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Mère

Entretiens

 

Le 23 novembre 1955

L'enregistrement   

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Cet Entretien est basé sur le chapitre I de La Synthèse des Yogas, «Les Quatre Aides».

Je n’ai pas très bien compris la fin.

Quelle fin, mon enfant?

«... le sâdhak du yoga intégral ne sera pas satisfait tant qu’il n’aura pas inclus tous les autres noms et toutes les autres formes de la Divinité dans sa propre conception...»

Oui.

Pourquoi? Cela dit ce que cela veut dire. Qu’est-ce que tu ne comprends pas?

Je ne comprends pas le sens.

(silence)

Mais mon petit... On vous dit: il n’y a qu’une Réalité, et tout ce qui est, n’est qu’une expression multiple d’une seule Réalité. Par conséquent, toutes les manifestations divines, toutes les formes qu’elle a prises au cours des temps, tous les noms que les hommes lui ont donnés, ne sont que des manifestations, des formes et des noms d’une seule, unique Divinité.

Comme les êtres humains sont très limités, il leur est généralement plus facile de suivre un chemin qu’un autre. Mais ça c’est un tout petit début; et si on veut arriver au sommet, il faut pouvoir également trouver le Divin à travers tous les chemins, et comprendre que c’est un seul et même Divin, quelles que soient les apparences différentes.

C’est ce que Sri Aurobindo vous dit: que vous ne pouvez pas vous arrêter, vous ne pouvez pas être satisfait jusqu’à ce que vous ayez senti d’une façon tout à fait concrète qu’il n’y a qu’un seul Divin, qu’il n’y a qu’une seule Réalité, et que, quel que soit l’angle sous lequel on Le regarde, ou le chemin que l’on prend pour arriver à Lui, cela sera toujours une seule et même chose que l’on rencontrera. Alors quelqu’un qui est suffisamment développé, suffisamment vaste pour pouvoir suivre ce que nous appelons le yoga intégral, il faut qu’il ait la capacité d’approcher le Divin par tous les chemins possibles. S’il ne veut pas les suivre lui-même parce que ça prend du temps (quoiqu’il y ait un certain degré de développement qui fait qu’on peut, en quelques jours, ou en quelques heures, suivre un chemin qui autrement prendrait une pleine existence), mais enfin, si on n’a pas le goût pour ce genre de gymnastique, au moins il faudrait avoir la compréhension assez ouverte pour se rendre compte que tout ça, au fond, c’est une seule et même chose. Et que vous donniez ce nom-ci ou ce nom-là, ou pas de nom, n’est-ce pas, ou plusieurs noms, vous parlez toujours de la même chose qui est le Divin unique, qui est toutes choses.

Tu ne saisis pas?

Ce n’est que le mental et la conscience humaine limitée qui font des distinctions. Et c’est par ces distinctions que vous arrivez à une confusion. Vous ne distinguez que par les différences, et les différences c’est justement la conscience extérieure illusoire. Dès que vous entrez vraiment au-dedans, vous avez immédiatement le sens d’une identité totale, et toutes ces divergences vous paraissent absolument ridicules.

Douce Mère, quelle est la différence entre l’homme suprême et l’Homme divin?

Dans un cas, c’est le sommet de l’humanité. Suprême, ça veut dire l’être humain qui est au sommet de l’humanité, c’est-à-dire l’homme parfait. Dans l’autre cas, c’est le Dieu qui est entré dans un corps humain. Ce qui est humain, c’est seulement le corps, la forme extérieure; pas la conscience. Dans l’autre cas, c’est la conscience humaine arrivée à sa perfection.

C’est tout? Quelque chose par là?

Sri Aurobindo dit ici: «La façon dont le Divin travaille, n’est pas celle que le mental égoïste désire ni même approuve; car le Divin se sert de l’erreur pour atteindre à la vérité, de la souffrance pour arriver à la béatitude, et de l’imperfection pour obtenir la perfection.»

Comment?

Comme ça. Comme est le monde maintenant.

Il l’explique tout du long, après. Il dit que le mental humain n’accepterait d’avoir la foi que si le Divin agissait selon sa conception; et la conception ordinaire de l’homme de ce qui est divin, c’est la conception d’un miracle perpétuel — ce qu’il appelle un miracle, c’est-à-dire quelque chose qui se produit sans rime ni raison. Et alors, comme il n’est pas en présence de ça... Mais c’est beaucoup plus subtil que ça... Si nous arrivions d’un autre monde où les choses se passent d’une façon tout à fait différente, que nous avons de la peine à concevoir, mais qui se passeraient d’une façon où la logique serait totalement différente — la logique des événements, des causes, des conséquences et des effets —, si nous arrivions subitement d’un autre monde dans ce monde-ci, tout ce que nous verrions nous paraîtrait absolument miraculeux. Parce que nous ne pourrions pas comprendre la logique des événements.

Nous sommes accoutumés à ce qui se passe comme ça se passe; c’est une question simplement d’habitude, parce que depuis le premier souffle que nous avons eu sur la terre, nous avons été habitués à voir les choses comme ça; et alors ça nous paraît tout à fait ordinaire, parce que c’est comme ça que ça se passe. Mais si nous arrivions à sortir de cette habitude, si nous pouvions voir les choses d’un autre point de vue, nous pourrions immédiatement sentir cette espèce d’impression de miraculeux, parce que nous ne verrions plus avec le sens de l’habitude la logique des événements.

