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Mère

Entretiens

 

Le 3 octobre 1956

L'enregistrement   

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J’ai ici une pluie de questions! Mais avant de commencer à répondre, je vais vous expliquer quelque chose.

Vous avez dû noter déjà plusieurs fois que ma façon de vous parler n’est pas toujours la même. Je ne sais pas si vous êtes très sensibles à la différence, mais pour moi elle est assez considérable... Parfois, à cause de ce que j’ai lu, ou pour toute autre raison — à la suite d’une question quelquefois, mais assez rarement —, il m’arrive d’avoir ce que l’on appelle généralement une expérience, mais en fait c’est simplement d’entrer dans un certain état de conscience et, une fois que l’on est dans cet état de conscience, de le décrire. Dans ce cas-là, ce qui est dit passe à travers le mental, ne se servant de lui que comme d’un «magasin de mots», pourrait-on dire: la Force, la Conscience qui s’exprime, passe à travers le mental individuel et attire, par une sorte d’affinité, les mots nécessaires à son expression. Ceci, c’est le vrai enseignement, celui que l’on trouve difficilement dans les livres — il peut être dans les livres, mais il faut être soi-même dans l’état de conscience pour pouvoir l’y découvrir. Tandis qu’avec la parole, la vibration du son transmet quelque chose au moins de l’expérience qui, pour tous ceux qui sont sensibles, peut devenir contagieuse.

Dans l’autre cas, la question posée ou le sujet choisi est transmis par le mental à la Conscience supérieure, puis le mental reçoit une réponse et la transmet de nouveau à travers la parole. C’est ce qui se passe généralement dans tous les enseignements, en admettant que celui qui enseigne ait la capacité de faire passer la question vers la Conscience supérieure, ce qui n’est pas toujours le cas.

Je dois vous dire que la seconde méthode ne m’intéresse pas beaucoup et que bien souvent, quand la question posée ou le sujet traité ne me donne pas la possibilité d’entrer dans un état de conscience intéressant, j’aimerais infiniment mieux me taire que de vous parler; c’est une espèce de devoir à remplir qui me fait vous parler. Je vous préviens simplement parce qu’il m’est arrivé de couper court à la conversation — si l’on peut appeler cela une conversation — et de passer abruptement à la méditation; c’était dans ces cas-là. Mais enfin, il se trouve que quelqu’un m’a demandé d’expliquer cette différence et c’est pour cela que je vous en parle ce soir.

(silence)

À part cela, j’ai encore reçu d’autres questions, d’ordre pratique, et à propos de ces questions, j’ai vu quelque chose dont je vais vous parler — oh! ce n’est pas une vision avec des images, ne vous attendez pas à avoir quelque chose de très amusant! Non, ce n’est pas cela... On m’a demandé (je traduis, ce n’est pas textuellement la question):

Quelle différence fait vraiment la présence du Supramental? De quelle manière est-ce qu’elle change la teneur des problèmes, et comment faut-il reconsidérer la vie depuis cette manifestation?

On m’a demandé des exemples pratiques; je ne sais pas très bien ce que cela peut vouloir dire, mais en tout cas, voilà ce que j’ai vu dans une humeur un peu mathématique — quoique le langage mathématique me soit assez étranger —, mais je peux appeler cela une humeur mathématique, c’est-à-dire une façon mathématique de regarder le problème.

Je pense que tous vous avez fait assez de mathématiques pour connaître la complexité des combinaisons qui peuvent se produire en prenant pour base certains éléments choisis dans un ensemble. Je vous donnerai un exemple pour être plus claire, parce que je ne peux pas employer les termes dont on s’est servi pour vous enseigner. Par exemple, les lettres de l’alphabet. Il y a un certain nombre de lettres dans l’alphabet, eh bien, si l’on veut calculer ou savoir le nombre des combinaisons possibles en prenant toutes ces lettres ensemble — comment on peut les organiser, de combien de manières elles peuvent être organisées —, on vous a appris à quel point le chiffre devient fantastique... Bien. Mais si vous prenez le monde matériel et que vous descendiez à l’élément le plus minuscule (vous savez qu’on en est arrivé à des choses absolument invisibles, n’est-ce pas, et innombrables), si vous prenez cet élément comme base et le monde matériel comme tout, et que vous imaginiez une Conscience ou une Volonté qui s’amuserait, avec tous ces éléments, à faire toutes les combinaisons possibles sans jamais répéter la même combinaison... De toute évidence... En mathématiques, on vous dit que le nombre des éléments est fini et que, par conséquent, le nombre des combinaisons est fini; mais cela, c’est purement théorique, parce que si vous en venez à la pratique et qu’il fallait que toutes ces combinaisons se suivent, même si elles se suivaient à une allure si rapide que le changement serait presque imperceptible, il est de toute évidence que le temps qu’il faudrait pour faire toutes ces combinaisons serait, au moins apparemment, infini; c’est-à-dire que le nombre des combinaisons serait tellement immense que l’on ne pourrait pas lui assigner de fin — de fin pratique tout au moins, la théorie n’est pas intéressante pour nous; mais pratiquement ce serait comme cela.

