Mère
l'Agenda
Volume 4
J'ai passé toute la nuit avec Sri Aurobindo, tout le temps, c'est vraiment très intéressant... Mais je ne me souviens plus.
Ça reste, mais pas comme un souvenir mental, du tout: comme une impression d'atmosphère – très intéressant.
Il y avait de la Chine, il y avait de l'Amérique, il y avait... tout le temps, partout-partout. Comme une certaine chose qu'il a réalisée à travers mon expérience sur la terre, et une action qu'il fait d'après cela, et le résultat partout.
Une masse de choses – très intéressant.
(silence)
On veut me faire parler de la mort de Kennedy, j'ai refusé.
Il y avait un pauvre nègre qui était ici, très gentil, qui a fait toutes ses études en Amérique, et qui m'envoyait une lettre, quelquefois deux tous les jours. Son pays vient d'être libéré, c'est un de ces pays... le Nigeria je crois, et il a l'ambition de faire que son pays soit l'un des premiers pour la transformation – grande ambition. Et j'ai reçu de lui une dépêche le jour où Kennedy a été assassiné, priant que je l'aide. C'est très touchant.
Mais ça a déclenché toutes sortes de choses –justement, c'est en partie pour cela que j'ai eu cette longue présence de Sri Aurobindo et ce long travail; comme si ça avait servi de déclic à l'un des mouvements de transformation de la terre.
Il y a des jalons comme cela... Je t'avais dit, n'est-ce pas, que ce grand Asoura (qui au fond était le premier né; c'est pour lui que j'avais fait un corps subtil) avait dit qu'il allait en Chine et que la révolution de Chine (il y a longtemps!) serait le signe du commencement du travail de transformation de la terre.1 Ces choses-là sont comme des bornes sur la route, et la révolution chinoise était comme la première borne qui ouvrait la route. Eh bien, cet assassinat de Kennedy fait partie de ces signes, c'est l'un des jalons – cela m'a été dit.
(silence)
Je me souviens avoir dit: «Mais la terre, la terre humaine, est-elle donc encore si tamasique qu'elle ait besoin d'événements dramatiques comme cela pour éveiller sa conscience?...» Et on m'a répondu: «Encore beaucoup plus tamasique que tu ne le crois.»
Les intelligences qui ont émergé dans une lumière supérieure sont comme des étoiles dispersées dans un ciel tout à fait obscur – tout à fait obscur.
Mais ce «déclic» dont tu parlais, la mort de Kennedy, ça va précipiter les choses dans le sens du «secouage»?
Oui. Ça fait l'effet d'une décharge électrique qui secoue le tamas, secoue l'inertie.
C'est comme dans Savitri, il parle de la «conscience qui s'est endormie dans la poussière»... la Conscience divine qui s'est endormie dans la poussière de sa création (je brode). La Conscience divine, la Mère éternelle, n'est-ce pas, s'est endormie dans la poussière de sa création; on l'éveille, et Elle s'aperçoit (ce n'est pas du Sri Aurobindo!), Elle s'aperçoit (riant) que c'est le Seigneur suprême qui l'a secouée! Alors Elle fait tout, elle commence à faire des choses extraordinaires, surtout pour qu'il ne s'en aille pas!
She reposes motionless in its dust of sleep.2
(II.VI.180)
Puis:
For him she leaped forth from the unseen Vasts
To move here in a stark unconscious world.3
And then:
In beauty she treasures the sunlight of his smile.
Ashamed of her rich cosmic poverty....4
C'est admirable!
And woos his large-eyed wandering thoughts to dwell
In figures of her million-impulsed Force.
Only to attract her veiled companion
And keep him close to her breast in her world-cloak
Lest from her arms he turn to his formless peace,
Is her heart's business and her clinging care.5
(II.VI.131)
(silence)
Tu sais, cette femme russe qui est partie dans la stratosphère6 (elle a fait plusieurs tours autour de la terre, je ne sais combien), enfin elle est venue en visite dans l'Inde et elle a fait une conférence quelque part pour raconter son voyage. Et elle a dit (paraît-il d'une très jolie façon, je ne sais pas ses mots) qu'elle a vu la terre de là-haut et que c'était si beau, si magnifique! Et alors elle a fait cette réflexion: «De là-haut, il n'y a pas de délimitations entre les pays et ça fait une unité si harmonieuse qu'il paraît impensable que les hommes puissent se disputer.» C'est joli...
