le pouvoir d’agir sur ces choses, de là-haut.
Mais sans même aller si loin (cela implique une assez forte discipline, n’est-ce pas, une grande habitude), on peut très bien passer de la pensée à l’idée, et alors cela vous donne une lumière et une compréhension dans l’esprit qui vous permet, à votre tour, d’exprimer l’idée sous n’importe quelle forme. Une idée peut s’exprimer sous beaucoup de formes différentes, sous beaucoup de pensées différentes, de même que si vous descendez à un niveau plus matériel, la pensée peut s’exprimer à travers beaucoup de mots différents. En s’en allant vers le bas, vers l’expression, c’est-à-dire l’expression parlée ou l’expression écrite, il y a beaucoup de mots différents et de formules différentes qui peuvent servir à exprimer une pensée, mais cette pensée est seulement une des formes de pensée qui peuvent exprimer l’idée, le Principe qui est derrière, et cette idée ellemême, si on la suit profondément, a derrière elle un principe de connaissance spirituel et de pouvoir qui, alors, peut se répandre et agir sur la manifestation.
Quand tu as une pensée, tu cherches des mots, n’est-ce pas, et puis tu essayes d’arranger ces mots pour exprimer ta pensée; tu peux te servir de beaucoup de mots pour exprimer une pensée, tu te dis: «Non, tiens, si je mettais ce mot-là au lieu de celui-ci, ça exprimerait mieux ce que je pense.» C’est ce que l’on vous apprend quand on vous enseigne le style, à écrire.
Mais quand je vous donne une phrase écrite qui a un pouvoir d’exprimer une pensée, et que je vous dis de vous concentrer là-dessus, alors, à travers cette forme de pensée, vous pouvez remonter jusqu’à l’idée qui est derrière, et qui peut s’exprimer à travers beaucoup de pensées différentes. C’est comme une grande hiérarchie: il y a un Principe qui est tout en haut, qui lui-même n’est pas unique parce que l’on peut remonter encore plus haut; mais ce Principe peut s’exprimer dans des idées, et ces idées peuvent s’exprimer dans un grand nombre de pensées et ce grand nombre de pensées peut se servir d’un grand nombre de langages et d’un plus grand nombre encore de mots.
Quand je vous donne une pensée, c’est simplement pour vous aider à vous concentrer... Il y a des écoles qui mettent un objet devant vous, une fleur ou une pierre, ou un objet quelconque, et puis vous vous asseyez tout autour et vous vous concentrez là-dessus et vos yeux font comme cela (Mère se met à loucher)... jusqu’à ce que vous deveniez l’objet. C’est aussi un moyen de concentration. À force de regarder comme cela, sans bouger, finalement vous passez dans la chose que vous regardez. Mais il ne faut pas se mettre à regarder toutes sortes de choses: seulement fixer ça. Ça vous donne un regard... ça vous fait loucher.
Tout cela, c’est pour apprendre la concentration, c’est tout.
Quelquefois, une de ces phrases exprime une vérité très profonde. C’est l’une de ces phrases heureuses qui sont très expressives. Alors cela vous aide à trouver la vérité qui est derrière.
Quand nous aurons fini le Dhammapada, c’est ce que j’ai l’intention de faire. Je suis en train de traduire le dernier livre de Sri Aurobindo que nous avons publié, Thoughts and Aphorisms, et j’ai l’intention, le vendredi, de donner une seule phrase, un seul de ces aphorismes (avec ou sans commentaires suivant le cas), mais comme sujet de méditation. Les modalités sont à trouver... On pourrait procéder de deux façons différentes. Comme je vais les prendre en ordre, on saura toujours quel sera celui de la semaine suivante et préparer d’avance des questions; ou bien, si l’on ne prépare pas d’avance des questions, il serait peut-être plus intéressant de prendre une phrase, d’avoir une méditation là-dessus, et la leçon suivante de me poser des questions sur la phrase de la semaine précédente. Alors, parmi les questions que l’on me poserait, je choisirais celles qui me paraissent les plus intelligentes et je répondrais. Et après, on prendrait une nouvelle phrase qui servirait de sujet de méditation pour ce jour-là et de sujet de questions pour la semaine suivante. Et cela, je vais le faire avec une intention très précise, très définie: celle de vous sortir de votre somnolence mentale, pour vous obliger à réfléchir et à essayer de comprendre ce que je vous dis... Parce que cela fait du bruit dans les oreilles, un bruit un peu moins fort dans la tête, et puis ça s’en va de l’autre côté, et puis c’est fini! Quelquefois, rarement, par une grâce spéciale, simplement il y a un petit effet ici, comme ça, qui dure comme une flamme un peu vacillante — ça brûle et puis, pfft!... Quelque chose souffle dessus, ça s’éteint et puis c’est tout fini.
Nous avons besoin de cours, Douce Mère.
Quand tu m’as dit l’autre jour que je vous avais promis des «cours», eh bien, j’ai pris cela très sérieusement. Je vais tenir ma promesse. Voilà.
1 Pour le moment, le Dhammapada.