Alors imaginez que ce que je vous dis soit vrai, en ce sens qu’il y a vraiment une Conscience et une Volonté qui manifestent ces combinaisons, successivement, indéfiniment, sans jamais en répéter une deux fois; nous arrivons à cette conclusion que l’univers est nouveau à chaque instant de l’éternité. Et si l’univers est nouveau à chaque instant de l’éternité, cela nous oblige à constater qu’il n’y a absolument rien qui soit impossible; non seulement cela, mais que ce que nous appelons logique n’est pas nécessairement vrai, et que la logique, on pourrait presque dire la fantaisie du Créateur, n’a pas de limites.

Par conséquent, si pour une raison quelconque (qu’il serait peut-être difficile d’exprimer, mais pour une raison quelconque) une combinaison n’était pas suivie de celle qui lui est la plus proche, mais d’une autre, choisie librement par la Liberté suprême, toutes nos certitudes extérieures et toute notre logique extérieure tomberaient instantanément.

Parce que le problème est encore beaucoup plus compliqué que vous ne le pensez: ce n’est pas seulement sur un plan, dans un domaine, c’est-à-dire ce que l’on pourrait appeler une surface des choses, qu’il y a cette quantité pratiquement infinie d’éléments permettant des combinaisons éternellement nouvelles, il y a en outre ce que l’on pourrait appeler une profondeur, c’està- dire les autres dimensions. Et la Création est le résultat non seulement des combinaisons de surface, mais des combinaisons de profondeur dans cette surface — ce qu’en d’autres termes on appelle les «facteurs psychologiques». Mais je me place maintenant à un point de vue purement mathématique, quoique je ne parle pas mathématiques, mais enfin c’est une conception mathématique. Et alors, nous voici au problème:

Chaque fois qu’un élément nouveau est introduit dans l’ensemble des combinaisons possibles, cela fait ce que l’on pourrait appeler un déchirement de ses limites: l’introduction de quelque chose qui fait que toutes les limites passées disparaissent et que des possibilités nouvelles interviennent et multiplient indéfiniment les anciennes possibilités. Alors, vous aviez un monde qui, selon la connaissance antique, avait douze profondeurs, ou douze... comment dire... dimensions successives; et dans ce monde de douze dimensions, tout d’un coup se précipitent des dimensions nouvelles, alors toutes les formules anciennes sont instantanément transformées et toute la possibilité du déroulement ancien se trouve... on ne peut pas dire aggravée, mais supplémentée d’un nombre presque infini de possibilités nouvelles, et ceci de telle manière que toute la logique antérieure devient illogique en présence de la logique nouvelle.

Je ne parle pas du tout de ce que le mental humain a construit de l’univers, parce que cela, c’est une réduction à sa dimension; je parle du fait tel qu’il est, d’un ensemble de combinaisons qui se réalisent successivement, selon un ordre et un choix qui, évidemment, échappent complètement à la conscience humaine, mais auxquels l’homme s’est quelque peu adapté et qu’avec un grand effort d’études, comme celui qui s’est poursuivi depuis des siècles dans l’humanité, il est arrivé à formuler suffisamment pour pouvoir s’accrocher à quelque chose de tangible... Il est évident que la perception scientifique moderne est beaucoup plus proche de quelque chose qui corresponde à la réalité universelle que les perceptions de l’âge de pierre, par exemple; cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais cela même va se trouver tout d’un coup complètement dépassé, surpassé, et probablement bouleversé, par l’intrusion de quelque chose qui n’était pas dans l’univers que l’on a étudié.

Eh bien, c’est ce changement, cette transformation brusque de l’élément universel, qui va amener très certainement une sorte de chaos dans les perceptions, d’où surgira une connaissance nouvelle. Cela, de la façon la plus générale, c’est le résultat de la manifestation nouvelle1.