Nous avons une certaine habitude d’une certaine logique des causes et des effets, de la conséquence de toutes choses, de la relation entre tous les mouvements. C’est pour nous un fait que nous acceptons, même sans y réfléchir, parce que nous avons toujours vécu là-dedans. Mais si nous n’avions pas toujours vécu là-dedans, nous le verrions d’une autre façon. Et on peut faire cette expérience: si on sort du déterminisme du monde tel qu’il est maintenant, ce monde qui est un mélange de physique, de vital, de mental ou de quelque chose d’une influence ou d’une infusion spirituelle (assez voilée) — tout ce qui se passe, c’est la combinaison de tout ça —, si nous sortons de tout ça (nous pouvons le faire si nous nous élevons au-dessus du monde matériel, physique, tel qu’il est, et que nous entrions dans une autre conscience), nous nous apercevons des choses d’une façon totalement différente.

Et alors nous voyons que, derrière ces apparences qui nous paraissent tout à fait logiques et extrêmement naturelles, et presque obligatoires, il y a une action qui, si on la percevait dans sa conscience ordinaire, paraîtrait tout le temps miraculeuse. Il y a une intervention de forces, de consciences, de mouvements, d’influences, qui est invisible ou imperceptible pour notre conscience ordinaire, et constamment change tout le cours des circonstances.

Il n’y a pas besoin d’aller très loin; il suffit de faire un pas hors de cette conscience ordinaire pour s’apercevoir de cela. J’ai déjà dit plusieurs fois que si on trouve au-dedans de soi la conscience psychique et qu’on s’identifie à elle, eh bien, immédiatement on a l’impression d’un renversement complet dans les circonstances, et on voit les choses presque totalement à l’opposé de la façon dont on les voit d’une façon ordinaire. Parce qu’on perçoit la force qui agit, au lieu du résultat de cette action.

Pour le moment vous ne voyez que le résultat de l’action des forces, et c’est ça qui vous paraît naturel, logique. Et c’est seulement quand il se passe quelque chose d’un peu anormal — ou qui est un peu anormal pour vous — qu’alors vous commencez à vous étonner. Mais si vous étiez dans un autre état de conscience, ce qui vous paraît normal maintenant ne le serait plus. Vous verriez que c’est l’effet de quelque chose d’autre, d’une action autre que celle que vous percevez.

Mais même au point de vue purement matériel, vous êtes habitué à certaines choses, on vous les a expliquées: par exemple, la lumière électrique, ou qu’il suffit de presser un bouton pour faire partir une voiture. Vous pouvez l’expliquer, on vous a dit pourquoi, et alors ça vous paraît tout à fait naturel. Mais moi, j’ai eu l’exemple de gens qui ne savaient pas, qui étaient tout à fait ignorants, qui venaient d’un endroit où ces choses-là n’avaient pas encore pénétré, et à qui on montrait tout d’un coup une statue qui s’illumine de rayons de lumière; ils se jetaient à genoux dans une adoration: c’était une manifestation divine. Et j’ai vu une autre personne qui était dans le même cas, c’était un enfant qui ne savait rien. Devant lui on a pressé un bouton, et la voiture est partie; ça lui a paru un miracle formidable. Eh bien, c’est comme ça. Vous êtes habitué à certaines choses, ça vous paraît tout à fait naturel. Si vous n’y étiez pas habitué, vous verriez que vous les prendriez pour des miracles.

Eh bien, vous retournez le problème. Il y a un tas de choses que vous ne pouvez pas vous expliquer, il y a un tas d’interventions qui changent le cours des circonstances et dont vous ne vous apercevez même pas. Et alors, tout vous paraît ordinaire, monotone, et sans intérêt spécial. Mais si vous aviez la connaissance, et si vous pouviez voir que toutes ces choses qui vous paraissent absolument normales parce que vous y êtes habitué et que vous ne vous êtes même pas demandé comment cela se passe «comme ça», si vous aviez la connaissance et que vous voyiez comment ça se passe, qu’est-ce qui agit — pourquoi, par exemple, quelqu’un qui agit avec une imprudence telle qu’il aurait dû se casser la tête ne se la casse pas, que tout s’arrange pour qu’un accident effroyable se produise, et que l’accident ne se produit pas, et des milliers, des millions de choses comme ça qui se passent tous les jours et partout —, si vous aviez la connaissance suffisante pour voir pourquoi c’est comme ça, alors en même temps vous pourriez dire: «Tiens, il y a quelque chose comme une force, une conscience, un pouvoir qui agit et qui n’est pas du domaine matériel. Matériellement, logiquement, c’est ça qui aurait dû arriver, et ce n’est pas arrivé.» Vous dites: «Ah! il a eu de la chance!» n’est-ce pas, et puis vous êtes satisfait, ça vous suffit.

(silence)

C’est la conscience égoïste, ignorante, limitée, qui exige les miracles. Dès qu’on est éclairé, on sait que le miracle est partout et toujours. Et plus on a la foi dans ce miracle et dans cette Grâce, plus on se rend capable de la voir, de la percevoir partout où elle est constamment. C’est l’ignorance et le manque de foi, c’est l’égoïsme aveugle qui empêchent de voir.