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Mère

l'Agenda

Vol. 1

28 juillet 1961

Il y a une chose importante. Sri Aurobindo dit que tout est involué ici-bas – le mental, le vital, le supramental – et ce qui est involué évolue. Mais alors, si tout est involué, y compris le supramental, quelle est la nécessité d’une «descente»? Les choses ne peuvent-elles pas évoluer d’elles-mêmes?

Ah! il a expliqué cela quelque part.

Mais je ne me souviens pas avoir vu quelque chose qui m’ait satisfait.

Ce n’est pas dans les «Essais sur la Guîtâ»?... Il explique ce que Krishna a dit et comment les deux [descente et évolution] se combinent... Il n’y a pas très longtemps que je l’ai lu; justement j’ai été intéressée par cette question. Et j’ai même dit quelque chose, moi, sur la différence entre ce qui évolue (ce qui sort de cette involution) et la Réponse de ce qui existe déjà dans toute sa gloire là-haut.

Il faudrait retrouver cela.

Dans les très vieilles traditions on trouve deux lignes, c’est-à-dire deux sortes d’explication. L’une dit que c’est par la «descente» de ce qui est déjà dans toute sa perfection, que ce qui est involué peut s’éveiller à l’évolution et à la conscience. C’est comme la vieille histoire: quand ce que Sri Aurobindo appelle la Mère universelle ou la Shakti (ou Satchidananda) s’est aperçue de ce qui était arrivé dans la Matière (c’est-à-dire ce qui a créé la Matière) et de cette involution qui a amené l’Inconscience – une inconscience totale –, selon la vieille tradition, à ce moment-là, directement du Seigneur, l’Amour divin est descendu dans la Matière pour commencer à éveiller ce qui était involué là.

D’autres traditions, au lieu de l’Amour, disent «la Conscience»: la Conscience divine. On trouve même des récits imagés, des représentations d’un Être à lumière prismatique qui est dans la grotte de l’Inconscient, dans un sommeil profond; et c’est cette Descente qui l’éveille à une activité encore (comment dire?) intérieure, une activité dans l’immobilité, une activité de rayonnement (d’action par rayonnement); et alors, de son corps, sortent d’innombrables rayons qui se répandent dans l’Inconscient et qui, petit à petit, éveillent dans chaque chose, dans chaque atome, pour ainsi dire, l’aspiration à la Conscience et le commencement de l’évolution.

J’ai eu l’expérience.

J’ai eu l’expérience d’avoir été «envoyée» pour ainsi dire, et c’était sous une forme combinée d’Amour et de Conscience – l’Amour divin dans sa pureté suprême, la Conscience divine dans sa pureté suprême –, émanée directement sans passer par tous les états intermédiaires: directement dans les profondeurs les plus profondes de l’Inconscient. Et là, c’était l’impression d’être, ou d’avoir trouvé un Être symbolique dans un sommeil profond et... on pourrait dire tellement voilé qu’il était invisible. Et au contact, alors, c’était comme si le voile était déchiré et, sans qu’il se réveille, d’abord c’était une sorte de radiation qui se répandait... Je vois encore ma vision.1

(silence)

Il y a toujours une manière, que l’on pourrait presque appeler populaire, de présenter ces choses. C’est comme toute l’histoire de la création: l’histoire de comment les choses sont arrivées. On peut raconter cela comme le déroulement d’une histoire (c’est ce que Théon avait fait dans ce qu’il appelait La Tradition – un livre qu’il appelait «La Tradition» –, il racontait toute l’histoire, mon dieu comme on la raconte dans la Bible aussi, c’est-à-dire avec des symboles et des formes qui recouvrent la connaissance psychologique). Il y a une façon psychologique de dire les choses, et il y a une façon métaphysique – la métaphysique, pour moi, c’est presque incompréhensible, ce n’est pas intéressant (c’est intéressant seulement pour les esprits qui sont faits comme cela). Une façon presque enfantine et tout à fait imagée de dire les choses me paraît plus évo-catrice que toutes les théories métaphysiques (mais c’est une opinion personnelle, cela n’a pas de valeur!) Le côté psychologique est plus dynamique pour la transformation; c’est généralement celui que Sri Aurobindo a adopté: il ne nous raconte pas d’histoires (s’il y avait des histoires, c’était moi qui lui racontais! – pour moi, les images, n’est-ce pas, c’est très évocateur). Mais si on combine les deux côtés... A vrai dire, pour être philosophique, il faudrait combiner les trois. Mais ça, le côté métaphysique, j’ai toujours eu l’impression que cela donnait aux gens l’idée qu’ils savaient, mais que c’est seulement une idée (!) qu’ils ne savaient rien du tout, parce que c’est ineffectif: ça ne réalise pas. Au point de vue du push, de l’élan vers la transformation, évidemment le côté psychologique est le plus puissant. Mais l’autre [le côté symbolique] est plus joli!

