Mère
l'Agenda
Volume 10
(L'entrevue commence à onze heures au lieu de dix heures.)
C'est effrayant, mon petit!... Oh! il y avait des tas de choses amusantes à te dire, mais ce n'est pas amusant, on est trop pressé...
Oh! tu sais, douce Mère, je voulais te signaler une chose: tout le «gossip» [les cancans] de l'Ashram dit que tu as envoyé L à Delhi avec un message à propos des événements du Bengale pour dire au gouvernement qu'il fallait être fort – tout l'Ashram le sait!
(Mère rit)... Ils ont été TRÈS bien reçus à Delhi. A est revenue (une secrétaire du gouvernement) et m'a dit qu'Indira avait eu une conversation de vingt ou vingt-cinq minutes, qu'elle semblait tout à fait contente. Ça a été tout à fait un succès.
Mais tu sais, on ne peut pas les empêcher de parler! Qu'est-ce que tu veux, ils sont terribles, ils racontent n'importe quoi sur n'importe quoi. Ils ont même raconté, paraît-il, que ce pauvre homme, ce premier ministre de Madras qui est mort d'un cancer,1 j'avais dit que c'était un très mauvais homme, que c'est pour cela qu'il est mort! Voilà, tu comprends.
Maintenant, moi, je suis habituée. Toutes les bêtises du monde, ils les racontent – c'est tout le système qu'il faudrait dissoudre!2
(silence)
Et toi? Ça va?
(Le disciple se plaint de ses yeux)... Sinon ça va, douce Mère.
Mais ne travaille pas trop! – (riant) je prêche la paresse!
J'avais des tas de choses à te dire, et puis c'est curieux, ma montre était arrêtée, je n'avais pas la moindre idée de l'heure, alors j'ai demandé: «Quelle heure est-il?» On m'a dit: «Il est onze heures moins le quart.» Ça m'a donné un tel choc (riant) que tout ce que je voulais te dire est parti! comme ça, wrrp!
(silence)
Mais c'est intéressant, le travail est entré dans une phase intéressante.
(Après un silence) Oui, j'avais marqué cela (Mère cherche un papier)... L'ennui, c'est qu'une fois que je l'ai marqué, c'est parti. Et c'était... (Mère cherche à se rappeler)
Oui, c'était quelqu'un qui m'avait écrit..., je ne me souviens plus, c'était à propos de la «consécration». Mais je me souviens que quand j'ai répondu, j'ai regardé, et j'ai vu... (comment dire?) la courbe, mais ce n'est pas exactement une courbe... N'est-ce pas, la consécration, le don de soi, la soumission (pas «soumission», le mot français ne vaut rien), le «surrender» et tout cela impliquent encore le moi séparé qui se donne. Et j'ai vu – justement j'ai vu dans l'expérience du corps – que le corps est sur le point... il est juste dans un état intermédiaire, parce que toutes les parties ne sont pas exactement au même point (je ne sais pas pourquoi, mais c'est comme cela), et alors on pourrait dire (mais c'est une simplification), on pourrait dire que pour tout l'ensemble du corps, le don de soi est total, la consécration est presque totale dans le sens qu'il y a une collaboration active partout, mais qu'il y a une intense aspiration et, à certains moments, un moment où ça fait comme ça (geste exprimant un gonflement des cellules), je ne sais pas ce qui se passe, il se passe dans les cellules quelque chose, et alors... il n'y a plus rien qui se donne ou rien qui... ni une «consécration» ni «écouter l'ordre»: c'est un état, un état de vibration intense, où on a en même temps un sens de toute-puissance, même là-dedans (Mère pince la peau de ses mains), dans ce vieux machin, et... une toute-puissance lumineuse et toujours cette... quelque chose qui est dans le sens de la bonté, de la bienveillance, mais bien au-dessus (ces choses-là paraissent des déformations ridicules). Ça, comme cela (même geste de gonflement) et statique, c'est-à-dire qu'il y a dans les cellules le sentiment d'une éternité.
Ça ne dure pas – ça dure quelques minutes au plus, oui, quelques minutes, mais ça revient. Ça revient. Comme cela quelque chose de tout à fait, tout à fait nouveau pour le corps.
Tout le temps – tout le temps, d'une façon constante –, il y a la chaleur, la douceur, le bonheur du don total, avec une aspiration: «Être, être Toi, ne plus exister.» Mais il y a encore le sens de... c'est la joie de se donner. C'est comme cela, c'est constant. Et quand la conscience n'est pas active, c'est-à-dire quand je ne parle pas ou que je n'écoute pas ou que... automatiquement, le corps répète le mantra comme cela, tout le temps comme cela; c'est l'état constant, nuit et jour, sans arrêt. Mais de temps en temps – de temps en temps –, il y a une sorte de fusion (qu'est-ce qui se passe? je ne sais pas), comme une fusion, et même toute cette joyeuse aspiration, toute cette ardeur, c'est transformé en un état... qui est, qui semble être tout à fait immobile parce que... Je ne sais pas comment c'est: ce n'est pas l'immobilité, ce n'est pas l'éternité... Je ne sais pas, mais c'est quelque chose, c'est un «quelque chose» comme cela, qui est... c'est Pouvoir, Lumière, et vraiment un Amour qui ne se «donne» pas et qui ne «reçoit» pas; un Amour qui... quelque chose (ce mot parce qu'on n'a pas d'autres mots), quelque chose comme cela, mais c'est Ça, c'est une vibration qui est Ça, de Pouvoir, de Lumière et d'Amour (pour traduire, ce sont les trois mots qu'il faut employer) et qui est comme cela, dans ça, dans le corps, partout. Partout. Au point que, au moment où l'on sort de cet état-là, on se demande (riant) si on a encore la même forme! Tu comprends, c'est comme cela.
