Mère
l'Agenda
Volume 4
(Ce début de conversation était voué à la disparition, mais nous l'avons retrouvé par hasard sur une deuxième piste de l'enregistrement magnétique. Il nous a semblé charmant et nous le remettons ici. Nous avons bien souvent fait disparaître ces débuts de conversation... Il s'agissait de la santé du disciple, Sujata ayant écrit à Mère que notre santé «se détériorait» et proposé que l'on nous donne une nourriture supplémentaire.)
Voyons, que je te contemple! (rires)
Comment ça va, mon petit?
Il y a amélioration.
Un peu mieux... Et cette nourriture, ça va?
Oui, ça a l'air d'aider.
Tiens... (Mère donne un hibiscus blanc): c'est la «volonté une avec la Volonté divine» – quand elles sont fondues comme ça, qu'on ne les distingue plus.
Petit...
*
* *
(Il est question d'une «ancienne» expérience, du 29 juin: le «bateau de glaise rose»)
Les choses vont beaucoup plus vite que je ne le croyais parce que cette expérience-là me paraît loin-loin-loin (l'expérience remonte à deux mois), il y a tant de choses qui se sont passées – il y a tant de choses que je ne dis pas.1
*
* *
Peu après
L'autre jour, pour une question de travail, j'ai été amenée à expliquer ma position du point de vue de la conviction matérialiste (je ne sais pas où ils en sont maintenant parce que je ne m'occupe pas de cela généralement), mais enfin j'ai été amenée à le faire à cause d'un travail.2
Pour eux, toutes les expériences qu'ont les hommes sont le résultat d'un phénomène mental: on est arrivé à un développement mental progressif (ils seraient bien incapables de dire pourquoi ni comment!) enfin c'est la Matière qui a développé la Vie, et la Vie qui a développé le Mental, et toutes les expériences soi-disant spirituelles de l'homme sont des constructions mentales (ils emploient d'autres mots, mais je crois que c'est leur idée). En tout cas, c'est une négation de toute existence spirituelle en elle-même et d'un Être, ou d'une Force, ou de Quelque chose qui est supérieur et qui dirige tout.
Je le répète, je ne sais pas où ils en sont maintenant, à quoi ils sont arrivés, mais j'étais en présence d'une conviction de ce genre.
Et alors j'ai dit: «Mais c'est très simple! J'accepte votre point de vue, il n'y a pas autre chose que ce que nous voyons: l'humanité telle qu'elle est; et tous les soi-disant phénomènes intérieurs sont dûs à une action mentale, cérébrale; et quand on meurt, on meurt – c'est-à-dire quand le phénomène d'agglomération est arrivé au bout de son existence et qu'elle se dissout, tout se dissout. C'est très bien.»
(Il est probable que si les choses avaient été telles, la vie m'aurait paru tellement dégoûtante qu'il y a longtemps que j'en serais partie. Mais je dois dire tout de suite que ce n'est pas pour une raison morale, ni même spirituelle, que je désapprouve le suicide, c'est que, pour moi, c'est une lâcheté, et il y a quelque chose en moi qui n'aime pas la lâcheté, et par conséquent je ne me suis pas... Je ne me serais jamais enfuie du problème.)
C'est un point.
«Et alors, une fois que vous êtes ici, sur la terre, et que vous devez aller jusqu'au bout, même si le bout est un néant – vous allez jusqu'au bout et il vaut mieux y aller le mieux du monde, c'est-à-dire à votre plus grande satisfaction... Il se trouve que j'avais des curiosités philosophiques et que j'ai étudié un peu tous les problèmes, et je me suis trouvée en présence de l'enseignement de Sri Aurobindo, et ce qu'il a enseigné (je dirais révélé, mais pas à un matérialiste) est de beaucoup, parmi les systèmes humains formulés, le plus satisfaisant pour moi, le plus complet et3 ce qui répond de la façon la plus satisfaisante à toutes les questions qui peuvent se poser; c'est ce qui m'aide le plus, dans la vie, à avoir le sentiment que ça «sert à quelque chose». Par conséquent, j'essaie de me conformer entièrement à ce qu'il enseigne et de le vivre intégralement de façon à vivre le mieux du monde – pour moi. Cela m'est tout à fait égal que les autres n'y croient pas – qu'ils y croient ou n'y croient pas ne fait aucune différence pour moi; je n'ai pas besoin d'être soutenue par la conviction des autres, il suffit que ce soit ma propre satisfaction.»
