Mère
l'Agenda
Volume 5
(Lendemain du 86e anniversaire de Mère. Mère commence par lire la traduction du message qu'Elle a donné la veille:)
C'est traduit d'une façon intéressante... Je l'ai lu, puis je me suis concentrée (il y avait A qui était assis: bougeait pas, disait rien), alors je lui ai d'abord dit un ou deux mots pour «établir l'atmosphère», puis je suis restée tranquille, et c'est venu comme cela – ce n'est pas tout à fait une traduction:
Sa volonté solitaire affronta la loi du monde.
Pour arrêter la roue fatale, cette Splendeur se leva...1
*
* *
J'ai eu une étrange nuit, la nuit dernière.
Toute la journée d'hier, j'ai eu l'impression – pas une impression vague: une sensation très précise – de la Pression de quelque chose qui voulait se manifester, mais c'était tellement matériel que c'était comme une pression physique. Et puis comme une Force qui, non seulement résistait, mais se révoltait et essayait de brouiller les cartes partout: créer des circonstances désagréables, déranger les gens, toutes sortes de petits rien-du-tout tout à fait désagréables. Je voyais tout cela.
Et il y a eu une espèce de concrétisation de cette résistance et de cette révolte, le soir. Alors, en réponse, dans toutes les cellules du corps, il y avait comme un appel, désespéré, pour la Vérité, comme si toutes les cellules criaient: «Ah non! nous en avons assez de ce Mensonge, assez-assez-assez! – la Vérité, la Vérité, la Vérité...» Ça a mis mon corps dans une transe très profonde. Et il avait l'impression d'une lutte très-très intense.
Je regardais, et il y avait partout... comme si le monde était fait de grandes machines avec des pistons formidables qui étaient en train de descendre – tu sais, comme dans les salles de machines: ça montait, descendait, montait, descendait... C'était partout comme cela. Et ça pilonnait la Matière, c'était effrayant. Au point que le corps se sentait pilonné.
C'était une compression – compression mécanique – et en même temps (les deux en même temps), une aspiration d'une intensité! Il y a une intensité dans ces cellules, qui est extraordinaire: «La Vérité, la Vérité, la Vérité...»2 Et puis, au milieu de tout cela, je suis entrée dans un état de transe très profonde, une sorte de samâdhi, d'où je suis sortie cinq heures après – c'était de 10 heures du soir à 3 heures du matin –, cinq heures après, béatifique, et consciente que j'étais consciente tout le temps, mais de quelque chose d'inexprimable. Et une lumière! Une lumière, une lumière... une lumière fantastique.
Mais ce matin, le corps est un peu... comment dit-on? «giddy».
Étourdi, pris de vertige.
Pas positivement du vertige... la sensation d'une sorte d'inconsistance. Oui, comme quand on est étourdi – un étourdissement plutôt. N'est-ce pas, ça a été un pilonnage!...
Douce Mère, il y a une quinzaine de jours, j'ai fait exactement ce rêve. C'était comme un énorme «drill» [foreuse] qui s'enfonçait dans la Matière; puis tu es venue à un moment, et ça t'a intéressée beaucoup, comme si tu y participais activement. Un énorme drill noir, comme pour faire des forages, qui rentrait là-dedans, et c'était une espèce de Matière d'une couleur comme de la glaise jaune. Ça m'a beaucoup frappé. Il y a environ dix ou quinze jours... Une puissance formidable.
Oui, hier j'ai eu l'impression que j'étais mise en contact avec une chose qui se passait TOUT LE TEMPS.
Alors c'est cela.
Comme cela, pilonner: tu sais, ces machines qui montent, descendent, montent, descendent... Et il y en avait, il y en avait, il y en avait... c'était sans fin.
Mais alors (riant), ce pauvre corps se trouvait dessous! Même, j'ai entendu (quoique j'étais en transe), j'ai entendu mon corps qui faisait des petits cris: «Hon! hon!...», un tout petit «Hon»!
Alors je suis comme ça, un peu étourdie ce matin.
Ce sont des moyens puissants!
(silence)
Je n'ai jamais vu une telle intensité dans les cellules, dans la conscience des cellules... n'est-ce pas, une intensité presque désespérée: «Nous en avons assez-assez-assez de ce Mensonge! – La Vérité, la Vérité, la Vérité...» Et alors cette Lumière! bah-bah!... Elles étaient conscientes de la lumière. Conscientes d'une lumière éblouissante.
Tiens, c'est la sorte de vertige que l'on a quand on a bu un peu de trop – c'est ça, c'est le vertige que donne l'alcool.
Mais je n'ai pas eu l'impression d'une chose définitive: j'ai eu l'impression d'un commencement! C'est seulement un commencement!
C'est-à-dire que l'écart entre ce qu'elles sont habituées à recevoir par infiltration, et une descente radicale, c'est un écart formidable.
Plusieurs fois dans ses lettres, Sri Aurobindo a écrit que si la Lumière supérieure descendait subitement, ou si l'Amour divin descendait subitement, sans préparation... the matter would be shattered [la matière éclaterait]. Ça a l'air d'être très vrai!3
(silence)
Et encore maintenant (Mère touche ses mains, ses doigts), on sent... pas le pilonnage, mais l'aspiration de toutes les cellules...
(Mère entre en contemplation)
Oui, c'est comme cela, c'est une sorte d'ivresse.
Il y a un endroit dans Savitri où Sri Aurobindo dit: «This wine of lightning in the cells...»4
Ah! tu sais où c'est?...
(le disciple cherche en vain)
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1 Her single will opposed the cosmic rule.
To stay the wheels of Doom this greatness rose.
(Savitri, I.II.19)
2 Quelques jours après, Mère a eu une hémorragie à l'oeil.
3 Il existe un enregistrement de cette conversation. La fin s'est perdue dans la contemplation.
4 And came back quivering with a nameless Force
Drunk with a wine of lightning in their cells.
(IV.IV.383)