Mère
l'Agenda
Volume 7
(Cette conversation est venue à la suite d'une question personnelle du disciple, qui demandait à Mère s'il ne devait pas refuser une certaine somme d'argent que lui offrait le Gouvernement français: une pension de guerre. Le disciple avait l'intention de refuser cette pension parce qu'il ne voulait se sentir lié à aucun gouvernement et à aucun pays pour n'importe quelle somme d'argent. Mère lui a conseillé d'accepter cet argent pour l'Œuvre divine.)
J'ai eu une révélation, dans le sens que c'était plutôt de l'ordre de la vision.
Pour des raisons extérieures, j'étais en train de voir l'état lamentable dans lequel se trouvent tous les pays, les conditions de la terre qui sont vraiment pénibles et dangereuses, et il y avait une sorte de vision d'ensemble montrant comment les nations (les hommes en tant que nations) ont agit et agissent de plus en plus dans un Mensonge croissant, et comment ils ont utilisé tout leur pouvoir de création à créer des moyens de destruction tellement formidables, avec l'arrière-pensée, vraiment enfantine, que ce serait si terrible que l'on ne voudrait pas s'en servir. Mais ils ne savent pas (ils devraient savoir, mais ils ne savent pas) que les choses ont une conscience et une force de manifestation, et que tous ces moyens de destruction poussent à l'utilisation, et que même ne voulant pas s'en servir, il y aurait une force plus forte qu'eux qui les pousserait à s'en servir.
Alors, voyant tout cela, l'imminence de la catastrophe, il y a eu une sorte d'appel ou d'aspiration pour faire venir quelque chose qui puisse neutraliser au moins cette erreur. Et c'est venu, une réponse... Je ne peux pas dire que je l'aie entendue avec mes oreilles, mais c'était tellement clair, fort et précis que c'était indiscutable. Je suis obligée de traduire par des mots; si je traduis en mots, je peux dire à peu près ceci: «C'est pour cela que tu as créé Auroville.»
Et alors, la vision claire qu'Auroville était un centre de force et de création, avec... (comment dire?) une graine de vérité, et que si elle pouvait éclore et se développer, le mouvement même de sa croissance serait une réaction contre les conséquences catastrophiques de cette erreur de l'armement.
Cela m'a intéressée beaucoup parce que aucune pensée ne précédait cette naissance d'Auroville; c'était simplement, comme toujours, une Force qui agit, comme une espèce d'absolu qui se manifeste, et c'était tellement fort (lorsque l'idée d'Auroville s'est présentée à Mère) que je pouvais dire aux gens: «Même si vous n'y croyez pas, même si toutes les circonstances ont l'air tout à fait défavorables, JE SAIS QU'AUROVILLE SERA. Ce peut être dans cent ans, ce peut être dans mille ans, je n'en sais rien, mais Auroville sera, parce que c'est décrété.» Et cela avait été décrété – tout simplement fait comme cela en obéissance à un Ordre, sans pensée. Et quand «on» m'a dit cela (je dis «on», mais tu comprends ce que je veux dire), quand on m'a dit cela, c'était pour me dire: «Voilà pourquoi tu as fait Auroville; tu n'en sais rien, mais c'est pour cela...» Parce que c'était le DERNIER ESPOIR de réagir contre la catastrophe imminente. Si un intérêt s'éveille dans tous les pays pour cette création, cela aura petit à petit le pouvoir de réagir contre l'erreur qu'ils ont commise.
Cela m'a intéressée beaucoup, parce que je n'y avais jamais pensé.
Et naturellement, quand on m'a montré cela, j'ai compris; j'ai senti comment, quelle action dans l'invisible, a la création d'Auroville. Ce n'est pas une action matérielle, extérieure: c'est une action dans l'invisible. Et alors, depuis ce moment-là, j'essaye de le faire comprendre aux pays, non pas extérieurement naturellement parce que tous se croient beaucoup trop malins pour que l'on puisse leur apprendre quoi que ce soit, mais intérieurement, dans l'invisible.
C'est assez récent, cela date d'il y a deux ou trois jours. Cela ne m'avait jamais été dit. Cela a été dit très clairement. Et «dit»: vu, n'est-ce pas. montré comme cela (comme un tableau de vision). Alors mon intérêt pour Auroville a considérablement grandi depuis ce moment-là. Parce que j'ai compris que ce n'était pas seulement une création de l'idéalisme, mais que c'était un phénomène tout à fait pratique dans l'espoir... dans la volonté, plutôt, de contrecarrer et de contrebalancer les effets – les effets effroyables – de cette erreur psychologique de croire que la peur peut vous sauver d'un danger! La peur attire le danger beaucoup plus qu'elle ne vous en sauve. Et tous ces pays, tous ces gouvernements font bêtises sur bêtises à cause de cette peur de la catastrophe.
Tout cela, c'est simplement pour te dire que si les nations, même dans une toute petite mesure (comme cette offre d'argent du Gouvernement français) collaborent à l'œuvre d'Auroville, ça leur fera du bien – ça peut leur faire beaucoup de bien, un bien qui peut être disproportionné à l'apparence des actions.