Sri Aurobindo a fait tout un tableau de la Manifestation dans le livre The Hour of God:2 il y a d’abord ceci qui vient, puis ça, puis ça, puis ça, etc. – toute une série. Je dois dire qu’ils ont imprimé cela très sérieusement dans le livre, mais il l’a fait (je l’ai vu le faire) comme un amusement. Quelqu’un lui avait parlé justement des différentes religions, des différentes méthodes philosophiques, et puis de la Théosophie, Mme Blavatski, tous ces gens (il y avait aussi l’histoire de Théon: chacun a fait son tableau). Alors Sri Aurobindo a dit: «Moi aussi, je peux faire un tableau! et mon tableau sera beaucoup plus complet!» Et quand cela a été fini, il a ri et il a dit: «Mais ce n’est qu’un tableau, c’est pour s’amuser.» On l’a mis très sérieusement dans le livre comme s’il l’avait déclaré comme une chose très sérieuse. Oh! c’est très compliqué!

Non, la difficulté, c’est que les gens vont dire: mais pourquoi la nécessité d’une «descente» si tout est involué et évolue? Pourquoi une descente? Pourquoi l’intervention d’un plan supérieur?

Non, pardon! mais il fallait défaire ce qui a fait cette involution. La CAUSE de l’involution, il fallait qu’elle soit défaite.

Dans l’histoire de Théon, c’était comme cela: d’abord la Mère universelle (il ne l’appelait pas la Mère universelle, c’est Sri Aurobindo qui l’appelle la Mère universelle), la Mère universelle chargée de la création. Elle fait quatre émanations pour la création. Les quatre émanations sont: la Conscience ou Lumière; la Vie; l’Amour ou Béatitude, et... (Mère cherche en vain à se souvenir)... Je crois que j’ai de l’anémie cérébrale aujourd’hui! L’Inde ne parle que de trois: Sat-Chit-Ananda (Sat, c’est l’Existence, qui se traduit par la Vie; Chit, c’est la Conscience, qui se traduit par le Pouvoir; Ananda, c’est la Félicité, qui est synonyme de l’Amour). Mais selon Théon, il y en avait quatre (je savais cela par cœur). Et alors, ces émanations (Théon le racontait d’une façon compréhensible pour quelqu’un qui n’est pas philosophe et qui a un esprit enfantin), ces émanations, conscientes de leur pouvoir, se sont séparées de leur Origine, c’est-à-dire qu’au lieu d’être entièrement soumises à la Volonté suprême et de n’exprimer que... Ah! la Vérité, c’est le quatrième! Au lieu de ne faire que la Volonté suprême, naturellement c’est comme si elles avaient le sens de leur pouvoir personnel (c’étaient des sortes de personnalités: des personnalités universelles qui chacune représentait un mode d’être), et au lieu de rester branchées, elles se sont séparées – elles ont fait à leur idée, pour le dire d’une façon tout à fait compréhensible. Et alors, naturellement, la Lumière est devenue obscurité, la Vie est devenue mort, la Félicité est devenue souffrance, et la Vérité est devenue mensonge. Ce sont les quatre grands Asouras: l’Asoura de l’Inconscience, l’Asoura du Mensonge, l’Asoura de la Souffrance et l’Asoura de la Mort.