C'est nouveau, depuis deux jours.
Ce n'est pas constant. Et ça vient quand on me laisse tranquille – ce qui... (riant) n'est pas souvent! mais quand je peux me fondre dans la joie d'appartenir au Divin (quelque chose comme cela). Il n'y a même pas l'idée d'«être le Divin», ce n'est pas cela! Ça paraît si bête! La première fois que j'ai lu cela, ça m'a paru le comble de Pégoïsme: c'est vous qui êtes le Divin! (riant) ce n'est pas le Divin qui vous contient, c'est vous qui contenez le Divin, n'oubliez pas!... Mais il y a la joie d'appartenir entièrement au Divin; eh bien, ça, tout d'un coup (geste de décrochage), il y a quelque chose qui se passe... (Mère indique qu'il n'y a plus de séparation, plus de «don» et de «quelqu'un» à qui se donner).
Et c'est curieux, dès qu'il y a le moindre fléchissement dans l'attitude; par exemple, une seconde d'oubli (ce que l'on pourrait appeler l'oubli, c'est-à-dire que la vieille habitude d'avant, la vieille habitude terrestre revient), immédiatement le corps sent qu'il va se dissoudre. Et ça, c'est curieux, c'est une chose... Il a maintenant conscience qu'il ne tient ensemble, qu'il n'existe ensemble que par la Puissance du Seigneur, que ce n'est par aucune loi naturelle – ça, il le sait –, et alors, à ce moment-là, brr! ça peut être deux-trois secondes comme cela qui viennent: impression que tout-tout va se dissoudre.
C'est curieux.
Avec les gens, à moins (c'est très rare), à moins qu'ils ne soient tout à fait insupportables (mais c'est très rare), avec les gens, ça (le corps) n'existe plus: c'est la Conscience Divine qui est là et qui travaille, qui observe, qui travaille, qui répond, et (riant) qui est quelquefois pleine de malice! d'une malice si pleine de bonté, mais pleine de malice. Et alors, elle a un sens de l'humour extraordinaire.
Enfin voilà. Alors ça va. D'une certaine façon, ça va. J'ai l'impression que c'est encore... Voyons, je vais essayer de mentaliser un peu: l'impression, c'est comme si la Conscience suprême avait entrepris le travail de transformation du corps et le faisait thoroughly [radicalement], et alors sans hésitation, sans compromis, sans rien de tout cela, et que... c'est à savoir si le corps va tenir le coup. C'est comme cela. Et le corps le sait – le sait et n'a pas l'ombre de peur, je dois dire –, ça lui est tout à fait égal: «Ce que Tu voudras, ce sera bien.» Il y a des moments où il sent un peu de souffrance pour une chose ou une autre, où il y a un peu de tirage (une douleur ici, là... il y a des douleurs qui ne sont pas très-très agréables), et à ce moment-là, alors, il fait toujours comme cela (Mère ouvre les mains): «Comme Tu voudras, Seigneur.» Et au bout de quelques minutes au plus, ça se calme. Mais il a cessé de se demander s'il durera ou s'il ne durera pas, s'il réussira ou s'il ne réussira pas; tout cela, c'est fini, parti: «C'est comme Tu voudras, comme Tu voudras.» Et il dit ces mots-là parce qu'on n'a qu'une langue dont on puisse se servir, qui est tout à fait incapable d'exprimer; mais on ne sait pas autre chose, alors on s'en sert. Quand il dit: «Comme Tu voudras», c'est ce mouvement de... (geste de dilatation et d'expansion), comment dire?... C'est comme une détente dans toutes les cellules – elles se détendent. Elles se détendent comme cela dans la Lumière suprême, dans la Conscience suprême, comme cela. Alors on a l'impression que la forme va disparaître, mais... (Mère regarde la peau de ses mains) ce doit être la conscience contenue dans les cellules [qui se répand]; ce n'est pas la substance, je ne sais pas, parce que (Mère regarde la peau de ses mains) pour le moment, c'est resté tel que c'est! Mais ça [cette détente] reste comme cela pendant assez longtemps.
Mais il n'y a pas de mots pour exprimer cela, parce que je crois que... (je ne sais pas s'il y a eu des gens qui l'ont senti, mais s'ils l'ont senti, ils ne savaient pas ce que c'était parce qu'ils ne l'ont pas exprimé), c'est nouveau. C'est nouveau pour le corps. C'est nouveau. Une espèce de... comme si on était crispé et que la crispation se détendait, se détendait... (même geste d'expansion, de diffusion). Oui, c'est tout à fait cela, c'est comme quand on est crispé, comme quelqu'un qui a des crispations, et ça se détend. Et alors, c'est pour toutes les cellules comme cela.
Voilà, maintenant j'ai assez bavardé!
(le disciple se lève)
Je vais te donner le Sourire perpétuel de la Conscience divine.
(Mère donne une fleur de champak)3
Et puis des roses... voilà. (À Sujata:) Toi aussi.4
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1 Annadurai.
2 L'enregistrement du début de cette conversation n'a pas été conservé.
3 Michelia champaka, jaune pâle («perfection psychologique supramentalisée»).
4 Il existe un enregistrement de cette conversation.