Mère
l'Agenda
Volume 6
Mère essaie de regarder un papier à la loupe:
C'est assez curieux, ça ne m'aide plus... Est-ce que ce n'est pas propre? (Mère tend la loupe au disciple) Ça paraît comme un brouillard.
Si, c'est propre.
C'est assez étrange, cette vision. C'est toujours comme s'il y avait un voile entre moi et les choses, d'une façon constante; j'y suis si habituée; je vois très bien tout, mais comme s'il y avait un léger voile. Et puis tout d'un coup, sans raison apparente (je veux dire d'une logique extérieure), une chose devient claire, précise, nette (geste qui saute aux yeux) – la minute d'après, c'est fini. Quelquefois c'est un mot dans une lettre ou écrit quelque part, quelquefois c'est un objet. Et c'est une autre qualité de vision, une vision... (comment expliquer cela?) c'est comme si la lumière qui éclaire était dedans au lieu d'être dessus: ce n'est pas une lumière de réflexion. Ce n'est pas lumineux, ce n'est pas comme une bougie, par exemple, ou une lampe, ce n'est pas cela, mais au lieu d'être une lumière projetée, ça a sa propre lumière, qui ne rayonne pas.
Ça devient de plus en plus fréquent, mais avec un illogisme parfait. C'est-à-dire que je n'en comprends pas du tout la logique; je ne sais pas pourquoi telle chose au lieu de telle autre, ou ça au lieu de ça – tout d'un coup, quelque chose saute aux yeux, ah! et puis c'est comme un éclair. Et d'une précision de vision! extraordinaire, avec la pleine compréhension de la chose vue en même temps qu'on la voit. Autrement, tout est comme derrière... est-ce un voile? Je ne sais pas.
Il m'arrive la même chose quelquefois (souvent) pour parler. J'ai l'impression que je parle de très loin ou de derrière une substance cotonneuse qui enlève la précision des vibrations. À un degré extrême, c'est à cause de cela que je n'entends pas quelquefois, rien: certaines personnes me parlent, je n'entends absolument pas, rien. Il y en a d'autres, j'entends le ronflement d'un son qui n'a pas de sens. Et certaines personnes, j'entends TOUT ce qu'elles disent. Mais c'est une autre façon d'entendre: c'est la vibration de leur pensée que j'entends et qui fait que c'est très clair.
J'ai la même chose pour l'ouïe, la même chose pour la vision.
Ça commence pour le goût, mais ça ne m'intéresse pas beaucoup, alors je ne remarque pas, je ne fais pas attention. Mais j'ai eu ces jours-ci l'expérience que la qualité des goûts avait changé: certaines choses avaient un goût artificiel (le goût habituel est un goût artificiel) et d'autres portaient en elles-mêmes un goût vrai; et alors c'est très clair – très clair, très précis. Mais c'est un sujet moins intéressant, alors je m'en suis moins occupée.
Ce qui m'a frappée le plus, c'est la vision. L'ouïe... j'ai depuis très-très longtemps (des années) l'impression que quand les gens ne pensent pas clairement, je ne peux pas entendre. Mais ce n'est pas tout à fait cela: c'est quand leur conscience n'est pas vivante dans ce qu'ils disent – ce n'est pas tant une question de «penser», c'est leur conscience qui ne vit pas dans ce qu'ils disent; c'est une mécanique mentale; alors là, je ne comprends rien du tout, rien. Quand leur conscience vit, ça me touche. Et j'ai remarqué, par exemple, les gens que je n'entends pas croient que c'est parce que je suis sourde à la manière ordinaire et ils se mettent à crier – c'est encore pire! Ça devient comme si l'on me jetait des cailloux à la figure.1
Il doit y avoir une action sur les organes.
Mais ce sont mes yeux qui m'intéressent le plus. Par exemple, j'avais remarqué cela le matin de bonne heure quand je fais ma toilette. J'entre dans le cabinet de toilette avant que la lumière soit allumée, parce que ça s'allume dedans; mais je vois tout aussi clair que quand la lumière est allumée! ça ne fait aucune différence. Et alors tout était comme derrière une espèce de voile. Puis j'ai fait attention (c'est-à-dire que l'attention était attirée) et je me suis dit: «Mais tout cela devient si terne, ça n'a aucun intérêt!» Et j'ai commencé à penser (pas penser, mais prendre conscience d'une chose ou d'une autre), et tout d'un coup, j'ai vu ce phénomène, d'une bouteille dans l'armoire qui est devenue si claire, si... d'une vie intérieure (geste comme si la bouteille s'éclairait du dedans). Ah! je me suis dit: «Tiens!» – la minute d'après, c'était passé.
Mais c'était comme si l'on me disait: «Non, tu peux. Tu ne vois plus comme cela, mais tu peux voir comme cela; tu ne vois plus de la manière ordinaire, mais tu peux voir...» (geste intérieur). On m'a laissé assez de vision pour que je puisse me mouvoir librement, mais c'est évidemment la préparation à une vision par la lumière intérieure au lieu de la lumière projetée. Et c'est... oh! c'est chaud, c'est vivant, c'est intense – c'est d'une précision! tout se voit en même temps, non seulement la couleur et la forme mais le caractère de la vibration: dans un liquide, le caractère de sa vibration – c'est admirable. Seulement c'est momentané, ce sont comme des promesses qui viennent vous dire (comme quand on fait une promesse à quelqu'un pour le consoler et lui donner du courage): «Ce sera comme ça.» Bon. (Mère rit) Dans combien de siècles, je ne sais pas!