Eh bien, il n'y a plus rien à dire.
L'expérience a duré longtemps – dans tous les détails, à tous les problèmes j'ai répondu de cette façon. Et quand je suis arrivée au bout, je me suis dit: «Mais c'est merveilleux comme argument!» Parce que tous les éléments de doute, d'ignorance, d'incompréhension, de mauvaise volonté, de négation, immédiatement, avec cet argument, c'est muselé – c'est annulé, ça n'a pas d'effet.
C'est un travail qui, je pense, doit avoir eu des répercussions mondiales. J'ai été là-dedans, dans cet état (avec le sentiment d'une très grande puissance et d'une merveilleuse liberté) pendant certainement au moins six, huit heures. (Le travail avait commencé depuis longtemps, mais il se présentait d'une façon assez aiguë ces derniers jours.)
Et après, tout était tenu en main, solide – qu'est-ce que vous avez à dire?
(silence)
Il est beaucoup plus facile de répondre à des matérialistes à tous crins, convaincus, sincères («sincères», c'est-à-dire dans la limite de leur conscience) qu'à des gens qui ont une religion! beaucoup plus facile.
Avec les Indiens, c'est très facile – ils sont bénis du ciel, ces gens, parce qu'il suffit d'une toute petite chose pour qu'ils soient orientés convenablement4 –, mais il y a deux genres de religions difficiles, c'est la religion chrétienne (surtout sous la forme du protestantisme) et la religion juive.
Les Juifs sont aussi des matérialistes à tous crins: on meurt, on meurt, et puis c'est fini. Mais je n'ai pas bien compris comment ils accordent ça avec leur Dieu, qui d'ailleurs est Impensable et ne doit pas être nommé... mais qui, vu du point de vue d'une vérité plus vaste, semble (je n'en suis pas sûre), mais semble être un Asoura. Parce que c'est un Dieu tout-puissant et UNIQUE, et étranger au monde – le monde (pour autant que je sache) et lui, sont deux choses tout à fait différentes.
C'est la même chose dans le catholicisme. Et pourtant, si je me souviens bien, il a créé le monde d'une partie de lui-même, non?
Non-non!
Non? C'est l'homme seulement qu'il a tiré de sa côte?
Non! c'est de la côte d'Adam qu'il a tiré l'homme, pas de sa côte à lui!
Aah!
C'est de la côte d'Adam...
...qu'il a tiré la femme. Aah!...
Non-non! Il a «créé» le monde.
De rien, il a fait le monde?
C'est ça.
Alors c'est la même chose, c'est la même difficulté.
C'est tout simplement une incompréhension.
Et il a envoyé son fils, justement, pour «sauver le monde».
Alors son fils n'appartient pas à la création?
Il est le fils de Dieu – pas les autres.
Il est le seul fils de Dieu?
Oui, bien sûr!
Ils ont tordu tout.
Mais Adam appartenait à la création?
Oui, tandis que le Christ n'est pas humain, c'est le fils.
Mais il est entré dans un corps humain.
Oui, mais c'est le fils de Dieu. Ce n'est pas un être humain qui est devenu divin, c'est un être divin – «le fils de Dieu» – qui a pris un corps humain.
Mais c'est entendu! Tous les Avatars sont comme cela.
Oui, mais il est le seul.
Tout est tordu.
Mais la Vierge, dans cette affaire? Qu'est-ce qui lui est arrivé, parce qu'elle était une femme.
Elle était humaine, elle.
