Mère
l'Agenda
Volume 1
8 octobre 1957
(Lettre de Satprem à Mère)
Pondichéry, 8 octobre 1957
Mère,
Je viens te demander la permission de quitter l’Inde. Depuis plus d’un an je me bats pour ne pas partir, mais il me semble que c’est une mauvaise tactique.
Il n’est pas question pour moi d’abandonner le chemin – et je reste persuadé que le seul but de la vie est spirituel. Mais j’ai besoin de choses qui m’aident sur la voie: je ne suis pas encore assez mûr pour ne dépendre que des forces intérieures. Et quand je parle de forêt ou de bateau, ce n’est pas seulement pour l’aventure ou l’espace, mais parce qu’ils sont aussi une discipline. Les contraintes et les difficultés extérieures m’aident, elles m’obligent à rester serré autour de ce qui est le meilleur en moi. Ici, en un sens, la vie est trop facile. Et elle est trop difficile parce qu’il faut se soumettre à sa propre discipline – je n’ai pas encore cette force, il faut que je sois aidé par les circonstances extérieures. La difficulté même de la vie dans le monde extérieur m’aide à me discipliner, parce qu’elle exige que toutes mes forces vitales soient concentrées dans l’effort. Cette partie vitale, ici, est sans emploi et elle fait des bêtises, elle rue dans les brancards.
Je ne pense pas qu’une nouvelle expérience extérieure résolve vraiment les choses, mais je crois qu’elle m’aidera à franchir un cap et à consolider ma vie intérieure. Et si tu le veux, je reviendrai après un an ou deux.
J’aurai bientôt achevé la révision de la «Vie Divine» et celle du «Cycle Humain», alors je crois que j’aurai fait du mieux que je pouvais pour te servir, actuellement. Le 30 octobre est mon anniversaire, pourrai-je partir aussitôt après?
Ce n’est pas parce que je suis mécontent de l’Ashram que je veux partir, mais parce que je suis mécontent de moi-même et que je veux me dompter par d’autres moyens.
Je te donne bien peu d’amour, mais j’ai essayé du mieux que je pouvais et je ne pars pas pour te trahir.
Ton enfant
Signé: Satprem
(Réponse de Mère)
Mercredi, 8.10.57
Mon cher enfant.
Ceci n’est pas une réponse, mais un commentaire.
Il y a une joie à laquelle tu semblés encore complètement fermé, c’est la joie de servir.
A dire vrai, la seule chose au monde à laquelle tu t’intéresses, directement ou indirectement, c’est toi-même. Voilà pourquoi tu te sens emprisonné dans des limites si étroites, si suffocantes.
Signé: Mère