D’un point de vue tout à fait réduit, extérieur et limité, je vous parlerai maintenant de certaines choses qui ne sont pas de mon expérience, mais que j’ai entendu dire; par exemple, que l’on compte un plus grand nombre de ce que l’on appelle les «enfants prodiges». Je n’en ai pas rencontré, alors je ne peux pas vous dire quel est vraiment le prodige de ces enfants, mais enfin, d’après les histoires que l’on raconte, il y a évidemment des sortes de types nouveaux qui paraissent étonnants à la conscience humaine ordinaire. Ce sont des exemples de ce genre-là, je crois, que l’on voudrait connaître pour comprendre ce qui se passe... Mais il est possible, en effet, qu’il se passe à présent des choses auxquelles on n’a pas l’habitude d’assister. Mais c’est une question d’interprétation. Le seul fait dont je sois sûre, c’est ce que je viens de vous dire, que la qualité, la quantité et la nature des combinaisons universelles possibles vont tout d’un coup changer d’une façon si considérable que ce sera probablement ahurissant pour tous ceux qui font des recherches dans la vie.

Maintenant, nous allons voir.

(silence)

Je pourrais peut-être ajouter un petit mot pratique à ce que je viens de vous dire; ce n’est qu’une illustration de détail, mais qui sera une réponse indirecte à d’autres questions que l’on m’a posées il y a quelque temps à propos des soi-disant lois de la Nature, des causes et effets, conséquences «inévitables» dans le domaine matériel, et plus particulièrement au point de vue de la santé; par exemple que, si l’on ne prend pas certaines précautions, si l’on ne mange pas comme il faut, si l’on ne suit pas certaines règles, il y a nécessairement des conséquences.

C’est vrai. Mais si l’on voit cela à la lumière de ce que je viens de vous dire, qu’il n’y a pas deux combinaisons universelles semblables, comment est-ce que l’on peut établir des lois et quelle est la vérité absolue de ces lois?... Elle n’existe pas.

Parce que si vous êtes logiques, enfin d’une logique un peu supérieure, puisque deux choses, deux combinaisons, deux manifestations universelles ne sont jamais les mêmes, comment quelque chose peut-il se répéter? Ce ne peut être qu’une apparence, mais ce n’est pas un fait. Et de fixer des lois rigides de la sorte, non pas que vous vous coupiez des lois apparentes de la surface (parce que le mental fait beaucoup de lois, et la surface, d’une façon très obligeante, a l’air de satisfaire à ces lois, mais c’est seulement une apparence), mais en tout cas cela vous coupe de la Puissance créatrice de l’Esprit, cela vous coupe du Pouvoir véritable de la Grâce, parce que vous pouvez comprendre que si, par votre aspiration ou par votre attitude, vous introduisez un élément supérieur, un élément nouveau — ce que nous pouvons appeler maintenant un élément supramental — dans les combinaisons existantes, vous pouvez soudainement en changer la nature, et toutes ces prétendues lois nécessaires et inéluctables deviennent des absurdités. C’est-à-dire que vous-même, avec votre conception, avec votre attitude et l’acceptation que vous donnez à certains prétendus principes, vous fermez la porte à la possibilité du miracle (ce ne sont pas des miracles quand on sait comment ils se produisent, mais évidemment, pour la conscience extérieure, cela a l’air miraculeux). Et c’est vous-même, en vous disant avec une logique qui paraît tout à fait raisonnable: «Eh bien, si je fais ça, nécessairement ceci va arriver, ou si je ne fais pas ça, nécessairement telle autre chose va arriver», c’est vous-même qui fermez la porte — c’est comme si vous mettiez un rideau de fer entre vous et la libre action de la Grâce.

Comme il serait bon d’imaginer que la Conscience suprême, essentiellement libre, qui préside à la Manifestation universelle, puisse être fantaisiste dans son choix et faire succéder les choses, non pas selon une logique accessible à la pensée humaine, mais selon un autre genre de logique, celle de l’imprévu.

Alors, il n’y aurait plus de limites aux possibilités, à l’inattendu, au merveilleux; et l’on pourrait espérer les choses les plus splendides, les plus réjouissantes, de cette Volonté souverainement libre, jouant éternellement avec tous les éléments et produisant sans cesse un monde nouveau, qui pourrait n’avoir absolument rien à faire logiquement avec le monde précédent.

Vous ne croyez pas que ce serait charmant? Nous en avons assez du monde tel qu’il est! Pourquoi ne pas le laisser devenir au moins ce que nous concevons qu’il devrait être?