Mais tu parles de l'imminence d'une catastrophe, tout de même Auroville va prendre du temps à se réaliser?
Non! je parle de la collaboration des pays pour CRÉER quelque chose. Ce n'est pas quand Auroville sera fini: c'est la collaboration des nations pour créer quelque chose – mais pour créer quelque chose qui est fondé sur la Vérité au lieu d'une émulation dans la création du Mensonge. Ce n'est pas quand Auroville sera prêt – quand Auroville sera prêt, ce sera une ville au milieu de toutes les villes et ce n'est que sa capacité propre de vérité qui aura du pouvoir, mais ça... c'est à voir.
Non, il s'agit d'un intérêt combiné pour construire quelque chose qui se fonde sur la Vérité. Ils ont eu un intérêt combiné (et combiné sans sympathie, n'est-ce pas) pour créer sur le Mensonge un pouvoir de destruction; et Auroville, c'est dériver un peu de cette force (la quantité est minime, mais la qualité est supérieure). C'est vraiment un espoir – c'est fondé sur un espoir – de faire quelque chose qui soit le commencement d'une harmonie.
Non, c'est TOUT DE SUITE, c'est tout de suite. La force de propagation est beaucoup plus grande, elle est disproportionnée au centre émetteur (Mère) qui, au point de vue mondial, est pour ainsi dire inconnu et presque inexistant; mais le centre, le pouvoir de radiation et de propagation est disproportionné, il est assez remarquable: il y a une réponse partout-partout (pour Auroville); une réponse de la nouvelle Afrique, une réponse en France, une réponse en Russie, une réponse en Amérique, une réponse au
Canada et une réponse dans quantités de pays, en Italie... partout-partout. Et pas seulement des individus: des groupes, des tendances, des mouvements, même dans les gouvernements.
Ce qui se montre le plus récalcitrant (et ça, c'est admirable d'ironie), ce sont... les Nations Unies! Ils sont vieux-jeu, ces gens, oh!... Ils en sont encore au mouvement «matérialiste anti-religieux», et ils ont fait une remarque péjorative sur la brochure d'Auroville en disant que c'était «mystique», à tendance «religieuse». L'ironie est jolie!
D'ailleurs, même d'une façon tout à fait extérieure, cette lutte entre l'Inde et le Pakistan1 était clairement... (comment dire?... ce sont les mots anglais qui me viennent) initiated and driven, c'est-à-dire mise en mouvement et avec l'impulsion des forces de Vérité qui voulaient créer une grande «Fédération asiatique» qui ait la puissance de contrebalancer la Chine rouge et son mouvement. C'était une Fédération qui avait justement besoin du retour du Pakistan et de toutes ces régions, et qui comprend le Népal, le Tibet, puis la Birmanie, et en bas, Ceylan. Une grande Fédération où chacun aurait son développement autonome, tout à fait libre, mais qui serait unie dans une aspiration générale unique de paix et de lutte contre l'invasion des forces dissolvantes. C'était très clair, c'était très voulu – et c'est l'intervention de ces Nations Unies qui a tout arrêté.2
Officiellement, je ne dis rien; parce que j'ai dit et je répète toujours que la politique est en plein Mensonge, fondée sur le Mensonge, et je ne m'en occupe pas, c'est-à-dire que je ne fais pas de politique, je ne veux pas – mais je peux voir clair!... On est venu me demander (de tous les côtés, d'ailleurs) opinion, avis ou conseil; j'ai dit: «Non, je ne m'occupe pas de politique.» N'est-ce pas, toute la diplomatie est fondée absolument sur un Mensonge VOULU; tant que ce sera comme cela, il n'y a pas d'espoir: les inspirations viendront toujours du mauvais côté; les inspirations, les impulsions, les idées, tout viendra toujours du mauvais côté; c'est-à-dire que c'est la gaffe inévitable, pour tout le monde. Quelques rares individus le sentent et le savent, et ils sont à moitié désespérés parce que personne ne les écoute.
Malheureusement, selon les tendances actuelles, on veut avoir le support de l'Unesco pour Auroville (!) Moi, je savais d'avance que ces gens ne peuvent pas comprendre, mais... on essaye. Parce qu'il y a des gens partout (c'est une espèce de superstition), des gens partout qui disent: «Non, je n'ouvre les cordons de ma bourse qu'avec l'approbation et l'encouragement de l'Unesco» (je parle de ceux dont l'appoint compte), beaucoup de gens, alors-Seulement, pour moi, tout cela, c'est la croûte, l'expérience tout à fait superficielle – la croûte; et il faut que les choses se fassent en dessous, sous cette croûte. C'est juste une apparence.
Je l'ai dit à ceux qui s'occupent d'Auroville, je leur ai dit: «Ces gens-là (l'Unesco) sont en retard de deux cents ans sur la marche de la terre, par conséquent il n'y a pas beaucoup d'espoir qu'ils comprennent.» Mais enfin je ne leur ai pas dit de ne pas s'en occuper – je ne donne pas de conseils.
