Mère
Commentaires sur Le Dhammapada
Tape records
L’Éveillé
Celui dont la majesté n’a jamais été dépassée ni même égalée, le Sublime Éveillé, qui est dans la sphère que rien ne peut limiter, par quelle piste le dépister, lui qui est sans traces?
Celui en qui il n’y a plus ni convoitise ni désir, de quelle façon peut-on se diriger vers lui? Par quelle piste le dépister, lui, l’Éveillé qui est sans traces?
Les dieux eux-mêmes envient les sages adonnés à la méditation, les Éveillés, les vigilants, qui vivent avec délice dans la retraite du renoncement.
Il est difficile d’obtenir de naître à l’état d’homme. Il est difficile de vivre cette vie mortelle. Il est difficile d’avoir l’occasion d’entendre la vraie Doctrine. Et difficile en vérité est l’avènement des Éveillés, des Bouddhas.
Abstiens-toi du mal; cultive le bien et purifie ton mental: tel est l’enseignement des Bouddhas.
La meilleure des pratiques ascétiques est la patience. L’état nirvânesque est le plus parfait, disent les Bouddhas. N’est point un moine celui qui fait du mal aux autres; n’est point un vrai ascète celui qui opprime les autres.
Ne faire d’outrage ni de tort à personne, pratiquer la discipline selon la loi monastique, être modéré dans sa nourriture, vivre à l’écart et s’adonner à de hautes méditations, tel est l’enseignement des Bouddhas.
Même une pluie d’or ne saurait étancher la soif des désirs, car ils sont insatiables et engendrent la douleur; voilà ce que sait le sage.
Même les plaisirs célestes sont sans saveur pour le sage; le disciple du Bouddha, du Parfaitement Éveillé, ne peut se réjouir que dans l’abolition de tout désir.
Poussés par la peur, bien des hommes cherchent un refuge en maints endroits: dans la montagne, dans la forêt, dans les bosquets, dans les sanctuaires.
Mais ce n’est certes pas un sûr refuge; ce n’est point le refuge suprême. Y avoir recours ne délivre pas l’homme de toutes les douleurs.
Celui qui prend refuge en Bouddha, dans le Dhamma et le Sangha1, avec une parfaite connaissance, perçoit les quatre vérités, à savoir:
La souffrance, l’origine de la souffrance, l’anéantissement de la souffrance et l’octuple Voie qui conduit à son anéantissement.
En vérité, c’est là le sûr refuge, c’est le souverain refuge. Le choisir, c’est s’affranchir de toute souffrance.
L’homme Parfaitement Noble est difficile à rencontrer. Un tel être ne naît point partout. Et là où naît un tel sage, ceux qui l’entourent vivent dans le bonheur.
Bénie est l’apparition des Bouddhas, bénie la diffusion de la vraie Loi. Bénie est l’unité du Sangha, bénies sont les observances des disciples.
Il n’est point de mesure au mérite de l’homme qui révère ceux qui sont dignes de révérence, que ce soit un Bouddha ou ses disciples, eux qui se sont affranchis de tout désir et de toute vue erronée, eux qui ont surmonté tous les obstacles et qui ont franchi le fleuve des détresses et du désespoir.
Il est question ici des quatre Vérités et des huit Sentiers qui conduisent à l’anéantissement de la souffrance. Voici les détails que donne le texte. Les quatre nobles Vérités sont:
1. La vie — prise dans le sens de la vie ordinaire, de la vie dans l’Ignorance et le Mensonge — est indissolublement liée à la souffrance: souffrance du corps et souffrance du mental.
2. La cause de la souffrance est le désir, causé par l’ignorance de la nature de la vie séparée.
3. Il y a un moyen d’échapper à la souffrance, de faire cesser la douleur.
4. Cette libération est obtenue en suivant la discipline de l’Octuple Sentier, qui purifie peu à peu le mental de l’Ignorance. La quatrième Vérité est appelée: la méthode contenue dans l’Octuple Sentier.
Le Noble Sentier consiste dans l’entraînement aux huit stades suivants:
1. Vues justes. Voir les choses telles qu’elles sont, c’est-à-dire une vision pure, correcte, et la meilleure vision.
Trois états caractérisent l’existence: a) la douleur; b) l’impermanence; c) l’absence d’un ego fixe, dit le Dhammapada. Mais ce n’est pas du tout à fait cela, c’est plutôt l’absence d’une personnalité fixe, durable et séparée dans le faisceau psychologique, le manque de continuité véritable dans la conscience personnelle; c’est pour cette raison, par exemple, que dans l’état ordinaire, on n’a pas le souvenir de ses existences passées ni le sens d’une continuité consciente à travers toutes les existences.
Le premier point est donc de voir juste, et voir juste, c’est voir que la douleur est associée à l’existence ordinaire, que toute chose est impermanente et qu’il n’y a pas de continuité dans la conscience personnelle.