Et tout ce que je vous en dis, c’est pour que chacun mette aussi peu de barrières qu’il peut devant les possibilités à venir. C’est ma conclusion.

Je ne sais pas si je me suis fait comprendre, mais enfin un jour viendra, je suppose, où vous saurez ce que j’ai voulu dire. Voilà.

Quelque temps après, au cours d’une «classe du vendredi», Mère a repris la question des enfants prodiges.

Il a été question récemment, dans une des classes du mercredi, des enfants prodiges. Certains disent que le nombre des enfants prodiges est en train d’augmenter considérablement; et les uns (même parmi les Américains) disent que c’est l’influence et le travail de Sri Aurobindo, et d’autres disent que c’est le résultat des bombes atomiques! Mais le fait est qu’il y a un nombre assez considérable d’enfants prodiges. Je ne voulais pas en parler en détail parce que je n’avais pas de preuves dans les mains, c’est-à-dire que je n’avais pas de bons exemples à donner. Il se trouve que depuis lors on m’a apporté un livre français qui a été écrit par une enfant de huit ans2. Naturellement, il y a des gens qui en contestent la possibilité, mais je vous expliquerai après comment une chose pareille est possible.

Le livre est remarquable pour une enfant de huit ans. Cela ne veut pas dire que si l’on ne savait pas l’âge de l’enfant on trouverait le livre merveilleux; mais il y a là-dedans, de temps en temps, des phrases qui sont tout à fait étonnantes. Ces phraseslà, je les ai notées et je vais vous les lire. (Mère feuillette le livre)

Un petit mot comme cela: «Si vraiment on s’aime bien, on ne peut rien se cacher»... Évidemment, c’est joli.

Et puis une autre chose écrite à un garçon qui a des taches de rousseur... Vous savez ce que c’est que des taches de rousseur? Elle lui écrit: «Tu es beau, mais oui, tes taches de rousseur c’est si joli; on dirait qu’un ange t’a semé sur tout le visage des grains de blé pour y attirer les oiseaux du ciel.» Évidemment, c’est très poétique.

Et puis enfin, la chose qui est vraiment bien et qui ouvre la porte à l’explication que je vais vous donner: «Je ne suis qu’une oreille, qu’une bouche; l’oreille entend la tempête de mots que je ne peux pas t’expliquer, qu’une voix immense lui lance au-dedans de moi et ma bouche les redit et rien de ce que je dis n’est pareil au ruissellement de lumière qui est en moi.»

Évidemment c’est très beau.

Il paraît que de temps en temps, dans sa poésie (elle a écrit beaucoup de poésies), on retrouve comme des réminiscences de Maeterlinck, par exemple; alors on en a conclu que ce n’était pas elle qui avait écrit, parce que, à huit ans, on ne lit pas Maeterlinck, que cela devait être quelqu’un d’autre. Mais en fait, il n’est pas du tout besoin d’imaginer une supercherie, et l’éditeur, lui, déclare qu’il est sûr de son affaire, qu’il connaît la petite très intimement (en fait, il a été pour elle comme un père adoptif, parce que son père était mort) et qu’il peut garantir qu’il n’y a pas de supercherie. Mais il n’est pas du tout nécessaire d’imaginer une supercherie pour expliquer ce phénomène.

Les auteurs, les écrivains qui ont été inspirés et sérieux dans leur création, c’est-à-dire qui se sont concentrés dans une sorte de consécration de leur être à leur littérature, forment au-dedans d’eux une sorte d’entité mentale extrêmement bien constituée et coordonnée, qui a sa vie propre, indépendante du corps, de sorte que lorsqu’ils meurent, que le corps retourne à la terre, cette formation mentale continue d’exister d’une façon tout à fait autonome et indépendante, et comme elle a été créée pour l’expression, elle cherche toujours un moyen d’expression quelque part. Et s’il se trouve qu’il y a un enfant qui est formé dans des circonstances particulièrement favorables (comme par exemple, la mère de cette petite fille, qui était elle-même poétesse et écrivain; peut-être cette mère avait-elle une aspiration, un désir que son enfant soit un être remarquable, exceptionnel), enfin si l’enfant qui est conçu est formé dans des conditions particulièrement favorables, une entité comme celle-là peut entrer dans l’enfant au moment de la naissance et tâcher de se servir de lui pour s’exprimer; et dans ce cas-là, cela donne une maturité à la mentalité de l’enfant, qui est tout à fait extraordinaire, exceptionnelle, et qui lui permet de faire des choses comme celles que nous venons de lire.