Une fois que tout cela est arrivé, la Conscience divine s’est tournée vers le Suprême et Lui a dit (ricin! avec humour): «Eh bien, voilà ce qui est arrivé, comment faire?» Alors, du Divin, est sortie une émanation de l’Amour (dans la première émanation, ce n’était pas l’Amour: c’était l’Ananda; c’était la Félicité, la Joie d’être, qui est devenue Souffrance), et du Suprême est sorti l’Amour; et l’Amour est descendu dans ce domaine de l’Inconscience qui était le résultat de la création du premier émané, qui était Conscience – Conscience et Lumière qui sont devenues Inconscience et Obscurité. L’Amour est descendu dedans, directement du Suprême, c’est-à-dire qu’il a fait une nouvelle émanation, cela sans passer par les mondes intermédiaires (parce que, suivant l’histoire, d’abord la Mère universelle a créé tous les dieux qui, eux, quand ils sont descendus, sont restés en contact avec le Suprême et ont créé tous les mondes intermédiaires pour contrebalancer cette chute – c’est la vieille histoire de la «Chute», cette chute dans l’Inconscient. Mais ce n’était pas suffisant). Alors, en même temps que la création des dieux, il y a eu cette Descente directe de l’Amour, sans passer par tous ces mondes intermédiaires – directement dans la Matière. Voilà l’histoire. C’est l’histoire de la première Descente. Toi, tu veux parler de la descente annoncée par Sri Aurobindo, la descente du Supramental?

Pas seulement. Par exemple, Sri Aurobindo dit que quand la Vie est sortie, il y a eu une pression d’en bas, de l’évolution, pour faire sortir la Vie de la Matière, et en même temps une descente de la Vie, de son vrai plan à elle. Puis, quand le Mental est sorti de la Vie, même chose d’en haut aussi. Pourquoi chaque fois cette intervention d’en haut? Pourquoi les choses ne sont-elles pas sorties normalement l’une de l’autre sans avoir besoin d’une «descente»?

Pourquoi tout est devenu de travers aussi!

Non, ça se comprend très bien quand on a l’expérience.

Par exemple, cette expérience. Prenons le Mental: l’évolution de la Nature et le Mental qui sort de son involution petit à petit; eh bien (ça, c’est une expérience très concrète), ces premières formes «mentalisées», si l’on peut dire, étaient nécessairement des formes incomplètes et imparfaites, parce que l’évolution de la Nature est lente et hésitante et compliquée. Et là, il y a eu, dans ces formes, une aspiration, forcément, à une sorte de perfection et d’état mental vraiment parfait; et cette aspiration a fait descendre du monde mental les êtres qui étaient déjà pleinement conscients et qui se sont unis aux formes terrestres – ça, c’est une expérience très-très concrète. Ce qui sort comme cela, de l’Inconscient, c’est presque une possibilité impersonnelle (oui, une possibilité impersonnelle et peut-être pas tout à fait universelle puisque cela correspond à l’histoire de la terre), mais enfin c’est une possibilité générale, pas personnelle; et la Réponse d’en haut, c’est ce qui concrétise pour ainsi dire: ça apporte une sorte de perfection d’état et de maîtrise individuelle de la nouvelle création. Ces êtres qui sont venus (il y avait des êtres dans les mondes correspondants, comme les dieux dans le Surmental, ou les êtres des régions supérieures), ils sont venus sur la terre dès que l’élément correspondant a commencé à évoluer de son involution. D’abord, ça précipite l’action, mais aussi ça la rend plus parfaite – plus parfaite, plus puissante, plus consciente. Cela donne une sorte de sanction de réalisation. C’est ce que Sri Aurobindo écrit dans La Savitri: cette Savitri qui vit toujours sur la terre – qui a vécu toujours sur la terre avec l’âme de la terre pour faire progresser aussi vite que possible toute la terre –, eh bien, il y a un moment où, en elle, quand les choses seront prêtes, la Mère divine s’incarnera avec sa pleine puissance – quand les choses seront prêtes. Et alors ce sera la perfection de la réalisation. N’est-ce pas, c’est une splendeur de création qui dépasse toute la logique! Cela donne une plénitude et une puissance qui dépassent complètement toute cette petite logique un peu plate de la mentalité humaine.