N'est-ce pas, dès que l'on va assez haut, c'est une unité, c'est un tout, et qui est si beau et sans division – «Pourquoi se battent-ils?»
Ça a frappé beaucoup les gens.
(silence)
Les gens ont encore besoin de morts, de drames, de maladies – c'est dommage.7
*
* *
Un peu plus tard
Depuis quelque temps, je rencontrais une sorte de résistance chez N, à l'Action. Quand il venait dans l'atmosphère (Mère fait le geste de se cogner à un mur), ça résistait terriblement. Et je n'avais aucune intention, sauf celle de faire céder ça, c'est-à-dire que je m'en tenais seulement à l'action intérieure (geste indiquant la Force qui travaille). Puis, voilà qu'il tombe malade. Hier il est venu comme tous les jours, mais il n'était pas bien. Alors je lui ai dit: «Allez, descendez, enfermez-vous chez vous et pendant au moins une heure, entrez dans Sat-Chit-Ananda et n'en bougez plus» (il est tout à fait capable de le faire). Le soir, quand le docteur est venu, il m'a dit que N avait une très forte fièvre: He is restless [Il est agité]. La fièvre était trop forte. J'ai pensé: «La résistance était plus forte même que je ne le pensais.» La nuit, quand je me suis couchée, j'ai commencé à me concentrer là pour voir, et je l'ai vu entouré d'une sorte de croûte noire, qui vient évidemment de ce qu'il n'a pas l'habitude de se purifier à mesure que les choses viennent sur lui du dehors (moi aussi, par exemple, je serais entourée d'une cuirasse noire, absolument noire comme du charbon, si je ne faisais pas mon travail de purification tout le temps, tout le temps, tout le temps). Donc j'ai vu cela, j'ai fait le nécessaire. Et ce matin, la fièvre était tombée. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il est venu ce matin, et il m'a dit ceci: «La nuit dernière, j'ai eu une vision: je me suis trouvé tout d'un coup tout entouré de charbon, d'une croûte épaisse de charbon, et je devais me débarrasser de ça et sortir de ça; et alors je regardais mes mains, je n'avais rien dans mes mains, et j'ai dit: «Comment puis-je faire? je n'ai rien pour le faire», et alors immédiatement, j'ai vu que ça commençait à se mettre en poudre-poudre-poudre et... parti! Et ce matin, je me sens faible et fatigué, mais c'est fini.»
C'est un minimum de déformation.
De temps en temps, j'ai des exemples comme cela, où l'expérience correspond presque exactement; c'est-à-dire que l'idiosyncrasie de chacun, la déformation individuelle n'intervient pas (chaque individu a sa déformation propre)... Quel est le mot français?... Je sais que la fin du mot est «... syncrasie» personnelle (en moi, ça s'est traduit par idiot-syncrasie, mais je ne crois pas que ce soit le mot!)
C'est un minimum de déformation. Je suis tout le temps à étudier, dans le corps, la différence entre la Chose et la façon dont elle se transcrit. C'est très intéressant. C'est très subtil –- très subtil. Et un rien suffit pour que ce ne soit plus la Vraie Chose.
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1 Voir Agenda du 15 janvier 1962, tome III, p. 43.
2 Elle repose sans mouvement dans sa poussière endormie
3 Pour Lui, elle a bondi des vastitudes invisibles
Afin de marcher ici dans un monde d'inconscience brute
4 Dans la beauté elle cache comme un trésor le rayon de
Son sourire. Honteuse de sa riche pauvreté cosmique...
5 Et elle courtise Ses pensées errantes aux grands yeux afin qu'il habite
Dans les formes de son Énergie aux millions d'élans.
Attirer seulement son compagnon voilé
Le garder contre son cœur dans le manteau du monde
De peur qu'il quitte ses bras pour se tourner vers Sa paix sans forme
Telle est l'occupation de son cœur et son soin tenace.
6 Valentina V. Tereshkova (le 6 juin 1963).
7 Il existe un enregistrement de cette conversation. Nous n'avons pas conservé la suite.