Mère
Entretiens
Le 16 avril 1958
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«Au cours des étapes précédentes de l’évolution, le premier soin et le premier effort de la Nature devaient porter sur un changement dans l’organisation physique, car c’est seulement ainsi que pouvait se produire un changement de conscience; cette nécessité était imposée par l’insuffisance de la force de la conscience déjà formée, pour effectuer un changement dans le corps. Mais avec l’homme un renversement devient possible; il est même inévitable. Car c’est par sa conscience, par la transmutation de sa conscience et non plus par un nouvel organisme corporel comme premier instrument, que l’évolution peut et doit s’effectuer. Dans la réalité intérieure des choses, un changement de conscience a toujours été le fait majeur. L’évolution a toujours eu une signification spirituelle et le changement physique a seulement servi d’instrument; mais cette relation était au début cachée par l’équilibre anormal des deux facteurs, le corps de l’inconscience extérieure dépassant en importance et obscurcissant l’élément spirituel, l’être conscient. Mais dès que cet équilibre est rectifié, ce n’est plus le changement du corps qui doit précéder le changement de conscience, c’est la conscience ellemême qui, par sa mutation, imposera et opérera toute mutation nécessaire au corps. Il est à remarquer que le mental humain a déjà prouvé qu’il pouvait aider la Nature dans l’évolution de nouveaux types de plantes et d’animaux. L’homme a créé de nouvelles formes dans son milieu; par la connaissance et la discipline il a fait apparaître des changements considérables dans sa propre mentalité. Il n’est pas impossible que, dans son évolution propre et sa propre transformation spirituelle et physique, l’homme apporte aussi une aide consciente à la Nature. Cette impulsion est déjà là partiellement efficace, bien qu’elle soit encore imparfaitement comprise et acceptée par le mental de surface; mais un jour le mental peut comprendre, aller plus profondément en lui-même et découvrir le moyen, l’énergie secrète, l’opération intentionnelle de la Conscience- Force intérieure qui est la réalité cachée de ce que nous appelons la Nature. [...]
«Si un épanouissement spirituel sur la terre est la vérité cachée de notre naissance dans la Matière, si fondamentalement c’est une évolution de la conscience qui a pris place dans la Nature, alors l’homme tel qu’il est, ne peut pas être le dernier terme de cette évolution. Il est une expression trop imparfaite de l’Esprit; le mental lui-même est une forme et un instrument trop limité, ce n’est qu’un terme intermédiaire de la conscience; l’être mental n’est qu’un être de transition. Si donc l’homme est incapable de dépasser le mental, il doit être dépassé; le Supramental et le surhomme doivent se manifester et prendre la tête de la création. Mais si son mental est capable de s’ouvrir à ce qui le dépasse, alors il n’y a pas de raison pour que l’homme lui-même n’arrive pas au Supramental et à la surhumanité, ou, tout au moins, qu’il ne prête pas son mental, sa vie et son corps à l’évolution de ce terme plus grand de l’Esprit et à sa manifestation dans la Nature.» (L’Évolution spirituelle, p. 25, 28-29)
En tout cas, nous sommes arrivés maintenant à une certitude puisqu’il y a déjà un commencement de réalisation. Nous avons la preuve que dans certaines conditions l’état ordinaire de l’humanité peut être dépassé et qu’un état de conscience nouveau peut s’élaborer, qui permette tout au moins une relation consciente entre l’homme mental et l’homme surmental.
On peut avec certitude affirmer qu’il y aura un spécimen intermédiaire entre l’être mental et l’être supramental, une sorte de surhomme qui aura encore les qualités et partiellement la nature de l’homme, c’est-à-dire qui appartiendra encore par sa forme la plus extérieure à l’être humain d’origine animale, mais qui transformera sa conscience suffisamment pour que, dans sa réalisation et dans son activité, il appartienne à une race nouvelle, une race de surhommes.
On peut considérer cette espèce comme une espèce de transition, parce qu’il est à prévoir qu’elle découvrira le moyen de produire des êtres nouveaux sans passer par l’ancienne méthode animale, et ce sont ces êtres-là — qui auront une naissance vraiment spirituelle — qui formeront les éléments de la race nouvelle, la race supramentale.
On pourrait donc appeler surhommes ceux qui, par leur origine, appartiennent encore à l’ancienne méthode de génération mais qui, par leur accomplissement, sont en rapport conscient et actif avec le nouveau monde de réalisation supramentale.
Il semble — il est même certain — que la substance même qui constituera ce monde intermédiaire qui est déjà en train de s’élaborer, est une substance plus riche, plus puissante, plus lumineuse, plus résistante, avec certaines qualités nouvelles, plus subtiles, plus pénétrantes, et une sorte de capacité innée d’universalité, comme si son degré de subtilité et de raffinement permettait la perception des vibrations d’une façon beaucoup plus étendue sinon tout à fait totale, et elle enlève cette sensation de division que l’on a avec la substance ancienne, la substance mentale ordinaire. Il y a une subtilité de vibration qui fait que la perception globale, universelle, est une chose spontanée et naturelle. Le sens de la division, de la séparation, disparaît tout à fait naturellement et spontanément avec cette substance-là. Et cette substance est à présent à peu près universellement répandue dans l’atmosphère terrestre.
Elle est perceptible à l’état de veille, simplement avec une petite concentration et une sorte d’absorption de la conscience, si on la rétracte, si on la retire de l’extériorisation ordinaire, qui paraît de plus en plus artificielle et fausse. Cette extériorisation, cette perception qui était auparavant naturelle, paraît fausse, irréelle et tout à fait artificielle; elle ne répond pas du tout aux choses telles qu’elles sont, elle appartient à un mouvement qui ne correspond à rien de vraiment vrai.
Cette nouvelle perception s’impose de plus en plus, elle devient de plus en plus naturelle, et la vieille manière d’être est quelquefois même difficile à rattraper, comme si elle s’évanouissait dans un passé brumeux — quelque chose qui est sur le point de cesser d’être.
On peut en conclure que du moment qu’un corps, qui a été évidemment formé selon l’ancienne méthode animale, est capable de vivre cette conscience d’une façon naturelle et spontanée, sans effort, sans sortir de lui-même, cela prouve que ce n’est pas un cas exceptionnel et unique mais simplement l’avant-coureur d’une réalisation qui, si elle n’est pas absolument générale, peut être en tout cas partagée par un certain nombre d’individus, qui, d’ailleurs, dès qu’ils la partageront, perdront cette perception d’être des individus séparés et deviendront une collectivité vivante.
Cette nouvelle réalisation se poursuit avec ce que l’on peut appeler une rapidité foudroyante, parce que, si nous considérons le temps à la manière ordinaire, il ne s’est passé que deux années (un peu plus de deux années) entre le moment où la substance supramentale a pénétré l’atmosphère terrestre et le moment où ce changement dans la qualité de l’atmosphère terrestre s’est produit.
Si les choses continuent à avancer avec cette rapidité, il devient plus que possible, presque évident, que ce que Sri Aurobindo a écrit dans une lettre devient une annonce prophétique: la conscience supramentale entrera dans une phase de puissance réalisatrice en 19671.
1 «4.5.67 est l’année de la réalisation complète.» (Sri Aurobindo, Lettres sur le Yoga, I, 1982, p. 43)