Mais quand je prenais cette loupe, je pouvais lire très bien (j'ai arrêté à cause de ces hémorragies, pourtant mes yeux ont l'air bien à nouveau), mais maintenant ça ne me sert plus à rien! (Mère regarde un dossier à la loupe) Ça ne devient pas plus clair, il y a toujours ce même nuage. C'est plus gros, c'est tout. (Mère regarde encore) C'est curieux, c'est plus gros mais c'est la même chose, il y a le même voile... d'irréalité.
L'odorat, il y a très-très longtemps que mon odorat a changé de nature. D'abord, j'avais pratiqué cela (il y a très longtemps, des années, beaucoup d'années): ne sentir que quand je veux et ce que je veux. Et c'était tout à fait maîtrisé. Ça a déjà beaucoup préparé l'instrument. Je vois bien que c'était déjà une préparation. Je sens les choses... je sens plutôt la qualité vibratoire des choses que simplement l'odeur. Il y a toute une classification des odeurs: il y a les odeurs qui vous allègent, comme si elles vous ouvraient des horizons – ça vous allège, ça vous rend plus léger, plus joyeux; il y a les odeurs qui vous excitent (celles-là sont dans la catégorie de celles que j'ai appris à ne pas sentir); quant à toutes les odeurs qui vous dégoûtent, je ne les sens que quand je veux – quand je veux savoir, je sens, mais quand je ne veux pas, je ne les sens pas. Maintenant c'est automatique. Mais l'odorat était très cultivé même quand j'étais encore enfant, il y a très longtemps: à ce moment-là, j'avais cultivé les deux, les yeux et l'odorat. Mais mes yeux ont servi à tout, à toutes les visions, alors c'est quelque chose de beaucoup plus compliqué, tandis que l'odorat est resté comme cela: je sens l'état psychologique des gens quand je m'approche d'eux; je le sens, ça a une odeur – il y a des odeurs très spéciales... toute une gamme. J'ai cela depuis très-très longtemps, c'est quelque chose de très dominé, très maîtrisé. Je peux absolument ne rien sentir: quand, par exemple, il y a des odeurs mauvaises qui dérangent le système du corps, je peux couper la connexion complètement.
Mais je ne m'aperçois pas d'un grand changement dans ce domaine parce que c'était déjà très cultivé, tandis que mes yeux sont beaucoup plus... (comment dire?) en avance, en ce sens qu'il y a déjà une différence beaucoup plus grande entre la vieille habitude de voir et l'autre. C'est comme si j'étais derrière un voile, c'est cela vraiment l'impression: un voile; et puis tout d'un coup, quelque chose qui vit de la vraie vibration. Mais c'est rare, c'est encore rare... Probablement (riant), il n'y a pas beaucoup de choses à voir!
Tiens, c'était la fête de Y l'autre jour. Je l'ai fait venir. Elle est arrivée: elle avait la figure de son singe, tout à fait! Elle s'est assise en face de moi, nous avons échangé quelques mots, puis je me suis concentrée et j'ai fermé les yeux, puis j'ai ouvert les yeux – elle avait la figure d'une madone idéale! d'une beauté! Alors comme j'avais vu le singe (le singe n'était pas vilain, mais c'était un singe, n'est-ce pas), et puis ça, ah! j'ai été frappée, je me suis dit: «C'est admirable de plasticité.» Une figure... oh! vraiment une belle figure, tout à fait harmonieuse et pure, et avec une si jolie aspiration – oh! une belle tête. Puis j'ai regardé plusieurs fois: ce n'était plus ni l'un ni l'autre, c'était... c'était quelque chose (ce qu'elle est d'habitude, n'est-ce pas), et c'était derrière le voile. Mais ces deux visions, c'était sans voile.
Et pour moi c'est comme cela, je ne vois pas les gens, je ne vois plus (mais il y a longtemps), je ne vois plus comme les gens voient, comme l'on voit d'habitude. Quelquefois, on me dit: «Avez-vous remarqué: telle personne est comme cela et comme cela», je dis: «Non, je n'ai rien vu», et d'autres fois, je vois des choses que personne ne voit! C'est un développement beaucoup plus complet que de passer simplement d'une vision à l'autre.
Mais odorat et vision ont été très cultivés dans les années de vingt à vingt-quatre ans. C'était une éducation consciente, volontaire, méthodique, et qui a eu des résultats intéressants. Et qui a préparé l'instrument à maintenant, beaucoup.
(Mère regarde l'heure)
Ah! voilà, j'ai encore bavardé – c'est lui qui me fait bavarder!
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1 Non seulement ils croyaient que Mère était sourde, mais nous avons entendu l'un de ses assistants nous dire que les bizarreries de la vision de Mère étaient dues à la cataracte. Ainsi Mère était-elle entourée de gens qui la croyaient vieille et infirme ou malade.