Les gens ne peuvent pas comprendre! Se mettre au niveau du peuple, c’est très bien3 (moi, je n’ai jamais trouvé ça bien; mais enfin c’est peut-être inévitable), mais espérer qu’ils comprendront jamais la splendeur de la Chose!... Il faut d’abord qu’ils la vivent!

Moi, dans ces cas-là, je n’aborderais jamais le pourquoi; je dirais toujours: «C’est comme ça.» Quand les gens viennent me dire: «Pourquoi est-ce que c’est arrivé comme cela? Pourquoi est-ce que le monde est malheureux? Pourquoi commence-t-il par être obscur avant d’être lumineux? Pourquoi est-ce qu’il y a eu cet «accident» (si l’on peut appeler cela «accident»)? Pourquoi le Seigneur a permis...» On peut dire: c’est à cause de ceci, c’est à cause de cela – il y a cinquante mille réponses que l’on peut donner, mais qui ne valent rien du tout. C’est comme ça parce que c’est comme ça!

Ce n’était pas tellement une question de «pourquoi» que de processus.

Le processus? Ça, je te donne un processus historique, par expérience.

Il faut les deux choses.

Oui. La terre est un monde représentatif et symbolique, une sorte de cristallisation et de concentration de l’œuvre d’évolution afin de lui donner une réalité plus... concrète. Il faut le prendre comme cela: l’histoire de la terre est une histoire symbolique. Et c’est sur la terre que se fait cette Descente (ce n’est pas l’histoire de la création universelle: c’est l’histoire de la création terrestre), c’est dans l’être individuel terrestre que se fait la Descente, c’est dans l’atmosphère individuelle terrestre.

Prends l’exemple de Savitri (parce que Savitri est très explicite pour cela): la Mère universelle est universellement là et universellement à l’œuvre dans l’univers, mais nous prenons la terre comme une concrétisation de tout le travail à faire pour que l’évolution arrive à sa perfection, à son but; eh bien, là, d’abord il y a une sorte d’émanation représentative de la Mère universelle qui reste sur la terre tout le temps pour l’aider à se préparer, et, quand la préparation est complète, à ce moment-là la Mère universelle Elle-même descendra sur la terre pour finir Son travail. Et Elle le fait avec Satyavan – Satyavan, c’est l’âme de la terre. Alors elle vit en union étroite avec l’âme de la terre, et ensemble ils font le Travail: Elle a choisi l’âme de la terre pour Son travail. Elle a dit: «C’est que je ferai mon travail.» Le reste (Mère désigne les régions de conscience supérieures), ça se fait comme ça: il n’y a qu’à être et les choses sont. Là, il faut travailler – sur la terre il faut travailler.

Naturellement, ça a des répercussions et des effets universels, c’est bien entendu, mais c’est ici que ça se fait, c’est ici qu’est le LIEU du Travail. Alors, au lieu de vivre béatifiquement dans Son état universel et au-delà, sur-universel (l’état d’éternité hors du temps), au lieu de cela, Elle a dit: «Non, je fais mon travail LÀ, je veux aller LÀ, je choisis», et c’est là que le Suprême lui dil: c’est Ma Volonté que tu as exprimée. – «Je veux faire le Travail LÀ, et quand le tout sera prêt, quand la terre sera prêle, quand l’humanité sera prête (sans même que personne le sache mais enfin ce sera prêt), quand le Grand Moment sera venu, eh bien... eh bien je descendrai finir mon travail.» Voilà l’histoire.

Alors si les gens vous demandent pourquoi, on leur répond: «Je n’en sais rien, c’est comme ça.» Pourquoi? (Mère hausse les épaules) Comment peut-on comprendre avec un petit cerveau humain pourquoi c’est comme cela! – Quand on le vit, on le sait! Ça ne se pose même pas: c’est évident, c’est comme ça parce que c’est comme ça. Ce devait être comme ça – c’est comme ça.