Oui... parce que même, dans l'histoire, il y a un moment où le Christ dit: «Qu'ai-je à voir avec cette femme»!
Mais alors, l'Assomption?...
(silence)
N'est-ce pas, ceux qui savent comprennent très bien – tout cela est symbolique.
Mais par exemple, je t'ai dit que j'ai parlé pendant très longtemps avec le pape le jour de son élection, et tout d'un coup la conversation a été interrompue brutalement par une réaction de lui (c'était une vraie conversation mentale entre nous: je disais et il me répondait, et j'entendais sa réponse – je ne sais pas s'il a été conscient de quelque chose?... probablement non. mais enfin; ce n'était pas du tout une formation de mon esprit parce que je recevais des réponses unexpected, pas du tout ce que j'attendais), mais la conversation a été interrompue brutalement par une réaction de lui au moment où je lui ai dit que Dieu est partout, en toutes choses; que toute chose est Lui; et alors une grande Force est venue en moi et je lui ai dit: «Même quand on descend aux Enfers, là aussi Il est.»
Alors tout s'est arrêté net.
J'ai appris depuis que c'est l'une des choses qu'ils enseignent: que ce ne sont pas tant les douleurs de l'Enfer qui sont terribles, c'est qu'il n'y a pas de Dieu là; que c'est la seule partie de la création où il n'y a pas de Dieu – il n'y a pas de Dieu dans l'Enfer. Et moi, j'ai affirmé qu'il était là aussi.
Mais naturellement, au point de vue intellectuel, toutes ces choses-là s'expliquent et se mettent à leur place – il n'est rien de ce que les hommes ont pensé qui ne soit la déformation d'une vérité. Ce n'est pas ça, la difficulté, mais c'est justement le fait que, pour les gens religieux, il y a des choses qu'ils ont le devoir de croire, et que c'est un «péché» de permettre à l'esprit de discuter – alors ils se ferment naturellement et jamais ils ne pourront faire un progrès. Tandis que les matérialistes, eux, sont censés, au contraire, tout connaître, tout expliquer – rationnellement ils expliquent tout. Et alors (Mère rit) par le fait qu'ils expliquent tout, on peut justement les mener là où on veut aller.
Voilà.
Il n'y a rien à faire avec les gens religieux.
Non. Et d'ailleurs ce n'est pas bon aussi. S'ils se sont accrochés à une religion, c'est que cette religion les a aidés d'une façon ou d'une autre; a aidé en eux justement quelque chose qui voulait avoir une certitude sans avoir à chercher – pouvoir s'appuyer sur une chose solide sans être responsable de la solidité, quelqu'un d'autre est responsable! (Mère rit) et s'en aller comme ça. Et c'est un manque de compassion de vouloir les tirer de là – il n'y a qu'à les laisser là où ils sont. Jamais je ne discute avec quelqu'un qui a une foi – qu'il garde sa foi! Et je me garde bien de lui dire quoi que ce soit qui pourrait ébranler sa foi parce que ce n'est pas bon – ils ne sont pas capables d'en avoir une autre.
Mais un matérialiste...: «Je ne discute pas, j'accepte votre point de vue; seulement vous n'avez rien à dire – j'ai pris ma position, prenez la vôtre. Si vous êtes satisfait de ce que vous savez, gardez-le. Si ça vous aide à vivre, c'est très bien.
«Mais vous n'avez aucun droit de me blâmer ou de me critiquer, parce que c'est sur votre propre base que je me place. Même si tout ce que j'imagine est une simple imagination, je préfère cette imagination à la vôtre.» Voilà.
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1 L'enregistrement de ce fragment n'a pas été conservé.
2 Occulte, évidemment.
3 Mère a rajouté cette phrase plus tard.
4 Plus tard, Mère a rectifié: «Ce n'est pas tout à fait exact parce que je suis en contact avec les meilleurs parmi les Indiens, mais ceux qui sont matérialistes le sont d'une façon très obscure et tout à fait brutale.»