2. Intentions ou désirs justes. Mais il n’aurait pas fallu employer le même mot, désir, puisqu’on nous dit précisément qu’il ne faut pas de désirs; ce sont plutôt des aspirations justes. Il faudrait remplacer le mot désir par aspiration.
Se libérer des attachements et avoir des pensées de bienveillance pour toute ce qui existe. Être dans un état de bienveillance perpétuel. Vouloir le mieux pour tous, toujours.
3. Paroles justes, qui ne blessent personne. Ne jamais parler inutilement et éviter scrupuleusement toute parole malveillante.
4. Conduite juste, pacifique, honnête, à tous les points de vue, pas seulement matériellement mais moralement et mentalement. L’honnêteté mentale est l’une des choses les plus difficiles à obtenir.
5. Moyens d’existence justes, ne causant ni mal ni danger à aucune créature. Ceci est relativement facile à comprendre. Il y a des gens qui poussent ce principe à l’extrême, contre tout bon sens, ce sont ceux qui se mettent un mouchoir sur la bouche, par exemple, pour ne pas avaler de microbes, et qui se font balayer le chemin devant eux pour ne pas mettre le pied sur un insecte2. Cela paraît un peu excessif, parce que la vie tout entière est faite de destruction, telle qu’elle est actuellement; mais si l’on comprend correctement ce texte cela veut dire qu’il faut éviter toute possibilité de faire du mal et ne causer aucun danger volontairement, à aucune créature. On peut inclure ici toutes les créatures vivantes, et, si l’on étend cette précaution et cette bienveillance à tout ce qui vit dans l’univers, c’est très favorable au développement intérieur.
6. Efforts justes. Ne pas faire des efforts inutiles pour des choses inutiles, mais réserver toute son énergie d’effort pour surmonter l’Ignorance et se libérer du Mensonge; cela, on ne le fera jamais assez.
7. Et le septième principe vient confirmer le sixième: Vigilance juste. Avoir l’esprit actif et vigilant. Ne pas vivre dans une demi-somnolence, dans une semi-inconscience: on se laisse aller dans l’existence et advienne que pourra! C’est ce que tout le monde fait. De temps en temps, on se réveille et on s’aperçoit qu’on a perdu son temps, alors on fait un grand effort, pour retomber dans l’indolence la minute d’après. Il vaut mieux quelque chose de moins véhément mais de plus constant.
8. Et finalement: Contemplation juste. Pensée concentrée sans égoïsme sur l’essence des choses, la vérité profonde et le but à atteindre.
Que de fois on a une sorte de vide dans le courant de l’existence, un moment inoccupé, quelques minutes, parfois davantage. Qu’est-ce que l’on fait? Immédiatement on essaye de se distraire et on invente une sottise ou une autre pour passer son temps. Cela, c’est un fait général. L’homme, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, passe la majorité de son temps à essayer de ne pas s’ennuyer. Pour lui, la bête noire, c’est l’ennui, et le moyen d’échapper à l’ennui, c’est de faire des bêtises.
Eh bien, il y a un moyen qui est meilleur que celui-là: c’est de se souvenir.
Quand on a un peu de temps, que ce soit une heure ou quelques minutes, se dire: «Enfin! j’ai le temps de me concentrer, de me rassembler, de revivre la raison d’être de ma vie et de m’offrir à Ce qui est vrai et éternel.» Si l’on prenait soin de faire cela chaque fois qu’on n’est pas harcelé par les circonstances extérieures, on s’apercevrait que l’on avance très vite sur le chemin. Au lieu de gaspiller son temps à bavarder, à faire des choses inutiles et à lire des choses qui rabaissent la conscience (ceci pour choisir le meilleur des cas, je ne parle pas des autres imbécillités qui sont beaucoup plus graves), au lieu de chercher à s’étourdir, à faire que le temps, qui est déjà si court, devienne plus court encore, et de s’apercevoir, quand on est à la fin de sa vie, qu’on a perdu les trois quarts de sa chance — alors on veut mettre les bouchées doubles, mais ça ne marche pas —, il vaut mieux être modéré, pondéré, patient, tranquille, mais ne jamais perdre l’occasion qui vous est donnée, c’est-àdire utiliser pour le vrai but la minute inoccupée qui se trouve devant vous.
Quand vous n’avez rien à faire, vous vous agitez, vous courez, vous allez rencontrer des amis, vous allez vous promener — pour ne parler que du mieux, je ne veux pas parler des choses qui sont ouvertement à ne pas faire —, au lieu de cela, asseyez-vous donc tranquillement devant le ciel, devant la mer ou sous les arbres, suivant les possibilités (ici on les a toutes), et essayez de réaliser une de ces choses, de comprendre pourquoi l’on vit et d’apprendre comment il faut vivre, de songer à ce que l’on veut faire et ce qui doit être fait, quel est le meilleur moyen d’échapper à l’Ignorance, au Mensonge, à la douleur dans laquelle on vit.
16 mai 1958
1 La Communauté.
2 Allusion aux pratiques jain.