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Mère

Entretiens

 

Le 17 avril 1957

L'enregistrement   

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«La perfection est le vrai but de toute culture; la culture spirituelle et psychique, la culture mentale, la culture vitale; et elle doit être aussi le but de notre culture physique. Si nous recherchons la perfection totale de l’être, la partie physique ne peut pas être laissée de côté, car le corps est la base matérielle, le corps est l’instrument qu’il nous faut utiliser. Shariram khalu dharmasâdhanam, dit le vieil adage sanskrit, le corps est le moyen d’accomplissement du “dharma”1, et le “dharma” comprend chaque idéal que nous pouvons nous proposer, ainsi que la loi de son exécution et de son action. Une perfection totale est le but final que nous nous proposons, car notre idéal est la Vie Divine, que nous voulons créer ici-bas, la vie de l’Esprit réalisée sur terre, la vie qui accomplit sa propre transformation spirituelle ici même, sur la terre et dans les conditions de l’univers matériel. Ceci n’est possible que si le corps lui-même subit une transformation, si son action et ses fonctions atteignent la capacité suprême et toute la perfection qui lui est possible ou qui peut lui être rendue possible.» (Sri Aurobindo, La Manifestation Supramentale, chap. I)

Mère, comment les fonctions du corps peuvent-elles atteindre la «capacité suprême»?

Justement par la «transformation». Cela implique une transformation totale. Sri Aurobindo va en parler dans la suite.

Pour le moment, notre corps est simplement une amélioration douteuse du corps des animaux, parce que, si nous avons gagné à un certain point de vue, nous avons perdu à un autre. Il est certain qu’au point de vue des capacités purement physiques, beaucoup d’animaux nous sont supérieurs. À moins que, par une culture et une transformation spéciales, nous n’arrivions à vraiment transformer nos capacités, on peut dire qu’au point de vue de la force et de la puissance musculaires, un tigre ou un lion nous est très supérieur. Au point de vue de l’agilité, un singe nous est très supérieur; et par exemple, l’oiseau peut se déplacer sans avoir besoin de mécanisme extérieur, d’avion, ce qui ne nous est pas encore possible... et ainsi de suite. Et nous sommes liés par les nécessités animales du fonctionnement des organes; tant que l’on dépendra, par exemple, d’une nourriture matérielle, de l’absorption de la matière sous cette forme tellement grossière, nous serons un animal suffisamment inférieur.

Par conséquent, je ne veux pas anticiper sur ce que nous lirons, mais tout ce fonctionnement purement animal de notre corps, toute cette partie qui est tout à fait identique à la vie animale — que nous dépendions pour vivre de la circulation du sang et que pour avoir du sang il faille manger, et ainsi de suite, et tout ce que cela implique —, ce sont des limites et des esclavages terribles! Tant que la vie matérielle dépendra de cela, il est évident que nous ne pourrons pas diviniser notre vie.

Par conséquent, il faut concevoir que l’animalité dans l’être humain soit remplacée par une autre source de vie, et c’est une chose concevable — non seulement concevable, mais partiellement réalisable; et c’est évidemment le but que l’on doit se proposer si l’on veut transformer la matière et la rendre capable d’exprimer les qualités divines.

Dans les très, très vieilles traditions (il y avait une tradition antérieure à la tradition védique et antérieure à la tradition chaldéenne, qui devait être à l’origine de ces deux traditions-là), dans cette vieille tradition, il est déjà question d’un «corps glorieux» qui serait assez plastique pour être transformé à chaque moment par la conscience profonde: il serait expressif de cette conscience, il n’aurait pas de fixité de forme. Il était question de luminosité: la matière qui le constituait pouvait devenir lumineuse à volonté. Il était question d’une sorte de possibilité de légèreté qui lui permettrait de se déplacer dans l’air seulement par un effet de la volonté et par certains procédés de maniement de l’énergie intérieure, et ainsi de suite. On a beaucoup parlé de ces choses-là.