Vous pouvez trouver toutes sortes d’explications: jamais la conscience n’aurait été aussi complète, jamais la joie n’aurait été aussi complète, jamais la réalisation n’aurait été aussi complète, si on n’avait pas passé par... tout ça – mais ça, ce sont des explications, c’est pour satisfaire la pensée. Mais quand on est dedans, on n’a pas besoin d’explications.

Et quant à espérer faire comprendre les gens!... Qu’ils lisent ton livre avec intérêt – au fond, c’est la seule chose qui importe. Qu’ils le lisent avec intérêt; chacun s’imaginera qu’il a compris (il aura «compris», n’est-ce pas!) et à travers («under», j’allais dire!) à travers leur intérêt, eh bien, quelque chose s’éveillera dans leur conscience et une espèce de première aspiration vers le besoin de réaliser – c’est tout. Et si on fait cela, grand Dieu! on a fait une grande chose.

Leur faire comprendre! Comment comprendre? On ne comprend pas soi-même tant qu’on est là [dans le menial]. On peut imaginer toutes sortes de choses, expliquer toutes sortes de choses mais... avec un peu de bon sens, on voit bien qu’on n’explique rien.4

 

ADDENDUM

UNE VISION (de Mère)
(Extrait de la «Revue Cosmique» de 1906)

J’ai dormi et maintenant voilà que je suis éveillée.

J’ai dormi sur les eaux qui sont à l’ouest, et maintenant je pénètre dans l’océan pour en connaître les profondeurs. Sa surface est verte comme le béryl, argentée par les rayons de la lune. En dessous, l’eau est bleue comme le saphir et légèrement lumineuse déjà.

Je me suis couchée sur des ondulations qui sont comme les rides de la moire et je descends, bercée d’une ondulation à l’autre par un mouvement régulier et doux, emportée en ligne droite vers l’ouest. A mesure que je descends, l’eau devient plus lumineuse; de grands courants argentés la traversent.

Et pendant longtemps je descends ainsi, bercée d’ondulation en ondulation, toujours et toujours plus profondément.

Tout à coup, en regardant au-dessus de moi, j’aperçois quelque chose de rose, je m’approche et je dislingue un buisson semblable au corail, aussi gros qu’un arbre, accroché à un rocher bleu. Les habitants des eaux vont et viennent, innombrables et divers. Maintenant je me tiens debout sur le sable fin et brillant. Je regarde autour de moi avec admiration. Il y a des montagnes et des vallées, des forêts fantastiques, des fleurs étranges qui pourraient bien être des animaux, et des poissons qu’on pourrait prendre pour des fleurs – il n’y a aucune séparation, aucun vide entre les êtres stationnâmes et les non-stationnaires. Partout des couleurs, douces ou vives et chatoyantes, mais toujours raffinées et en accord. Je marche sur du sable d’or et contemple toutes ces beautés qui sont baignées d’une douce radiance bleu pâle dans laquelle circulent de toutes petites sphères lumineuses rouges, vertes ou dorées.

Qu’elles sont merveilleuses les profondeurs de la mer! partout on y sent la présence de Celui en qui résident toutes les harmonies!

J’avance toujours vers l’ouest, sans fatigue ni lenteur. Les spectacles se succèdent dans leur incroyable variété; voici sur un rocher de lapis-lazuli, des algues fines et délicates, telles de longues chevelures blondes ou violettes; voici de grandes murailles roses toutes lamées d’argent; voici des fleurs qui semblent taillées dans des diamants énormes; voici des cmop_es aussi belles que si elles étaient l’œuvre du plus habile ciseleur; elles contiennent ce qui paraît être des gouttes d’émeraude ayant des pulsations alternées d’ombre et de lumière.

Maintenant je me suis engagée sur un chemin sablé d’argent entre deux parois de rocher aussi bleues qu’un bleu saphir, l’eau devient de plus en plus pure et lumineuse.

