Mère
Commentaires sur Le Dhammapada
Tape records
Le Niraya1
Le menteur va à l’enfer ainsi que celui qui, ayant fait une chose, dit: «Je ne l’ai pas faite.» Tous deux, après la mort, partageront le même sort, car ce sont des hommes d’actions viles.
Quoiqu’ayant revêtu la robe jaune, ceux qui sont dissolus et instigateurs du mal, leurs mauvaises actions les font renaître en enfer.
Mieux vaudrait avaler une bille de fer chauffé au rouge plutôt que de vivre d’aumônes quêtées quand on mène une vie dissolue.
Quatre châtiments attendent l’homme sans scrupules qui convoite la femme d’autrui: le démérite, un sommeil agité, le blâme et le Niraya.
Il a donc acquis une mauvaise réputation et une renaissance mauvaise; bref est le plaisir des deux complices inquiets, outre la punition sévère du législateur. Qu’aucun homme ne recherche donc la femme d’autrui.
Tout comme l’herbe koussa coupe la main qui la saisit maladroitement, de même l’ascétisme mal compris mène au Niraya.
Un devoir accompli avec indifférence, une règle mal observée, et mener une vie vertueuse par crainte, rien de cela n’apportera de bons résultats.
Si une chose est à faire, qu’on la fasse avec ardeur. Un ascète aux moeurs relâchées déplacera de plus en plus la poussière des passions.
Mieux vaut se garder de faire une mauvaise action, car celui qui la commet en sera tourmenté. Mieux vaut accomplir une bonne action, car celui qui la fait n’aura pas à s’en repentir.
Comme une cité frontière est bien fortifiée à l’intérieur et à l’extérieur, qu’on se garde soi-même, qu’on ne gaspille pas un seul instant de vigilance, car ceux qui perdent cette occasion, ne fût-ce qu’une minute, en subiront les douloureuses conséquences, lorsqu’au Niraya.
Ceux qui éprouvent de la honte alors qu’il n’y a pas lieu d’avoir honte et ceux qui n’éprouvent aucune honte alors qu’il y a lieu d’être honteux, ces êtres aux vues mauvaises sont destinés à un état douloureux.
Ceux qui ont peur de ce qui n’est pas à craindre et qui ne redoutent pas ce qui est redoutable, ces êtres aux vues mauvaises sont destinés à un état douloureux.
Ceux qui voient le mal où il n’y en a pas et qui n’en voient pas où il y en a, ces êtres aux vues mauvaises sont destinés à un état douloureux.
Ceux qui reconnaissent le mal comme mal, et le bien comme bien, ces êtres qui ont des vues justes sont destinés à un état heureux.
Comme dans tous ces enseignements, il y a toujours plusieurs manières de comprendre. La manière extérieure est suffisamment banale. Dans tous les principes moraux, on dit la même chose. Ce Niraya, par exemple, que certains prennent pour une sorte d’enfer où l’on est puni des ses péchés, a un autre sens aussi. Le sens véritable du Niraya, c’est cette espèce d’atmosphère particulière que l’on crée autour de soi quand on agit en contradiction, non avec les règles morales extérieures ou les principes sociaux, mais en contradiction avec la loi intérieure de son être, la vérité particulière à chacun qui devrait gouverner tous les mouvements de notre conscience et tous les actes de notre corps. La loi intérieure, la vérité de l’être, c’est la présence divine en chaque être humain, ce qui devrait être le maître et le guide de notre vie.
Quand on prend l’habitude d’écouter cette loi intérieure, de lui obéir, de la suivre, d’essayer de plus en plus de la laisser guider la vie, on crée autour de soi une atmosphère de vérité, de paix, d’harmonie, qui naturellement réagit sur les circonstances et, pour ainsi dire, forme l’atmosphère dans laquelle on vit. Quand on est un être de justice, de vérité, d’harmonie, de compassion, de compréhension, de parfaite bonne volonté, cette attitude intérieure, plus elle est sincère et totale, plus elle réagit sur les circonstances extérieures — non qu’elle diminue nécessairement les difficultés de la vie, mais elle donne à ces difficultés un sens nouveau, et cela permet d’y faire face avec une force et une sagesse nouvelles; tandis que l’homme, l’être humain qui suit ses impulsions, qui obéit à ses désirs, qui s’embarrasse fort peu de scrupules, qui en arrive à vivre dans un cynisme complet, se moquant de l’effet que sa vie peut avoir sur les autres et des conséquences plus ou moins néfastes de ses actes, celui-là se crée une atmosphère de laideur, d’égoïsme, de conflit, de mauvaise volonté, qui nécessairement agit de plus en plus sur sa conscience et lui donne une âpreté dans l’existence, qui finalement devient un tourment perpétuel.
Bien entendu, cela ne veut pas dire que cet homme ne réussira pas dans ce qu’il entreprend, que ce qu’il désire, il ne pourra pas l’avoir: ces avantages extérieurs ne disparaissent que lorsqu’il y a, au fond de l’être, une étincelle de sincérité qui persiste et qui le rend digne de l’infortune.
Si vous voyez un mauvais homme devenir infortuné et misérable, il faut immédiatement le respecter. Cela veut dire que la flamme de sincérité intérieure n’est pas tout à fait éteinte et que quelque chose réagit encore à ses mauvaises actions.
Finalement, cela nous conduit encore à cette constatation qu’il ne faut jamais, jamais juger sur les apparences, et que tous les jugements que vous formez sur les circonstances extérieures sont toujours, nécessairement, des jugements faux.
Pour avoir un aperçu de la Vérité, il faut au moins faire un pas en arrière dans sa conscience, entrer un peu plus profondément dans son être, et essayer de percevoir le jeu des forces derrière les apparences et la Présence divine derrière le jeu des forces.
25 juillet 1958
1 État de douleur dans ce monde ou dans un autre.