Nous pourrions dire, sans craindre d’être tout à fait absurde, que si ce qu’elle écrit ressemble étonnamment à certaines choses, ou a la caractéristique des écrits de Maeterlinck, avec même certaines tournures de phrase presque identiques, on pourrait très bien concevoir qu’une formation mentale de Maeterlinck se soit incarnée dans cette enfant et se serve de ce jeune instrument pour s’exprimer.

Il y a des exemples analogues, par exemple chez les musiciens. Il y a des pianistes qui ont individualisé leurs mains et les ont rendues si merveilleusement conscientes que ces mains ne se décomposent pas (pas les mains physiques), les mains du physique subtil et du vital ne se décomposent pas, ne se dissolvent pas au moment de la mort. Elles restent comme des instruments pour jouer du piano et elles essayent toujours de s’incarner dans les mains de quelqu’un qui joue du piano. J’ai eu des exemples de gens qui, au moment de jouer, sentaient comme une autre main qui entrait dans la leur et qui se mettait à jouer d’une façon tout à fait merveilleuse, dont ils étaient incapables eux-mêmes.

Ces choses-là ne sont pas aussi exceptionnelles qu’on pourrait le croire, elles se produisent assez souvent.

J’ai vu la même chose aussi pour quelqu’un qui jouait du violon et quelqu’un qui jouait du violoncelle — deux cas différents —, et qui n’étaient pas des exécutants merveilleux eux-mêmes. Il y en avait un qui était au début de ses études et l’autre qui était un bon exécutant, mais rien de merveilleux. Mais tout d’un coup, au moment où ils jouaient la musique de certains musiciens, quelque chose de ce musicien entrait dans leurs mains et leur faisait exécuter d’une façon absolument merveilleuse.

Il y avait même une personne (c’était une femme), elle jouait du violoncelle, et au moment où elle jouait du Beethoven, son masque se transformait absolument en le masque de Beethoven, et ce qu’elle jouait était sublime, comme elle n’aurait pas pu jouer si quelque chose de la mentalité de Beethoven n’était pas entré en elle. Voilà.

Mère, est-ce que cette faculté exceptionnelle n’est pas mauvaise pour la personne qui joue?

Pourquoi veux-tu que cela leur fasse du mal? Cela leur fait du bien!

C’est toujours bon de faire un progrès ou d’être supérieur à soi-même.

Mais pour l’enfant?

Je ne comprends pas. Pour l’enfant?

Oui. Elle est déjà en pleine maturité à l’âge de huit ans.

Mais c’est une chose merveilleuse de pouvoir être à huit ans l’expression de quelque chose qui dépasse votre intelligence! En quoi veux-tu que cela puisse lui faire du mal? Je ne comprends pas bien ta question.

Quand on grandit, alors on devient moins plastique.

Non. Tu veux dire que ce qui se passe souvent, c’est qu’un enfant prodige n’est plus du tout prodige quand il est grand. Mais justement, ceux qui ont fait des études là-dessus disent que ce qui se passe maintenant d’exceptionnel, c’est que les enfants prodiges deviennent, comme ils disent, des hommes prodigieux, c’est-à-dire que la faculté exceptionnelle reste en eux et s’installe de plus en plus à mesure qu’ils grandissent.

Mais je ne vois pas comment cela peut être mauvais, cela ne peut être que bon. En quoi est-ce que cela peut être mauvais? C’est comme si tu disais: si on a une belle âme, c’est mauvais!

Quand il entre en vous quelque chose d’un caractère supérieur, c’est une grâce, non?

 

1 Au moment de la première publication de cet Entretien, en 1962, Mère a ajouté le commentaire suivant à propos de l’»élément nouveau»: «Il n’est pas question de “choses nouvelles” en ce sens qu’elles n’existaient pas, mais qu’elles n’étaient pas manifestées dans l’univers. Si ce n’était pas déjà là, involué, cela ne pourrait jamais venir! C’est évident. Rien ne peut exister qui n’existe déjà de toute éternité dans le Suprême, mais dans la Manifestation c’est nouveau. L’élément n’est pas nouveau, mais il est nouvellement manifesté, il est nouvellement sorti du Non-Manifesté. Nouveau, cela veut dire quoi? Cela n’a pas de sens, une chose nouvelle! C’est nouveau pour nous dans la Manifestation, c’est tout.»

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2 Il s’agit de Minou Drouet, née en 1947, auteur de Arbre mon ami.

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