Brusquement, à un tournant du chemin, je me trouve devant une grotte qui semble être de cristal ouvragé, toute scintillante de radiance prismatique.

Entre deux colonnes irisées, se tient un être de grande taille; sa tête, celle d’un tout jeune homme, est encadrée de courtes boucles blondes, ses yeux sont verts comme la mer; il est vêtu d’une tunique bleu clair et sur ses épaules se trouvent, en guise d’ailes, de grandes nageoires blanches comme la neige. En me voyant, il se range contre une colonne pour me laisser passer. A peine ai-je franchi le seuil qu’une mélodie exquise vient frapper mes oreilles. Ici l’eau est toute irisée, le sol est sablé de perles nacrées, le parvis et la voûte d’où pendent de gracieuses stalactites sont comme de l’opale; des parfums délectables sont partout répandus, des galeries, des niches, des recoins s’ouvrent de tous côtés, mais droit devant moi j’aperçois une grande lumière et c’est vers elle que je me dirige. Ce sont de larges rayons d’or, d’argent, de saphir, d’émeraude, de rubis; ces rayons prennent tous naissance à un point trop éloigné de moi pour que je puisse distinguer ce qu’il est et s’épanouissent dans toutes les directions, je me sens attirée vers leur centre par une puissante attraction.

Maintenant je vois d’où émanent les rayons, je vois un ovale de lumière blanche entouré d’un superbe arc-en-ciel. L’ovale est couché, et je sentiente que celui que la lumière cache à ma vue est plongé dans un repos profond. Longtemps je reste à la limite extérieure de l’arc-en-ciel, tâchant de percer la lumière et de voir celui qui dort entouré d’une telle splendeur. Ne pouvant rien distinguer ainsi, je pénètre dans l’arc-en-ciel, puis dans l’ovale blanc et lumineux; alors je vois un être merveilleux: il est étendu sur ce qui semble un amas de blanc duvet, son corps souple, d’une beauté incomparable, est vêtu d’une longue robe blanche. Je ne puis voir, de sa tête reposant sur son bras replié, que ses longs cheveux de la couleur du blé mûr, qui flottent sur ses épaules. Une grande et douce émotion m’envahit à ce magnifique spectacle, et aussi une profonde révérence.

Le dormeur a-t-il sentiente ma présence? Voilà qu’il s’éveille et qu’il se lève en toute sa grâce et sa beauté. Il se tourne vers moi et ses yeux rencontrent les miens, des yeux mauves et lumineux qui ont une expression de douceur, de tendresse infinie. Sans bruit de mots, il me souhaite une pathétique bienvenue, à laquelle tout mon être répond joyeusement, puis me prenant par la main, il me conduit à la couche qu’il vient de quitter. Je m’étends sur cette blancheur duveteuse, et le visage harmonieux se penche au-dessus de moi; un doux courant de force me pénètre toute, allant vitaliser, revivifier chaque cellule.

Alors, entourée des couleurs splendides de l’arc-en-ciel, enveloppée par les mélodies berceuses et les parfums exquis, sous le regard si puissant et si tendre, je me suis endormie dans un repos béatifi-que. Et pendant mon sommeil j’appris beaucoup de choses belles et utiles.

De toutes ces choses merveilleuses que je compris sans bruit de paroles, j’en mentionnerai une seulement.

Partout où est la beauté, partout où est la radiance, partout où est la progression vers le perfectionnement, que ce soit dans le Ciel des hauteurs ou celui des profondeurs, partout assurément se trouve l’être dans la forme et à la similitude de l’homme, l’homme le suprême évoluteur terrestre.

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 Nous publions en addendum à cette conversation la transcription de la vision de Mère, telle qu’elle l’a notée elle-même dans la Revue Cosmique de Théon, en 1906.

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2 Voir page 86 sqq.

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3 Mère veut parler du livre que le disciple doit écrire sur Sri Aurobindo el qui est à l’origine des questions posées dans celle conversation.

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4 Il existe un enregistrement de cette conversation.

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