Je ne sais pas s’il y a jamais eu sur terre des êtres qui l’aient partiellement réalisé, mais dans une toute petite mesure, il y a eu des exemples partiels d’une chose ou de l’autre, des exemples qui viennent comme pour prouver que c’est possible. Et en suivant cette idée, on pourrait aller jusqu’à concevoir le remplacement des organes matériels, et de leur fonctionnement tel qu’il est, par des centres de concentration de force et d’énergie qui seraient réceptifs aux forces supérieures et qui, par une sorte d’alchimie, les utiliseraient pour les nécessités de la vie et du corps. On parle déjà des différents «centres» dans le corps — c’est une connaissance très répandue chez les gens qui ont pratiqué le yoga —, mais ces centres pourraient se perfectionner au point de remplacer les différents organes par une action directe de l’énergie et des vibrations supérieures sur la matière. Ceux qui ont suffisamment pratiqué l’occultisme sous sa forme la plus intégrale, pourrait-on dire, connaissent le procédé de matérialisation des énergies subtiles et peuvent les mettre en contact avec les vibrations physiques. Non seulement c’est une chose qui peut être faite, mais c’est une chose qui est faite. Et tout cela est une science, une science qui doit ellemême se perfectionner, se compléter, et qui évidemment sera utilisée pour la création et la mise en action de corps nouveaux qui seront capables de manifester la vie supramentale dans le monde matériel.

Mais comme le dit Sri Aurobindo, avant d’en arriver là, il est bon d’utiliser tout ce que l’on a pour parvenir à augmenter et à préciser le contrôle des activités physiques. Il est de toute évidence que ceux qui pratiquent la culture physique d’une façon scientifique et coordonnée arrivent à un contrôle de leur corps qui est inimaginable pour les gens ordinaires. Nous avons vu, quand les gymnastes russes sont venus, avec quelle aisance ils faisaient des exercices qui pour un homme ordinaire sont impossibles, et ils les faisaient comme si c’était la chose la plus simple du monde, il n’y avait même pas le moindre signe d’effort! Eh bien, cette maîtrise-là est déjà un grand pas vers la transformation du corps. Et eux qui sont, je pourrais dire par profession, des matérialistes, ils n’employaient aucune méthode spirituelle dans leur éducation; c’était uniquement par des moyens matériels et par un usage éclairé de la volonté humaine qu’ils étaient arrivés à ce résultat. S’ils avaient ajouté à cela une connaissance spirituelle et un pouvoir spirituel, ils auraient pu arriver à un résultat presque miraculeux... À cause des idées fausses répandues dans le monde, généralement on ne voit pas les deux choses ensemble, la maîtrise spirituelle et la maîtrise matérielle, et alors, toujours, à l’une il manque l’autre; mais c’est justement ce que nous voulons faire et ce que Sri Aurobindo va expliquer: si l’on joint les deux, le résultat peut atteindre à une perfection qui est impensable pour la pensée humaine ordinaire et c’est cela que nous voulons essayer.

Comme il va le dire (nous le lirons probablement la prochaine fois), on a d’abord à lutter contre une formidable masse de préjugés imbéciles qui consistent à mettre dans un antagonisme irréductible la vie matérielle et la vie spirituelle. Et c’est une chose tellement ancrée dans la conscience humaine qu’il est très difficile de la déraciner, même chez ceux qui croient avoir compris l’enseignement de Sri Aurobindo! Et il y en a beaucoup qui ont dit, quand (pour des raisons tout à fait différentes) j’ai recommencé à avoir des méditations: «Ah, enfin! nous revenons à la vie spirituelle...» C’était d’ailleurs cela qui m’avait empêchée d’en avoir pendant longtemps. C’était pour ne pas encourager cette ânerie. Mais pour d’autres raisons, il était nécessaire de le faire et je l’ai fait. Tant que cette sottise ne sera pas déracinée de la conscience humaine, la force supramentale éprouvera toujours une difficulté considérable à ne pas être engloutie dans l’obscurité d’une pensée humaine qui ne comprend rien. Voilà. Enfin, on y arrivera.

J’ai pris ce livre, La Manifestation Supramentale, pour avoir l’occasion de vous remettre en contact avec une vérité exprimée sous une forme presque combative, pour lutter contre cette vieille division, cette incompréhension totale de la Vérité éternelle.

Et peut-être, quand nous aurons fini notre lecture, je pourrai vous dire pourquoi on a recommencé les méditations, mais certainement pas pour «retourner à la vie spirituelle»!

Et c’est tellement ancré, oh! même ceux qui extérieurement font profession de comprendre, quand ils pensent à la vie spirituelle, ils pensent tout de suite à la méditation.

Voilà. Maintenant, nous en aurons une tout de même, mais pour une autre raison!

(méditation)

 

1 dharma: la loi.

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