Mais de tout petits détails comme celui dont nous avons parlé tout à l'heure (l'offre de pension du Gouvernement français) sont une indication: ce sont les pays qui collaborent à la Vérité sans le savoir. Et c'est très bien, c'est tant mieux pour eux. C'est bon pour eux. Cela ne fait rien s'ils ne savent pas (souriant): ils n'ont pas le plaisir de l'avoir fait! c'est tout.
(silence)
Mais j'étais la première à être très intéressée parce que c'est venu comme cela (geste de descente irrésistible), avec une autorité toute-puissante: «C'est pour cela qu'Auroville a été fait.»
(Mère entre en contemplation, puis reprend)
Il y a toutes sortes de choses très amusantes que l'on voit passer; une réflexion, juste à l'instant: «Ah! c'est une Tour de Babel à rebours.» (Mère rit) C'est intéressant! Ils se sont unis et ils se sont divisés dans la construction; alors maintenant, ils se sont rassemblés pour s'unir dans la construction. Voilà: une Tour de Babel... à rebours!
(Mère s'arrête un instant comme si Elle voyait quelque chose)
Tout d'un coup, on voit... C'est un certain domaine, là, un domaine de l'atmosphère terrestre qui est vaste et impérissable, où les choses prennent une autre importance, qui quelquefois dément les apparences, et on voit comme un grand, immense courant qui entraîne les circonstances et les événements vers un but... toujours le même et par des chemins très inattendus. Ça devient très vaste et, malgré l'horreur des détails, dans l'ensemble ça prend un Rythme qui est très souriant...
Je sais maintenant, je me souviens, toute cette expérience est venue après avoir vu un livre qui a été publié dans l'Inde tout récemment, en anglais, et qu'ils ont appelé The Roll of Honour, où il y a la photo et une petite biographie de tous ceux qui sont morts dans la lutte contre les Anglais, pour la liberté de l'Inde. Il y avait des photos partout, beaucoup de photographies (certaines étaient seulement la photographie que la police avait prise quand ils venaient d'être tués et qu'ils étaient allongés par terre), et tout cela a apporté une certaine atmosphère: l'atmosphère de ces bonnes volontés désintéressées qui rencontrent un destin tragique. Cela m'a fait un effet analogue à l'effet produit par les photographies sur les horreurs des Allemands pendant la guerre là-bas. Il est évident que ces choses sont directement sous l'influence de certaines forces adverses, mais nous savons que les forces adverses sont pour ainsi dire autorisées à travailler – justement par le sentiment de l'horreur –, pour hâter l'éveil de la conscience. Et alors, cette expérience-là, qui a été très forte, qui ressemblait beaucoup à celle que j'ai eue quand j'ai vu les photographies des atrocités allemandes en France, m'a mise en rapport avec la vision de l'erreur humaine, terrestre, moderne (c'est moderne: ça a commencé depuis ces derniers mille ans et ça devient de plus en plus aigu dans la dernière centaine d'années), avec l'aspiration pour contrebalancer cela: comment faire?... quoi faire?... Et la réponse: «C'est pour cela que tu as créé Auroville.»
C'est une perception des forces – des forces qui agissent directement dans les événements, les événements matériels, qui sont... illusoires et mensongers; par exemple, l'homme qui a lutté pour la liberté de son pays, qui vient d'être assassiné là parce que c'est un révolté, et qui a l'air d'un vaincu, couché sur le parapet de la route: c'est lui, le victorieux. C'est cela, ça montre bien le genre de relation entre la vérité et l'expression. Alors, si l'on entre dans cette conscience où l'on perçoit le jeu des forces et que l'on voie le monde comme cela, c'est très intéressant; et c'est comme cela, quand j'étais dans cet état-là, qu'il m'a été dit, montré clairement (c'est inexprimable parce que ce n'est pas avec des mots, mais ce sont des faits): «C'est pour cela que tu as créé Auroville...» C'est la même chose que pour cette photo.3
Voilà, tu gardes ça.
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* *
Une note de Mère sur Auroville:
«L'humanité n'est pas le dernier échelon de la création terrestre. L'évolution continue et l'homme sera dépassé. À chacun de savoir s'il veut participer à l'avènement de l'espèce nouvelle. Pour ceux qui sont satisfaits du monde tel qu'il est, Auroville n'a évidemment pas de raison d'être.»
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1 Il s'agit du conflit qui a eu lieu l'année dernière, en septembre 1965, et à l'occasion duquel Mère avait officiellement encouragé l'Inde à se battre jusqu'au bout.
2 Sous la pression des Nations Unies, l'Inde a abandonné son avantage sur le Pakistan et s'est «rendue» à Tachkent.
3 D'un geste, Mère montre le fusillé victorieux au bord de la route, voulant dire que les apparences modestes d'Auroville sont sans commune mesure avec son rôle véritable dans l'invisible. (Il existe un enregistrement complet de cette conversation.)